Extraits des 5e, 6e et 7e séances

3e Congrès

IIIe Internationale

Extraits des 5e, 6e et 7e séances

   Source : Le bulletin communiste, numéro 32 (deuxième année), 4 août 1921, avec en introduction le texte suivant : « Nous publions ci-dessous les discours prononcés par les camarades Heckert, Radek, Clara Zetkin, Friesland et Rakovsky, au cours des 5e, 6e et 7e séances du congrès de l’Internationale Communiste, séances présidées par Kœnen et Loriot. Ces discours ont trait au parti communiste Allemand, aux événements de mars, à la scission italienne et aux cas Serrati et Paul Levi. Ils constituent les documents les plus récents que nous ayons reçus de Moscou. »


Discours de Heckert

   Heckert. — Camarades, la question italienne a provoqué une crise au sein du parti allemand pour les raisons suivantes. Dans le parti communiste allemand, un certain nombre de chefs étaient d’avis que la scission faite à Livourne, où les éléments communistes du parti socialiste italien se séparèrent des gens de Serrati, fut provoquée par l’Exécutif, que l’Exécutif avait l’intention de quitter la voie déterminée par le 2e congrès et de transformer en sectes les partis de masses. Donc, les discussions au sein du parti communiste allemand amenèrent un certain nombre de chefs de la Centrale à déclarer qu’ils ne sont pas d’accord avec la majorité de la direction du parti. Cette direction n’envisage pas la question italienne de la même manière que Paul Levi et quelques-uns de ses amis ; ils ne peuvent donc continuer à collaborer à une politique qui mène à l’abîme. Quel était l’état de choses ? Au 2e congrès mondial, où Serrati siégeait au titre de président, il fut décidé que ce dernier devait retourner dans son pays comme un élément révolutionnaire honnête qui devait gagner les ouvriers italiens au communisme. Il commença immédiatement après le congrès mondial à saboter les décisions qui y avaient été adoptées. Et lorsqu’il sentit le coup de fouet qui devait lui rappeler son devoir de communiste, il se mit à écrire des lettres et des articles dans lesquels il prit une attitude nette contre l’Internationale Communiste. Le soi-disant organe socialiste scientifique des Indépendants allemands, Le socialiste de Breitscheid((Rudolf Breitscheid (1874-1944), ministre de l’intérieur de la Prusse en 1918-1919, retournera au SPD en 1922.)), publia, le 18 décembre 1920, un article de Serrati. On pouvait y lire que la révolution ici en Russie ne profite pas aux larges masses du peuple travailleur, mais que c’est une bourgeoisie soviétiste criminelle qui mène une vie dépravée aux dépens du peuple épuisé et résigné. C’était là une assertion si violente que même Dittman et Crispien n’en avaient jamais formulé de pareille. Cette assertion avait uniquement pour but de démontrer l’excellence des sentiments révolutionnaires de Turati, qui prenait position contre la bourgeoisie soviétiste menant une honteuse politique contre le malheureux peuple russe. On nous a relaté les magnifiques discours prononcés par Turati au Parlement italien, discours si touchants que Turati avait été embrassé par un membre même du futur parti communiste. « Si donc, disait Serrati, Turati se comporte de la sorte dans le parti socialiste, il nous est impossible de nous séparer de lui. Les communistes qui se trouvent dans le parti socialiste demandent une chose parfaitement injuste. »

   C’est alors qu’eut lieu le congrès de Livourne, auquel le camarade Levi assista au nom du parti communiste allemand. Paul Levi est l’un des chefs qui suivent de près ce qui se passe au sein de l’Internationale. Il devait avoir connaissance des assertions de Serrati publiées par Le Socialiste de Breitscheid. Mais à Livourne, au cours des pourparlers, Paul Levi n’attaqua pas assez énergiquement Serrati. Les camarades italiens nous l’ont à nouveau affirmé. Bien au contraire, il soutint, par son attitude, la tendance représentée par Serrati. Soutenu par l’attitude de Levi, Serrati devint plus hardi et adopta à l’égard des éléments de gauche du parti italien une attitude telle qu’il ne voulait même plus parler de l’expulsion de Turati et de Treves. Et lorsque nos camarades communistes posèrent la question : « Ou avec les communistes et la 3e Internationale, ou avec Turati et Treves », Serrati crut de son devoir de quitter l’Internationale Communiste et de s’engager dans la voie du réformisme. Et, alors, Levi et quelques-uns de ses camarades estimèrent que si Serrati s’était engagé dans une telle voie, la faute en incombait aux représentants envoyés à Livourne par l’Exécutif. La scission avait été mal accomplie. On estime tout simplement que la scission qui s’était produite à Livourne avait pour but de dissimuler le dessein bien déterminé de transformer à nouveau le parti de masses en un parti restreint. Et lorsque la majorité du Conseil national de notre parti déclara qu’il lui était impossible d’admettre que Levi eût raison, mais que d’après les renseignements reçus sur les événements d’Italie il paraissait clair que la tendance de Serrati faisait un jeu honteux contre les ouvriers et que par là même la scission s’imposait. Lorsqu’on voulut vérifier si l’Exécutif était d’accord avec les représentants qu’il avait envoyés a Livourne, Levi crut nécessaire de se moquer de la Centrale allemande, qu’il avait récemment quittée, ainsi que de tout le Conseil National, auquel il dit : « Nous aussi, nous ne pouvons pas suivre la même voie et accepter celle de la majorité du Conseil National. Elle s’est adressée à l’oracle de Delphes, afin d’apprendre de la Pythie le véritable sens des événements d’Italie. Nous nous estimons capables, en nous basant sur les principes, de tirer nous-mêmes les conclusions qui résultent de ces événements et d’établir notre jugement. S’il arrive que la majorité du Comité National obtienne de Moscou la réponse qui lui convient, qu’est-ce que cela peut signifier ? Tout simplement que l’Exécutif s’est également trompé dans l’appréciation des conditions concrètes et des conséquences qui en découlaient forcément. »

   Paul Levi dit ensuite dans le même article : « Nous — c’est-à-dire lui et ses amis qui avaient quitté la Centrale — nous le refusons absolument, de même que nous refusons de condamner Serrati après nous être solidarisés avec lui. Nous nous refusons à formuler notre jugement sur l’Italie — jugement d’étrangers. Nous critiquerons plutôt les événements d’Italie et l’attitude adoptée par l’Exécutif en nous basant sur les faits qui lui ont servi à formuler son jugement. »

   Malgré les nombreuses accusations qui accablaient Serrati, Paul Levi se refusa à le condamner ; mais Serrati n’est pas seul dans le parti socialiste Italien, et il n’y a pas que le cas Serrati. Nous devons en rappeler un ici qui est encore plus frappant. Il y a, dans ce parti socialiste italien, qui était membre de la 3e Internationale, un certain monsieur d’Aragona. A ce titre, il assista au congrès de la bureaucratie syndicale d’Amsterdam, tenu à Londres, et collabora avec Thomas(( James Henry Thomas (1874-1949).)), Fimmen((Eduard Fimmen (1881-1942), syndicaliste néerlandais.)) et les autres criminels d’Amsterdam, à l’élaboration d’un manifeste dans lequel il était dit qu’on devait se détourner avec horreur des Moscovites et rester fidèles à l’Internationale d’Amsterdam. Voilà quels étaient les chefs du parti socialiste Italien, desquels, suivant l’opinion de Levi, il était impossible de se séparer.

