Déclenchons l’offensive stratégique !

Déclenchons l’offensive stratégique !

Zhou Enlai

Septembre 1947

   Nous sommes entrés désormais dans la période d’une contre-­offensive générale.

   Or, c’est l’année dernière que cette guerre de légitime défense a pris de grandes proportions. Pourquoi ne nous étions­-nous pas proposé alors d’entreprendre une contre-offensive générale ni de renverser Tchiang Kaï­-chek ? Et pourquoi avançons-­nous seulement aujourd’hui cette proposition ?

   C’est là une question que se posent beaucoup de nos camarades. Déclencher une grande contre­-offensive à l’échelle nationale pour renverser Tchiang Kaï­-chek n’a pas été une proposition formulée à la légère : elle est pleinement fondée.

   Avant d’aborder cette question, nous allons tout d’abord faire le bilan de notre guerre de légitime défense au cours de l’année qui vient de s’écouler.

   Après la capitulation du Japon, notre parti voulait édifier une nouvelle Chine, indépendante, pacifique et démocratique. Comment y parvenir ? On se rappelle le voyage du camarade Mao Zedong à Chongqing pour entamer les négociations, la signature de l’accord sur le cessez­-le-­feu, la tenue de la conférence consultative politique et l’adoption de résolutions par cette Conférence.

   C’étaient là des moyens pacifiques. Pendant une certaine période qui a suivi la capitulation du Japon, notre Parti a voulu en effet édifier une Chine nouvelle par des moyens pacifiques, sans nous permettre la moindre négligence pour assurer notre défense par les armes.

   Mais aujourd’hui, la situation est différente : nous ne pouvons atteindre cet objectif qu’en recourant à la force.

   Ces deux moyens étant différents, est­ce à dire que l’un est juste, et l’autre faux ? Tous savent que notre moyen actuel est juste, car seul le renversement de Tchiang Kaï-­chek par la force nous permettra d’obtenir l’indépendance, la paix et la démocratie.

   Mais dans ce cas, l’autre moyen que nous avons adopté dans le passé était­il faux ? Nous pouvons répondre que si le moyen actuel est juste aujourd’hui, le moyen pacifique ne l’était pas moins hier. Vous pourriez penser que ce raisonnement est illogique.

   Il est pourtant valable. Par paix, nous entendions à l’époque la consolidation de nos régions libérées et, dans les régions sous la domination du Guomindang, la mobilisation du peuple.

   Y avait-­il à l’époque beaucoup de possibilités pour nous de réaliser ces objectifs par des moyens pacifiques ? Non, il y en avait peu, mais il fallait bien essayer. La plupart des gens dans le pays voulaient la paix, le monde entier voulait la paix, notre Parti avait donc à tenir compte de ces aspirations.

   Détachement d’avant­garde du peuple, il voit loin, mais il ne doit pas se couper des masses, il doit respecter leurs opinions.

   Après dix années de guerre civile et huit années de guerre de résistance, le peuple voulait la paix. C’est pour prendre ne considération ce désir du peuple que nous avons dû essayer les moyens pacifiques, qui sont cependant plus complexes.

   C’est ainsi qu’il y a eu les négociations de Chongqing et l’Accord du 10 octobre, l’Accord sur le cessez­le­feu et les résolutions de la Conférence consultative politique auxquels Tchiang Kaï­-chek avait accepté de donner sa signature. Ce qui prouve que la paix était possible. Nous n’avons rien perdu pour avoir agi ainsi.

   Entre­temps, nos troupes sont entrées dans le Nord­-Est. N’était­ce pas là une victoire ?

   C’était aussi dans notre intérêt : nous avions en effet à consolider la plus grande partie de nos régions libérées et à renforcer nos troupes.

   Par ailleurs, comme nous agissions conformément aux accords conclu, alors que Tchiang Kaï­-chek les violait, le peuple avait là une preuve que ce dernier ne voulait pas la paix, preuve qui a été produite non pas une seule fois mais plusieurs (par exemple à l’occasion du cessez-­le-feu de janvier et des négociations sur la question du Nord­-Est en juin).

   Ces faits ont permis au peuple de comprendre mieux encore que la paix ne se réalise pas par la conclusion de quelques accords, que pour défendre ses intérêts il lui fallait recourir à la force, et que c’est seulement en utilisant la force qu’il pourrait obtenir la paix.

   Passer des moyens pacifiques à la force implique tout un processus, tout un changement. Autrement dit, il faut que le peuple comprenne que seule la force des armes peut résoudre le problème.

