Préface

L’Alsace-Lorraine sous le joug

Parti Communiste Français

Préface

   La récente discussion à la Chambre du budget de l’Alsace et de la Lorraine (4 avril 1933) a fourni occasion à notre parti communiste de préciser une fois de plus sa position vis-à-vis des minorités nationales.

   Au cours des débats, le représentant du gouvernement Daladier a affiché ouvertement sa volonté de poursuivre la politique d’assimilation brutale de ses prédécesseurs Millerand, Poincaré, Tardieu. Le ministre M. Guy La Chambre, a prononcé les mêmes paroles et fait preuve, en face du problème alsacien-lorrain, de la même incompréhension radicale que tous les autres politiciens de tous les partis de la Chambre depuis 1918.

   Le résultat de cette attitude constante de l’impérialisme français est très clair. Il peut se résumer d’un mot.

   À la fin de la guerre, il est indéniable que les Alsaciens et les Lorrains, dans leur immense majorité, étaient prêts à accepter la collaboration avec la France.

   Mandaté par le Parti socialiste d’alors avec plusieurs camarades, je me suis rendu en Alsace en novembre 1918, pour me rendre compte de l’état d’esprit au lendemain de l’armistice. Que de niaises légendes à ce sujet sur les « larmes de Strasbourg » et sur certains mots « historiques » qu’on me prête libéralement ! La vérité, c’est que j’ai assisté, à ce moment-là, à des manifestations très-puissantes, comprenant des centaines de mille de participants enthousiastes, qui remplissaient partout les rues et les chemins.

   Alsaciens et Lorrains faisaient donc confiance de bonne foi à la « France républicaine, démocratique et libérale », qui leur prodiguait à pleines mains des promesses de libération et de bien-être.

   Il n’a pas fallu longtemps pour que ces illusions se dissipent entièrement et fassent place à la déception et à la colère généralisées dans tous les milieux, sauf ceux de quelques profiteurs.

   Quels sont, après 15 ans de gestion, les griefs des Alsaciens et des Lorrains à l’endroit de la France impérialiste ?

   Ils lui reprochent d’abord d’avoir voulu leur imposer par la force une langue à laquelle ils préfèrent la leur.

   Ils lui reprochent aussi d’avoir traité l’Alsace et la Lorraine comme des colonies, en y envoyant pour les diriger des préfets et des bureaucrates arrogants et avides qui n’ont rien compris à leurs mœurs, à leur psychologie, à leurs aspirations.

   Ils lui reprochent d’avoir inondé leur pays de policiers et de journalistes vénaux: d’avoir méprisé, persécuté, insulté, emprisonné, traîné devant les tribunaux les Alsaciens qui entendent garder leur autonomie, leurs droits de minorité, leur langue, leur Parlement, leur culture propre.

   Ils lui reprochent d’avoir cédé à quelques aigrefins capitalistes, à des prix de honte, les biens des Allemands expropriés après la guerre impérialiste.

   En ce moment, disent-ils, le régime linguistique et policier imposé à 90 % des habitants de l’Alsace-Lorraine est intolérable et honteux. Ils sont soumis à l’arbitraire de l’administration, à une surveillance de police constante. Le gouvernement interdit des journaux, des pièces de théâtre, des films, des réunions, des manifestations tolérés ailleurs. Avec véhémence, Alsaciens et Lorrains demandent à être maîtres dans leur maison !

   Telle est la situation révélée une fois de plus par les discours des députés de l’Alsace et de la Lorraine à la Chambre.

   Par la voix autorisée de Maurice Thorez, notre parti communiste, dont il est le secrétaire général, a fait connaître sa position sur ce problème brûlant.

   Maurice Thorez a rappelé avec une grande précision et une grande vigueur la situation économique difficile de l’Alsace-Lorraine: la diminution générale de la production; le chômage qui s’étend; l’attaque contre les salaires des ouvriers et des fonctionnaires; l’angoisse des paysans devant la mévente de leurs produits ; l’aggravation des impôts; la mise au pillage des richesses des 3 départements depuis la guerre.

   Il a flétri l’attentat permanent des gouvernants contre les revendications linguistiques des Alsaciens et des Lorrains. Il a montré la honte des persécutions contre les ouvriers révolutionnaires, et contre les journaux prolétariens dont le seul crime est de dénoncer la préparation intensive à la guerre dont les habitants des départements frontières seront demain les premières victimes.

   Maurice Thorez n’a pas manqué de formuler dans toute sa netteté la politique de notre parti relativement aux minorités nationales. Pour nous, chaque peuple possède le droit de disposer de lui-même, et il faut reconnaître ce droit sans réserves à l’Alsace et à la Lorraine. Qu’elles choisissent et fixent leur destin elles-mêmes en toute liberté. Si elles veulent être autonomes; si elles veulent se séparer de la France, qu’on respecte leur volonté!

   Le problème de la libre disposition des peuples a toujours reçu, dans toutes les nations capitalistes, la solution de la brutalité et de la violence. C’est, à l’heure actuelle, l’une des plus graves causes de conflits dans l’Europe tout entière.

   Un seul gouvernement reconnaît à plein aujourd’hui le droit à la culture, à l’indépendance, au libre choix des minorités dans la fédération, c’est l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

   Au cours de la dernière réunion du Comité central de l’U.R.S.S. à Moscou, le 21 janvier 1933, le président du Conseil des commissaires du peuple a pu dire :

   « Nous avons assuré à l’intérieur du pays, non seulement la paix nationale, mais encore l’amitié parfaite entre les 168 peuples qui vivent en U.R.S.S. ».

   Tous les représentants de ces peuples fraternellement unis et fédérés depuis quinze années ont applaudi à ces justes paroles de Molotov.

   Comparez à cela les propos tenus à la Chambre française, le 4 avril 1933, par les députés alsaciens ! « La situation, disaient-ils, est intenable ! En particulier, le régime linguistique imposé à 90 % des habitants est honteux… l’orage gronde… ! »

   Ainsi se trouvent jugées par le fait et l’expérience les deux politiques opposées, celle du communisme, celle de l’impérialisme.

   Pour avoir rappelé courageusement notre doctrine, Maurice Thorez a subi les injures des élus de l’impérialisme français, auxquels se sont mêlés deux misérables renégats de notre Parti, devenus les porte-parole et les alliés de la bourgeoisie tricolore. Mais cela n’empêchera pas, au contraire, les prolétaires et les paysans d’Alsace et de Lorraine de saluer dans le communisme la seule doctrine qui respecte les droits à la culture et à la vie de toutes les nations, petites et grandes.

Marcel CACHIN.

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