1. organisations non confessionnelles

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#14 – Les organisations d’enfants II

1. Organisations non confessionnelles

   Dans cette section nous rangerons les œuvres « laïques » proprement dites, les organisations socialistes et enfin des organisations comme la Ligue maritime et coloniale et les organisations sportives.

La Confédération générale des œuvres laïques (ou Ligue de l’enseignement)

   La Ligue de l’enseignement est une organisation qui date de l’institution de l’école laïque en France. Cette organisation connut sa plus grande activité aux années d’avant-guerre, à l’époque où les gouvernements bourgeois républicains, selon l’expression de Lénine, « ont tenté de détourner du socialisme l’attention du peuple en menant une campagne quasi libérale contre le cléricalisme ». Depuis la guerre la Ligue de l’enseignement et les organisations similaires ont à peu près abandonné toute activité anticléricale bourgeoise, mais ce masque anti-religieux dont s’était parée cette fraction quasi libérale de la bourgeoisie permet encore à beaucoup de ces organisations d’entraîner à leur suite des maîtres et des ouvriers de sentiments révolutionnaires.

   Malgré son assez faible activité, la Ligue de l’enseignement reste une énorme organisation. Elle groupe plus de 10.000 sociétés diverses comprenant 500.000 membres environ. La proportion d’enfants qui font partie de cette organisation n’est pas indiquée, mais on peut évaluer leur nombre à des centaines de mille.

   En 1931 la Ligue groupait les organisations suivantes :

Amicales laïques d’anciennes ou anciens élèves                             5.012

Patronages scolaires                                                                                    1.554

Universités populaires                                                                                 77

Cercles populaires                                                                                         303

Coopératives scolaires                                                                                 9.091

Amis des écoles                                                                                               ….

Sou des écoles                                                                                                 ….

Éclaireurs de France (boy-scouts)                                                            8.500

   Ces sociétés étaient constituées en 62 fédérations départementales, et elles sont en immense majorité des œuvres scolaires ou postscolaires (la plupart des sociétés recensées ont plusieurs activités).

   Les patronages laïques ont une activité assez semblable à celle des patronages catholiques, auxquels la politique des petites villes les oppose. Les coopératives scolaires sont des associations d’enfants destinées à suppléer aux manques de l’école « laïque » et « gratuite ». Par leurs travaux, par la culture de jardinets dont elles vendront les produits, par une mendicité déguisée sous la forme de cotisations (payées en fait par les parents) ou de placement de billets de loterie, la coopérative fournit aux enfants des ressources qui, mises en commun, permettront l’achat de livres et de cahiers. Les membres de la coopérative allument les feux, balaient, vont chercher l’eau, nettoient les cabinets, bref suppléent de leur mieux à l’abandon et au manque de ressources dans lequel le capitalisme laisse ses écoles. On voit donc qu’une grande partie des organisations de la Ligue sont des organisations de secours aux défaillances du capitalisme et non de lutte contre celui-ci.

   La Ligue dispose d’une presse locale assez importante (50.000 exemplaires). Le président de la Ligue est socialiste. Marcel Déat et Marceau Pivert, deux des leaders en vue du Parti S.F.I.O., sont parmi les membres les plus écoutés de l’organisation. La Ligue a été reconnue d’utilité publique par le gouvernement Tardieu. Elle est subventionnée par le ministère de l’Instruction publique et par le sous-secrétariat de l’Éducation physique, qui n’est qu’une succursale du ministère de la Guerre. Les conseils généraux et les communes la subventionnent également. Dans le seul département des Bouches-du-Rhône ces subventions atteignent 600.000 francs par an.

   La Ligue recrute ses membres principalement parmi la petite bourgeoisie et, dans une certaine mesure, parmi le prolétariat. Les instituteurs y jouent un grand rôle.

   L’organisation est placée sous l’influence du Parti radical et du Parti socialiste. Elle subit en outre une forte influence franc-maçonne. Elle est liée à la C.G.T. et aux organisations bourgeoises de libre pensée.

   La fédération sportive de l’organisation, l’U.F.O.L.E.P., est une de ses principales forces. La préparation militaire joue un rôle de premier rang dans cette fédération, qui porte ses efforts sur quatre sports : la course à pied, le cyclisme, la natation et le tir. Le tir peut difficilement passer pour un sport pacifiste.

   En 1932 au congrès de la Ligue, à Clermont-Ferrand, il se produisit un incident caractéristique. À la présidence d’honneur de la séance solennelle d’ouverture se trouvait le général commandant la région. Certaines fédérations, qui croyaient peut-être de bonne foi au « pacifisme » de l’œuvre, protestèrent. On leur répondit que le ministère de l’Éducation physique avait toujours trop tendance à considérer la Ligue comme une société de préparation militaire et que c’est à ce titre que celui-ci avait délégué à la présidence du congrès ce général. Le congrès, après avoir déclaré que la Ligue n’était pas seulement une organisation de préparation militaire, s’inclina, et l’on passa à un rapport du socialiste de gauche Marceau Pivert, ceci toujours sous la présidence du général.

