Le développement de l’industrie forestière et de l’industrie du bâtiment

Le développement du capitalisme en Russie

Lénine

Chapitre VII : LE DÉVELOPPEMENT DE LA GRANDE INDUSTRIE MÉCANIQUE

IX. LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDUSTRIE FORESTIÈRE ET DE L’INDUSTRIE DU BÂTIMENT

   Le développement de l’industrie qui fournit les combustibles et de l’industrie du bâtiment est l’une des conditions nécessaires du progrès de la grande industrie mécanique (et l’un des corollaires les plus caractéristiques de ce progrès). Commençons donc par examiner l’industrie forestière.

   L’abattage des arbres et les premières opérations destinées à les rendre propres à la consommation familiale est une des occupations traditionnelles de la paysannerie et entre presque partout dans le cycle des travaux agricoles. Mais ce que nous entendons par industrie forestière, c’est uniquement la préparation du bois pour la vente. L’époque qui a suivi l’abolition du servage est caractérisée par un essor particulièrement sensible de cette industrie et par une augmentation rapide de la demande en bois pour la consommation personnelle (développement des villes, accroissement de la population rurale non agricole, perte des forêts par les paysans au moment de l’émancipation) et, plus encore, pour la consommation productive. Le développement du commerce, de l’industrie, de la vie urbaine, de l’art militaire, des chemins de fer, etc., a provoqué un énorme accroissement de la demande en bois destiné à être utilisé non pas par les individus mais par le capital. Dans les provinces industrielles, par exemple, «ce n’est pas de jour en jour mais d’heure en heure» que le prix du bois de chauffage a augmenté et «au cours des cinq dernières années (vers 1881) il a plus que doublé((Les petites industries de la province de Vladimir, t. I, p. 61.  ))». «Les prix ont monté à pas de géant((Ibid., t. IV, p. 80.  )).» Dans la province de Kostroma, «depuis que le bois est utilisé dans les fabriques, son prix a doublé en 7 ans((Jbankov, Influence des métiers auxiliaires sur le mouvement de la population, Kostroma, 1887, p. 25. ))». Les exportations de bois à l’étranger sont passées de 5947000 roubles en 1856 à 30153000 roubles en 1881 et à 39200000 en 1894, ce qui nous donne l’augmentation suivante: 100 – 507 – 659((Les forces productives. Le commerce extérieur de la Russie. p. 39. L’exportation des bois en 1902 s’élevait à 55,7 millions de roubles; en 1903, à 663 millions de roubles. (Note de la 2e édition.)  )). En 1866-68, on transportait en moyenne 156 millions de pouds de bois de construction et de chauffage sur les voies fluviales de la Russie d’Europe((Recueil de la statistique militaire, pp. 486-487.  )) ; en 1888-1890, 701 millions de pouds en moyenne((Revue statistique des chemins de fer et des voies fluviales, St-Pb., 1893 (édition du ministère des Voies de communication), p. 40. )), soit plus de quatre fois plus. Pour ce qui est de la quantité transportée par chemin de fer, elle est passée à une moyenne annuelle de 290 millions de pouds en 1888-90((Ibid., p.26. )) tandis qu’en 1866-1868 elle n’était que de 70 millions (approximativement)((En admettant que ces transports formaient à peu près le cinquième du total des transports par chemins de fer. (Recueil de la statistique militaire, p. 511, cf. pp. 518-519.) )). On voit donc que le volume total du bois transporté, qui ne dépassait pas 226 millions de pouds dans les années 60, atteignait 991 millions de pouds en 1888-90, soit une augmentation de plus de 4 fois. Il est donc absolument indubitable que depuis l’abolition du servage l’industrie forestière a connu un gigantesque essor.

