La région du nord et la contre offensive prolétarienne

La région du nord et la contre offensive prolétarienne

Parti Communiste Français (PCF)

   La région du Nord et du Pas-de-Calais occupe une place prépondérante dans l’économie française. Des centaines de milliers d’ouvriers s’y trouvent concentrées.

   Avant la crise, la mine occupait 200.000 travailleurs.

   L’industrie textile 250.000 rien que dans le secteur le plus important Lille-Roubaix-Tourcoing-Halluin-Armentières.

   60.000 métallurgistes environ étaient employés dans les secteurs de Valenciennes et Lille.

   Parmi cette main-d’œuvre se trouvaient et se trouvent encore de nombreux ouvriers immigrés et frontaliers belges.

   Ces derniers venant chaque jour des localités belges sur tout le long de la frontière du département du Nord ont atteint jusqu’à 50.000.

   La main-d’œuvre immigrée sédentaire était et est encore bien plus nombreuse.

   Ainsi, rien que dans le Pas-de-Calais, le nombre total d’immigrés y compris leur famille atteignait 159.485 au 1er janvier I934.

   Ce sont les mines qui en occupent le plus – 65.248 au mois de mai 1933.

   Les frontaliers, au contraire, sont occupés en majorité dans le secteur textile Roubaix-Tourcoing-Halluin.

Les ravages de la crise économique

   La crise économique a fait de grands ravages dans cette région. Par dizaines de mille les travailleurs ont été rejetés de la production.

   Le nombre des mineurs est tombé à 159.528 en 1933, soit 42.500 en moins, comparativement à 1926.

   Dans le textile, on peut évaluer à 50.000 le nombre de ceux qui ont été renvoyés rien que dans le secteur Lille-Roubaix-Tourcoing-Halluin-Armentières.

   Sur les 60.000 métallurgistes de Valenciennes-Lille, il n’ en reste plus actuellement que 30.000.

   L’industrie du tulle et de la dentelle, particulièrement concentrée à Calais et à Caudry, se trouve dans une situation purement catastrophique.

   A côté de cela s’ajoute le chômage partiel qui atteint la presque totalité des travailleurs des industries, à part seulement les industries chimiques qui travaillent pour la guerre.

   Grâce à une politique de rationalisation intensifiée depuis le début de la crise, la production n’a pas suivi une courbe descendante aussi accentuée que celle des ouvriers rejetés des entreprises.

   C’est ainsi que dans les mines, par exemple, la production qui était de 34.890.373 tonnes en 1929 est tombée seulement à 30.093.000 tonnes en 1933.

   Mais le rendement journalier d’un mineur qui était de 711 kilos est passé à 813 kilos en 1933.

   La production d’acier Martin, qui atteignait 815.000 tonnes en 1929, est tombée à 525.000 tonnes en 1932.

   Le trafic du port de Dunkerque, qui était de 11.799.000 tonneaux, est tombé en 1933 à 7.604.000.

   Le trafic en milliers de tonnes s’est amélioré en 1933, par rapport à 1932, de 846.000 tonnes, mais le tonnage de février 1934 comparé à celui du même mois de 1933 est de 57.535 tonnes en moins.

   Les statistiques concernant la production dans le textile sont très peu nombreuses et très peu répandues, mais quelques exemples connus montrent qu’il y a eu baisse.

   Ainsi, la production des filatures Frémaux tombe de 6.000.000 de kilos, en 1929, à 5.000.000 en 1932.

   Durant cette dernière période, la bourgeoisie a tendance à développer la destruction des machines ou fermeture des usines.

   Ainsi, les patrons lainiers de Roubaix-Tourcoing ont acheté toutes les machines à tisser de la région de Fourmies pour les livrer à la destruction.

   Ces derniers jours encore, un accord vient d’étre passé avec les filatures de lin Boutemy frères qui comptaient 40.000 broches et occupaient plus de 1.000 ouvriers, en vue de la destruction totale de ces broches.

   La Société Béthunoise de construction métallique, qui occupait 500 ouvriers, vient de fermer ses portes, et la presse annonce la fermeture prochaime de deux filatures occupant respectivement 200 à 500 ouvriers.

Le chômage

   Le nombre des sans-travail augmente à un rythme accéléré.