   Et, camarades, le parti communiste Italien et les camarades de l’Exécutif qui lui indiquèrent le chemin, eurent-ils peut-être tort d’estimer ainsi ce parti socialiste italien ; peut-être était-ce un parti qui désirait rester membre de la 3e Internationale et continuer à travailler dans son esprit. Mais il est très intéressant alors de voir que l’Avanti, l’organe central des Serratistes ou des Turatistes, et des trois camarades Lazzari, Maffi((Fabrizio Maffi (1868-1955), allait entrer dans le parti communiste italien en 1924.)) et Riboldi((Ezio Riboldi (1878-1965) allait lui aussi entrer dans le parti communiste en 1924. Lazzari, Maffi et Riboldi étaient délégués du Parti Socialiste Italien au 3e congrès de l’Internationale Communiste. Ils allaient en rentrer décidés à expulser les réformistes du PSI pour assurer son intégration à l’IC.)), écrit ce qui suit sur le congrès de Moscou, dans un article du 16 juin 1921 :

   « La délégation n’est pas pleine d’espoir comme celle de l’année dernière et n’a pas pour elle l’approbation enthousiaste et sans réserves de notre parti à l’égard de la direction du mouvement international… Les événements nous ont donné raison chaque jour davantage, à nous et à notre manière de voir, non seulement en ce qui concerne les questions italiennes, mais aussi celles de beaucoup d’autres pays.
En France le mouvement communiste se tient un peu plus à droite que le parti socialiste Italien. En Allemagne les lourdes fautes des délégués du Comité Exécutif ont engagé le parti dans une crise des plus graves.
En Russie aussi, si nos renseignements sont exacts, une réaction commence à se dessiner contre l’incompréhension et l’opiniâtreté. Evidemment, ce mouvement ne pourra se manifester au congres. Le camarade Zinoviev est un organisateur habile et expérimenté. Sa manière de voir trouvera une approbation entière et certaine. Mais au sein de l’Internationale se manifeste déjà, une lassitude progressive contre la dictature personnelle qui, en réalité, n’est pas la dictature du prolétariat, mais sa caricature. (Vives protestations.)
Malgré ces pénibles conditions, nos camarades, notamment Clara Zetkin et Paul Levi et beaucoup d’autres, exprimeront cette nécessité. Nous espérons que cela sera entendu par qui de droit. Cette Internationale Communiste ne doit pas être le monopole d’un quelconque individue, et doit vivre, se développer et combattre en pleine connaissance de toutes les situations et en estimant à leur juste valeur toutes les formes de l’activité du prolétariat. »

   Ce même numéro de l’Avanti contient un dessin représentant la lutte entre le parti socialiste Italien et Giolitti(( Giovanni Giolitti (1842–1928), membre du Parti Libéral, était alors premier ministre en Italie.)). Celui-ci est représenté sous la figure d’un fasciste lançant des bombes. Plus loin se tient un homme avec un bulletin de vote à la main, ce qui veut dire que la lutte contre la bourgeoisie, contre les fascistes, doit être menée à l’aide du bulletin de vote. (Vive hilarité.) Ce sont là les braves camarades que Levi voulait conserver à l’Internationale, et à cause desquels il avait, avec quelques-uns de ses camarades, ostensiblement quitté la direction du parti, afin de faire ainsi de la question italienne une question allemande, une question internationale, et de renforcer ainsi les éléments contre-révolutionnaires.

   Camarades, ceci doit nous servir de leçon afin que de semblables cas ne puissent se reproduire au sein de l’Internationale. C’est pourquoi nous approuvons complètement ce que le camarade Gennari((Egidio Gennari (1876-1942).)) a dit au sujet de la question tchécoslovaque. Nous le soulignons : le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste doit accorder la plus grande attention au parti communiste tchécoslovaque, afin qu’au sein de ce parti ne se reproduise un cas semblable à celui de Livourne. Il ne faut pas qu’en Smeral nous trouvions un nouveau Serrati. Des secousses pareilles à celles qui ont ébranlé l’Internationale après Livourne ne sont pas destinées à la faire progresser.

   Je suis chargé de prier l’Exécutif d’agir dans toutes les questions identiques de la même manière que pour la question italienne. (Vive approbation.)

   (…)

Discours de Karl Radek

   Radek. — En ma qualité de membre de l’Exécutif, je suis les débats avec étonnement et satisfaction. Après tout ce que j’avais lu sur la déplorable activité de l’Exécutif, je m’attendais a voir les camarades délégués de l’Europe centrale et occidentale — et même de quelques autres pays plus ou moins liés a l’Europe occidentale — (Rires) prendre la parole l’un après l’autre pour réciter la litanie des péchés de l’Exécutif, pour énumérer devant le congrès toutes nos fautes et conclure qu’ils ne voudraient plus rien avoir de commun avec le monstre et son antre. Au lieu de cela, nous voyons le débat prendre une tout autre allure. Des camarades du K. A. P. D., qui nous reprochent beaucoup de choses, se défendent contre nous. Deux camarades du V. K. P. D, envoyés ici par l’opposition pour régler son compte à l’Exécutif, coupable d’avoir, affirmait-on, organisé une aventure dans l’Europe centrale, d’avoir institué clans le monde une impudente dictature, d’être devenu une véritable Commission Extraordinaire — Tchéka — internationale, comme l’a dit notre ex-camarade Levi, ont pris la parole ici. Or, je n’ai rien entendu de tous ces griefs. Le camarade Neumann se croit — et fait erreur en cela — envoyé a Moscou par ses commettants, pour discuter la question communiste, et le camarade Malzahn(( Heinrich Malzahn (1884-1957). Fils d’ouvrier, mécanicien. Au parti en 1906, dans l’opposition de gauche du syndicat des métallos. Membre du cercle des délégués révolutionnaires. A l’U.S.P.D. en 1917, membre du comité d’action des grévistes eu janvier 1918, de l’exécutif des conseils en novembre 1918, du comité révolutionnaire en janvier 1919, puis président du comité des conseils d’usine de Berlin. Député indépendant en 1920, un des chefs de file de la gauche. Au V.K.P.D. et dans la commission syndicale en 1920. Hostile à l’action de mars, organise cependant la grève dans la Ruhr. Prend la défense de Paul Levi au 3e congrès de l’I.C. Organise l’opposition de droite avec Brass et Friesland, exclu en janvier 1922. revient à l’U.S.P.D. puis au S.P.D. (Rôle politique ultérieur mineur ; arrêté par les nazis de 1940 à 1945.) )) affirme avoir bien agi en disant, après l’aventure « bakouniniste », qu’on avait eu tort de l’entreprendre. Eh bien ! camarades, un proverbe russe s’applique à vous, qui dit : « Il en vous en cuira ». Puisque vous ne critiquez pas, nous vous questionnerons. Je demande aux camarades Neumann et Malzahn, qui ont pris la parole devant le congrès international, après avoir affirmé avec Levi que l’insurrection de mars fut une aventure bakouniniste, je leur demande si ce fut vraiment une aventure bakouniniste ou une lutte des classes, sinon de 500 000 ouvriers, du moins de 200 000 ouvriers, car on nous a aujourd’hui donné ce chiffre. Je laisse à la délégation allemande le soin de le discuter. Je demande seulement si ce fut oui ou, non une aventure bakouniniste et si vous répondez par la négative, que faisiez-vous là-bas, quand vous couvriez Levi de votre nom, alors qu’il jetait l’anathème sur le parti allemand, alors qu’il piétinait l’autorité de l’Exécutif aux yeux des travailleurs de l’Europe occidentale, alors qu’il présentait l’Exécutif comme un groupe d’aventuriers sans scrupules. Mais il ne s’agit point de Levi. Les reproches d’un Levi ne touchent pas l’Exécutif ; mais vous, camarades. Vous prolétaires, vous voulez rester dans le parti communiste, et je vous dis ; On ne peut pas traiter cette affaire avec tant de légèreté. Pendant un mois vous avez été solidaires de Levi, vous l’avez partout suivi dans sa lutte contre l’Internationale Communiste et contre son propre parti et vous venez maintenant ici causer amicalement avec nous et dire  : «  dans l’affaire du K. A. P. D., vous avez eu raison, et quant aux événements, 200 000 ouvriers seulement y ont participé ». Ce n’est pas permis, camarade Malzahn, ce n’est pas permis ? (Vifs applaudissements.)

   Malzahn. — En dix minutes je n’ai pas pu parler de tout.

   Radek. — Camarade Malzahn, votre premier devoir eût été de dire ; « Nous avons commis une faute politique en nous solidarisant avec Levi ». C’était là votre premier devoir. (Applaudissements.)

