VI° partie

La faillite de la II° Internationale

Lénine

VI° partie

   Les lignes qui précèdent étaient déjà écrites lorsque parut le numéro 9 de la Neue Zeit (du 28 mai), contenant le raisonnement final de Kautsky sur la « faillite de la social-démocratie » (paragraphe 7 de son objection à Cunow). Voici comment Kautsky lui-même a rassemblé et résumé tous les vieux sophismes et un nouveau sur la défense du social-chauvinisme :

   « Il est tout simplement contraire à la vérité de dire que la guerre est purement impérialiste, qu’au moment où elle a éclaté se posait l’alternative : impérialisme ou socialisme, et que les partis socialistes et les masses prolétariennes d’Allemagne, de France et, à bien des égards, aussi d’Angleterre, se sont jetés sans réfléchir, sur la simple injonction d’une poignée de parlementaires, dans les bras de l’impérialisme, ont trahi le socialisme et provoque ainsi une faillite sans précédent dans toute l’histoire. »

   Nouveau sophisme et nouvelle mystification des ouvriers la guerre, s’il vous plaît, n’est pas « purement » impérialiste.

   En ce qui concerne le caractère et la signification de la guerre actuelle, Kautsky a des hésitations vraiment surprenantes; ajoutons que ce digne chef de parti élude les déclarations précises et formelles des congrès de Bâle et de Chemnitz avec la prudence d’un voleur évitant de revenir sur le lieu de son dernier cambriolage. Dans sa brochure L’Etat national, etc., écrite en février 1915, Kautsky affirmait que la guerre « est tout de même, en dernière analyse, impérialiste »(p. 64). Maintenant, il apporte une nouvelle réserve elle n’est par purement impérialiste. Mais qu’est-elle donc alors ?

   Il se trouve qu’elle est encore nationale ! Kautsky en arrive à cette énormité au moyen de cette pseudo-dialectique « plékhanoviste » :

   « La guerre actuelle, dit-il, est le fruit non seulement de l’impérialisme, mais encore de la révolution russe. »

   Déjà en 1904 Kautsky, voyez-vous, avait prévu que la révolution russe régénérerait le panslavisme, sous une forme nouvelle, qu’une

« Russie démocratique devait inévitablement aviver les aspirations des slaves d’Autriche et de Turquie à réaliser leur indépendance nationale… La question polonaise, elle aussi, se posera alors avec acuité… Et l’Autriche se désagrégera, car l’effondrement du tsarisme brisera le cercle de fer qui réunit encore aujourd’hui les éléments divergents aspirant à se séparer » (Kautsky lui-même emprunte cette dernière citation à son article de 1904)… « La révolution russe… a donné une nouvelle et vigoureuse impulsion aux aspirations nationales de l’Orient, elle a ajouté aux problèmes européens les problèmes asiatiques. Tous ces problèmes, au cours de la guerre actuelle, se manifestent tumultueusement et prennent une valeur décisive pour l’état d’esprit des masses populaires, y compris les masses prolétariennes, alors que dans les classes dominantes ce sont les tendances impérialistes qui l’emportent » (p. 273).

   Voilà un autre exemple de prostitution du marxisme ! Etant donné qu’une « Russie démocratique » aviverait les aspirations des nations de l’Est de l’Europe à la liberté (ce qui est incontestable), la guerre actuelle, qui n’affranchit pas une seule nation, mais en asservit plusieurs, quelle que soit son issue, n’est pas, de ce fait, une guerre « purement » impérialiste. Etant donné que l' »effondrement du tsarisme » signifierait la dislocation de l’Autriche en raison du caractère non démocratique de sa structure nationale, le tsarisme contre-révolutionnaire momentanément affermi, en pillant l’Autriche et en instaurant une oppression encore plus grande des nations de ce pays, a conféré de ce fait à la « guerre actuelle » un caractère qui n’est pas purement impérialiste, mais dans une certaine mesure national. Etant donné que les « classes dominantes » trompent les petits bourgeois obtus et les paysans opprimés avec des fables sur les buts nationaux de la guerre impérialiste, l’homme de science qui est une autorité en matière de « marxisme » et un représentant de la II° Internationale est en droit, de ce fait, de faire accepter aux masses cette mystification au moyen de la « formule » : les tendances des classes dominantes sont impérialistes, tandis que celles du « peuple » et des masses prolétariennes sont « nationales ».