   Les chiffres officiels qui ne comprennent que les chômeurs bénéficiant d’une indemnité, c’est-à-dire la plus infime partie des sans travail, n’en décèlent pas moins la courbe ascendante.

   Comparé à la période du dernier congrès de l’U.R., le nombre officiel des chômeurs publié le 18 mars dernier donne les résultats suiNants :

   Au 2 septembre 1933, 26.746 chômeurs pour le Nord; 4.919 chômeurs pour le Pas-de-Calais, soit en tout 31.665.

   Au 18 mars 1934, 41. 264 pour le Nord; 10.394 pour le Pas-deCalais, soit en tout 51.638.

   L’augmentation est donc de près de 20.000 chômeurs, soit plus de 35%.

Les attaques de la bourgeoisie

   Depuis le début de la crise la bourgeoisie s’efforce d’en faire supporter les conséquences aux travailleurs.

   Elle a été en cela fortement soutenue par la politique des organisations réformistes et socialistes qui, chacun le sait, sont fort puissantes encore dans cette région.

   En même temps que se poursuivaient les congédiements en masse, le patronat s’est attaqué aux conditions de vie et de travail arrachées au cours de dures batailles de classe.

   Le salaire journalier des dockers de Dunkerque est passé de 43,50 à 38 francs en trois ans.

   Dans la métallurgie, on a pratiqué le système du débauchage et du réembauchage avec des diminutions de 0,25 à 0,75 de l’heure.

   Dans le textile, la baisse des salaires a pris de multiples formes, salaires horaires, primes, tarif aux duites, à la largeur, etc, etc.

   Dans l’ensemble, la baisse atteint de 15 à 30 % et va dans certains cas jusqu’à 40 %.

   C’est le cas, par exemple, pour la filature de lin Boutemy frères dont le montant total des salaires déclarés est tombé de 10 millions 494. 053 francs en 1930 à 5.706.116 francs en 1932, soit 45 % de diminution, tandis que le personnel n’avait baissé que de 5%.

   Actuellement, à Avesnes-les-Aubert, de jeunes ouvriers du textile ne gagnent que 5 francs par jour et de vieux tisseurs ne perçoivent que de 10 à 15 francs.

   Les mineurs, qui possèdent une convention collective de salaires depuis 1920, n’en ont pas moins subi des diminutions en violation des tarifs conventionnels, application d’amendes, etc., etc.

   Dans le secteur métallurgiste de Valenciennes les salaires ont subi des diminutions de 30 à 40 % depuis 1931.

   Parallèlement aux attaques contre les salaires, le patronat a mené une campagne acharnée de rationalisation.

   Des millions ont été investis dans des machines modernes avec lesquelles on a accéléré le rythme du travail.

   Dans le textile, augmentation du nombre des métiers conduits par les ouvriers, jusqu’à 6, 8 métiers et plus.

La contre-offensive ouvrière

   Les attaques patronales se sont heurtées à la résistance farouche des travailleurs.

   En 1930, 1931 et 1932, de très grandes grèves se sont déroulées dans le textile de Lille-Roubaix-Tourcoing et Armentières qui ont rassemblé jusqu’à 150.000 grévistes et plus.

   Dans la métallurgie de Lille, dans le secteur de Valenciennes, de Maubeuge, ont eu lieu également de grandes grèves.

   Pour ne prendre que les faits les plus récents, il convient de citer la résistance des dockers de Dunkerque pendant trois mois au lock-out patronal, les deux grèves des mariniers qui ont pris un caractère de combativité remarquable.

   De nombreuses grèves partielles se sont déroulées dans les usines textiles ainsi que des arrêts sur le tas contre les brimades, baisses de salaires, etc.

   Actuellement encore se déroulent des grèves à Halluin dans le textile.

   A Avesttes-les-Aubert, les ouvriers excédés viennent de faire une grève que le patronnat a réussi à briser avec l’aide des forces policières déchaînées qui ont chargé les piquets de grève assurés par la population et poussé les ouvriers dans l’usine par la force.

   A Sars-Poteries, une grève de solidarité se déroule actuellement, alors que depuis 6 à 7 ans il n’y avait pas eu dans cette localité ni mouvement, ni syndicat.

Rôle de la social-démocratie

   On ne saurait cependant affirmer que la résistance ouvrière fut aussi large que l’attaque patronale.

   Dans de nombreux cas, les dirigeants réformistes plus forts et mieux organisés que nous, ont réussi à briser la combativité et la résistance des ouvriers.