   Pouvions-­nous, dès juillet de l’année dernière, proposer de renverser Tchiang Kaï-­chek ? non, nous ne le pouvions pas encore. A l’époque, notre mot d’ordre était la défense par les armes ; nous ne pouvions pas encore formuler ouvertement le mot d’ordre de renverser Tchiang Kaï-chek, parce que les conditions tant subjectives qu’objectives n’étaient pas réunies. Tchiang Kaï-­chek prétendait qu’il avait une armée forte de 4 millions d’hommes ; il était donc difficile d’anéantir d’un seul coup une force aussi considérable.

   Dans le passé, certains disaient : « Si le Guomindang n’est pas à même de détruire le Parti communiste, celui­ci n’est pas plus capable de détruire le Guomindang », « aucun des deux ne peut supprimer l’autre », cette façon de parler était fort répandue.

   Parmi le peuple, après que la guerre eut pris une grande ampleur, la bourgeoisie nationale, la petite­bourgeoisie et une partie des éléments intermédiaires n’avaient pas tous la même opinion que nous. Beaucoup de gens continuaient à croire qu’aucun des deux ne pourrait supprimer l’autre.

   Si nous avions formulé à l’époque le mot d’ordre de renverser Tchiang Kaï­-chek, ils ne l’auraient ni compris ni accepté. D’autre part, si l’année dernière nous avions avancé ce mot d’ordre alors que Tchiang Kaï­-chek venait de déclencher des combats sur une grande échelle, celui­ci aurait pu par contre accuser le Parti communiste de chercher à le combattre et à l’attaquer.

   Si, au lieu du mot d’ordre de légitime défense, nous en avions lancé un d’attaque, cela aurait signifié que le Guomindang et le Parti communiste voulaient l’un comme l’autre attaquer, et nous aurions perdu l’avantage de notre position.

   Quand nous parlions de légitime défense, nous entendions résister aux attaques du Guomindang. Mais alors, comment devions­-nous exprimer notre volonté notre volonté de renverser Tchiang Kaï-­chek ? nous devions le faire en disant que nous étions certains de notre victoire, que nous avions confiance en la victoire, que Tchiang Kaï­chek serait certainement vaincu alors que nous serions victorieux.

   Nous n’avions pas dit directement qui il s’agissait d’anéantir.

   Même ainsi, beaucoup, parmi le peuple, voulaient y réfléchir et se demandaient encore si c’était possible.

   Nous avions à les convaincre par des faits. Notre Armée Populaire de Libération avait la certitude de l’emporter, car nous constituions une force montante, pleine de vigueur juvénile, tandis que Tchiang Kaïchek était comme un tuberculeux agonisant.

   La guerre de légitime défense de l’année dernière a prouvé cette vérité: Tchiang Kaï­-chek est voué à la défaite, alors que nous serons sûrement victorieux.

   Au cours de l’année dernière, dans notre guerre de légitime défense, Tchiang Kaï­-chek nous avait attaqué avec 3 millions d’hommes. Pendant ces opérations, nos troupes en ont tué, blessé ou fait prisonniers plus de 1 100 000 ; autrement dit, nous en avons anéanti un peu plus du tiers. Tel a été le résultat sur le plan des effectifs.

   Quant au système d’organisation, Tchiang Kaï­-chek disposait en tout de 248 brigades ; comme nous en avons détruit 97 et demie, soit une moyenne mensuelle de 8, plus un brigade et demie, le nombre de brigades détruites dépassait aussi le tiers du total. Avec tant d’effectifs anéantis, ces forces devaient manquer de combativité même si elles avaient pu être complétées.

   Par exemple, plusieurs brigades relevant de Hu Zongnan ont été mises en déroute par nos troupes à deux reprises : ces brigades, reconstituées après avoir été mises en déroute une deuxième fois, sont en effet plus faciles à écraser la deuxième fois.

   Lorsque nous relâchions des officiers ennemis faits prisonniers, beaucoup d’entre eux nous confiaient qu’ils lèveraient les bras avec leurs fusils s’ils nous rencontraient à nouveau.

   L’armée ennemie recrutait ses effectifs par contrainte, comme nous pouvons le voir dans la pièce L’Enrôlement forcé.

   Les nouvelles recrues n’avaient subi aucune instruction militaire, leur combativité était faible et il y avait plus de déserteurs parmi elles que parmi les vétérans. Le nombre de généraux de l’armée de Tchiang Kaï­chek faits prisonniers ou tués par nous s’élevait à plus de 200.

   Les officiers nouvellement promus avaient peu d’expérience du combat. En ce qui concerne l’armement, la situation n’était pas meilleurs.

   Beaucoup d’équipements de fabrication américaine dont sont dotées les troupes de Tchiang Kaï­chek sont tombés entre nos mains.

   C’est pourquoi Tchiang Kaï­-chek était en mauvaise posture, que ce soit du point de vue des forces humaines, de la capacité de combat ou de l’équipement.

   Il en était de même pour le ravitaillement en vivres. Hu Zongnan avait envoyé ses troupes se battre jusque dans nos régions libérées, mais il lui fallait dix avions pour assurer le transport quotidien des vivres, sinon il n’aurait pu nourrir ses 100 000 hommes.