   Le camarade Malzahn a dit que Zinoviev lui-même trouvait mauvaise la théorie de l’offensive. L’Exécutif l’a dit aux ouvriers allemands qui perdaient leur sang par maintes blessures et qui avaient été vaincus non au cours d’une offensive, mais en défendant leurs positions comme l’agression de Hörsing(( « L’Oberpräsident de Saxe prussienne, le social-démocrate Hörsing, vient de publier un manifeste annonçant son intention de faire occuper par la police plusieurs zones industrielles, dont le secteur minier de Mansfeld-Eisleben, afin d’y « assainir » la situation. Les entrepreneurs de ces régions se plaignent de vols fréquents et la police doit parfois soutenir de véritables batailles rangées contre les « pillards » : il s’agit officiellement d’en finir avec la multiplication de délits de droit commun allant du vol au sabotage, et aux agressions contre le personnel de surveillance des usines. Il ne fait cependant aucun doute que l’objectif réel poursuivi par Horsing est de désarmer les ouvriers — qui ont conservé leurs armes après le putsch de Kapp — et, du même coup, de démanteler un bastion communiste. (…) Ce jeudi 24 mars, les communistes vont tenter par tous les moyens, y compris la force, de déclencher la grève générale. Des détachements de militants essaient d’occuper les usines par surprise afin d’en interdire l’entrée à ceux qu’ils appellent les « jaunes », l’énorme masse des travailleurs non communistes. Ailleurs, ce sont des groupes de chômeurs qui s’en prennent aux ouvriers au travail ou s’y rendant. Des incidents se produisent à Berlin, dans plusieurs grandes entreprises, dans la Ruhr et à Hambourg, où chômeurs et dockers qui ont occupé les quais en sont chassés après une vive fusillade. Le bilan d’ensemble est mince : 200 000 grévistes selon les pessimistes, un demi-million suivant les optimistes. » (Pierre Broué, Révolution en Allemagne, chapitre 26))). Nous devions dire alors que la théorie de l’offensive était erronée. Mais, camarade Malzahn, j’ai sous les yeux la résolution proposée par la camarade Zetkin au Comité Central le 7 avril, un mois après les combats de mars, et voici ce que j’y trouve sur l’offensive : « La nécessité d’intensifier l’activité du V. K. P. D. dans ses actions offensives se manifestait dans la situation économique intérieure et extérieure et nous avions aussi la possibilité d’en parler. » J’ai constaté naguère que si c’est un tort que de se tenir sur les positions de l’offensive, la camarade Zetkin a eu ce tort tout autant que nous. Et vous nous reprochez à nous, qui n’avons pas pris l’offensive, de ne pas avoir blâmé le parti allemand. A quoi nous vous répondrons que nous aurions dû blâmer bien d’autres camarades que ceux auxquels vous pensez. Et aujourd’hui ce ne sont pas seulement les camarades démissionnaires du Comité Central, c’est encore la camarade Zetkin qui pense que la tactique offensive ne doit pas être obligatoire. Nous n’avons pas à nous en réjouir, et le camarade Malzahn, parlant au nom de la tendance que l’on sait, ne peut pas reprocher à Thalheimer et à Frölich d’avoir été les soutiens d’une théorie de l’offensive qui vous fut commune à reparler longuement de ces choses, mais ce que nous voudrions surtout entendre de vous, c’est votre avis sur l’approbation par l’Exécutif de l’exclusion de Levi. Qu’en pensez-vous ? Levi avait pourtant raison, à votre avis, en disant, dans son discours au Comité Exécutif : « Le camarade Pick a dit que nous ne discuterons pas l’offensive de mars en soi, et qu’il s’agit uniquement d’une infraction à la discipline. Je répondis, moi, qu’il s’agit uniquement de savoir si l’offensive de mars fut une faute, comme je le pense et comme le pensent mes amis. S’il en est ainsi, ce sont d’autres qui doivent être exclus. » Vous ne dites plus rien maintenant de l’aventure bakouniniste. On ne peut pas, chers camarades, se défiler ainsi. Parlez nettement. Il faut ici approuver ou condamner le rapport de l’Exécutif, lorsqu’il approuve l’exclusion de Levi. Je vous demande d’adopter une position concrète en présence de la question italienne. Il y a ici des représentants du parti socialiste italien. Il est très important qu’ils fassent, devant le congrès, une déclaration et qu’ils sachent ce que nous en pensons. Nous décidons en ce moment, à propos de la question italienne, de la rectitude de toute la tactique suivie l’an dernier.

   Zinoviev a montré dans son discours que nous nous orientons de manière à attirer les masses à nous ; nous avons pourtant précisé à Livourne que nous ne voulions pas avoir à tout prix des partis de masses. Nous voulons des partis révolutionnaires de masses, et les camarades qui disaient, et qui, en le disant, sont sortis du Comité Contrai du parti allemand, au nombre de cinq, que l’Exécutif avait montré à Livourne qu’il entrait dans la voie de la formation des sectes, ceux-là ont le devoir de dire aujourd’hui, connaissant tous les matériaux que nous avons réunis sur le parti de Serrati, sur sa tactique, sur son évolution de Moscou à Amsterdam, ceux-là ont le devoir de dire aujourd’hui quelle politique sectaire nous avons suivie à l’endroit du parti socialiste italien. Il faut être avec nous ou avec Turati. Si nous avons mal agi à Livourne, si nous ne nous sommes pas conformés aux décisions du 2e congrès qui nous montraient le chemin à suivre vers la formation des grands partis révolutionnaires de masses, nous avons agi tous aussi déplorablement à Halle (Vifs applaudissements), où nous aurions dû admettre également Hilferding et Dittmann que suivaient des masses ouvrières plus considérables encore que celles qui sont avec Serrati et avec ses amis.

   Camarades, nous avons à examiner diverses questions qui n’ont pas encore été abordées. L’Exécutif et le Bureau du congrès ont séparé avec intention les débats sur le rapport de l’Exécutif du débat sur les questions de tactique afin que nul ne puisse croire que nous craignons des responsabilités ou que nous éludons la critique. Notre liaison avec les différents partis était trop précaire ; mais sur l’activité de l’Exécutif nous devons nous exprimer non en termes généraux, mais avec précision, point par point. Ou vous nous approuverez, ou vous ne nous approuverez pas, car le chemin que l’Exécutif voudrait suivre à l’avenir, est celui qu’il a suivi jusqu’à présent. Cela veut dire ; lutte contre les centristes et les demi-centristes dans l’Internationale, discipline des partis Communistes et leur transformation en partis de combat unifiés, lutte contre toute tentative en vue de provoquer les partis de masses à des mouvements prématurés dont il sortiraient diminués. (Applaudissements.) Sur toutes ces questions, le congrès doit avoir une attitude définie.

   Je terminerai en consacrant quelques mots au K. A. P. D., qui tient trop de place dans nos débats. Nous avons présenté ici un tableau réjouissant. La camarade Roland-Holst, qui s’est vu décerner dans un numéro de l’organe communiste ouvrier le titre d’école hollandaise, décline ce titre et défend les fondateurs de ladite école Pannekoek et Gorter. Elle dit : « Notre pays est petit, nous n’avons pas de grandes révolutions, rien d’étrange par conséquent à ce que nos camarades écrivent quelquefois des choses qui paraissent singulières ! » Nous pourrions ajouter d’autres explications aux siennes. Il y avait un astronome qui, ne regardant que les étoiles, n’avait jamais vu un ouvrier vivant. Tel autre est philosophe et, par-dessus le marché, poète. (Rires.) Et, quand le camarade Ceton((Jan Cornelis Ceton (1875-1943).)), parlant au nom du parti hollandais, proteste contre l’école hollandaise, je suis avec lui. Mais quand les camarades du K. A. P. D. se manifestent ici avec tout leur fanatisme sectaire, en ne songeant qu’aux questions de leur secte, cela montre tout le mal que l’absorption des produits hollandais peut faire à la cervelle de certains militants. Et quand prennent ici la parole de nombreux orateurs, avec qui nous aurons à polémiquer, cela ne veut pas dire que l’école hollandaise cristallise une tendance que l’on verra désormais partout où le mouvement communiste ne fait que commencer. La bataille doit se décider ici, dans cette salle. Il faut que l’on dise si l’Internationale Communiste avait raison de suivre le chemin qu’elle a suivi l’an dernier. Et quand après de longues épreuves elle vous dit que le temps des plaisanteries est passé, que vous avez à choisir entre l’école hollandaise et l’Internationale Communiste, votre résolution, camarades, sur le rapport de l’Exécutif, préjuge de toutes vos résolutions sur toutes les questions inscrites à l’ordre du jour. Si vous tranchez la question comme elle doit l’être, il vous suffira, pour certaines autres questions, de les examiner rapidement, car tout notre travail passé a été poursuivi dans le même milieu et dans le même sens, c’est-à-dire vers les masses, avec les masses, vers la lutte révolutionnaire. (Vifs applaudissements.)