   Comment cette industrie est-elle organisée? De façon purement capitaliste. Le bois est acheté sur pied aux propriétaires par des entrepreneurs, des «marchands de bois», qui embauchent des ouvriers pour abattre les arbres, les scier, organiser le flottage, etc. Dans la province de Moscou, par exemple, la statistique des zemstvos n’a recensé que 337 marchands de bois sur un total de 24000 paysans qui travaillent à l’exploitation des forêts((Recueil de renseignements statistiques sur la province de Moscou, t. VII, fasc. I, 2e partie. Dans l’industrie forestière comme dans les autres il arrive souvent que l’on ne distingue pas strictement les patrons des ouvriers et que ces derniers soient classés comme les premiers parmi les marchands de bois.)). Dans le district de Slobodskoï, province de Viatka, elle en a recensé 123 (et «les petits marchands de bois sont pour la plupart soumis aux gros» qui ne sont que 10) pour 18865 ouvriers dont le salaire moyen est de 19,5 roubles((Travaux de la commission artisanale, t. XI, p. 397.  )). M. Korolenko estimait à 2000000 le nombre des paysans employés à des travaux forestiers dans l’ensemble de la Russie d’Europe((Le travail salarié libre.  )), et ce chiffre ne semble pas exagéré étant donné que dans 9 des 11 districts de la province de Viatka on a recensé environ 56430 ouvriers forestiers et dans la province de Kostroma environ 47000((Calculé d’après les Travaux de la commission artisanale.  )). Les travaux forestiers sont parmi les plus mal payés; ils se font dans des conditions extrêmement antihygiéniques et les ouvriers sont en très mauvaise santé. Du fait de leur isolement au fond des bois, les ouvriers sont privés de toute protection et dans cette branche sévissent dans toute leur rigueur la servitude, le truck-system et autres corollaires des industries paysannes «patriarcales». Citons à l’appui l’opinion de quelques enquêteurs locaux. Les statisticiens de Moscou nous parlent des «achats obligatoires d’aliments» qui, en règle générale, entraînent une diminution considérable des salaires. Dans la province de Kostroma, les ouvriers «vivent dans les forêts en artels, dans des cabanes construites à la hâte et mal installées, dans lesquelles il n’existe pas de poêle et qu’on ne peut chauffer qu’en allumant des feux. Pour se nourrir, ils n’ont que des aliments de mauvaise qualité et du pain qui, au bout de huit jours, est complètement rassis. Ils vivent dans une atmosphère pestilentielle… Leurs vêtements sont constamment humides: tout cela a naturellement une influence extrêmement néfaste sur leur état de santé». Les gens des cantons forestiers vivent «beaucoup plus salement» que ceux d’autres cantons où les paysans partent travailler (c.-à-d. où les métiers auxiliaires exercés à l’extérieur de la communauté sont prédominants)((L.c., pp. 19-20, 39. Cf. un jugement tout à fait analogue dans les Travaux de la commission artisanale, t. XII, p. 265.  )). Dans le canton de Tikhvine, province de Nijni-Novgorod, pouvons-nous lire, «encore que toutes les données officielles indiquent que la population s’occupe d’agriculture, cette dernière n’est qu’une source de revenu accessoire … C’est en coupant du bois et en travaillant au flottage que le paysan gagne ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins essentiels. Mais la crise est imminente: dans cinq à dix ans, les forêts auront disparu…» «Les ouvriers forestiers de ce district sont plutôt des haleurs. Ils passent l’hiver dans des campements perdus au fond des forêts et au printemps, déshabitués des travaux domestiques ils ne pensent plus qu’au halage et au flottage du bois … Ils ne consentent à redevenir sédentaires que pour la moisson et la fenaison»… Les paysans sont «asservis à perpétuité» par les marchands de bois((Travaux de la commission artisanale, t. VIII, pp. 1372-1373, 1474. «L’industrie forestière a favorisé dans le district de Tikhvine le développement de la forge, du travail du cuir, de la pelleterie et en partie de la cordonnerie; la première fournit les gaffes; les autres, des bottes, des demi-pelisses, de moufles.» Nous voyons ici, entre autres, comment la fabrication des moyens de production (c’est-à-dire le développement de la 1re section dans l’économie capitaliste) impulse la fabrication des objets de consommation (c’est-à-dire la 2e section). Ce n’est pas la production qui suit la consommation, mais la consommation qui suit la production. )). Les enquêteurs de Viatka notent qu’en règle générale les ouvriers forestiers sont embauchés au moment de la levée des impôts et que leurs salaires sont considérablement diminués du fait qu’ils sont forcés d’acheter des vivres chez leur patron… «En été, le salaire journalier des bûcherons et des coupeurs de bois est d’environ 17 kopecks et d’environ 33 kopecks s’ils ont un cheval … Etant donné les conditions d’hygiène déplorables qui règnent dans cette industrie, il s’agit là d’une rémunération tout à fait insuffisante»((Travaux de la commission artisanale, t. Xl, pp. 399-400, 405, 147. Cf. les nombreuses indications du Recueil des zemstvos sur le district de Troubtchevsk, province d’Orel, montrant que «l’agriculture a une importance secondaire», et que le rôle principal appartient aux industries, surtout à l’industrie forestière. (Recueil de renseignements statistiques sur le district de Troubtchevsk, Orel 1887, surtout les remarques par localité rurale.) )), etc., etc.