   Toutes ces difficultés que rencontrait Tchiang Kaï­-chek prouvent qu’il n’avait pas les moyens de soutenir une guerre de longue haleine.

   Il n’était assurément pas capable de nous détruire, et c’était même là une vue fort commune parmi ses officiers, pas seulement parmi ceux que nous avions faits prisonniers, mais aussi parmi ceux qui servaient sous ses ordres.

   Ces derniers bombaient le torse devant Tchiang Kaï­-chek en jurant de détruire le Parti communiste, mais ils étaient beaucoup moins farauds derrière son dos.

   Après le déclenchement de la guerre sur une grande échelle, les troupes de Tchiang Kaï­chek furent anéanties d’abord par brigades entières, puis par divisions entières. Tchiang Kaï-­chek prétendait que si tous les commandants de ces brigades et de ces divisions étaient capturés par nous, c’est parce que nous concentrions nos attaques uniquement sur leurs quartiers généraux.

   Comment cela aurait­il été possible ?! Les quartiers généraux sont fortement protégés par leurs troupes ; ainsi donc, si nous avons pu capturer des commandants de brigade et de division, c’est que ces troupes avaient été entièrement anéanties.

   Comment auraient­ils pu ne pas être saisis d’effroi devant un anéantissement d’une telle ampleur ?

   Le résultat d’une année de guerre de légitime défense a été que les troupes de Tchiang Kaï­-chek durent reconnaître leur incapacité à nous détruire. Du reste, elles étaient vouées à la défaite.

   Durant la seconde moitié de l’année passée, beaucoup, parmi le peuple, ne croyaient pas que Tchiang Kaï­-chek serait certainement battu et que nous remporterions sûrement la victoire, mais après nos succès de cette année dans le Shandong et ailleurs, ils ont commencé à s’en convaincre.

   C’était là un progrès ; un progrès fort rapide, car il a suffi d’un an seulement pour qu’il se produise un changement aussi considérable. Ainsi, après nos victoires remportées pendant une année de combats, nous avions toutes les raisons d’affirmer avec confiance, dans notre mot d’ordre du 7 juillet, notre volonté de détruire résolument, radicalement, totalement et complètement les troupes d’invasion de Tchiang Kaï­-chek.

   Au mois de septembre, nous avons donc lancé le mot d’ordre de déclencher la contre­offensive générale et de renverser Tchiang Kaïchek ; le peuple est maintenant à même d’accepter ce mot d’ordre.

   Depuis une année, Tchiang Kaï­chek commet bêtise sur bêtise, ce qui prouve qu’il est incapable de maintenir sa domination. Il a convoqué d’autorité « l’Assemblée Nationale » que le boycottage du Parti Communiste de Chine et de la Ligue démocratique a condamnée à l’inaction et rendue impopulaire.

   Le peuple est mécontent de se « Constitution » qu’il appelle une pseudo­-constitution.

   Mais Tchiang Kaï­-chek ne s’est pas arrêté à mi­chemin et, en avril, il a réorganisé le gouvernement.

   Or, d’après une décision de la Conférence consultative politique, le gouvernement de coalition doit être constitué avec la participation du Parti Communiste de Chine.

   Mais du moment que Tchiang Kaï­chek ne voulait pas voir entrer dans le gouvernement le Parti Communiste de Chine, celui­ci ne le ferait évidemment pas. Tchiang Kaï­chek a donc fait entrer dans son gouvernement le Parti démocrate­socialiste et le Parti de la Jeunesse, ces deux partis que connaît bien le peuple.

   Ils ont une si triste réputation qu’ils ne jouissent plus d’aucun crédit auprès de lui. Tchiang Kaï­-chek a usé de toutes les méthodes, épuisé ses tours de passe­passe, et il n’a plus rien dans son sac.

   Les supercheries politiques ne servent plus à rien, le peuple veut des faits : Va­t­on avoir de quoi manger ? Le prix de l’or va­t­il encore augmenter ? Le dollar américain connaîtra­t­il une nouvelle hausse ?

   A l’heure actuelle, dans les régions contrôlées par Tchiang Kaï­chek, non seulement les masses laborieuses des ouvriers et des paysans, mais même la petite-­bourgeoisie et les fonctionnaires ne peuvent plus vivre.

   Les marchandises américaines inondent le pays, les importations dépassent de loin les exportations, et plus de la moitié des marchandises importées sont de fabrication américaine.

   Qui pourrait donc se réjouir de cet état de choses dans les régions où domine le Guomindang ? Tchiang Kaï­-chek vit sur ses emprunts ; les 4 milliards de dollars américains qu’il a empruntés sont déjà dépensés, et maintenant il tend de nouveau la main aux Etats­Unis pour leur en demander d’autres.