   La dialectique devient la sophistique la plus infâme, la plus vile !

   L’élément national dans la guerre actuelle est représenté seulement par la guerre de la Serbie contre l’Autriche (comme l’a, du reste, souligné la résolution de la conférence de Berne de notre Parti((Voir V. LENINE, œuvres Paris-Moscou, t. 21, pp. 158-159. La conférence de Berne du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (27/2-4/3/1915) adopta les résolutions sur la guerre défendues par Lénine.))). C’est seulement en Serbie et parmi les serbes qu’il existe un mouvement de libération nationale datant de longues années, embrassant des millions d’individus parmi les « masses populaires », et dont le « prolongement » est la guerre de la Serbie contre l’Autriche. Si cette guerre était isolée, c’est-à-dire si elle n’était pas liée à la guerre européenne générale, aux visées égoïstes et spoliatrices de l’Angleterre, de la Russie, etc., tous les socialistes seraient tenus de souhaiter le succès de la bourgeoisie serbe – c’est là la seule conclusion juste et absolument nécessaire que l’on doive tirer du facteur national dans la guerre actuelle. Mais le sophiste Kautsky, qui est présentement au service des bourgeois, des cléricaux et des généraux autrichiens, ne tire justement pas cette conclusion.

   Poursuivons. La dialectique de Marx, dernier mot de la méthode évolutionniste scientifique, interdit justement l’examen isolé, c’est-à-dire unilatéral et déformé, de l’objet étudié. Le facteur national dans la guerre serbo-autrichienne n’a et ne peut avoir aucune importance sérieuse dans la guerre européenne générale. Si l’Allemagne triomphe, elle étouffera la Belgique, encore une partie de la Pologne, peut-être une partie de la France, etc. Si la Russie remporte la victoire, elle étouffera la Galicie, encore une partie de la Pologne, l’Arménie, etc. Si le résultat est « nul », l’ancienne oppression nationale demeurera. Pour la Serbie, c’est-à-dire pour environ un centième des participants à la guerre actuelle, celle-ci est le « prolongement de la politique » du mouvement de libération bourgeois. Pour 99 pour cent, la guerre est le prolongement de la politique de la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire caduque, capable de dépraver des nations, mais non de les affranchir. L’Entente, en « libérant » la Serbie, vend les intérêts de la liberté serbe à l’impérialisme italien en échange de son appui dans le pillage de l’Autriche.

   Tout cela, qui est de notoriété publique, a été déformé sans scrupule par Kautsky afin de justifier les opportunistes. Ni dans la nature ni dans la société, les phénomènes n’existent et ne peuvent exister à l’état « pur » : c’est précisément ce que nous enseigne la dialectique de Marx, selon laquelle la notion même de pureté comporte un caractère unilatéral et étroit, empêche la connaissance humaine d’atteindre l’objet pleinement, dans toute sa complexité. Il n’y a et il ne peut y avoir au monde de capitalisme à l’état pur », car celui-ci est toujours additionné d’éléments féodaux, petits-bourgeois, ou d’autre chose encore. C’est pourquoi rappeler que la guerre n’est pas « purement » impérialiste, alors que les impérialistes mystifient scandaleusement les « masses populaires » en camouflant notoirement leurs visées de brigandage pur et simple par une phraséologie « nationale », c’est être un pédant infiniment obtus, ou un manœuvrier et un tricheur. Tout se ramène au fait que Kautsky soutient la mystification du peuple par les impérialistes lorsqu’il dit que pour les « masses populaires, y compris les masses prolétariennes », les problèmes nationaux ont une « valeur décisive », alors que pour les classes dominantes, ce sont les « tendances impérialistes qui l’emportent »(p. 273), et lorsqu’il « corrobore » cette affirmation par une référence prétendument dialectique à la « réalité infiniment variée » (p. 274). Nul doute que la réalité ne soit infiniment variée, c’est la plus pure vérité ! Mais il n’est pas douteux non plus qu’au sein de cette infinie variété se dessinent deux courants fondamentaux et essentiels le contenu objectif de la guerre est le « prolongement de la politique » de l’impérialisme, c’est-à-dire du pillage des autres nations par la bourgeoisie déclinante des « grandes puissances » (et par les gouvernements de ces dernières); quant à l’idéologie « subjective » dominante, ce sont des phrases « nationales » propagées en vue de duper les masses.