   En général, cette organisation « laïque » a un fonctionnement assez semblable à celui des œuvres catholiques correspondantes, et ses effets sont assez semblables. Même préparation militaire sous le couvert du sport, même propagande coloniale (Ia Ligue collabore avec des organisations comme la Ligue maritime et coloniale), même propagande pour le scoutisme avec emploi des mêmes méthodes et des mêmes ouvrages. On comprend dans ces conditions que certains ouvriers envoient indifféremment leurs enfants chez les laïques ou chez le curé, ne voyant pas de différence entre ces deux organisations.

   Toutefois, dans certaines localités, les éléments ouvriers et révolutionnaires ont une influence prépondérante dans les patronages laïques. Dans ce cas comme dans celui où l’on entrevoit la possibilité de noyauter l’organisation, ce sera le devoir du maître de participer à cette organisation.

   Malheureusement, dans de nombreux cas, des révolutionnaires sincères, trompés par le mirage de la laïcité, se laissent entraîner dans ces organisations, où ils font malgré eux le jeu de la bourgeoisie qui les dirige. Un maître révolutionnaire qui participerait à de semblables groupements de préparation militaire sans autre but que de combattre la fraction cléricale de la bourgeoisie en faisant pièce au patronage du curé commettrait une grave erreur.

Organisations socialistes

   Jusqu’à l’année dernière le Parti socialiste se contentait des organisations laïques, placées sous son influence. Il a maintenant, à l’exemple de la social-démocratie autrichienne, allemande et belge, fondé son propre mouvement d’enfants, celui des Faucons rouges.

   Nous avons peu de renseignements sur cette organisation, qui n’est encore, à proprement parler, qu’en formation et où l’activité est encore très limitée. Nous noterons ici cependant les caractéristiques de l’organisation internationale des faucons rouges.

   L’organisation a été fondée avant la guerre en Autriche. En 1914, la social-démocratie autrichienne la mit au service du gouvernement de François-Joseph et organisa une croisade de charité pour l’enfance malheureuse. Après la guerre elle créa des sections en Allemagne, en Tchécoslovaquie, au Danemark, en Belgique, aux États-Unis.

   Voici la loi du Faucon rouge (nous transcrivons celle des F.R. belges) :

  1. Le Faucon rouge reconnaît faire partie de la classe ouvrière;
  2. Le Faucon rouge est toujours fidèle à ses camarades;
  3. Le Faucon rouge voit dans chaque ouvrier un frère;
  4. Le Faucon rouge est serviable;
  5. Le Faucon rouge exécute toujours les ordres du chef qu’il a librement choisi ;
  6. Le Faucon rouge respecte toute opinion sincère même s’il la combat;
  7. Le Faucon rouge est courageux et jamais désespéré;
  8. Le Faucon rouge est toujours propre dans ses paroles et dans ses actes;
  9. Le Faucon rouge est abstinent et combat le poison du tabac;
  10. Le Faucon rouge préserve son corps et le fortifie;
  11. Le Faucon rouge est un ami et un protecteur de la nature.

   Cette loi est fortement influencée par la loi scoute, dont elle reproduit différents paragraphes presque sans aucune modification. Mais elle se drape dans une phraséologie pseudoprolétarienne. Si le Faucon rouge n’a pas comme règle de combattre le capitalisme, mais seulement le « poison du tabac », il reconnaît faire partie de la classe ouvrière et voir un frère dans tout ouvrier. Cette démagogie est fréquemment plus accentuée encore.

   Mais la pratique est tout autre. Les Faucons rouges allemands, par exemple, avant de s’effacer devant Hitler, participèrent au lancement du cuirassé Deutschland; leurs chefs félicitaient et encourageaient les œuvres d’enfants catholiques et protestantes; ils ne proposaient à l’épouvantable détresse de l’enfance allemande d’autre remède que des aumônes des moins malheureux aux plus malheureux et se gardaient bien de poser des revendications. Tout à fait caractéristiques sont les principales fêtes des F.R. : la fête d’automne et de printemps, la fête de mai, la fête de la Révolution bourgeoise et… la fête de Noël.

   En France, l’organisation des Faucons rouges s’est lancée par une tapageuse République des enfants qui s’est tenue au cours de l’été 1932 à Draveil et qui réunissait des enfants allemands et des enfants français, grâce à l’appui financier des syndicats réformistes et des municipalités socialistes. Le camp est divisé en villages, et une des principales cérémonies qui eut lieu au camp fut une élection menée selon toutes les traditions démocratiques : affiches, réunions électorales, discours. Les candidats opposés avaient chacun leur programme. Voici, d’après le journal gouvernemental l’Œuvre, très favorable au camp, les mots d’ordre posés par les enfants : « Nous voulons davantage à boire, nous voulons nous baigner deux fois par jour, nous ne voulons pas faire la vaisselle tous les jours ». Ces élections se déroulaient dans le champ clos du camp, et les dirigeants s’efforçaient de maintenir les enfants dans le cadre de cette vie factice. La solidarité des enfants prolétariens de France et d’Allemagne, les revendications vitales des enfances sous-alimentées et mal vêtues de ces deux pays, le fascisme qui allait s’établir en Allemagne, la guerre, tout cela était à dessein oublié par les dirigeants socialistes de Draveil. Un journaliste socialiste, décrivant une manifestation du même ordre en Belgique, conclut : « Ce qu’elle nous offre a au moins le mérite d’être un effort vers la beauté, par la simplicité et par la franchise… Mots d’ordre qui ne tiennent peut-être pas très bien compte des intérêts immédiats des jeunes prolétaires… »