   (…)

Discours de Clara Zetkin

   Clara Zetkin. — Camarades, dans son rapport d’avant hier, le camarade Zinoviev égrène le chapelet de mes péchés et le camarade Radek l’a suivi hier dans cette bonne voie. Je vois qu’en ma qualité d’une des principales accusées on m’a autorisée de faire un discours plus long que les autres, car il est impossible d’effleurer cette question en dix minutes. D’abord, en ce qui concerne la série des mes péchés, je constate que, durant toute ma vie, je n’ai jamais ni conspiré ni échangé de correspondance avec le camarade Nobs(( Ernst Nobs (1886-1957), dirigeant du Parti Socialiste Suisse.)), de Zurich, et affirmer le contraire, c’est se tromper.

   Passons maintenant à la question italienne et à mon attitude à cet égard, qui eut une influence décisive sur ma sortie du Comité Directeur du parti communiste allemand. Voici ce que j’ai à en dire. A en juger d’après la manière dont cette question a été traitée par les camarades Zinoviev, Heckert, Radek et autres orateurs, j’ai eu l’impression qu’on l’a beaucoup trop exclusivement traitée comme un cas « Serrati » au lieu de la poser comme une question intéressant toute la masse prolétarienne italienne. Cette masse, à notre regret, ne s’est pas encore placée nettement et résolument, au point de vue idéologique, sur le terrain du communisme. On a beaucoup parlé ici du manque de sincérité, de la traîtrise et des tergiversations de Serrati. Vraiment, camarades, je ne pouvais pas me décider à prononcer un jugement dans la question italienne en vertu des arguments qui revenaient toujours à savoir que Serrati est un mauvais gars dont on ne peut pas comprendre clairement la politique indécise et hésitante. Camarades, nous devons juger la question prise par un homme politique d’après sa conduite morale et sa ligne de conduite politique qui, tracée sans déviation, doit mettre tout à fait au clair amis et ennemis, eh bien, camarades, si nous devions faire cela, alors — et j’insiste que je suis bien loin d’en vouloir à qui ce soit — alors, camarade Radek, j’en « verrais plus d’un qui n’est pas là », du fait de sa conduite indécise, hésitante et souvent versatile.

   Camarades, aucune question personnelle n’existe pour moi. A la vérité, je n’appartiens point à ceux qui, au dire du camarade Zinoviev, regretteraient de ne point voir la table présidentielle décorée par la belle barbe de d’Aragona, qui m’est, au reste, absolument inconnu.

   Non, camarades, je vous le dis franchement, mon sentiment esthétique est parfaitement satisfait par la chevelure bouclée de notre ami Zinoviev. (Rires.) Et si je voulais juger d’après mes sympathies personnelles et former ma décision, eh bien, je le déclare franchement, mon sentiment de sympathie n’appartiendrait pas à Serrati, mais beaucoup plus à Turati, qui est un caractère entier, quoique je trouve sa politique horrible et que je considère qu’il faut lutter contre elle le plus énergiquement possible. Mais, pour ma part, j’ai toujours considéré, pour m’orienter, les masses, et celles-ci suivent encore malheureusement Serrati. Je dis une chose : si Serrati était réellement l’homme dépeint dans les documents produits par Zinoviev, je ne comprends alors pas qu’on ait pu nommer Serrati au Présidium du 2e congrès, et qu’on n’ait pas agi beaucoup plus tôt et plus énergiquement pour amener une scission et liquider la situation d’une façon claire et nette.

La situation du parti Italien

   Camarades, je pouvais pourtant bien comprendre l’hésitation de l’Exécutif à intervenir par une action violente dans le développement des rapports du parti italien. Le parti italien avait été un des premiers grands partis qui s’était reconnu sans réserves, dans un temps difficile, dans la 3e Internationale. Les événements de septembre ont montré que le parti italien ne fut pas capable de saisir la situation et d’en tirer tout le parti révolutionnaire pour entamer un combat politique de grande envergure tendant à s’emparer du pouvoir politique ou tout au moins d’esquisser une attaque puissante pour se saisir de ce pouvoir.

   Le camarade Terracini nous a déclaré ici que le Comité du parti avait débattu pendant deux journées la question de savoir si l’on devait ou non faire la révolution. A mon avis, il aurait mieux valu que les chefs du parti eussent, dans cette situation, décidé d’entreprendre la lutte politique avec tous les moyens. On aurait pu voir alors jusqu’où l’on pouvait s’avancer dans la voie révolutionnaire. Mais je ne puis pas attribuer à Serrati toute la faute de ce que cette résolution n’aie pas été prise. Serrati ne se trouvait pas en Italie a ce moment.

   Ce fait me montre une chose, c’est que le parti italien, sur lequel nous avons jeté des regards fiers et étonnés, n’était pas ce qu’il devait être, ni du point de vue idéologique, ni au point de vue de son organisation. Mais je vois encore autre chose : c’est qu’alors les masses qui s’étaient soulevées en Italie n’avaient pas fait plus de progrès que leurs chefs, car autrement, camarades, et ce que je vais dire, je l’ai toujours pensé et je le pense encore aujourd’hui, si les masses étaient vraiment animées de la volonté révolutionnaire et si elles étaient conscientes, elles auraient hué, ce jour-là, la décision de leurs chefs hésitants et se seraient engagées sans leur aide dans le combat politique.

   Heckert. — C’est la même justification que plaident les Scheidemann pour leur trahison de 1914. (Bruit, mouvements divers.)

   Clara Zetkin. — Je vous en prie, cela n’est point une justification, mais une constatation du fait historique que le niveau des chefs est toujours en rapport avec celui des masses. Certainement, l’attitude des chefs peut quelquefois avoir une influence décisive, mais un prolétariat vraiment mûr et révolutionnaire produira toujours lui-même, aux moments décisifs, des chefs qui remplaceront les anciens. Je ne dis pas cela pour atténuer en quoi que ce soit la faute des chefs politiques, mais pour une tout autre raison, c’est pour montrer que l’Exécutif aurait dû absolument user de tous les moyens possibles pour qu’un parti unifié idéologiquement et possédant une organisation parfaite fût constitué. Ce parti devrait pouvoir diriger lui-même le travail des masses encore insuffisamment éclairées et animées seulement d’un instinct révolutionnaire et les éduquer.

   C’est sous ce point de vue de la constitution d’un tel parti que j’ai toujours envisagé le problème italien. C’est pourquoi j’ai toujours ouvertement approuvé la décision de l’Exécutif que le parti devait, s’il voulait être membre de la 3e Internationale, se séparer immédiatement et ouvertement des Turatistes. Je souligne ces derniers mots : ouvertement et immédiatement, parce que je désire qu’il n’y ait pas de malentendu et qu’on ne m’impute pas l’opinion qu’on pouvait continuer à faire la politique turatiste et réformiste des soi-disant « unitaristes », politique cachée par une phraséologie communiste. L’existence de ce parti centriste était justement l’obstacle à cette séparation, quoi-qu’il y eût sans doute des masses de prolétaires qui avaient prouvé, tant par leur passé que par le présent, qu’ils cherchaient honnêtement le chemin qui mène au communisme et à la 3e Internationale. Le chemin, elles s’efforçaient de le trouver non pas seulement théoriquement, mais elles étaient prêtes à passer à l’action. J’attache une grande importance à ce que ces masses étaient gagnées au parti communiste d’Italie. Et pourquoi ? Non pas — comme on y a fait allusion ici — que j’avais quelque penchant pour une politique centriste ou à moitié centriste. Mais, pour d’autres raisons. Je savais qu’il y avait parmi ces masses des ouvriers organisés en syndicats et en unions qui justement pouvaient et devaient être les champions de la lutte contre toute politique et tactique réformiste et opportuniste. Et pour une autre raison encore qui devra vous montrer combien je suis éloigné de toute tendance à demi centriste et pacifiste. On m’avait dit — je ne sais pas si c’est juste, et je prie nos amis italiens de rectifier si ce ne l’est pas — que les autorités municipales, les maires et les conseillers communaux en Italie étaient à même de contrôler et d’exercer leur pouvoir sur la police politique. J’ai considéré comme un véritable accroissement de pouvoir des communistes le fait que pendant la guerre civile, en Italie, la force armée ou du moins la police armée leur fut soumise dans des milliers de communes, — naturellement non pas dans le but de faire marcher cette police armée comme garde d’honneur pendant les démonstrations mais pour intervenir dans les conflits dans le sens du combat révolutionnaire.