   On voit donc que les ouvriers forestiers constituent une fraction importante du prolétariat rural qui ne possède que de misérables lopins de terre et qui est contraint de vendre sa force de travail aux conditions les plus désavantageuses. Le travail dans l’industrie du bois est extrêmement instable et irrégulier et, de ce fait, les ouvriers de cette industrie représentent cette forme d’armée de réserve (ou de surpopulation relative en société capitaliste) que la théorie appelle forme latente : une certaine partie de la population rurale (assez importante comme nous l’avons vu) doit toujours être prête à accepter ce genre de travail et doit constamment en avoir besoin. C’est là une des conditions de l’existence et du développement du capitalisme. A mesure que l’exploitation forcenée des marchands de bois détruit les forêts (et cette destruction est extrêmement rapide), la nécessité de remplacer le bois par la houille se fait de plus en plus vivement sentir et l’industrie minière, qui seule est en mesure d’assurer une base solide à la grande industrie mécanique, se développe de plus en plus rapidement. La fabrique moderne a besoin d’un combustible bon marché qu’elle puisse obtenir à n’importe quel moment, en quantité voulue, à un prix déterminé et peu variable. L’industrie forestière n’est pas en état de fournir un tel combustible((En voici une illustration tirée du Compte rendu des membres de la commission d’enquête sur les fabriques et usines du royaume de Pologne (St-Ptb., 1888, 1er partie). La houille coûte en Pologne deux fois moins qu’à Moscou. La dépense moyenne de combustible par poud de filés est de 16 à 37 kopecks en Pologne et de 50 à 73 kopecks dans la région de Moscou. Dans cette dernière les approvisionnements en combustible se font pour 12 à 20 mois, et en Pologne pour 3 mois au plus, et plus souvent pour 1 à 4 semaines. )). C’est pourquoi sa prédominance sur l’industrie houillère correspond à un faible développement du capitalisme. Pour ce qui est des rapports sociaux de production, en effet, l’industrie forestière est à l’industrie houillère à peu près ce que la manufacture capitaliste est à la grande industrie mécanique. Alors qu’avec l’industrie forestière la technique est rudimentaire et les richesses naturelles sont exploitées par des méthodes primitives, l’industrie houillère conduit à une révolution complète dans le domaine de la technique et à une large utilisation des machines. Dans l’industrie forestière, le producteur reste paysan; dans l’industrie houillère, au contraire, il devient ouvrier de fabrique. L’industrie forestière laisse à peu près intact l’ancien mode de vie patriarcal; elle soumet les ouvriers perdus au fond des forêts aux pires formes de servitude; elle profite de leur ignorance, de leur impuissance, de leur dispersion. L’industrie houillère, au contraire, rend la population mobile, crée de gros centres industriels et aboutit inévitablement au contrôle social de la production. En un mot, le remplacement de l’industrie forestière par l’industrie houillère a la même signification progressiste que le remplacement de la manufacture par la fabrique((En abordant le problème de la substitution de l’industrie de la houille à l’industrie forestière (Essais, 211, 243), M. N.-on s’est borné, comme d’habitude, à des doléances. Quant au fait que derrière l’industrie capitaliste de la houille se trouve une industrie forestière également capitaliste dont les procédés d’exploitation étaient infiniment pires, c’est un petit détail que notre romantique s’arrange pour ne point remarquer. En revanche, il s’étend beaucoup sur le «nombre des ouvriers»! Que valent quelque 600000 mineurs anglais à côté de millions de paysans sans travail? demande-t-il (p. 211). A cela nous répondrons: la formation par le capitalisme d’une surpopulation relative ne fait aucun doute, mais M. N. -on n’a rien compris au rapport qui existe entre ce phénomène et les besoins de la grande industrie mécanique. Comparer le nombre des paysans occupés, même irrégulièrement et provisoirement,à divers travaux, et le nombre des mineurs spécialisés occupés exclusivement à l’extraction de la houille est un procédé absolument dénué de sens. M. N.-on n’a recours à de tels procédés que pour déguiser un fait qui renverse toute sa théorie: la croissance rapide en Russie du nombre des ouvriers des fabriques et des mines et de toute la population industrielle et commerciale, en général. )).

