Arundhati Roy à propos de la guerre d’Obama, de la pauvreté et des rebelles maoïstes en Inde

Arundhati Roy à propos de la guerre d’Obama, de la pauvreté et des rebelles maoïstes en Inde

27 Décembre 2010

Introduction

   Les rebelles maoïstes en Inde ont appelé à une journée de grève lundi (8 novembre 2010) pour protester contre la visite du président Obama. Les médias indiens signalent que les Maoïstes ont fait sauter un nouveau bâtiment scolaire et tué quatre personnes dans les états orientaux de l’Orissa et du Bihar. Nous parlons avec l’écrivain et essayiste Arundhati Roy à propos de la lutte des rebelles maoïstes en Inde et de son opinion sur le président Obama.


   Amy Goodman : Les rebelles maoïstes en Inde ont appelé à une journée de grève lundi pour protester contre la visite du président Obama. Les médias indiens signalent, selon la police, que les Maoïstes ont fait sauter un nouveau bâtiment scolaire ce matin et ont tué quatre personnes dans les états orientaux de l’Orissa et du Bihar. Le mois dernier, j’ai eu la chance de m’asseoir avec l’écrivain Arundhati Roy à Londres au sujet des Maoïstes en Inde. Mais d’abord, j’ai commencé par lui demander son opinion sur le président Obama.

   Arundhati Roy : Je pense que la grande leçon aujourd’hui, c’est que… Regardez le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, qui a attaqué et a fait la guerre aux pays les plus pauvres mais qui n’a pas été capable de gagner ces guerres. Vous le savez, ils n’ont pas été capables de gagner. Et là est la leçon. Vous n’avez pas pu gagner au Vietnam, vous n’avez pas pu gagner en Afghanistan, vous n’avez pas pu gagner en Irak, vous ne pouvez pas gagner au Cachemire. Obama est impliqué dans tous ces crimes de guerre. Il a étendu la guerre en Afghanistan, l’a déplacée au Pakistan. Le Pakistan a une telle quantité de problèmes à cause de cela. Juste au moment des événements du 11 septembre, je me souviens avoir écrit, avoir dit: vous les avez obligé à provoquer les Talibans parmi eux, et maintenant, vous voulez qu’ils étranglent le cratère qu’ils ont fabriqué dans leur propre jardin. Cela va mener à la guerre civile. Il n’y avait pas besoin d’être un génie pour arriver à comprendre cela. Et c’est ce qui s’est passé. Les Etats-Unis ont interféré avec le Pakistan depuis le début, et aujourd’hui, le Pakistan en paye les effroyables conséquences. Je ne sais pas s’il a eu le choix parce que quand les Etats-Unis veulent interférer, ils ne donnent le choix à personne. Donc, ils ont détruit l’Afghanistan, ils ont détruit le Pakistan, ils ont détruit l’Irak. Et ils détruiront l’Inde, parce que l’Inde n’a pas le courage. Le gouvernement indien autorise simplement volontiers que cela se passe, que les Etats-Unis imposent tout. Donc tout ce que fait aujourd’hui Obama aux Etats- Unis est une chose distincte. Mais à l’extérieur, sa politique étrangère n’est certainement pas si différente que ça de celle de Georges Bush. Et s’ils commencent une guerre en Iran, ils ne la gagnent pas. Je veux dire que ce n’est pas possible. Ces guerres ne peuvent pas être gagnées. Il est temps que quelqu’un comprenne cela et décide de changer la façon de penser du monde au sujet de la guerre, des armes et du fait de mettre des soldats sur le terrain.

   AG : Arundhati, depuis la dernières fois que nous avons discuté, des assassinats ont eu lieu – enfin, au moins un – en Inde. Pouvez-vous nous parler de ce qui s’est passé?