   Le peuple sait que ces emprunts ne sauraient sauver Tchiang Kaï­chek de ses échecs militaires, de sa faillite politique et de sa ruine économique.

   Aussi, partout dans les villes, la jeunesse estudiantine manifeste contre le viol de femmes chinoises et le meurtre de citoyens chinois par les soldats yankees, et certains étudiants s’élèvent contre Tchiang Kaïchek lui-­même.

   Lors d’une séance du Conseil politique national à laquelle il était présent, des étudiants de l’Université centrale de Nanjing y ont provoqué un tel vacarme qu’il fut mis dans le plus grand embarras.

   Puisqu’il se heurte à l’opposition du peuple et qu’il a fait politiquement faillite, nous devons formuler le mot d’ordre de le renverser.

   D’un côté, nous avons prouvé au peuple, faits à l’appui, que nous sommes capables de le faire ; de l’autre, le peuple ne veut plus de lui.

   Même les éléments des couches supérieures à part une poignée de réactionnaires et les classes moyennes ne veulent plus lui servir de suppôts et sont prêts à le renverser. Le moment est donc venu de lancer le mot d’ordre de renverser Tchiang Kaï­-chek.

   Pourquoi avons­-nous pu remporter de si grandes victoires ? Pourquoi disons-­nous que nous sommes sûrs de réussir ?

   Premièrement, le peuple nous soutient dans la guerre, parce qu’il est convaincu que nous travaillons pour lui.

   Nous avons entrepris la réforme agraire, le partage des terres, confisqué les terres des propriétaires fonciers pour les distribuer aux paysans qui n’en disposent pas ou en possèdent peu, renversé les forces féodales et fait des paysans pauvres les maîtres du pays.

   Pendant la Guerre de Résistance, nous avons adopté une politique de réduction des fermages et du taux d’intérêt des prêts, afin d’amener les propriétaires fonciers à participer à la Résistance.

   Maintenant que le Japon est vaincu et que les grands propriétaires fonciers soutiennent Tchiang Kaï­-chek, il nous faut, pour abattre les forces de ce dernier, éliminer la classe des propriétaires fonciers et faire d’eux des travailleurs vivant de leur propre labeur.

   Si le problème agraire est bien résolu, le peuple nous soutiendra, et nous gagnerons les batailles. Les 80% de la population du pays sont des paysans, et parmi eux, plus de 90% tireront avantage de la réforme agraire. Avec l’appui d’une telle force, comment ne pourrions-­nous pas sortir victorieux de la guerre ?

   Deuxièmement, notre armée sert le peuple et est formée de soldats issus du peuple. Depuis sa création elle travaille dans l’intérêt du peuple. Possédant une ossature inébranlable, elle s’en tient fermement à l’application des « trois grandes règles de discipline » et des « huit recommandations », et maintient des liens étroits avec le peuple.

   Aguerrie à travers des luttes ardues où elle a versé son sang et fait des sacrifices, elle incarne l’unité des officiers et des soldats et est remarquablement apte au combat.

   Dotée de traditions aussi glorieuses, notre armée est invincible.

   Troisièmement, nous bénéficions d’une bonne direction du Comité Central et du camarade Mao Zedong. Depuis l’année dernière, notre politique a été d’anéantir les troupes de Tchiang Kaï­-chek à l’intérieur des régions libérées, c’est­à­dire d’attirer profondément l’ennemi dans nos territoires en menant des opérations à l’intérieur des lignes, de le laisser occuper un certain nombre de régions pour qu’il disperse ses forces, et en même temps de mobiliser le peuple, de guetter l’occasion d’anéantir l’ennemi et, de là, passer à la contre­-offensive.

   C’est pourquoi depuis un an nous avons pratiqué une défensive stratégique et une offensive tactique en vue d’anéantir l’ennemi à l’intérieur des régions libérées.

   Finalement, l’ennemi a occupé une centaine de nos villes, mais nous avons mis hors de combat un peu plus d’un million de ses hommes, dont près de 700 000 prisonniers.

   C’est ce qu’entend le camarade Mao Zedong par mener des opérations offensives dans une guerre défensive pour anéantir les forces vives de l’ennemi. La stratégie de Tchiang Kaï­-chek, c’est l’offensive, et sa tactique, la défensive.

   Cette tactique est, à peu de choses près, semblable à celle des Japonais. Les opérations dans le Shaanxi septentrional en sont un exemple : au début, l’attaque de l’armée de Tchiang Kaï­-chek a été violente, mais arrivée à Chakou, ses cinq brigades ont été cernées par une force égale de nos troupes. Elle n’a pas osé bouger, n’ayant aucun esprit offensif.

   Telle est la tactique adoptée par Tchiang Kaï­-chek et Chen Cheng.