La motion Clara Zetkin

   La motion que j’ai proposée à la Centrale était somme toute d’accord avec celle du représentant de l’Exécutif. Je ne l’avais changée qu’en un seul point pour dire qu’on devait laisser la porte ouverte à une grande partie d’ouvriers Serratistes s’ils désiraient trouver le chemin qui les mènerait au parti communiste.

   Et que disait cette motion ? Elle se déclarait sans aucune réserve pour la demande de l’Exécutif ; les Turatistes devaient être immédiatement expulsés sans recours possible en leur faveur. En second lieu, la résolution constatait qu’il fallait reprocher à Serrati deux grandes fautes dont il s’était rendu coupable ; à savoir : premièrement, il n’avait pas fait une seule proposition, durant les six mois qui avaient suivi le 2e congrès, qui eût pu contribuer à opérer la scission d’une autre façon. En second lieu, il avait préféré, à Livourne, la fusion avec 14 000 turatistes à celle avec le parti communiste comptant 68 000 prolétaires. La motion déclarait en outre qu’il y avait sans doute derrière Serrati des éléments prolétariens qui désiraient honnêtement le communisme et à qui l’on devait pour cette raison laisser la porte ouverte pour s’entendre avec le parti communiste et s’unir en un seul parti. La motion réclamait encore que l’Exécutif démontrât qu’il n’y avait rien à faire dans cette direction-là. Ensuite elle déclarait qu’il fallait évidemment qu’il n’y eût qu’un seul parti communiste en Italie qui existât légitimement, voire le parti communiste d’Italie, et que ce parti unifié seul peut et doit être soutenu avec forces par tous les partis-frères.

   Camarades, le fait que l’Exécutif accepta à l’unanimité, dans une de ses séances ultérieures, une résolution semblable à la mienne prouve que celle-ci ne révélait aucun penchant centriste. Si donc on m’accuse de tendances centristes à cause de cette motion, eh bien ! je me trouve alors dans la meilleure compagnie.

   Je continue, camarades. Je faisais une tournée dans le pays pour des fins d’agitation, et je ne savais rien de ce qui se passait.

   De retour à la séance de la Centrale, on me communiqua une nouvelle tout à fait inattendue, et l’on me dit qu’on devait de nouveau s’occuper de la question italienne. Je demandai alors pourquoi. On me répondit : « Mais, d’abord parce que Levi a fait, dans une séance de fonctionnaires à Berlin, des déclarations qui exposaient la motion dans un esprit Serratiste, et ensuite parce qu’un représentant de l’Exécutif était arrivé ici de Livourne et avait déclaré que l’attitude adoptée jusqu’alors par le parti ne suffisait plus et devait être changée ». En ce qui concerne la déclaration de Levi, j’osai dire que, tout en prisant très haut ses capacités, je ne pouvais pourtant guère penser qu’il était une personnalité dont l’opinion pût renverser les décisions de toute une organisation. Il aurait suffit que la Centrale déclarât que Levi n’avait pas agi en notre nom, mais qu’il s’était au contraire opposé à nos décisions en interprétant la motion d’une façon ou d’une autre. Une autre motion nous fut proposée par les camarades Thalheimer et Stoecker((Walter Stoecker (1891-1939), membre du SPD, puis de l’USPD, joue un rôle dirigeant dans les conseils d’ouvriers et de soldats à Cologne en 1918, fait partie des dirigeants de l’aile gauche qui poussent à la fusion avec le KPD en 1920. Mort à Buchenwald.)). Je veux encore constater une chose, si la mémoire ne me fait pas défaut (car les matériaux que j’apportais avec moi, l’obligeante police allemande a eu l’amabilité de m’en soulager à la frontière), c’est que la première de ces résolutions fut acceptée par la Centrale à l’unanimité contre une seule abstention et en l’absence d’un membre du Comité. Et voilà qu’on la remet de nouveau à l’ordre du jour simultanément avec celle de Thalheimer-Stoecker, dont je donnerai plus tard les traits caractéristiques. La majorité des membres de la Centrale repoussa la motion Thalheimer-Stoecker, tandis que la vieille motion fut acceptée de nouveau à une grande majorité. J’en avais encore considérablement accentué les termes afin qu’il fût impossible de l’interpréter dans un sens favorable à Serrati. J’avais d’autant plus le droit d’être assurée du résultat favorable que même les représentants de l’Exécutif en Italie avaient dû déclarer que la vieille résolution était suffisante.

   Camarades, on parle beaucoup ici des exigences de la discipline et de la subordination de la minorité à la majorité. On avait pris la décision définitive, à la séance de la Centrale, de proposer la motion, rédigée en termes plus énergiques, au Comité Central au nom de toute la Centrale. Mais on n’avait point assez insisté sur l’interdiction aux membres séparés de proposer de leur côté des motions. Une stricte discipline aurait dû le faire interdire. Maintenant, l’on voit que cela doit être fait d’urgence. Pourquoi me suis-je déclarée contre la motion Thalheimer-Stoecker ? Je dis que je partage cette conception de la discipline, mais je constate qu’on avait décidé que la résolution devait être proposé au nom de toute la Centrale, et aucune autre ! Et par décision de la majorité !

   Heckert. — C’est le contraire qui avait été décidé.

   Clara Zetkin. — Camarades, on avait décidé que cette motion devait être la motion proposée au nom de toute la Centrale ; mais, plus tard, on a déclaré que les membres séparés avaient le droit, à leur gré, de proposer aussi une résolution. Du reste, je voulais dire que cette affaire est tout à fait secondaire et ne change en rien la question essentielle. À mon avis, l’idée de discipline est appliquée trop strictement. Et voici pour quelle raison je fus contre la motion Thalheimer-Stoecker. D’abord, les mobiles de l’exclusion des Serratistes s’y trouvent, outre des autres erreurs déjà constatées et qui caractérisent l’altitude du parti Italien par rapport à la question agraire, des nationalités, des syndicats. Mais toutes trois étaient des questions dont s’était occupé le 2e congrès de l’Internationale, et je pensais que ce serait porter atteinte aux décisions et à l’autorité du 2e congrès mondial que de considérer dans cette question l’attitude du parti sur cette question comme base de cette expulsion.

   En effet, la question surgit, pressante ; si la position prise par les Italiens à l’endroit de cette question n’était pas conforme, et cela à un tel degré, à la politique de toute l’Internationale Communiste, le 2e congrès mondial aurait déjà dû alors exclure le parti Italien de l’Internationale Communiste. Une autre question se pose encore : dans presque tous les partis communistes, il y a jusqu’à présent encore des différences d’opinion touchant les questions de théorie aussi bien que celles de pratique. Je me rappelle que, tout récemment encore, nous avons vu se livrer les combats les plus acharnés sur les questions agraires et syndicales au sein du parti de nos frères russes. Cette différence d’opinion a surgi non seulement au sujet de questions théoriques, mais aussi par rapport à la pratique. Si l’on devait appliquer cette mesure pour décider si tel ou tel parti devait appartenir ou non à la 3e Internationale, il n’y aurait pas un seul parti qui remplisse en ce moment les conditions voulues pour cette adhésion.

   Pour une autre raison encore, j’étais contre la motion Thallheimer, qui déclarait qu’il fallait livrer le combat le plus acharné au groupe Serrati. Je n’avais rien à redire à cette déclaration de guerre contre Serrati, mais mais j’en avais à une déclaration de guerre contre le groupe Serrati. Cette dernière mesure équivaudrait à une déclaration de guerre contre les prolétaires qui voulaient se joindre au parti communiste. Elle me semblait alors être excessivement peu intelligente pour la raison que voici : vous savez qu’on m’a reproché d’avoir fait de la diplomatie avec Serrati. Lorsqu’il était venu à Berlin, il était aussi passé par Stuttgart, pour la raison sans doute très banale qu’il est toujours beaucoup plus facile de parvenir à Berlin et à Stuttgart qu’à Moscou. Mais en quoi consista ma diplomatie ? J’insiste à le déclarer ici. On me dit que Serrati était allé à Berlin et qu’il avait conféré avec les membres de la Centrale allemande. Elle avait décidé d’envoyer à l’Exécutif de Moscou une proposition selon laquelle celui-ci devait nommer et envoyer en Italie une commission spéciale. Cette commission serait chargée de trouver, en collaboration avec le parti communiste et le prolétariat, quelque mode d’arranger l’expulsion des Turatistes et d’opérer la scission. Je me suis donc dit : « Je ne dois pas être plus royaliste que le roi, et si la Centrale a fait cela… (Radek. — Le roi, c’était Levi !)