   AR : Comme vous le savez maintenant, une guerre à part entière se déroule. A vrai dire, plusieurs guerres se déroulent en Inde. Il y a le Cachemire, qui est maintenant la proie des flammes, et il y a ce qui se passe dans le nord-est. Mais ce à propos de quoi j’ai écrit dernièrement, c’est la guerre contre la population tribale, dans le bastion tribal de l’Inde. Là, environ 200.000 soldats paramilitaires ont été appelés pour conclure à la hâte à peu près 200 ‘Memorandums of Understandings’ (ndlt: protocoles d’accord), ou plus, avec des compagnies minières et d’infrastructure. Et toutes ces luttes sont menées au nom de l’évacuation des guérilleros maoïstes hors des forêts. Et comme la guerre s’intensifie, il y a des attaques et des contre-attaques, et les gens, les gens les plus pauvres du monde ont maintenant réellement beaucoup d’ennuis. Il y a eu beaucoup de pression pour demander des pourparlers de paix parce que ces gens pauvres dans les villages, la population tribale, sont comme assiégés – pas de médicaments, pas de nourriture, pas de possibilités pour sortir de la forêt. Le gouvernement a besoin de garder son masque de grande démocratie. Donc en fait, il a comme qui dirait proposé des pourparlers de paix d’une part, et puis il les sape d’autre part. Mais l’assassinat était l’assassinat d’un homme qui se faisait appeler Azad. Son véritable nom était Cherukuri Rajkumar. Il est une sorte de dirigeant supérieur dans le politburo du parti maoïste. Il a été nommé par le parti pour être le négociateur dans les pourparlers de paix. Et pour une raison ou pour une autre, les allées et venues de ces documents l’ont hissé à la surface. Et pendant qu’il voyageait en train avec un jeune journaliste, il a été attrapé par la police et emmené dans les forêts lointaines du Telangana Nord, à un endroit appelé Adilabad, et abattu. Bien sûr, ils ont dit qu’il avait été tué dans une rencontre armée … , ce qu’ils disent toujours, mais le rapport d’autopsie affirme qu’il a été tué à bout portant, en compagnie de ce jeune journaliste. Vous savez, mon avis a toujours été que le gouvernement a besoin de cette guerre. Pour déblayer la terre, il a besoin de cette guerre. Et dans une situation telle que celle-ci, juste au début des pourparlers de paix, si un camp tue l’émissaire de l’autre camp, il est plutôt raisonnable de supposer que ce camp là ne veut pas la paix.

   AG : Pouvez-vous expliquer ce que représentent les Maoïstes?

   AR : Le Parti Communiste d’Inde est bien sûr un vieux parti, qui s’est scindé en Parti Communiste Marxiste. Et puis en 1969, il y a eu quelque chose que l’on appelle le Soulèvement Naxalite, avec une sorte de précurseur de ce qu’est aujourd’hui le parti Maoïste. Il y a bien sûr un énorme débat entre la gauche orthodoxe et les Maoïstes, parce que la gauche orthodoxe fonctionne plus ou moins dans les villes et est maintenant plus ou moins un parti bourgeois, alors que les Maoïstes croient en une sorte de renversement militant armé de l’état indien. Mais pendant des années, ils ont travaillé parmi la population tribale dans les forêts, et ont maintenant une armée populaire de libération formée de guérilleros.

   AG : De combien?

   AR : Des milliers. On ne sait pas. Je veux dire que je ne connais pas vraiment le chiffre exact. Mais en ce moment, les Maoïstes sont juste l’extrémité militante d’un débit de mouvements de résistance qui luttent contre l’attaque de cette sorte d’‘Inde brillante’, qui est vraiment une affaire de saisie des terre des pauvres, pour les transformer soit en mines, soit en zones économiques spéciales. Quand j’ai écrit au sujet des barrages il y a dix ans, je parlais du fait qu’à eux seuls, les barrages avaient déplacé 33 millions de personnes. Aujourd’hui, avec les réformes et l’ajustement structurel que le FMI a exigé de notre pays, l’Inde – qui est connue aux Etats-Unis et en Europe comme le pays ayant le deuxième taux de croissance le plus élevé du monde – aujourd’hui a plus de personnes pauvres que 26 des plus pauvres pays d’Afrique mis ensembles.

   AG : Plus de gens pauvres en Inde que dans 26 pays africains?

   AR : Des pays les plus pauvres d’Afrique.

   AG : Pays les plus pauvres.

   AR : Mis ensemble.

