La méritocratie, élément idéologique du capitalisme

La méritocratie, élément idéologique du capitalisme

Servir le peuple – Gironde

   Depuis le passage du féodalisme au capitalisme dans la plupart des pays impérialistes à partir de la fin du 18e siècle, le capitalisme n’a eu de cesse d’être critiqué. À ces critiques, les défenseurs du système capitaliste ont répondu par la production d’une idéologie : la méritocratie.
Ce texte se veut une brève analyse de ce qu’est la méritocratie et des raisons pour lesquelles il s’agit d’une escroquerie intellectuelle visant à légitimer les inégalités découlant du capitalisme.

   Le capitalisme est un modèle économique, un mode d’organisation de la société, basé sur la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit.
C’est ce modèle économique qui est actuellement en vigueur en France mais aussi dans l’immense majorité des pays du Monde. En ce sens, le capitalisme n’est pas une simple théorie économique mais bien une réalité matérielle.

   Depuis son développement, partout à travers le Monde, à partir de la chute des régimes féodaux en Europe au 18e siècle, le capitalisme n’a eu de cesse d’être critiqué, contesté et combattu par un ensemble de mouvements plus ou moins révolutionnaires.

   Face à ces critiques, portant pour la plupart sur les rapports de production et sur l’appropriation par la bourgeoisie de la plus-value produite par les travailleurs, la classe capitaliste a dû trouver des arguments afin de légitimer et pérenniser le système capitaliste. Par la production d’une idéologie du mérite défendant le capitalisme, la bourgeoisie a permis au système capitaliste de ne plus seulement être un état de fait, mais également d’apparaître aux yeux de beaucoup comme un système juste et légitime. Ainsi, la production de l’idéologie du mérite, basée sur la réalité matérielle du système capitaliste et ayant pour objectif de pérenniser cette réalité matérielle constitue un saut qualitatif, faisant passer le capitalisme d’un simple système économique à un système économique se fondant sur une idéologie et pouvant apparaître de fait comme juste.

   Pourtant, il s’agit là d’une escroquerie intellectuelle car ce n’est pas le capitalisme qui est fondé sur l’idéologie du mérite, mais bien l’idéologie du mérite qui est fondée sur le capitalisme.

   La méritocratie consiste en le fait de considérer que le pouvoir et la richesse s’acquièrent par le mérite et qu’il est juste que les personnes les plus méritantes soient celles qui aient le plus de pouvoir. Dans une société basée sur la méritocratie, les critères permettant de déterminer qui est méritant et qui ne l’est pas sont subjectifs. Néanmoins, les critères qui reviennent le plus souvent sont la quantité de travail et d’efforts fournis pour arriver à un but, l’intelligence ou encore la prise de risques.

   En ce sens, l’idéologie du mérite ne se base en aucun cas sur une analyse de l’organisation de la production ni sur des réalités matérielles mais uniquement sur des données subjectives. Cependant, pour produire ses effets, l’idéologie du mérite a besoin d’une situation pré-existante, à savoir l’existence du système capitaliste.

   La méritocratie a pour corollaire les principes de liberté individuelle et de responsabilité individuelle. Ces deux principes, lorsqu’ils sont couplés au concept de méritocratie reviennent à considérer qu’une société est composée d’un ensemble d’individus libres et égaux, ayant les mêmes chances de réussir et d’échouer. Ainsi, dès lors qu’on considère tous les individus comme libres et égaux, avec les mêmes chances de réussir et d’échouer, dès lors qu’on considère la réussite, la richesse et le pouvoir comme des éléments résultant du mérite, il devient facile de trouver des justifications à tout ce qui paraît injuste aux personnes n’ayant ni pouvoir ni richesse. L’intérêt de cette idéologie n’est donc pas que les personnes riches et ayant du pouvoir croient en son bienfondé, mais bien que les personnes pauvres et en situation de soumission face à un pouvoir soient persuadées que cette situation est légitime et donc ne se révoltent pas pour changer leur condition. En un mot, l’idéologie du mérite est profondément contre-révolutionnaire.