   Nous avons déjà examiné le vieux sophisme de Kautsky, auquel il revient sans cesse, et qui consiste à prétendre que, selon les social-démocrates « de gauche », l’alternative posée « au commencement de la guerre » était la suivante : impérialisme ou socialisme. Kautsky déforme cyniquement la vérité, car il sait parfaitement que les gauches ont posé une autre alternative ou bien le ralliement du parti au pillage et à la mystification impérialistes, ou bien la propagande et la préparation d’actions révolutionnaires. Kautsky sait également que seule la censure le protège contre la dénonciation par les « gauches » d’Allemagne de sa fable absurde qu’il répand par servilité à l’égard des Südekum.

   En ce qui concerne les rapports entre les « masses prolétariennes » et la « poignée de parlementaires », Kautsky reprend une des objections les plus rebattues :

   « Laissons de côté les allemands, pour ne pas plaider pro domo. Mais qui donc voudrait sérieusement affirmer que des hommes tels que Vaillant et Guesde, Hyndman et Plékhanov, auraient du jour au lendemain rallié le camp de l’impérialisme et trahi le socialisme? Laissons de côté les parlementaires et les « instances »… . (Kautsky fait manifestement allusion à la revue de Rosa Luxemburg et Franz Mehring l’internationale, où la politique des instances, c’est-à-dire des milieux officiels dirigeants du Parti social-démocrate allemand, de son Comité central (Vorstand), de son groupe parlementaire etc., est stigmatisée avec un mépris bien mérité)… Mais qui osera affirmer que 4 millions de prolétaires allemands conscients peuvent, sur la simple injonction d’une poignée de parlementaires, faire en 24 heures demi-tour à droite et prendre le contre-pied de leurs objectifs antérieurs ? Si cela était exact, cela témoignerait, certes, d’une terrible faillite non seulement de notre parti, mais aussi de la masse (souligné par Kautsky). Si cette masse était un troupeau de moutons à tel point dépourvus de caractère, il ne nous resterait plus qu’à nous laisser enterrer » (p. 274).

   Avec toute sa compétence, Karl Kautsky s’est déjà enterré lui-même, du point de vue politique et scientifique, par sa conduite et par son choix de pitoyables subterfuges. Quiconque ne le comprend pas, ou tout au moins ne le sent pas, est perdu pour le socialisme; et c’est pourquoi Mehring, Rosa Luxemburg et leurs partisans ont pris le seul ton juste dans l’internationale, en traitant Kautsky et consorts comme les individus les plus méprisables.

   Pensez donc : en ce qui concerne l’attitude à l’égard de la guerre, seule une « poignée de parlementaires » (ils ont voté en toute liberté, protégés par le règlement; ils pouvaient parfaitement voter contre; même en Russie, on n a été ni frappé, ni molesté, ni même arrêté pour autant), une poignée de fonctionnaires, de journalistes, etc., a pu se prononcer avec quelque liberté. (C’est-à-dire sans être immédiatement arrêtés et conduits à la caserne, sans courir le risque d’être immédiatement passés par les armes.) Aujourd’hui, Kautsky rejette noblement suries masses la trahison et la veulerie de cette couche sociale dont la liaison avec la tactique et l’idéologie de l’opportunisme a été soulignée des dizaines de fois par ce même Kautsky pendant des années ! La règle première et fondamentale de la recherche scientifique en général, et de la dialectique marxiste en particulier, est d’examiner la liaison entre la lutte actuelle des tendances au sein du socialisme – de la tendance qui dénonce à grands cris la trahison et sonne le tocsin à son sujet, et de celle qui ne voit pas la trahison – et la lutte qui s’est poursuivie antérieurement pendant des dizaines d’années. Kautsky n’en souffle mot, il ne veut même pas poser la question des tendances et des courants. Jusqu’ici les courants existaient, maintenant il n’y en a plus

