Après la victoire, pour une paix durable

Après la victoire, pour une paix durable

Staline

17 septembre 1946

   Paru dans la Pravda, 25 septembre 1946.

   Réponses aux questions posées par M. A. Werth, correspondant du Sunday Times à Moscou.

   1. — Croyez-vous à la réalité du danger d’une « nouvelle guerre », dont tant de personnes non responsables parlent actuellement dans le monde entier ? Quelles mesures devraient être prises pour empêcher la guerre, si un tel danger existait ?

   Réponse. — Je ne crois pas au danger réel d’une « nouvelle guerre ».

   Ce sont principalement les agents des services de renseignements militaires et politiques, ainsi que leurs rares amis du nombre des civils, qui se répandent en rumeurs au sujet d’une « nouvelle guerre ». Ces rumeurs leur sont nécessaires, ne serait-ce que pour : a) intimider, avec le spectre de la guerre, certains hommes politiques naïfs parmi leurs « adversaires » et aider ainsi leurs gouvernements respectifs à extorquer davantage de concessions à ces « adversaires » ; b) faire  obstacle, pour quelque temps, à la compression des budgets militaires de leurs pays ; c) freiner la démobilisation des troupes et, de cette façon, empêcher un accroissement rapide du chômage.

   Il convient de faire une nette distinction entre les rumeurs actuelles relatives à une « nouvelle guerre », et le danger réel d’une « nouvelle guerre », qui n’existe pas à l’heure actuelle.

   2. — Pensez-vous que ta Grande-Bretagne et tes Etats-Unis soient en train de procéder consciemment à « l’encerclement capitaliste » de l’Union Soviétique ?

   Réponse. — Je ne pense pas que les milieux dirigeants de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pourraient réaliser « l’encerclement capitaliste de l’Union Soviétique », même s’ils le désiraient, ce que toutefois je ne puis affirmer.

   3. — Pour reprendre les paroles récemment prononcées par M. Henry Wallace((Henry Wallace, choisi par F. Roosevelt comme vice-président aux élections présidentielles de 1940. En 1944 quand F. Roosevelt se représente, il désigne H. Truman comme nouveau vice-président. Sommé par les partisans de la tension avec l’URSS de prendre Byrnes et de désavouer Wallace, il choisit H. Truman comme « neutre ». H. Wallacc allait fonder le Parti progressiste, pour lutter contre la politique agressive des Etats-Unis. La nouvelle élection présidentielle de 1948 verra le triomphe de H. Truman.)), est-ce que l’Angleterre, l’Europe occidentale et les Etats-Unis peuvent être assurés que la politique soviétique en Allemagne ne deviendra pas l’instrument de visées russes sur l’Europe occidentale ?

   Réponse. — Je tiens pour Impossible que l’Union Soviétique se serve de l’Allemagne à l’encontre de l’Europe occidentale et des Etats-Unis d’Amérique. Je le tiens pour impossible, non seulement parce que l’Union Soviétique est liée avec la Grande-Bretagne et la France par un traité d’assistance mutuelle contre une agression allemande, et avec les Etats-Unis par les décisions de la conférence de Potsdam, mais aussi parce que la politique qui consisterait à se servir de l’Allemagne contre l’Europe occidentale et les Etats-Unis signifierait que l’Union Soviétique renoncerait à ses intérêts nationaux fondamentaux.

   En bref, la politique de l’Union Soviétique à l’égard du problème allemand consiste dans la démilitarisation et la démocratisation de l’Allemagne, ce qui, à mon avis, constitue une des garanties essentielles de l’établissement d’une paix solide et durable.

   4. — Que pensez-vous de l’accusation selon laquelle la politique des Partis communistes des pays d’Europe occidentale est « dictée par Moscou » ?

   Réponse. — Je considère que cette accusation est absurde, empruntée à l’arsenal de Hitler et de Gœbbels, qui a fait faillite.

   5. — Croyez-vous à la possibilité d’une coopération amicale et durable entre l’Union Soviétique et les démocraties occidentales, en dépit de l’existence de divergences idéologiques, et à une « compétition amicale » entre les deux systèmes, dont M. Wallace a parlé dans son discours ?