   Leurs moyens portent uniquement sur la défensive, à savoir comment briser l’encerclement, attendre les renforts et poster des gardes – tout comme un malade atteint de tuberculose qui ne pense qu’à éviter d’avoir un rhume, une toux, une indigestion ou d’attraper ceci ou cela.

   Les jours d’un tel patient sont comptés.

   Voilà le bilan d’un an de guerre. Il nous montre qu’il est tout à fait opportun de formuler, en cette deuxième année, le mot d’ordre de déclencher une grande contre­-offensive pour renverser Tchiang Kaï-chek.

   Je voudrais aborder maintenant la question de savoir comment nous parviendrons à renverser Tchiang Kaï­-chek.

   La décision de le renverser a été prise depuis longtemps. C’est ainsi que nous avons fait les dix années de la guerre civile. La Guerre de Résistance marque une période au cours de laquelle nous avons voulu l’amener à lutter avec nous contre le Japon.

   Après la capitulation du Japon, nous avons voulu, pendant un certain temps, le renverser par des moyens pacifiques.

   Aujourd’hui, il s’agit pour nous de porter les combats hors de nos territoires, de lancer la contre­-offensive générale et d’anéantir les forces de Tchiang Kaï­chek, non dans les régions libérées, mais dans les régions qu’il contrôle.

   L’année dernière, nous avons pratiqué la défensive sur le plan stratégique et l’offensive sur le plan tactique ; aujourd’hui, nous pratiquons l’offensive également sur le plan stratégique.

   Tchiang Kaï­chek est acculé à la défensive non seulement sur le plan tactique, mais aussi sur le plan stratégique. Nous ne pourrons anéantir ses forces si nous nous bornons à mener la guerre dans les régions libérées, car il occupe encore les trois quarts du territoire du pays et contrôle les deux tiers de la population.

   Seule l’offensive stratégique nous permettra de détruire définitivement toutes ses forces. Le mot d’ordre étant déjà lancé, les opérations militaires doivent être menées en conséquence.

   Cela signifie qu’il nous faut lancer une contre­-offensive à l’échelle nationale et porter les combats hors de nos territoires en passant audelà des lignes­-frontières des régions libérées.

   Toutes nos actions sont conçues pour réaliser ce mot d’ordre. Les trois armées qui se sont dirigées vers le sud ont traversé le Huanghe et la ligne de chemin de fer Longhai et atteint les régions situées au bord du Changjiang.

   Le Huanghe est pour Tchiang Kaï­chek sa « tranchée extérieure », le chemin de fer Longhai constitue sa « ligne de barbelés », tandis que le Changjiang est sa « tranchée intérieure ».

   Tchiang Kaï­-chek cherche toujours à nous rejeter au­delà de sa « tranchée extérieure », mais nous avons déjà traversé la « ligne de barbelés » et nous avons atteint sa « tranchée intérieure ».

   La situation a changé et nous déployons actuellement notre action entre le Huanghe et le Changjiang. La Chine centrale est arrosée par quatre grands cours d’eau : le Changjiang, le Huaihe, le Huanghe et le Hanshui. La guerre se déroulera désormais dans les bassins de ces quatre cours d’eau.

   C’est notre front sud, et nous avons là trois armées. L’Armée de Libération du Nord­Ouest va aussi diriger la guerre hors de ses territoires. L’Armée de Libération du Nord­Est est déjà passée à l’attaque. Nous nous trouvons actuellement dans la situation d’une contre-offensive à l’échelle nationale.

   Notre politique est de porter nos opérations jusque dans les régions contrôlées par Tchiang Kaï­chek, d’y anéantir ses troupes et de développer les régions libérées. Cette politique doit être menée à bien d’ici un ou deux ans. Avons­-nous l’assurance de réussir ?

   Oui, nous l’avons, et elle est fondée. Examinons la question sous son triple aspect. D’abord, du côté de l’ennemi.

   Celui­-ci a trois points faibles : l’insuffisance de ses forces armées, la faible couverture de ses arrières et l’opposition du peuple.

  1. L’insuffisance de ses forces armées.

   Tchiang Kaï­-chek disposait, comme forces régulières, de 1 800 000 hommes, mais les combats successifs les ont réduites à 1 500 000.

   Ses troupes non régulières, qui s’élevaient à 1 100 000 hommes, n’en comptent plus que 900 000. Dans l’année à venir, la réduction des effectifs ennemis sera plus considérable encore.

   Même si elle était maintenue au niveau de l’année passée, soit une moyenne mensuelle de 8 brigades détruites, le nombre d’unités anéanties serait encore de 96 à 100 brigades, il n’y a pas là l’ombre d’un doute.