   Primitivement, la construction faisait également partie du cycle des travaux domestiques du paysan et, dans la mesure où l’exploitation paysanne semi-naturelle subsiste, elle continue à en faire partie. Le développement ultérieur transforme les ouvriers du bâtiment en artisans spécialisés, qui exécutent les commandes des consommateurs et à l’heure actuelle cette organisation de l’industrie est encore considérablement développée dans les campagnes et les petites villes. En règle générale, l’artisan conserve des attaches avec la terre et travaille pour une clientèle très restreinte de petits consommateurs. Mais avec le développement du capitalisme, le maintien de cette structure industrielle devient impossible. Les progrès du commerce, la croissance des villes et des fabriques, des chemins de fer provoquent en effet une demande en bâtiments complètement différents, dont l’architecture et les dimensions ne ressemblent en rien à celles des anciens édifices de l’époque patriarcale. La construction de ces nouveaux bâtiments nécessite des matériaux extrêmement coûteux et variés, la coopération d’une masse d’ouvriers des spécialités les plus diverses et beaucoup de temps. D’autre part, la répartition des nouveaux bâtiments ne correspond absolument pas à la répartition traditionnelle de la population: ils sont édifiés dans les grandes villes ou les faubourgs, dans des endroits inhabités, le long des voies ferrées en construction. etc. L’artisan local devient donc un ouvrier ambulant, embauché par un patron entrepreneur qui s’interpose peu à peu entre le consommateur et le producteur et qui finit par devenir un véritable capitaliste. Le développement par bonds de l’économie capitaliste et les périodes de «fièvre de la construction» (semblables à celles que nous traversons actuellement, en 1898) succédant à de longues années de stagnation donnent une vigoureuse impulsion au développement en étendue et en profondeur des rapports capitalistes dans l’industrie du bâtiment.