L’attitude de Serrati

   Clara Zetkin. — C’est ce que je ne pouvais savoir. On me prévint d’être prudente dans mes pourparlers avec Serrati. On me dit de noter ma conversation sitôt après l’entrevue et de l’expédier par courrier à la Centrale pour permettre au camarade Curt Geyer((Curt Geyer (1891-1967), fils d’un pionnier social-démocrate saxon. Etudes supérieures d’économie et histoire. Rédacteur au Vorwärts en 1914 puis au journal du parti du Würzburg. Membre de l’U.S.P.D. en 1917, du conseil de Leipzig en 1918, le préside en 1919. Député à l’Assemblée nationale. Leader des indépendants de gauche, partisan de l’adhésion à l’I.C. A la centrale du V.K.P.D. en 1920, représentant du parti à l’exécutif et au petit bureau. Solidaire de Levi, exclu en août 1921, le suit au K.A.G., à l’U.S.P.D., au S.P.D. (Contrairement à Levi et aux autres « lévites », Geyer ne se joint pas à l’opposition social-démocrate de gauche. Il émigre en 1933 et se fixe en Grande-Bretagne, où il est membre de l’exécutif S.P.D. en exil. Longtemps correspondant de journaux allemands, se retire en République fédérale.) (Notice de Pierre Broué, Révolution en Allemagne))) de prendre la lettre avec lui à Moscou. J’ai fidèlement suivi ce conseil : pendant mon entrevue avec Serrati, on ne peut pas dire que j’eusse été trop diplomatique, car je commençai par lui faire un bon lavage de tête à cause de sa lettre à Lénine et a cause de celle adressée à Longuet à propos de la scission de Tours. Je lui déclarai que c’était une faute, et il l’avoua, en excusant sa conduite par la situation difficile où il s’était trouvé, attaqué de tous côtés, de gauche et de droite et du centre, et sans expérience pour se défendre.

   Tout ce qu’il me dit ne parut pas trop convaincant. Mais je pensais quand même utiliser la situation dans les intérêts d’une scission et d’un éclaircissement au sein du parti Italien. Je dis à Serrati que s’il voulait sérieusement s’entendre avec le parti communiste et avec l’Internationale, il ne suffisait pas, selon moi, de faire sa proposition par l’intermédiaire de là Centrale allemande. Je lui dis que je trouvais plus honnête et plus intelligent, au point de vue politique, de faire la chose suivante : décider le Comité du parti socialiste Italien à apporter de son côté un projet semblable à l’exécutif de Moscou. Après beaucoup de tergiversations, Serrati me le promit. Alors, je le poussai plus loin encore : je lui déclarai que dans sa position cela ne suffisait pas, qu’il devait décider son Comité à envoyer immédiatement une copie de cette proposition au Comité du parti communiste d’Italie en leur écrivant : « Chers camarades, nous vous envoyons la copie d’une proposition que nous faisons à l’Exécutif de l’Internationale, et nous vous prions de prendre connaissance de notre action et de vous solidariser avec elle autant que possible ».

   Camarades, Serrati fut d’accord avec cela aussi sans qu’il eût été convenu entre lui et moi de ce que j’attendais de cette mesure. Et quel était mon but en faisant cela ? Je voulais mettre Serrati dans cette situation : il devrait ou bien accomplir honnêtement la promesse qu’il m’avait faite, ou dans le cas contraire nous aurions eu contre lui une arme pour prouver que sa reconnaissance de la 3e Internationale et toute sa fidélité à elle n’avaient été qu’hypocrisie et qu’elle ne se manifestait qu’en paroles et non en faits.

   Voilà pourquoi je considérais qu’étant donnée cette situation il valait mieux ne pas approuver la motion Thalheimer-Stoecker, car en l’acceptant vous donniez à Serrati un prétexte facile de ne pas tenir sa parole et de ne rien faire pour s’entendre avec le parti communiste Italien et avec l’Internationale. Je me suis naturellement informée auprès de nos amis italiens : Serrati n’avait rien fait en vue de l’exécution de sa promesse. (Ecoutez ! Ecoutez !) Il pouvait à la vérité alléguer le fait que le Comité Central allemand avait accepté la motion qui lui déclarait la guerre. Moi je dois dire que, si j’avais été à la place de Serrati, même cette menace de guerre n’aurait pas ébranlé mon opinion et la conviction que je devais chercher le moyen de me réconcilier avec la 3e Internationale et le parti communiste d’Italie. J’aurais dit que malgré cette motion c’était le moment de montrer mon sincère désir d’adhérer à la 3e Internationale (Applaudissements).

   Camarades, en rapport avec cette décision du Comité Central je dois dire que l’intervention dans nos débats du camarade Rákosi, représentant de l’Internationale en Italie eut une influence décisive sur ma démission de la Centrale.

   Au Comité Central on avait déclaré que le camarade susnommé s’en tenait à sa première idée. Je vous l’ai déjà dit, j’étais assez naïve pour croire que le représentant de l’Exécutif en Italie, vu la situation d’alors, avait agi au nom et d’après les ordres de l’Exécutif. Je n’ai pas pensé un seul instant qu’un représentant de l’Exécutif ait pu faire de telles déclarations en les soulignant de son propre gré et sous sa propre responsabilité, dans notre Comité Central alors que la situation à Livourne était si difficile et si importante. Je reconnais cette faute et je suis fort contente que l’Exécutif n’ait pas approuvé son représentant. Il se peut que je me trompe. Camarades, je ne suis pas de ces esprits théoriques qui, politiciens misérables en pratique, estiment avoir le droit d’être des brillants théoriciens. Mon jugement je l’ai formé d’après les événements créés par la situation d’alors. Je ne pouvais en prendre sur moi la responsabilité dans une situation si difficile.

   Il y avait encore une autre raison pour que je prisse une décision mais je ne voulais pas l’exposer au cours de la discussion afin de ne pas provoquer des plaintes et des offenses personnelles. Je m’étais aperçue qu’une grande partie des membres de la Centrale avaient changé d’opinion. Je n’en fais aucun reproche aux camarades en question. Il m’arrive à moi-même de changer d’opinion vingt-quatre fois par jour et de dire que vingt-trois fois j’avais été bête comme un âne et m’étais trompée. Mais ce que je ne pouvais pas comprendre c’est qu’on changeât d’opinion à la suite de nouveaux arguments non documentés.

   (Interruptions. — Et l’attitude de Levi ?)

   Clara Zetkin. — Mais il ne pouvait donc point inspirer la Centrale. Je ne voudrais pas qu’on crût la Centrale si faible et si pauvre que ses décisions puissent être influencées par l’opinion de Levi.

   (Interruptions : Et nous autres… ?)

   Clara Zetkin. — C’est votre affaire, à quel point le comportement de Levi était important pour vous. Je ne me suis jamais laissée influencer dans mes décisions par ce qu’un Levi ou un Müller ou encore un Schulze émettaient telle ou telle opinion, je ne l’admettais que si elle me semblait juste.