   L’ennemi arrivera­t­il à compléter ses effectifs aussi bien que l’année passée ? Non, il y arrivera sûrement avec beaucoup plus de difficultés. Même si tout se passait comme l’année dernière, c’est-­à-­dire s’il n’y avait qu’une perte de 300 000 hommes parmi ses troupes régulières, il ne lui resterait plus que 1 200 000 hommes l’année prochaine.

   Si les choses se passaient ainsi, Tchiang Kaï­-chek aurait de moins en moins de troupes à mesure que se dérouleraient les combats. L’année dernière, il disposait d’importantes forces de réserve ; pour commencer, il n’en a utilisé que la moitié pour nous attaquer.

   En avril de cette année, les troupes qu’il a engagées dans ses attaques ne comptaient que 40 brigades, et aujourd’hui leur nombre a encore diminué.

   Examinons d’abord le front sud, qui est son front principal. Des 48 brigades dont il disposait, il en a affecté 157 au front sud. Parmi celles-ci, seules 15 brigades du Shandong oriental sont engagées dans des attaques, tandis que les autres se tiennent sur la défensive. Pour peu que les différentes colonnes de nos troupes gagnent encore quelques batailles, ces 15 brigades passeront elles aussi à la défensive.

   Parmi les 70 brigades du front nord, seules 29 brigades de Sun Lianzhong et de Fu Zuoyi sont capables d’effectuer quelques attaques locales. En­-dehors des 227 brigades des fronts nord et sud, il ne reste plus que 21 brigades de réserve. Sous quelque angle qu’on se place, on voit que Tchiang Kaï­-chek manque de troupes.

  1. La faible couverture de ses arrières.

   Les arrières sont évidemment mal protégés, puisqu’on n’y compte que 21 brigades, dont 8 sont retenues dans le Xinjiang et le Gansu occidental ; les rebellions des nationalités du Xinjiang connaissant une recrudescence, ces 8 brigades y  sont immobilisées et ne sont plus disponibles.

   Les 13 autres brigades sont au sud du Changjiang, 2 dans le Yunnan, 7 dans le Sichuan et le Xikang, 2 dans le Guangdong et 2 à Taiwan ; dans les autres provinces, la défense est assurée par les milices locales et des corps de sécurité publique.

   Ces derniers ne peuvent remplir qu’un rôle de défense ; leurs effectifs sont d’ailleurs peu nombreux : il est très facile de les battre. On voit par là que les arrières de Tchiang Kaï­chek sont extrêmement vulnérables. A peine avons­-nous atteint les régions situées au nord du Changjiang qu’un vent de panique souffle au sud de ce fleuve.

  1. L’opposition du peuple.

   J’ai dit tout à l’heure que les régions contrôlées par Tchiang Kaï­chek sont économiquement ruinées et politiquement corrompues.

   C’est évident partout. Là-­bas, les mouvements populaires rappellent les flux et les reflux de la mer, et les gens qui s’opposent à Tchiang Kaï­-chek sont de plus en plus nombreux ; on compte même parmi eux des professeurs d’université, des hobereaux éclairés et des hommes d’affaires. Plus nous étendrons nos attaques hors de nos régions libérées, plus nous favoriserons la montée de ces mouvements.

   Ces trois points faibles de l’ennemi constituent de bonnes conditions pour nous permettre de porter les combats hors de nos territoires.

   De notre côté, les conditions pour la contre-­offensive générale sont également pleinement réunies.

   D’abord, nos troupes sortent des combats toujours plus puissantes.

   Auparavant, c’était une grande victoire pour nous que d’avoir anéanti un régiment ou un bataillon ennemi ; aujourd’hui, la destruction d’une ou deux brigades ennemies devient pour nous monnaie courante.

   Notre capacité de combat a augmenté, et nos effectifs se sont accrus. En dehors d’un grand nombre de paysans émancipés qui se portent volontaires, beaucoup de soldats ennemis fais prisonniers s’engagent dans nos rangs. Voilà les deux sources qui alimentent nos troupes.

   Plus de la moitié de nos combattants sont constitués par ces soldats libérés qui, éduqués au cours du « mouvement d’expression des griefs » [où les ex­soldats du Guomindang exposaient leur rejet de leur ancien genre de vie au service des réactionnaires et leur adoption d’un nouveau genre de vie, au service du peuple] ont retourné leurs fusils contre Tchiang Kaï­-chek.

   Citons par exemple les artilleurs qui ont participé à la récente attaque contre Shanzou : libérés la veille seulement à Lingbao, ces mêmes hommes, avec les mêmes canons, se battaient le lendemain dans nos rangs.

   C’est un cas exceptionnel dans l’histoire, en Chine comme dans le monde.

   Les effectifs de nos forces régulières ont augmenté depuis un an de presque 50%, ceux des armées de campagne et des troupes locales approchent les 2 millions d’hommes et de femmes.