   L’organisation socialiste d’enfants est placée sous la direction de Grumbach. On se doute que cet « homo », qui partage avec Baden-Powell l’avantage d’avoir été espion pendant la guerre, orientera cette organisation dans le sens qui servira au mieux les intérêts du capitalisme. Depuis un an l’organisation socialiste a fait de gros progrès, dûs surtout, semble-t-il, à la pratique du camping. Si l’on en juge par ses effectifs dans la Région parisienne il ne doit pas y avoir loin de 10.000 Faucons rouges à l’heure actuelle.

Organisations à buts impérialistes avoués

   La Ligue maritime et coloniale est la plus importante de celles-ci. Fondée en 1899, elle avait, en 1929, 675.000 membres, parmi lesquels une assez forte proportion d’enfants. Sa revue Mers et colonies tire à plus d’un demi-million d’exemplaires. La société est reconnue d’utilité publique et agréée par le ministère de la Guerre. Elle a eu comme présidents successifs Paul Doumer et Alexandre Millerand. Le président Lebrun a été un de ses plus actifs propagandistes. Son président actuel est Adolphe Rio. Sa propagande est incessante. Au service de la Ligue l’amiral Guepratte organise des meetings dans toute la France. Des propagandistes, officiers et curés parcourent sans arrêt la France pour recruter des membres à la Ligue aussi bien dans les lycées, écoles normales, écoles supérieures que dans les écoles catholiques.

   La devise de la Ligue est : « Assurer la sécurité nationale, la richesse économique et le rayonnement intellectuel de la France. L’aider à sortir de la crise par l’exploitation des colonies et son rayonnement sur la mer ». La cotisation de la Ligue est minime. Elle procure à ses membres de menus avantages (concours, bals, réductions dans certains établissements).

   Le service de la revue est fait à tous les adhérents. Elle est entièrement consacrée à la propagande maritime et coloniale et on y trouve des annonces telles que celle-ci :

   Un concours de six emplois de secrétaire de première classe de police pour l’Indochine est ouvert… Pour tous renseignements s’adresser, etc.

    La Ligue possède une école destinée à former des cadres à la marine. Des voyages sont organisés par elle et offerts gratuitement à ses boursiers. Deux bateaux-écoles, le Jeanne d’Arc et le Jacques Cartier, sont mis à la disposition de la Ligue, qui y organise des voyages au long cours pour ses jeunes adhérents. La perspective de tels voyages aide au recrutement de la Ligue.

   Elle possède des sections dans toute la France et dans beaucoup d’écoles. Elle constitue ainsi une pépinière d’hommes pour les besoins maritimes et coloniaux de l’impérialisme français. Son recrutement semble être petit-bourgeois dans une très large proportion.

   Il existe sur le même modèle une Ligue aéronautique, qui attire la jeunesse par des visites aux camps d’aviation, des voyages en avion, des écoles de vol à voile, etc. Comme la précédente, elle travaille en union avec les organisations d’enfants religieuses ou laïques.

   Il existe aussi une organisation des Amis de la Pologne, organisation à caractère nettement antisoviétique et qui recrute assez intensivement dans les lycées et collèges en promettant aux enfants des voyages au paradis pilsudskiste. Du même ordre est l’organisation des Amis de la Tchécoslovaquie, qui a le privilège de compter parmi son comité de patronage Eugène Schneider et… Léon Blum.

   La Ligue de la Croix-Rouge enfin, qui dissimule un peu plus ses buts impérialistes, groupe 50.000 enfants. Elle organise des correspondances internationales d’enfants avec les vassaux de la France : Yougoslavie, Pologne, etc. Notons aussi le Touring Club et le Club alpin, aux préoccupations impérialistes plus ou moins avouées et qui recrutent, eux aussi, dans une certaine mesure parmi les enfants.

Organisations sportives

   Nous avons déjà souligné leur importance dans l’étude que nous avons faite des organisations cléricales et laïques. Elles sont, à proprement parler, des organisations destinées plutôt aux adolescents qu’à l’enfance.

   Elles jouent un rôle de premier plan dans la préparation de la guerre et elles sont en règle générale des organisations de préparation militaire. Elles sont contrôlées directement par le ministère de la Guerre et le ministère de l’instruction publique sein du Comité national des sports. À ce comité adhèrent 28.000 sociétés, groupant 4.200.000 adhérents. La moitié de ces sociétés sont adhérentes à la super-fédération de préparation militaire créée par Tardieu. Ce sont donc des millions d’adolescents travailleurs qui sont détournés de la lutte de classe par le sport bourgeois et qu’on fait servir à la préparation à la guerre. Notons aussi l’existence de l’Union sportive du travail, contrôlée par les réformistes et les socialistes.

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