   Il n’y a plus, maintenant, que des noms sonores d' »autorités », dont font toujours parade les âmes serviles. Il est particulièrement commode, en l’occurrence, de s’en rapporter l’un à l’autre et de s’entendre comme larrons en foire pour excuser ses « peccadilles ». Est-ce là de l’opportunisme, voyons, quand… Guesde, Plékhanov, Kautsky ! s’exclamait L. Martov dans son exposé à Berne (voir le n° 36 du Social-Démocrate((Il s’agit de l’organe du P.O.S.D.R.))). Il faut, écrivait Axelrod (Goloss, n° 86 et 87) être plus prudent quand on accuse d’opportunisme des hommes tels que Guesde. Je ne vais pas me défendre, mais… Vaillant et Guesde, Hyndman et Plékhanov ! reprend à Berlin Kautsky. Le coucou fait l’éloge du coq, parce que celui-ci fait l’éloge du coucou.

   Emporté par son zèle de valet, Kautsky en est arrivé, dans ses écrits, à baiser la main de Hyndman lui-même, en le présentant comme rallié seulement de la veille à l’impérialisme. Or, dans cette même Neue Zeit et dans des dizaines de journaux social-démocrates du monde entier on avait déjà dénoncé, des années durant, l’impérialisme de Hyndman ! Si Kautsky s’était intéressé honnêtement à la biographie politique des personnes qu’il nomme, il aurait dû faire appel a sa mémoire et se demander si cette biographie ne renfermait pas d’indices et d’événements qui avaient, non pas « en un seul jour », mais en une dizaine d’années, préparé leur passage à l’impérialisme; Si Vaillant n’était pas prisonnier des jauressistes et Plékhanov des mencheviks et des liquidateurs; Si la tendance de Guesde n’agonisait pas au vu et au su de tous dans la revue guesdiste le Socialisme, notoirement sans vie et sans talent, incapable de prendre une position indépendante sur aucune question d’importance; Si Kautsky n’avait pas manifesté (ajoutons cela pour ceux qui le mettent lui aussi – avec juste raison – aux côtés de Hyndman et de Plékhanov) un manque de caractère dans la question du millerandisme au début de la lutte contre la tendance de Bernstein, etc.

   Mais on n’aperçoit pas le moindre intérêt pour l’analyse scientifique de la biographie des chefs en question. On ne voit pas non plus de tentative d’examiner si ces chefs se défendent maintenant par leurs propres arguments ou en répétant les arguments des opportunistes et des bourgeois. L’importance politique acquise par les actes de ces chefs tient-elle à une influence particulière de ces derniers ou au fait qu’ils se sont ralliés à un courant étranger au socialisme, réellement « influent » et appuyé par l’organisation militaire, à savoir le courant bourgeois ? Kautsky n’a même pas amorcé l’étude de la question; il ne s’est préoccupé que de jeter de la poudre aux yeux des masses, de les assourdir par le fracas de noms de personnages faisant autorité, de les empêcher de poser nettement la question controversée, et de l’analyser sous tous ses aspects((La référence de Kautsky à Vaillant et Guesde, Hyndman et Plékhanov, est caractéristique encore sous un autre rapport. Des impérialistes avérés, tels que Lensch et Haenisch (pour ne rien dire des opportunistes), se réclament justement de Hyndman et de Plékhanov pour justifier leur politique. Et ils ont le droit de se référer a eux, ils disent la vérité, en ce sens qu’il s’agit réellement d’une seule et même politique. Quant à Kautsky, il parle avec dédain de Lensch et de Haenisch, ces radicaux qui se sont tournés vers l’impérialisme. Il remercie Dieu de ne pas ressembler à ces publicains de ne pas être d’accord avec eux, d’être resté révolutionnaire – plaisanterie à part ! Or, en fait, la position de Kautsky est la même. Le chauvin, hypocrite Kautsky avec sa phraséologie doucereuse est beaucoup plus répugnant que les chauvins simplistes David et Heine Lensch et Haenisch. (Note de Lénine.))).