   Le chiffre total des troupes de Tchiang Kaï­-chek ne représente que 2 500 000 combattants. Nos forces sont donc à peu près égales aux siennes.

   Une fois nos forces principales parties, nos troupes locales seront tout aussi capables de s’emparer de Yuncheng et d’assiéger Fenyang.

   Quand les grosses unités s’en iront, les petites unités prendront de l’expansion. Comme on dit, ce qui est petit ne se développe qu’en l’absence de ce qui est grand.

   Ensuite, la réforme agraire. Les effets de la réforme agraire ne se font pas sentir seulement dans les régions libérées, le peuple des régions contrôlées par Tchiang Kaï­-chek s’en réjouissant aussi lorsqu’il en apprend la nouvelle.

   Dernièrement, une conférence sur le problème agraire s’est tenue en Chine du Nord, et un nouveau programme agraire sera proclamé qui prendra des mesures radicales pour un juste partage des terres. Les paysans chinois ne peuvent s’émanciper qu’en s’appuyant sur le Parti Communiste.

   Et pour renverser Tchiang Kaï­chek, sont indispensables et la réforme agraire et la guerre, l’une n’allant pas sans l’autre.

   Enfin, l’élargissement des régions libérées. L’an dernier, nous avons cherché à anéantir l’ennemi à l’intérieur des régions libérées.

   L’avantage, c’est que nous y bénéficiions de l’appui des masses. Cela pouvait aller pour un an, mais si nous devions continuer, le fardeau serait trop lourd pour le peuple.

   C’est seulement en combattant hors de nos territoires que nous pourrons nous approvisionner en vivres dans les régions contrôlées par Tchiang Kaï­chek, y recruter nos effectifs, bouleverser ses plans d’enrôlement et saboter sa mobilisation générale.

   Il existe certes des difficultés pour nous qui ne connaissons pas à fond la topographie du pays et n’avons pas le temps de nous fondre dans les masses. Mais ces difficultés sont surmontables.

   Tant que nous travaillons pour le peuple et le dirigeons dans la réforme agraire, nous jouirons de son soutien actif et élargirons encore davantage nos régions libérées.

   Les conditions à l’intérieur du pays sont déjà mûres pour lancer la grande contre­offensive. Mais la situation internationale nous permettra­t­elle de le faire ? Notre victoire ne fait aucun doute si l’on ne tient compte que des aspects intérieurs. Mais que faire si les Américains interviennent ?

   Examinons le cours des événements dans le monde et analysons le problème au lieu de nous laisser clouer de peur par les Etats-­Unis.

   Ils ne pourront pas utiliser leurs bombes atomiques dans une guerre paysanne.

   Que peut faire l’impérialisme américain pour Tchiang Kaï­chek ?

   Premièrement, il peut lui fournir armes et munitions. Combien lui en a­t­il donné dans le passé ?

   On avait parlé d’abord d’équiper 39 divisions, mais finalement les équipements fournis pouvaient en armer 45.

   Le Nord-­Est et le Shandong en ont reçu la plus grande part, mais c’est dans ces deux régions que nous en avons capturé le plus. Pourquoi alors nous effrayer ?

   Deuxièmement, il peut lui donner de l’argent. Mais combien ? Depuis la Guerre de Résistance contre le Japon, il lui a donné 4 milliards de dollars, dont plus de 2 milliards après la capitulation du Japon. Mais tout cet argent a déjà été dépensé par Tchiang Kaï­chek.

   Combien les Etats­Unis peuvent­ils lui en donner encore ?

   L’impérialisme américain est un « nabab » à qui beaucoup de pays mendient de l’argent. Mais combien en a­t­il, Combien peut­il encore en donner à Tchiang Kaï­-chek ? A peine après le départ de Marshall, Wedemeyer est venu. Pourquoi est­il ici ?

   Pour contrôler plus étroitement les troupes et l’économie de Tchiang Kaï­-chek et mettre en exploitation Taïwan. Song Ziwen propose de construire des chemins de fer, des bases militaires et des ports maritimes sous le contrôle yankee.

   Dans la mesure où Tchiang Kaï­chek trahit son pays et donne le feu vert à l’agression des impérialistes américains, il nous est plus facile de mobiliser le peuple contre lui.

   Troisièmement, les Etats­Unis peuvent envoyer des troupes en Chine, ce qui serait un peu plus sérieux. Mais alors, quel est l’effectif total de leurs troupes ? Il est de 1 100 000 hommes. Les Etats-­Unis ont à envoyer des troupes dans de nombreuses régions du monde.

   Combien leur en faut­il pour cela ? supposons qu’ils envoient 200 000 hommes en Chine, soit un cinquième de leurs forces totales. Mais que représentent 200 000 hommes pour un pays comme le nôtre ?