   Telle est donc, d’après les données de notre littérature économique, l’évolution qu’a suivie cette industrie depuis l’abolition du servage((Comme nous avons déjà eu l’occasion d’observer plus haut, la constatation de cette évolution est d’autant plus malaisée que, dans notre littérature, les ouvriers du bâtiment sont souvent appelés « artisans», catégorie dans laquelle on classe à tort aussi les ouvriers salariés. Au sujet d’un développement analogue de l’organisation du bâtiment en Occident voir, par exemple, Webb, Die Geschichte des britischen Trade Unionismus, Stuttgart 1895, p. 7. (voir note suivante).))((Pendant sa déportation à Chouchenskoïé, Lénine traduisit avec Kroupskaïa de l’anglais le premier tome et révisa la traduction du second tome de l’ouvrage de S. et B. Webb: Théorie et pratique du trade-unionisme anglais. Le premier tome du livre des Webb «traduit de l’anglais par Vladimir Iline» (c’est-à-dire Lénine) parut à Pétersbourg en 1900 aux éditions O. N. Popova. Le deuxième tome parut en 1901. )). La division territoriale du travail et la formation de vastes régions dont la population ouvrière se spécialise dans tels ou tels travaux de construction constituent un indice particulièrement net de cette évolution((Dans la province de Iaroslavl, par exemple, le district de Danilov est surtout renommé pour ses poêliers, plâtriers et maçons, chaque canton fournissant sa spécialité. La partie d’au-delà de la Volga, du district de Iaroslavl, fournit surtout des peintres en bâtiment; les charpentiers viennent de la partie moyenne du district de Mologa, etc., (Revue de la province de Iaroslavl, fasc. II, Iaroslavl, 1896, pp. 135 et autres.) )). Pour qu’une telle spécialisation régionale soit possible, il faut qu’il existe de grands marchés du travail et que les rapports capitalistes soient déjà établis. A titre d’exemple, nous allons citer les données concernant l’une de ces régions spécialisées. Depuis longtemps, le district de Pokrov, province de Vladimir, est réputé pour ses charpentiers qui, au début du siècle, constituaient déjà plus de la moitié de sa population. Après l’abolition du servage, ce métier a continué à se développer((Peu avant 1860, l’agglomération d’Argounovo (le canton d’Argonnovo est le centre de cette industrie) donnait 10000 charpentiers environ. Après 1860, sur 548 villages du district de Pokrov, 503 étaient habités par des charpentiers. (Les petites industries de la province de Vladimir, t. 1V. pp. 161 et suivantes.) )). «Dans cette région de charpentiers, ce qui correspond aux maîtres-artisans et aux fabricants, ce sont les entrepreneurs» qui, en règle générale, se recrutent parmi les membres les plus habiles des artels de charpentiers. Il n’est pas rare de voir un entrepreneur amasser en dix ans de 50 à 60000 roubles de bénéfice net et même davantage. Certains d’entre eux emploient de 300 à 500 charpentiers et sont devenus de véritables capitalistes… C’est donc à juste titre que les paysans de l’endroit disent qu’«il n’est pas de commerce plus lucratif que celui dont les ouvriers charpentiers sont l’objet((Ibid., p. 165))». Il serait difficile de définir avec plus de netteté la nature même de l’organisation actuelle de cette industrie! «La profession de charpentier a laissé une empreinte profonde sur tout le mode de vie des paysans d’ici. Les paysans qui sont charpentiers se déshabituent peu à peu de l’agriculture et finissent même par l’abandonner complètement.» La vie dans les capitales leur a laissé les marques de la civilisation et ils vivent beaucoup plus proprement que les paysans des alentours dont ils se distinguent nettement par leur niveau «de culture» et leur «développement intellectuel relativement élevé((Ibid., p. 166, D’autres sources encore donnent une caractéristique analogue. Voir Jbankov: L’influence des métiers exercés hors de la commune sur le mouvement de la population de la province de Kostroma, 1866-1883. Kostroma, 1887,- Des métiers auxiliaires que les habitants du district de Soligalitch, province de Kostroma, vont exercer dans les villes. «Iouriditcheski Vestnik», 1890, n° 9. Le pays des femmes (Babia storona), Kostroma, 1891. – Essai de programme général d’enquête sur les métiers exercés hors de la commune. – Les métiers exercés hors de la commune, dans la province de Smolensk en 1892-1895, Smolensk. 1896. – L’influence des métiers, exercés hors de la commune sur le mouvement de la population, «Vratch», 1895, n° 25. – Voir aussi Revue de la province de Iaroslavl, Travaux de la commission artisanale, Revue statistique de la province de Kalouga, pour 1896, Kalouga, 1897, Revue agricole de la province de Nijni-Novgorod pour 1896, Nij.-Novg., 1897 et autres publications statistiques des zemstvos.  ))».