   Camarades, personne n’a le droit de me reprocher d’avoir jamais eu peur d’être de la minorité. Au contraire, j’en ai presque toujours fait partie. Rappelez-vous que dans la lutte, menée en faveur de l’utilisation de la tribune parlementaire j’ai été seule pendant longtemps et que même les membres de la Centrale qui se sont joints à moi l’ont fait non parce qu’ils étaient persuadés de la nécessité de participer à l’œuvre parlementaire, mais parce qu’ils disaient que c’est simplement l’esprit du temps et que nous ne pouvons pas marcher contre l’esprit des masses. Je vous prends tous à témoins que durant toute mon activité de parti d’une durée de 40 ans personne ne peut me reprocher d’avoir jamais renoncé à un poste pour la seule raison que j’étais d’une autre opinion ou d’avoir jamais trompé ceux qui m’avaient chargée de leur mandat ou bien encore de m’être retirée pour bouder. C’est pourquoi en quittant mon poste je pensai donner en une certaine mesure un signal d’alarme que je considérais comme très nécessaire. On m’a blâmée d’avoir quitté la Centrale en disant que j’avais manqué à la discipline. N’allons pas nous quereller sur des mots, mais voici ce que j’ai à en dire : d’abord, malgré tout je n’aurais pas quitté la Centrale si je m’étais imaginée que le parti fût encore si faible que ma démission de la Centrale, — démission qui eut lieu sans aucun pourparler avec Levi ou qui que ce soit d’autre — pût lui être nuisible. Un bureau de parti n’est point un bonbon de chocolat doux qu’on sert pour la santé politique. Non, camarades, on confie un poste de combat à quelqu’un seulement si l’on a la conviction qu’on y place une personne appropriée remplissant les conditions voulues. Ne remplissant plus ces conditions je ne convenais plus à mon poste, et au lieu d’être un élément utile à la Centrale et au parti j’étais un sujet de trouble et je nuisais par là au parti.

   Camarades, voilà pourquoi j’ai agi comme je l’ai fait.

   Je n’ai jamais eu honte lorsque j’avais commis une erreur de l’avouer publiquement. Et j’agirai toujours de la même façon dès que je m’apercevrai que j’ai commis une faute. Je puis vous assurer d’une chose : c’est que dans ce cas il était nécessaire dans l’intérêt du parti et du prolétariat d’agir comme je l’ai fait. Si une autre fois je suis encore convaincue que la situation exige que j’agisse de la même manière eh bien, je le ferai car pour moi la fidélité au prolétariat prime toujours sur la fidélité à la discipline du parti. Mais, camarades, si je vois que je me suis trompée je serai la première non seulement à reconnaître ma faute, et à faire mon mea culpa, mais encore à déclarer que c’est ma faute extrême. Voilà quel est mon point de vue en fait d’infraction à la discipline. Je ne me suis jamais encore sentie découragée quand on me grondait pour quelque faute réelle ou même imaginaire. Par contre je me sentirais non seulement humiliée mais même indignée si jamais j’agissais contre ma conscience. C’est sans aucune protestation que j’ai accepté les réprimandes et c’est avec une parfaite tranquillité que je vais attendre la décision du congrès

   Et maintenant, deux ou trois mots encore à propos de la question italienne. À mon avis la politique de Serrati et de son parti après le congrès de Livourne a montré indubitablement que c’était une politique de réformiste et opportuniste. (Approbation.) Je le reconnais parfaitement. La position prise par le parti dans la question de la garde-blanche et de la lutte contre le fascisme le montre clairement. Est-ce vraiment là un parti Communiste — non, je veux dire même plus : est-ce même un parti politique qui veut faire la guerre civile, déchaînée par le fascisme, au moyen des sermons et qui déclare qu’il faut combattre et vaincre le fascisme par les armes de l’éthique chrétienne ? (Rires.) Non, dans les combats du prolétariat il faut toujours rendre deux coups pour un. Il faut briser la violence par la violence même. Et ce ne sont pas les deux sons de flûte de l’Avanti qui peuvent venir à bout du fascisme en Italie. Il ne sera écrasé que par le combat prolétarien. (Vifs applaudissements.) Toute l’attitude des Serratistes à l’endroit des problèmes politiques me semble indubitablement révéler leur caractère opportuniste. Beaucoup de camarades nous disent qu’ils voient le la confirmation que la scission de Livourne était justifiée. Mais, camarades, on peut en avoir une autre opinion : on peut dire que cette scission de l’aile gauche a presque forcé les unitaristes de se jeter dans les bras des Turatistes.

   Radek. — Comme Hilferding s’est jeté dans les bras de Scheidemann (Rires).

   Clara Zetkin. — Oui, camarades, il y a deux faces à la médaille. Je salue la scission en tant qu’il s’agit de démasquer les chefs peu sûrs et hésitants. Mais je la regrette quand elle retient encore des centaines de milliers de prolétaires. Ne peut-on donc pas arracher ces centaines de. milliers d’ouvriers plus rapidement de ce milieu maudit en les amenant dans la sphère d’influence du parti communiste italien ? Je veux cependant laisser les savants se disputer et se quereller sur la question de savoir si l’évolution du parti italien sert de preuve que la scission de Livourne était juste ou si elle a eu une influence néfaste. Il me semble qu’il ne suffit plus que le congrès déclare simplement que les vingt et une conditions doivent être strictement exécutées; la scission avec les Turatistes, la séparation est une nécessité pour, chacun qui veut appartenir à l’Internationale Communiste. Non, le congrès doit encore réfuter de la façon la plus tranchante et sans équivoque toute politique dirigée d’une façon tant soit peu opportuniste et apte à tromper les masses. Camarades, je suis d’avis que nous ne pouvons prendre une décision à ce sujet avant d’avoir entendu les deux cloches. Mais en tout cas, autant que je puis en juger par les documents présentés, mon opinion est sûrement telle que je vous l’ai exposée ici.

Le cas Paul Levi

   Et maintenant si vous voulez bien me le permettre, je vais dire quelques mots encore sur le cas Levi ; je ne veux pas qu’on me soupçonne de vouloir éviter cette question. Je répète que nous ne considérons pas comme erronée l’attitude de l’Exécutif à cet endroit, au contraire, nous l’approuvons tout à fait d’avoir insisté sur la scission des Turatistes. Il aurait seulement fallu bien considérer s’il n’eût pas été possible d’opérer ici plus tôt la scission, de la mieux préparer et surtout d’essayer de la provoquer parmi les Serratistes eux-mêmes afin d’amener au parti communiste les meilleurs éléments ouvriers. Je reproche encore franchement et sans aucune réserve à l’Exécutif, de n’avoir pas été assez prudent dans le choix de ses représentants à l’étranger. Je constate que l’Exécutif a désavoué l’action de certains de ces représentants, par les déclarations qu’a faites le camarade Zinoviev au sujet du caractère et des tâches incombant aux partis communistes et à la 3e Internationale. Il n’y a donc aucune raison pour entamer un combat contre l’Exécutif.

   Radek. — Mais Levi l’a fait et vous ne l’avez pas mis à sa place.

   Clara Zetkin. — Nous en reparlerons encore, mais attendez un peu. Quant au cas Levi, à mon avis, ce n’est pas simplement un cas de discipline (Tout à fait juste !) mais surtout un cas politique. Ce cas ne peut être ni jugé ni estimé autrement qu’en rapport avec toute la situation politique. C’est pourquoi on doit seulement en parler lors des discussions que nous aurons au sujet de la tactique du parti communiste et surtout de l’action du mois de mars. Ici nous sommes en train de traiter le cas Levi comme un cas de discipline. Je ne m’y oppose point, mais à la seule condition que l’action de mars soit également inclue.

   Il nous manquerait autrement tout l’arrière-fond historique et toute cette atmosphère qui permet de comprendre l’origine de ce cas disciplinaire. Hier le camarade Radek a posé la question d’une manière tout à fait personnelle contre Paul Levi en s’écriant emphatiquement : « Et quand a-t-on jamais vu Paul Levi dans les tranchées révolutionnaires ? »

   Le camarade Radek sait aussi bien que moi que le camarade Paul Levi n’appartient pas au nombre des lâches qui désertent le combat. Il restait sur les lieux du combat durant les dangereuses journées de janvier et de mars 1919 quoique sa tête fût mise à prix pour 20 000 marks. Et avec le camarade Thalheimer il a mené la vie dangereuse des combats illégaux ; jeté tantôt ici, tantôt là, il me semble à moi que c’est aussi être dans des tranchées révolutionnaires. Je ne veux qu’effleurer ces faits ici sans m’y arrêter. Je dis seulement que nous ne pouvons arriver à formuler un jugement juste sur l’attitude et la conduite de Paul Levi que si nous en parlons en même temps que de l’action du mois de mars. Je me suis toujours déclaré solidaire de sa conduite lors de cette action. Je l’ai répété dans beaucoup d’assemblées où se réunissaient des dizaines de milliers d’ouvriers. J’ai toujours déclaré que je n’approuve pas chaque mot de la brochure et je suis loin d’être d’accord avec chaque jugement qui y est énoncé. Et si vous me priez de répondre la main sur la conscience je dois vous dire que je n’aurais pas écrit cette brochure. Mais c’était alors pour le parti une question vitale qu’une critique fût amorcée. (…)

   Je ne m’oppose pas à ce que le congrès prenne immédiatement une décision sur le cas Levi. Mais seulement après une discussion complète de tous les faits qui ont précédé l’action de mars, car nous savons que le camarade Levi a agi par conviction. Il peut faire valoir les mêmes raisons pour expliquer son délit de discipline qu’on a fait valoir autrefois pour expliquer la conduite des camarades russes qui avaient violé la discipline. Il a agi mû par la conviction de pouvoir sauver le parti et qu’il était obligé de rendre un service aux prolétaires. (…)

   Radek. — Et la question de l’offensive ?