   Tout au plus peuvent­ils les mettre dans les grandes villes et à Taïwan. Les Japonais avaient un million d’hommes en Chine du Nord…

   Les soldats américains sont des garçons dorlotés, même s’ils sont 500 000, cela ne compte pas pour grand chose.

   Nos camarades doivent vraiment en finir avec cette idée que les EtatsUnis sont redoutables.

   Au cas où ils enverraient réellement des troupes chez nous, leurs visages d’agresseurs serait totalement démasqué, ce qui faciliterait plutôt notre travail de mobilisation du peuple. Tout au plus pourraientils occuper quelques villes ; mais nous les encerclerions, et pour échapper à l’anéantissement, ils n’auraient alors d’autre choix que la fuite.

   Il est possible de vaincre les Etats­-Unis.

   Ne croyez pas que nous en soyons incapables parce que nous sommes dans un coin aussi reculé que Shenquanbu : le Parti Communiste est justement capable de faire quelque chose de grand dans un recoin arriéré !

   Les Etats-­Unis ont des difficultés insurmontables ; ils ne peuvent échapper aux crises politiques et économiques. Avec l’accroissement des forces des peuples du monde, l’impérialisme américain vit des jours toujours plus difficiles.

   En conclusion, nous sommes sûrs de pouvoir renverser Tchiang Kaï-chek. Notre décision de porter les combats au­delà de nos territoires et de passer à la contre-­offensive au cours de cette deuxième année de la guerre est juste. Elle est fondée et réalisable aussi bien sous l’angle des conditions intérieures que sous celui des conditions internationales.

   Certes, il ne sera pas possible de terminer la guerre d’ici une année : il en faudra une troisième ou peut­être une quatrième.

   C’est dans les deux prochaines années que la guerre atteindra son point culminant. Nous devons redoubler d’efforts pendant ces deux années. Les forces de Tchiang Kaï­-chek ont décliné, mais elles ne sont pas encore au bas de la pente.

   Nous menons actuellement une guerre de mouvement, mais plus tard, il nous faudra mener une guerre de position. Taiyuan et d’autres villes attendent que nous les libérions ; si, à la fin, l’impérialisme américain défend Shanghaï, nous reprendrons quand même la ville.

   Il nous faut développer notre puissance de feu et mener une guerre de position.

   Nous avons encore des difficultés à surmonter ; par exemple, la base de notre indstrie de guerre est faible, nous manquons de cadres et les vivres sont insuffisants. Vaincre Tchiang Kaï-­chek, c’est aussi extirper l’impérialisme américain de Chine, c’est pourquoi la guerre ne sera pas de petite envergure.

   La victoire de la révolution dans un pays aussi vaste que la Chine où les 450 millions d’habitants sont désormais maîtres du pays revêt une grande signification pour la révolution mondiale.

   C’est pourquoi s’il faut deux ans encore, et même cinq ans, pour renverser Tchiang Kaï­chek, le jeu en vaut la chandelle. Camarades, vous êtes, pour la plupart, des jeunes de vingt à trente ans, et vous n’avez pas à vous inquiéter de ne pas connaître la victoire. J’ai moimême la conviction de la voir un jour.

   Nos camarades peuvent demander : nous qui sommes maintenant encore à la campagne, alors que Tchiang Kaï­chek et les Américains occupent toujours les villes, comment allons­-nous faire pour prendre ces villes et remporter la victoire à l ‘échelle nationale ?

   La révolution chinoise, c’est l’encerclement des villes par les campagnes pour s’en emparer ensuite. Lorsque nos forces principales portent les combats hors de nos territoires, les forces locales restent pour « arracher les clous ».

   Il ne faut pas simplement voir le fait que Hu Zongnan occupe aujourd’hui encore beaucoup d’agglomérations urbaines du Shaanxi septentrional ; une fois que nos forces principales auront atteint le Grand Guanzhong, il sera bien obligé de s’en aller, sinon nous l’extirperons de la région.

   Le contrôle des villes ne sera assuré que si nous les prenons dans la phase finale de la guerre. Il faut aller de la partie au tout, c’est le principe du développement. Nous avons développé nos forces à partir des monts Jinggang, et maintenant nous allons créer partout des régions libérées et émanciper toute la Chine.

   Cette tendance du développement de la situation générale est bien établie. Les camarades dirigeants de notre Parti connaissent bien cette loi, et il importe maintenant que tous nos camarades s’en pénètrent aussi.

   Déclencher une grande contre-­offensive à l’échelle du pays pour renverser Tchiang Kaï-chek, telle est la tâche que nous accomplirons avec le plus grand enthousiasme et la plus grande joie.

   Chacun de nos camarades, où qu’il se trouve, doit travailler dur à son poste et, comme une vis indispensable à la machine, jouer pleinement son rôle.

   Battons­-nous jusqu’à Nanjing et prenons Tchiang Kaï­-chek vivant !

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