   Au milieu de 1933, au moment de la dénonciation du contrat collectif à Armentières qui datait de 1903 et pour lequel les ouvriers s’étaient héroïquement battus, les dirigeants réformistes et chrétiens réussirent à faire patienter leurs adhérents sous prétexte de pourparlers et de garanties patronales, et notre syndicat unitaire, malgré de gros efforts, ne réussit pas à déclencher la grève.

   C’était le premier acte du sinistre Désiré Ley, nouvellement promu président du syndicat patronal d’Armentières, jusque là indépendant du Consortium. Les chefs réformistes et chrétiens lui facilitèrent la tâche.

   A Lille, plus de 15.000 travailleurs des cotonnières viennent de subir une diminution de 3 et 4% et sont appelés à subir le deuxième palier de diminution au 15 mai.

   Devant l’échec des pourparlers les dirigeants réformistes, prétextant l’application de la diminution en deux étapes, ont purement et simplement demandé aux ouvriers d’attendre la nouvelle diminution pour protester.

Succès unitaires

   Malgré la puissante influence des organisations réformistes et socialistes, nos syndicats unitaires, avec le concours effectif du Parti, ont réussi à remporter certains succès et à orienter dans certains cas les manifestations organisées par les réformistes vers des objectifs nettement révolutionnaires.

   Au début de cet hiver, nos organisations ont su prendre en mains la défense des sans-travail et à organiser méthodiquement la « marche de la faim » sur Paris.

   Malgré le sabotage systématique des dirigeants réformistes et socialistes (municipalités, etc.), et malgré l’interdiction gouvernementale, la marche s’est quand même réalisée jusqu’au bout au milieu d’une ambiance de lutte et de la sympathie des masses ouvrières et paysannes.

   Les comités de soutien et de réception des marcheurs créés rapidement englobèrent de nombreux travailleurs socialistes et confédérés.

   Des dizaines de milliers de francs furent collectés.

   Pendant la préparation de la marche, et à l’occasion des comptes rendus qui en furent faits, 61 comités de chômeurs furent constitués, influençant 40.000 chômeurs environ et des dizaines de milliers de travailleurs.

   Les dirigeants réformistes des mineurs se rendant compte du grand mécontentement créé dans les puits par suite des brimades, amendes, congédiements, etc., et aussi du développement de notre influence, prirent l’initiative d’organiser des marches de mineurs sur les préfectures et sous-préfectures.

   Ces marches furent organisées dès le début sur les mots d’ordre réformistes du contingentement et de l’Office national du charbon.

   Nos syndicats unitaires prirent immédiatement l’initiative de faire des propositions d’unité d’action dans chaque puits, pour la participation en commun de tous les mineurs aux marches, sur la base d’un véritable programme de revendication et de lutte.

   Malgré les ordres formels des dirigeants réformistes, quinze comités d’action furent constitués et l’ensemble des mineurs marqua son acceptation de notre plate-forme revendicative, ce qui obligea les dirigeants réformistes à modifier les leurs.

   Le jour des marches, des milliers de mineurs fraternellement unis se rendirent aux préfectures et sous-préfectures.

   A Valenciennes, plus de 5.000 mineurs, auxquels s’étaient joints un millier de chômeurs, imposèrent une délégation commune des mineurs et la réception d’une délégation de chômeurs.

   Au cours de deux charges, les manifestants réagirent courageusement et efficacement.

   A Douai, 6.000 manifestants acclamèrent entièrement nos mots d’ordre.

   A Arras, 25.000 mineurs acclamèrent les mots d’ordre de lutte et d’unité d’action.

   Lorsque les dirigeants réformistes voulurent disloquer, sans avoir défilé devant la préfecture, nos militants unitaires, suivis de presque tous les manifestants, prirent la tête du cortège et se dirigèrent vers le centre de la ville.

   Plusieurs barrages de police furent rompus, finalement une bagarre se produisit au cours de laquelle nos camarades mineurs réagirent très vigoureusement.

   Partout les dirigeants réformistes furent sévèrement jugés.

   Dans le Cambrésis, une marche des ouvriers agricoles saisonniers et sédentaires fut organisée sur Cambrai pour populariser leurs revendications.