   AG : Combien de personnes pauvres avez-vous en Inde?

   AR : Par exemple, il y a 830 millions de personnes vivant avec moins de vingt roupies par jour. C’est moins qu’un demi dollar par jour, 830 millions de personnes. C’est là que se trouve la lutte maintenant. Vous savez, il y a les guérilleros dans les forêts, les militants dans les villages, les Gandhiens dans les rues, mais dans l’ensemble, ils mènent tous le même combat en ce moment.

   AG : Donc, je pense qu’il doive se passer? Que demandez-vous?

   AR : A l’heure qu’il est, je pense qu’il y a besoin d’un cessez-le-feu, de la part des deux camps. Et je pense que le gouvernement doit tout déballer sur tous les contrats et tous les MoUs qu’il a signé. Tout de monde devrait connaître exactement ce qui est en jeu, ce que la population locale veut. Vous savez, toutes ces audiences publiques et tous les types de rituels démocratiques ont simplement été marginalisés. Mais nous avons réellement besoin de savoir ce que sont les projets. Pourquoi doivent-ils être secrets? Pourquoi est-ce que ce qui se passe dans les forêts, dans les rivières, pour la population, dans les montagnes et dans les mines doit être un secret?

   AG : Vous sentez-vous menacée? De nombreuses critiques ont dit que vous étiez maintenant le porte-parole le plus proéminent pour une révolution violente en Inde. Quelle est votre réponse à cela?

   AR : Non, je ne suis pas un porte-parole pour les Maoïstes. Mais vous savez, le gouvernement veut que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, il veut tous nous appeler Maoïstes. Je n’ai jamais, jamais dit que j’étais un porte-parole pour les Maoïstes. J’ai mes propres opinions sur eux, à propos desquelles j’ai écrit. J’admire certaines choses, je critique d’autres choses, et ainsi de suite. Mais vous savez, Azad a été assassiné. C’est la façon du gouvernement de s’occuper de la dissidence. Un des choses à propos de laquelle il est très, très contrarié est qu’il avait ce genre d’idée selon laquelle les Maoïstes sont dans la forêt, et qu’il allait juste les encercler, les diaboliser et les achever. Et quand les gens dans les zones urbaines ont commencé à compliquer tout le débat en disant que ce n’est pas si simple, que ces politiques ne sont pas admissibles pour nous, … le gouvernement a commencé à prendre ces gens pour cible, ceux au sujet de qui il semblait être presque le plus contrarié, parce qu’il ne sait pas quoi faire avec un grand nombre d’entre nous.

   AG : Vous avez une citation intéressante dans votre article dans Outlook : ‘Quand le gouvernement utilise le stratagème des pourparlers pour attirer les poissons nageant en eau profonde vers la surface et puis les tue, les pourparlers ont-ils un avenir? L’un ou l’autre camp veut-il la paix ou la justice? Peut-être notre Préambule devrait-il indiquer, ‘Nous, les castes et les classes supérieures en Inde, [avons] secrètement décider de faire de l’Inde un État d’entreprise hindou satellite…’

   AR : Vous savez, j’ai beaucoup écrit dans cet article au sujet de ce qui arrive quand un gouvernement établi une constitution. Une démocratie ne fonctionne qu’avec une constitution comme base légale et morale. Donc quand ce gouvernement saccage cette constitution, que ce soit les Maoïstes ou n’importe quel autre mouvement de résistance, si vous écoutez ce qu’ils disent en ce moment, ce ne sont que des gens exigeant leurs droits constitutionnels. Donc, le gouvernement saccage la constitution. Les ‘terroristes’ entre guillemets, exigent leurs droits constitutionnels. Donc, ce que j’ai dit, c’est que si le gouvernement ne va pas respecter la constitution, alors peut-être devons-nous changer la constitution dont le préambule dit que nous sommes une république socialiste démocratique laïque. Donc changez-le et dites que nous sommes un état d’entreprise hindou satellite.

   AG : L’écrivain Arundhati Roy, qui nous a parlé à Londres. Elle vit à New Delhi. Nous nous sommes parlé en septembre.

flechesommaire2