   Cependant, affirmer le caractère contre-révolutionnaire de l’idéologie du mérite ne constitue pas une critique suffisante. En effet, afin de démontrer pourquoi l’idéologie du mérite est un leurre, une arnaque intellectuelle, il faut analyser les mécanismes par lesquels l’idéologie du mérite transforme les œuvres collectives en œuvres individuelles.

   Prenons l’exemple d’une entreprise produisant des vêtements en coton. En terme d’effectifs, celle-ci sera constituée d’une part d’un patron, détenteur du capital et des moyens de production et d’autre part de salariés, vendant leur force de travail et utilisant les moyens de production appartenant au patron dans le but final de créer des marchandises, censées rapporter de la plus-value.
Si cette entreprise se porte bien, si les méthodes d’organisation de la production lui permettent effectivement de créer une sur-valeur sur la base du travail des salariés, mais que ces derniers estiment injuste que la sur-valeur soit captée par le patron, détenteur du capital, c’est alors qu’interviendra l’idéologie du mérite, consistant à affirmer dans la situation présente que c’est le patron qui mérite de capter la sur-valeur. Pour étayer cette thèse, les partisans de l’idéologie du mérite invoqueront alors tout un tas de données purement subjectives et dogmatiques comme le fait que le patron a « beaucoup travaillé » pour créer son entreprise ou encore qu’il a « pris des risques » et que ça a payé.

   Pourtant, le processus ayant conduit à la production d’une sur-valeur captée par le patron est un processus collectif et non individuel, il a fallu que des paysans produisent et récoltent le coton, que des transformateurs le transforment en coton à filer, que des transporteurs l’acheminent à l’usine, que des manutentionnaires le déchargent, chacune de ces activités nécessitant un savoir faire particulier que le patron n’a pas et qui découle d’un ensemble d’éléments historiques ayant conduit au développement de celui-ci. De même, le patron a dû se procurer des machines et une usine, toutes deux construites par des personnes qualifiées et imaginées par d’autres personnes qualifiées. Enfin, le travail de tissage et d’assemblage amenant concrètement à la production de vêtements a été effectué par les ouvriers, salariés du patron. Le patron lui, a tout au plus effectué un travail d’encadrement de la production, si tant est qu’il n’ait pas délégué celui-ci à un salarié.

La méritocratie, ou l’individualisation de l’œuvre collective

   Ainsi, la captation individuelle par le patron de la sur-valeur produite par les travailleurs, fruit d’un travail collectif et d’un contexte particulier, lui même fruit d’un ensemble d’œuvres collectives, consiste en une individualisation de l’œuvre collective. Cette individualisation de l’œuvre collective découle de la méritocratie, élément idéologique du capitalisme.
L’inégalité entre le patron et les travailleurs ne découle donc pas d’une prétendue inégalité de mérite mais bien d’un rôle différent dans la production déterminé principalement par la détention d’un capital. Privé de son élément idéologique qu’est la méritocratie, le capitalisme n’a donc plus de raison légitime d’exister, il peut ainsi apparaître au grand jour comme un système injuste devant être combattu.

   Quant aux arguments relatifs à la quantité de travail fournie ou encore à la prise de risque, ils ne prennent en compte que le travail et les risques fournis par le patron, car si la sur-valeur découle en partie du travail du patron, elle découle surtout du travail de l’ensemble des maillons de la chaine de production. Pour ce qui est de la prise de risque, cet argument est nul et non avenu tant les risques pris par le patron sont infimes si on les compare à ceux pris par les travailleurs. Certes, le patron peut, par une mauvaise gestion de son entreprise, perdre de l’argent et se retrouver précaire, l’obligeant ainsi à vendre sa force de travail pour vivre, comme ses anciens salariés le faisaient, mais les salariés, eux, en plus du risque de perdre leur emploi, prennent celui d’avoir un accident du travail, qui font plus de 2 millions de morts et des centaines de millions de blessés chaque année à travers le Monde.