   En deux semaines seulement nos syndicats unitaires réussirent à mobiliser 5.000 ouvriers agricoles auxquels s’étaient joints des ouvriers de Caudry.

   Malgré l’interdiction policière et les manœuvres du nouveau député socialiste Brodel, aventurier sans scrupule, la marche atteignit tous ses objectifs et imposa sa délégation à la sous-préfecture.

   C’est au milieu d’une grande affluence que les « marcheurs de la campagne » furent accueillis à Cambrai.

   A Calais, à la suite de la marche des chômeurs sur Paris, le mouvement des sans travail prit une grande ampleur sous l’impulsion de nos militants unitaires.

   Fatigués du refus de la municipalité d’accorder les revendications et du charbon, les chômeurs se rendirent un jour à plus de deux mille sur le port et s’emparèrent d’une briquette chacun.

   Le premier objectif des chômeurs était d’entasser les briquettes devant la mairie pour prouver qu’il y avait du charbon, mais à la suite des provocations policières une bagarre éclata, au cours de laquelle les briquettes brisées en morceaux servirent de projectiles aux manifestants. Il y eut 15 policiers blessés.

   Par la suite encore, une manifestation interdite réussit à s’imposer et à obtenir la réception d’une délégation à la mairie.

   Devant le développement des événements, le maire fut acculé à démissionner.

Le 12 Février

   C’est dans cette période de développement croissant de l’effervescence ouvrière que se placent les événements de février et la grève du 12.

   Alors que le 1er mai 1933, le nombre des manifestants avait été de 35.000 au maximum dans les 16 manifestations de la région, au 12 février, 24 manifestations rassemblèrent au minimum 150.000 travailleurs.

   Presque partout ce furent des manifestations uniques au cours desquelles les mots d’ordre de lutte et les Soviets furent acclamés.

   A Rouhaix, il y eut deux manifestations, celle des confédérés le matin, celle des unitaires le soir; la nôtre rassembla autant de manifestants que celle dirigée par Lebas.

   Sauf à Lille, où les chefs socialistes firent intervenir leur Jeune garde socialiste et leurs musiques pour nous empêcher de parler au meeting, et à Hazebrouck, où nous sommes très faibles, partout nos orateurs purent se faire entendre et nos mots d’ordre furent acclamés.

   Même à Lens, cité du député-maire Maës, les ouvriers imposèrent deux de nos orateurs et la manifestation qui se prolongea sous notre direction après la dislocation réformiste rassembla 60 % environ des manifestants du début.

   Partout ailleurs les unitaires et les communistes furent les véritables dirigeants et animateurs des manifestations.

   Dans l’ensemble, la police observa une attitude de réserve.Il y eut cependant quelques bagarres caractéristiques.

   A Roubaix, les piquets de grève devant les usines textiles réussirent à pénétrer dans plusieurs usines, et après quelques dégâts, à imposer le débauchage complet.

   A Lille, de nombreux piquets de grèves organisèrent le débauchage dans le textile, la métallurgie, le bâtiment; quelques incidents se produisirent.

   A Dunkerque, dès le matin, un groupe de dockers unitaires dirigés par le camarade Huyghe se rendit sur le port pour organiser le débauchage.

   Les provocations policières dégénérèrent en bagarres. Huyghe et trois autres dockers furent arrêtés.

   Le lendemain ils étaient condamnés à 3 mois et 6 mois de prison.

   L’après-midi, à la suite du meeting socialiste où les chefs furent hués copieusement par les travailleurs, une manifestation se dirigea vers la sous-préfecture qui faillit être envahie malgré les brutalités policières.

   Les manifestants réagirent vigoureusement.

   Mais ce fut à Calais que la journée du 12 prit un caractère vraiment révolutionnaire.

   Dès le matin des milliers de manifestants descendirent dans la rue et organisèrent le débauchage.

   Des usines textiles, de produits chimiques, la poste, le dépôt du chemin de fer furent envahis.

   Non seulement le débauchage fut organisé, mais, encore, les patrons ou directeurs furent mis dans l’obligation de retirer toute sanction.

   Ensuite, ce fut la mairie devant laquelle les manifestants au nombre de 20.000 clamèrent leur volonté de vaincre.

Recrutement

   Depuis le début de l’année une certaine tendance au recrutement s’était manifestée dans la C.G.T.U., notamment dans les centres où nos organisations étaient particulièrement actives.

