L’éco-féminisme

Les courants philosophiques dans le mouvement féministe

Anuradha Ghandy

2006

4. L’éco-féminisme

   L’éco-féminisme est étroitement lié au féminisme culturel, même si les éco-féministes elles-mêmes déclarent s’en distinguer. Les féministes culturelles comme Mary Daly ont adopté une approche dans leur écriture qui se rapproche de la compréhension de l’éco-féminisme. Ynestra King, Vandana Shiva et Maria Mies sont parmi les éco-féministes connues.

   Les féministes culturelles ont célébré l’identification des femmes avec la nature à travers l’art, la poésie, la musique et les communautés. Elles identifient les femmes à la nature contre la culture (mâle). Ainsi, par exemple, elles sont d’actives anti-militaristes. Elles accusent les hommes d’être responsables des guerres et soulignent que les préoccupations masculines sont tournées vers des actes mortifères.

   Les éco-féministes reconnaissent que les féministes socialistes ont insisté sur les aspects économiques et de classe de l’oppression des femmes, mais elles les critiquent comme ignorant la question de la domination de la nature.

   Le féminisme et l’écologie constituent la révolte de la nature contre la domination humaine. Elles souhaitent que nous repensions les relations entre l’humanité et le reste de la nature, y compris notre propre nature incarnée. Dans l’éco-féminisme, la nature est la catégorie centrale de l’analyse – la domination interdépendante de la nature – la psyché et la sexualité, l’oppression humaine et non-humaine, et la position historique sociale des femmes dans cela. Ceci est le point de départ pour l’éco-féminisme selon Ynestra King. Et dans la pratique, il a été constaté, selon elles, que les femmes ont été à l’avant-garde des luttes pour protéger la nature – l’exemple de Chipko Andolan dans lequel les femmes des villages se sont accrochées aux arbres pour empêcher les entrepreneurs de couper les arbres à Tehri-Garhwal prouve ce point, selon elles.

   Il existe de nombreux courant de l’éco-féminisme. Il y a des éco-féministes spirituelles qui considèrent leur spiritisme comme principal, tandis que les matérialistes croient en une intervention active pour arrêter les pratiques destructrices. Elles disent que la dichotomie nature-culture doit être dissoute et que notre unité avec la nature doit ressortir. À moins que nous ne vivions tous plus simplement, certains d’entre nous ne serons pas en mesure de vivre du tout. Selon elles, il y a de la place pour les hommes aussi dans ce mouvement pour sauver la terre. Il y a un courant des éco-féministes qui s’oppose à mettre l’accent sur la relation nature-femmes. Les femmes doivent, selon elles, minimiser leur relation spéciale et renforcée avec la nature (construite socialement et idéologiquement). La division actuelle du monde en mâle et femelle (culture et nature) ; les hommes pour le renforcement de la culture, et les femmes en matière de renforcement de la nature (l’éducation des enfants et à la procréation) doit être éliminée et l’unicité soulignée. Les hommes doivent apporter la culture dans la nature et les femmes devraient apporter la nature à la culture. Ce point de vue a été appelé l’éco-féminisme constructioniste social. Des penseuses comme Warren croient qu’il est erroné de lier les femmes à la nature, parce qu’aussi bien les hommes que les femmes sont tous naturellement et culturellement égaux. Mies et Shiva combinent les idées du féminisme socialiste (rôle du patriarcat capitaliste), avec les principales idées des féministes qui croient que les femmes ont plus à voir avec la nature dans leur travail quotidien dans le monde entier, et du postmodernisme qui critique la tendance du capitalisme à l’homogénéisation de la culture autour du monde. Elles croyaient que les femmes à travers le monde avaient une similitude suffisante pour lutter contre les patriarcats capitalistes et la destruction qu’ils génèrent. Prenant des exemples de luttes des femmes contre la destruction écologique pour des intérêts industriels ou militaires pour préserver la base de la vie, elles concluent que les femmes seront à l’avant-garde de la lutte pour préserver l’écologie. Elles préconisent une perspective de subsistance dans laquelle les gens ne doivent pas produire plus que nécessaire pour satisfaire les besoins humains, et les gens devraient utiliser la nature seulement dans la mesure du nécessaire, pas pour produire de l’argent, mais pour satisfaire les besoins des communautés. Les hommes et les femmes devraient également cultiver les vertus féminines traditionnelles (l’attention, la compassion, le dévouement) et participer à la production de subsistance, car seule une telle société peut « se permettre de vivre en paix avec la nature, et de maintenir la paix entre les nations, les générations, les hommes et les femmes ». Elles prétendent que les femmes sont non-violentes et soutiennent cela. Elles sont considérées comme des éco-féministes transformatrices.

   Mais la base théorique de l’argumentation de Vandana Shiva en faveur de l’agriculture de subsistance est en réalité réactionnaire. Elle fait une critique acerbe de la révolution verte et de son impact dans son ensemble, mais du point de vue qu’il constitue une forme de ‘’violence patriarcale occidentale » contre les femmes et la nature. Elle oppose le patriarcat occidentale, le rationnel / la science à la sagesse non occidentale. Les impérialistes ont utilisé les développements dans l’agro-science pour forcer les paysans à augmenter leur production (afin d’éviter une révolution rouge) et afin de les lier au marché des entreprises multinationales des produits agricoles comme les semences, les engrais, les pesticides.