   A en juger d’après les données fragmentaires dont nous disposons, le nombre total des ouvriers du bâtiment en Russie d’Europe doit être important. En 1896, dans la province de Kalouga on en recensait 39860 qui travaillaient sur place ou hors de leur commune. En 1894-95, le nombre de ceux qui travaillent hors de leur commune était estimé par la statistique officielle à 20170 dans la province de Iaroslavl et à environ 39500 dans celle de Kostroma. Dans les années 80, on en dénombrait environ 30500 dans 9 des 11 districts de la province de Viatka, 15585 (qui travaillaient sur place ou hors de leur commune) dans 4 des 12 districts de la province de Tver et 2221 dans le district de Gorbatov, province de Nijni-Novgorod. Toujours selon les chiffres officiels, il y avait en 1875-76 au moins 20000 charpentiers qui quittaient chaque année la province de Riazan, on dénombrait 2000 ouvriers du bâtiment dans le district d’Orel, province du même nom, 1440 dans 3 des 15 districts de la province de Poltava et 1339 dans le district de Nikolaïev, province de Samara((Les recueils des zemstvos sont la source principale parallèlement à celles qui ont été citées dans la note précédente. M. V. V. (Essais sur l’industrie artisanale, 61) rapporte des chiffres sur 13 districts des provinces de Poltava, Koursk et Tambov. Les ouvriers du bâtiment (c’est à tort que M. V. V. les classe tous parmi les «petits industriels») sont au nombre de 28 644 , soit de 2,7% à 22,1% de la population masculine adulte des districts. Si on prenait comme taux normal le chiffre moyen (8,8%), on obtiendrait pour la Russie d’Europe 1 million 1/3 d’ouvriers du bâtiment (en estimant à 15000000 le nombre des ouvriers adultes du sexe masculin. Or, les provinces en question tiennent le milieu entre les provinces où l’industrie du bâtiment est le plus développée et celles où elle l’est le moins. )). Si on en juge par ces chiffres, il doit y avoir au moins 1 million d’ouvriers du bâtiment dans l’ensemble de la Russie d’Europe((D’après le recensement du 28 janvier 1897 (Relevé général, 1905), la population active (c’est-à-dire celle qui gagne sa vie elle-même) de l’Empire entier se chiffre dans l’industrie du bâtiment à 717000 personnes, plus 469000 agriculteurs qui y trouvent un gagne-pain accessoire. (Note de la 2e édition.)  )). Et encore s’agit-il là d’un chiffre minimum, toutes les sources s’accordant à reconnaître que depuis l’abolition du servage, le nombre des ouvriers du bâtiment ne cesse de s’accroître à un rythme rapide((Les données sur la valeur des édifices assurés contre l’incendie nous permettent, en partie, de nous faire une idée des proportions de l’industrie du bâtiment. En 1884, cette valeur se montait à 5968 millions de roubles: en 1893, à 7854 millions (Les forces productives, t. XII. p. 65). Ce qui représente un accroissement annuel de 188 millions de roubles. )). Ces ouvriers constituent un prolétariat industriel en formation dont les liens avec les terres sont d’ores et déjà très lâches((Dans la province de Iaroslavl, par exemple, 11 à 20% de la population, c’est-à-dire 30 à 56% des ouvriers vont chercher du travail hors de la commune; 68,7% d’entre eux sont absents toute l’année (Revue de la province de Iaroslavl). Il est évident qu’ils n’ont de «paysans que la dénomination officielle» (p. 117).)) et ne cessent de s’affaiblir d’année en année. Leur situation est très différente de celle des ouvriers forestiers et se rapproche plutôt de celle des ouvriers de fabrique. Ils travaillent dans de grands centres urbains et industriels et, comme nous l’avons vu, cela provoque une élévation considérable de leur niveau culturel. Alors que l’industrie forestière en décadence est caractéristique d’un capitalisme peu développé qui s’accommode encore du régime patriarcal, l’industrie du bâtiment en développement est caractéristique de la phase supérieure du capitalisme, conduit à la formation d’une nouvelle classe d’ouvriers d’industrie et témoigne d’une profonde décomposition de l’ancienne paysannerie.

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