   Le 12 février a renforcé considérablement ce courant de recrutement.

   Au moment actuel (25 mars), le nombre d’adhésions enregistrées (chiffres incomplets) est de 1.925, se répartissant comme suit : Alimentation, 6; Livre-Papier, 3; Bâtiment, 1; Marins, 7; Cheminots, 76; Pâtes à papier, 84; Métaux, 168; P.T.T., 3; Produits chimiques, 260; Mineurs, 871; Textile, 429.

   Quatorze syndicats ou sections syndicales ont été constitués ou reconstitués.

   Les chiffres suivants montrent mieux encore l’orientation de notre mouvement unitaire dès 1933 et depuis le début de 1934.

   Le nombre de timbres commandés par les syndicats à l’U.R. pour 1933, s’élève à 295.468 (sans compter les commandes que passent encore, quoique en petite quantité, les syndicats aux fédérations sans passer par l’U.R.).

   En 1932, le nombre exact et complet de timbres placés par les syndicats, s’élève à 259.824.

   Il y a donc, en 1933, une augmentation de 35.644 timbres (chiffres provisoires).

   Les commandes de timbres à l’U.R. au 28 février de 1934, par rapport à la même date de 1933, s’établissent comme suit : 1933, 30.692; 1934, 56.833.

   Ces premiers résultats montrent les grandes possibilités qui s’offrent à notre mouvement dans la poursuite systématique de la lutte revendicative aux entreprises et la correction des erreurs et faiblesses.

Les faiblesses

   Au moment même où des centaines de milliers de travailleurs sortent des entreprises et manifestent leur mécontentement dans de puissantes démonstrations de rue, il se trouve des entreprises et des puits de mines où le nombre des grévistes est insignifiant.

   Dans le bassin du Nord (Cie d’Aniche), dans le bassin d’Anzin (à Fenain, Hérin, etc.) où les délégués mineurs sont unitaires, le nombre des grévistes pour le 12 février fut insignifiant.

   Un bon camarade délégué mineur a interprété ce résultat  « auquel il ne s’attendait pas » comme la négation de la radicalisation des masses.

   Dans un certain nombre d’usines textiles, métallurgiques, produits chimiques; etc., le mouvement gréviste du 12 février a passé inaperçu.

   Dans tous ces cas, nous constatons la faiblesse ou l’inexistence d’organisation syndicale unitaire ou bien encore l’extrême faiblesse de travail revendicatif et de front unique.

   Trop souvent encore notre mouvement syndical n’est pas accroché à l’entreprise et ne mène pas d’activité systématique sur cette base.

   Un grand nombre d’ouvriers textiles, métallurgistes, du bâtiment et des produits chimiques, en particulier, n’ont été entraînés dans la grève que par le fonctionnement de piquets de grève présents au moment de la rentrée à l’usine et composés de travailleurs d’autres corporations, de chômeurs et même de fonctionnaires (P.T.T., etc.).

   Pendant les quelques jours qui avaient précédé le 12, aucune campagne systématique n’avait été menée dans les entreprises.

   Comme les organisations confédérées, poursuivant en cela leur politique de « calme » et de « dignité », ne s’étaient livrées à aucun travail de préparation aux entreprises, là où les unitaires ne firent aucun travail il y eut de l’indécision et parfois l’échec complet du mouvement.

   Une autre caractéristique de notre faiblesse, apparue plus particulièrement dans les événements de février, fut l’absence dans certains centres de tout travail de front unique.

   Ce que nos camarades délégués mineurs de Fenain et Hérin, interprétant comme « de l’avachissement on de l’incompréhension », ne fut en réalité que l’absence de tout travail pratique de front unique.

   Sous prétexte que « la C.G.T. et la C.G.T.U. avaient lancé l’ordre de grève », ces camarades estimèrent qu’il suffisait  « d’afficher visiblement la décision ».

   Les mineurs ne recevant aucune indication précise sur le caractère de la grève et sur les revendications à défendre, ne voyant aucun effort de rapprochement des syndicats et des syndiqués confédérés et unitaires, furent à ce point indécis qu’au moment de la rentrée, le départ de quelques mineurs polonais, à qui le syndicat confédéré avait donné l’ordre « de ne pas se mêler à cette bataille entre français », fut suffisant pour jeter le désarroi et provoquer la rentrée en masse aux puits.