   Réponse. — Certainement, j’y crois.

   6. — Lors du séjour à Moscou d’une délégation du Parti travailliste britannique, vous avez exprimé, si je suis bien informé, votre con fiance dans la possibilité d’établir des relations amicales entre l’Union Soviétique et la Grande-Bretagne. Qu’est-ce qui pourrait aider à rétablissement de telles relations, qui sont ardemment souhaitées par la grande masse du peuple anglais ?

   Réponse. — J’ai réellement confiance dans la possibilité d’établir des relations amicales entre l’Union Soviétique et la Grande-Bretagne. Le renforcement des liens politiques, commerciaux et culturels entre ces pays contribuerait considérablement à l’établissement de telles relations.

   7. — Croyez-vous que le retrait, à bref délai, des troupes américaines de Chine soit d’une nécessité vitale pour la paix future ?

   Réponse. — Oui, je le crois((La Pravda du 15 septembre 1946 avait consacré un long article au sujet des troupes américaines en Chine, citant notamment ce commentaire du World News and Views : « Il faut chercher la clé des événements d’Asie orientale dans une juste appréciation de la politique offensive que mène l’impérialisme anglais et américain. Cette offensive — économique au premier chef — vient des gros monopoles, mais elle est soutenue par une action de l’Etat et par des moyens militaires. » La première promesse de retrait des troupes avait été faite le 7 novembre 1945 par le secrétaire d’Etat américain Byrnes. Au début de l’année 1946 il y avait en Chine plus de 80 000 soldats américains. Tandis que l’URSS comme elle s’y était engagée, terminait le retrait de ses troupes de Mandchourie le 3 mai 1946, les Américains mettaient leurs avions de transports et leur flotte au service de Tchiang Kaï-chek qui se préparait à la guerre civile ; il rompit effectivement les accords de trêve Marshall en juin 1946. Comme l’écrit la Pravda : « Les chiffres sont éloquents — cités par le Président Truman — relativement aux livraisons du prêt-bail. D’après ce rapport, la valeur des livraisons militaires faites par les Etats-Unis à la Chine durant les cinq mois qui ont suivi la fin de la guerre a dépassé 602 millions de dollars, ce qui égale presque la totalité des livraisons militaires des Etats-Unis à la Chine durant les années de guerre avec le Japon. » Mais l’aide américaine devait se révéler incapable d’enrayer la Révolution chinoise. La Chine perdue pour eux, les Etats-Unis allaient désormais consacrer une importante partie de leurs efforts sur l’Europe.)).

   8. — Considérez-vous que le monopole défait de la bombe atomique, détenu actuellement par les Etats-Unis, constitue une des principales menaces pour la paix ?

   Réponse. Je ne considère pas la bombe atomique comme une force aussi sérieuse que certains hommes politiques inclinent à le croire. Les bombes atomiques sont destinées à intimider ceux qui ont les nerfs faibles, mais elles ne peuvent décider de l’issue d’une guerre, parce qu’elles sont absolument insuffisantes pour atteindre ce but. Certes, la possession monopolisée du secret de la bombe atomique représente une menace, mais il existe au moins deux remèdes à cet égard : a) la possession monopolisée de la bombe atomique ne peut durer longtemps ; b) l’usage de la bombe atomique sera interdit.

   9. — Croyez-vous qu’à mesure que l’Union Soviétique avancera dans la voie vers le communisme les possibilités d’une coopération pacifique avec le monde extérieur ne diminueront pas, dans la mesure où cela regarde l’Union Soviétique ? Le « communisme dans un seul pays » est-il possible ?

   Réponse. — Je ne doute pas que les possibilités d’une collaboration pacifique, loin de décroître, ne feront qu’augmenter. Le « communisme dans un seul pays » est parfaitement possible, particulièrement dans un pays tel que l’Union Soviétique.

Vie Soviétique, n° 16, 5 octobre 1946. Paris.

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