   « Une masse de quatre millions de personnes, sur la simple injonction d’un poignée de parlementaires, a fait demi-tour à droite… »

   Chacun de ces mots est une contre-vérité. L’organisation du parti, chez les allemands, comptait non pas quatre, mais un million d’adhérents, et la volonté commune de cette organisation des masses (comme de toute organisation) était exprimée seulement par son centre politique unique, par la « poignée » qui a trahi le socialisme. Cette poignée a été consultée, invitée à voter; elle a pu voter, écrire des articles, etc. Quant aux masses, elles n’ont pas été consultées. Non seulement on ne leur a pas permis de voter, mais on les a divisées et talonnées, « sur l’injonction » non pas d’une poignée de parlementaires, mais des autorités militaires. L’organisation militaire était là chez elle, pas de trahison de chefs, elle appelait la « masse » un par un, en posant cet ultimatum : ou tu iras à l’armée (sur le conseil de tes chefs), ou tu seras fusillé. La masse ne pouvait agir de façon organisée, puisque son organisation à elle, qui existait déjà, incarnée dans la « poignée » des Legien, Kautsky, Scheidemann, avait trahi la masse, et que pour créer une organisation nouvelle, il faut du temps, il faut avoir la résolution de jeter à la poubelle la vieille organisation pourrie, périmée.

   Kautsky s’efforce de battre ses adversaires, les gauches, en leur attribuant cette position absurde : « en réponse » à la guerre, les « masses » devaient « en 24 heures » faire la révolution et instaurer le « socialisme » contre l’impérialisme, sinon les « masses » auraient été coupables de « veulerie et de trahison ». Mais c’est tout simplement une sottise, par laquelle les auteurs de méchants libelles bourgeois et policiers « écrasaient » jusqu’à présent les révolutionnaires, et dont Kautsky fait maintenant parade à son tour. Les adversaires de gauche de Kautsky savent parfaitement qu’on ne peut « faire » la révolution, que les révolutions naissent des crises et des tournants historiques objectivement mûris (indépendamment de la volonté des partis et des classes); que sans organisation les masses sont privées de volonté commune; que la lutte contre l’organisation militaire puissante, terroriste, des Etats centralisés est chose difficile et de longue haleine. Les masses ne pouvaient rien faire devant la trahison de leurs chefs au moment critique; tandis que les « poignées » de ces chefs pouvaient parfaitement et devaient voter contre les crédits, se prononcer contre la « paix civile » et la justification de la guerre, se déclarer pour la défaite de leurs gouvernements, créer un appareil international pour préconiser la fraternisation dans les tranchées, organiser une presse illégale((A propos. Pour ce faire, il n’était pas du tout indispensable de suspendre la publication de tous les journaux social-démocrates en réponse à l’interdiction de parler de la haine de classe et de la lutte de classe. Accepter de ne pas écrire sur ce sujet, comme l’a fait le Vorwärts, était une infâmie et une lâcheté. Le Vorwärts est mort politiquement pour l’avoir fait. L. Martov avait raison quand il l’a déclaré. Mais on aurait pu conserver les journaux légaux en déclarant qu’ils n’étaient pas des journaux du Parti, qu’ils n’étaient pas social-démocrates, qu’ils répondaient seulement aux besoins techniques d’une partie des ouvriers, c’est-à-dire qu’ils étaient des journaux non politiques. Une presse social-démocrate illégale portant un jugement sur la guerre et une presse ouvrière légale sans ce jugement, ne disant pas de contrevérités, mais taisant la vérité, pourquoi cela était-il impossible ? (Note de Lénine.))) préconisant la nécessité de passer aux actions révolutionnaires, etc.

   Kautsky sait parfaitement que les « gauches » d’Allemagne pensent précisément à ces actions-là ou plutôt à des actions semblables, et qu’ils ne peuvent en parler franchement, ouvertement, du fait de la censure militaire. Le désir de défendre coûte que coûte les opportunistes conduit Kautsky à une ignominie sans exemple lorsque, s’abritant derrière les censeurs militaires, il attribue aux gauches une sottise manifeste, dans sa certitude que les censeurs lui éviteront d’être démasqué.

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