   S’il convient de corriger les fautes qui furent pratiquées dans la réalisation du front unique, encore convient-il de signaler que la plus grande fut de ne rien faire de positif dans le travail revendicatif et d’unité d’action.

   Ce qui le prouve mieux encore, c’est qu’au moment où nous recrutons en masse, dans les syndicats ou sections qui ont su se placer résolument à la tête de la lutte revendicative et politique, nous restons squelettiques et perdons des adhérents dans les organisations qui, par leur passivité, arrivent à dégoûter les syndiqués.

   C’est certainement ce qui « explique » notre perte de 100 adhérents sur 300, en 1934, à la section minière n° 4 et 7 d’Avion, et 75 au n° 3 de Dourges.

L’O.S.R.

   Enfin, une autre grande faiblesse intimement liée aux précédentes, réside dans l’absence de tout travail d’opposition au sein des syndicats confédérés.

   La courageuse attitude de milliers de travailleurs confédérés dans la lutte au coude à coude avec les unitaires contre le fascisme, nous a montré quelles grandes possibilités il y a de rentrer en contact et de travailler en collaboration avec les syndiqués confédérés.

   Dans une grande mesure la combativité des syndiqués confédérés mit obstacle aux manœuvres de division de leurs dirigeants.

   Ainsi, à l’assemblée des conseils syndicaux de la Bourse du travail de Lille, les Decostère et les Devernay furent impitoyablement battus sur leur tentative de ne pas organiser de manifestation et de briser la manifestation commune, préconisée par les unitaires, avec le concours des forces policières, comme cela se pratique depuis déjà longtemps.

   Un certain nombre d’incidents se produisirent au cours de cette assemblée qui révoltèrent l’immense majorité des conseillers syndicaux confédérés à l’égard des dirigeants.

   Dans le bassin minier, à Liévin, à Hénin-Liétard, à Denain, à Calais, à Caudry, à Cambrai, à Lillers, à Maubeuge, etc., un grand nombre de travailleurs confédérés se sont affirmés catégoriquement d’accord avec nos mots d’ordre de lutte et avec notre plate-forme revendicative.

   Il existe cependant très peu de groupements oppositionnels au sein des syndicats confédérés.

   Ce sont les unitaires qui sont responsables en partie de cette faiblesse par manque de travail systématique auprès des camarades confédérés.

   C’est le cas notamment pour les syndicats de P.T.T., du bâtiment, des métaux et surtout du textile à Lille.

   Actuellement, un grand effort est engagé sur la base de la préparation des « Etats généraux du travail » en vue d’un  1er mai de masse et du « Rassemblement national antifasciste ».

   Seule la participation effective de toutes nos orgattisations (U.L., syndicats) à ce travail systématique au sein même des entreprises, sur la base de revendications précises, nous permettra de remporter du succès et d’aller de l’avant.

   Par ce moyen-là nous pourrons aussi renforcer et développer le courant de formation de comités antifascistes, si faible et si insuffisant dans notre région.

Conclusion

   La puissance d’organisation des réformistes et socialistes, notamment dans les centres décisifs de Lille-Roubaix-Tourcoing-Lens, etc., gêne considérablement notre travail de conquête des masses.

   A l’occasion de chaque lutte les dirigeants réformistes ont travaillé à désagréger le front de résistance des travailleurs contre les attaques du patronat.

   Mais la politique des dirigeants réformistes n’est possible que grâce à notre faiblesse d’organisation au sein même des entreprises et à notre absence de travail parmi les syndiqués confédérés qui partagent de plus en plus notre conception de la lutte.

   Là où des efforts sérieux ont été faits, les résultats ont dépassé nos espérances.

   L’Union locale de Lille qui, au cours de son dernier congrès, s’était fixé le nombre de 150 nouvelles adhésions au 1er mai prochain, a largement dépassé ce chiffre actuellement grâce à son travail persévérant dans le textile, dans les cotonnières en particulier.

   Ces premiers succès, faisant suite au puissant courant d’unité d’action qui se développe dans la région, nous permettent d’espérer un 1er mai de masse et une sérieuse préparation de la « concentration nationale antifasciste ». Le courant de masse est maintenant lancé.

   C’est de nous et de nous tous que dépend le succès de notre lutte contre le patronat et son allié, le réformisme, et contre le fascisme.

Charles Bourneton
Mars 1934

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