   Mais Shiva rejette l’agro-science en entier et défend sans esprit critique les pratiques traditionnelles. Elle affirme que la culture indienne traditionnelle avec son unité dialectique de Purusha et Prakriti((De manière basique, dans l’hindouisme, Purusha est la partie mâle, la conscience qui n’agit pas tandis que Prakriti est la partie femelle, la force et l’énergie dépourvue de conscience. (NdT))) était supérieure au dualisme philosophique occidentale de l’homme et de la nature, de l’homme et la culture, etc, etc.

   Ainsi, elle affirme que dans cette civilisation où la production était destinée à la subsistance, à la satisfaction des besoins vitaux de base du peuple, les femmes avaient un lien étroit avec la nature. La révolution verte a brisé ce lien entre les femmes et la nature. En réalité, ce que Shiva glorifie, c’est l’économie petite paysanne pré-capitaliste avec ses structures féodales et ses inégalités extrêmes. Dans cette économie, les femmes travaillaient dur pendant de longues heures d’un travail exténuant, sans reconnaissance de leur travail. Elle ne tient pas compte des conditions des Dalits et des autres femmes de castes inférieures, qui travaillaient dans les champs et les maisons des propriétaires féodaux de l’époque, tout en étant la plupart du temps, maltraitées, exploitées sexuellement et non rémunérées.

   En outre, la subsistance ne reposait pas sur le besoin de tous, en fait les femmes ont été privées de leurs besoins de base dans cette période pré-capitaliste glorifiée, elles n’avaient aucun droit sur les moyens de production, elles n’étaient pas indépendantes non plus. Ce manque d’indépendance est interprété par elle et Mies comme le rejet de l’autodétermination et de l’autonomie des femmes du tiers monde pour qu’elles valorisent leur lien avec la communauté. Ce que les femmes valorisent comme étant des structures de soutien quand elles n’avaient aucune alternative à cela, est projeté comme un rejet conscient de l’autodétermination par Shiva. En effet, elles défendent l’économie de subsistance pré-capitaliste patriarcale au nom de l’éco-féminisme et au nom de l’opposition à la science et à la technologie occidentales. Une fausse dichotomie a été créée entre la science et la tradition.

   Ceci est une forme de culturalisme ou post-modernisme qui est impliqué dans la défense des cultures patriarcales traditionnelles des sociétés du tiers monde et s’oppose au développement pour la base des masses, dans l’idée d’attaquer le paradigme du développement du capitalisme. Nous sommes opposés à la poussée destructrice et aveugle produite par l’avidité impérialiste du profit de l’agro-business à l’agro-technologie (y compris les semences génétiquement modifiées, etc.) mais nous ne sommes pas contre l’application de la science et de l’agro-technologie pour améliorer la production agricole. Selon les rapports de classe actuels, la science elle-même est un valet des impérialistes mais sous le système socialiste / démocratique, ce ne sera pas ainsi. Il est important de retenir ce qui est positif dans notre tradition, mais tout glorifier est anti-populaire.

   Les éco-féministes idéalisent la relation des femmes avec la nature et manquent aussi d’un point de vue de classe. Les femmes des classes supérieures, que ce soit dans les pays capitalistes avancés ou dans les pays arriérés comme l’Inde, ne montrent pratiquement aucune sensibilité à la nature tellement elles sont absorbées par la culture consumériste mondiale encouragée par l’impérialisme. Elles ne pensent pas que l’impérialisme est un système mondial d’exploitation. Elles ne montrent aucune volonté de changer leur mode de vie et leurs privilèges de base afin de réduire la destruction de l’environnement. Pour les femmes paysannes, la destruction de l’écologie conduit à des difficultés inouïes pour elles dans l’accomplissement de leurs tâches quotidiennes, comme se procurer du carburant, de l’eau et du fourrage pour le bétail. Leurs déplacements, dus au pillage de leurs forêts et de leurs terres pour le développement des grands projets, les affectent également négativement.

   Par conséquent, ces aspects peuvent et sont devenus des points de ralliement pour les mobiliser dans les luttes. Mais à partir de cela, nous ne pouvons pas conclure que les femmes, contrairement aux hommes, ont une tendance « naturelle » à préserver la nature. La lutte contre le capitalisme monopoliste, qui est sans cesse en train de détruire la nature, est une lutte politique, un problème populaire, dans lequel le peuple dans son ensemble, hommes et femmes doit participer. Et si les éco-féministes citent la lutte de Chipko, c’est en oubliant qu’il y a tellement d’autres luttes dans notre pays dans lesquelles les hommes et les femmes ont agi sur ce qui peut être considéré comme des questions écologiques et pour leurs droits.

   L’agitation de Narmada, les agitations des villageois d’Orissa contre des grands projets miniers, et contre le projet de missile nucléaire, ou la lutte des tribus du Bastar et du Jharkhand contre la destruction des forêts et les grands projets d’exploitation miniers sont des exemples.

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