   Clara Zetkin. — Je ne parlerai de la question de l’offensive ou de défensive, camarade Radek, que lorsque nous discuterons la question entière, et quand vous tirez des phrases du reste du texte, vous agissez selon une bien vieille méthode que vous n’avez point inventée, vous agissez selon la recette qui consiste à dire : « Donnez-moi une vingtaine de lignes écrites par quelqu’un, et je l’expédierai à l’échafaud. »

   J’expliquerai plus tard comment je me représente la question d’offensive ou de défensive. (Heckert fait une interruption.) Camarade Heckert, je le ferai sans votre bénédiction ; jusqu’à présent, vous n’êtes pas encore mon confesseur politique.

   Camarades, dans le cas Levi, nous devons faire attention à l’ensemble des faits et de la politique, ainsi qu’aux mobiles qui ont poussé Levi à écrire sa brochure et enfin à l’effet qu’elle a produit. (…)

   Mais, camarades, ce qui est beaucoup plus pénible, c’est que la brochure du camarade Levi a affligé beaucoup de travailleurs et que nombre de ceux-ci se sont abstenu à cause d’elle de prendre part à la discussion objective et critique de la situation et de la ligne de conduite de la Centrale. Je comprends parfaitement bien l’excitation et l’indignation (Ecoutez ! Ecoutez !) qui s’élevèrent dans les rangs des ouvriers. Mais je vous dis aussi : je plains les communistes instruits et éduqués qui ne sont pas capables de riposter à leurs adversaires lorsque ceux-ci utilisent contre eux la brochure. Car si nous nous faisons une autorité de ce que nos ennemis font de nous, les communistes, grâce à nos déclarations écrites et verbales, eh bien ! nous ne pourrions jamais écrire une seule ligne, ni jamais ouvrir la bouche, car nos adversaires dénatureraient tout et réussiraient à sucer le miel de toutes les fleurs.

   Je dois dire en toute honnêteté que je suis convaincue que sans la critique de Levi nous n’aurions pas eu une discussion si rapide et si importante sur la théorie et la pratique de l’action de mars. Elle a permis d’éviter que le parti communiste et le prolétariat ne fussent exposés au danger d’être de nouveau entraînés dans de nouvelles entreprises dont le succès sera douteux.

   Camarades, je vais vous dire la raison pour laquelle j’ai pris une position si ferme dans toute cette question compliquée. Je considère maintenant et j’avais considéré alors qu’une action la plus intense et la plus énergique du prolétariat allemand était absolument nécessaire dans les conditions données. Ce qui me chagrine, ce n’est pas que les ouvriers se soient battus ni qu’il y ait eu une solution fausse, ni encore que nous ayons eu une mauvaise direction. Mais c’est que le parti communiste, à une époque où il fallait agir, a été trop faible et incapable d’accomplir l’action nécessaire. (Protestations.) Quand je demande au congrès d’entreprendre une enquête détaillée et consciencieuse de la tactique de l’action de mars, tant au point de vue théorique que pratique, je le fais avec la conviction que notre discussion doit poursuivre un seul but : nous préparer et nous armer pour de nouveaux combats acharnés, le faire sans aucune réserve, que ces combats soient des défaites ou des victoires. Même les défaites peuvent être utiles si elles sont infligées aux masses prolétariennes par un ennemi supérieur et qu’elles soient au moins des défaites où le prolétariat puisse s’écrier fièrement que « tout est perdu, hors l’honneur » (Vifs applaudissements et approbations prolongés).

Discours de Friesland

   Friesland. — Les exposés que les représentants de l’opposition allemande ont faits hier et aujourd’hui du rapport de l’Exécutif en ce qui concerne l’Allemagne, évitent très habilement de parler du principal sujet du litige et des points décisifs de la question. De même l’ardeur passionnée avec laquelle là camarade Clara Zetkin essaie dans son discours d’expliquer son attitude et ses actions, prouve que sa mémoire politique est plus faible que son ardeur, et que sa conduite ici dans nombre de cas est tout autre qu’elle ne l’a été chez nous en Allemagne. Je n’ai pas du tout l’intention de démontrer la justesse ou l’erreur de la politique des amis au moyen de statistiques. Je sais que les camarades, groupés autour de Malzahn ont eu à leur disposition assez de temps pour s’occuper de statistique en Allemagne. Ils ont eu l’occasion, à Berlin, de se rendre en automobile d’une usine à l’autre, non pour appeler les ouvriers au combat, mais pour leur troubler l’esprit en leur indiquant les endroits où on ne faisait pas grève, les détournant ainsi de la lutte. Je constate que le climat de Moscou a opéré certains changements dans la conception du camarade Malzahn. Il faut noter également un petit changement dans son jugement de l’action de mars. Ce n’est plus un grand « putsch » ni même un grand crime, c’est devenu petit à petit une lutte imposée, que le parti communiste a menée à l’entendre, fort courageusement. Je dois dire que pour autant qu’on peut analyser cette question au cours des débats au sujet du rapport de l’Exécutif, on ne peut le faire que dans son ensemble, comme le camarade Zinoviev. Pour résoudre cette question, au point de vue allemand, il faut considérer : quel était le degré de développement du parti communiste jusqu’à ce moment-là et par quelles actions le parti communiste s’est-il signalé dans ce combat ?

   Et nous, nous disons : les fautes commises durant cette action furent très grandes. Nous sommes les derniers à nous cacher à nous-mêmes nos erreurs. Mais nous en parlerons avec les camarades qui ont combattu à nos côtés, et non avec ceux qui ont saboté de parti pris, les luttes du prolétariat. (Vives approbations.)

   Nous savons qu’il n’existe ni en Allemagne, ni dans aucun autre pays un parti communiste qui, au cours de telles luttes, n’eut commis de pareilles fautes. Si néanmoins on veut parler d’erreurs, la première question qui se pose est la suivante : quelle a été la faute principale ? Ce fut que dans le parti communiste tel qu’il était constitué sous l’ancienne direction avant la démission de ses membres, le camarade Rákosi ne plut pas à la camarade Zetkin ni à d’autres camarades et que le soupçon s’est éveillé chez la camarde Zetkin que Rákosi avait été envoyé pour scissionner le parti italien. Il est incontestable, que la direction de l’ancienne Centrale n’était pas une direction capable de faire du parti un parti de combat. La camarade Zetkin reconnaît fort bien et appuie même sur le fait qu’il y avait péril dans la passivité de ses amis du parti communiste. Je me rappelle très exactement cette déclaration de la camarade Zetkin :

   « Camarades, quelle fut l’action dominante du parti Allemand ? Ce fut que la direction organisa, depuis le 2e congrès une lutte contre l’Exécutif, menée d’après un plan bien arrêté. » Il est clair qu’il ne s’agit nullement de la « jolie tête bouclée » du camarade Zinoviev. Ce combat qu’on a mené contre l’Exécutif, était une lutte contre les méthodes et les principes de la Révolution Russe et de l’Internationale Communiste en général. Tous ceux qui ont suivi de près les événements qui se sont déroulés au sein du parti allemand savent que le camarade Levi s’efforçait systématiquement depuis son retour de Moscou de détruire l’autorité de l’Internationale Communiste et de son Exécutif dans le parti Allemand.

   Nous avons toujours pu observer au sein du parti allemand certaines menées dont le but était de renforcer les influences de l’Europe Occidentale contre les courants « asiato-bolchevistes » de l’Internationale Communiste. Je rappelle la manière dont a été traitée la question du K. A. P. D. Je demande en toute franchise : les camarades de l’opposition ont-ils encore aujourd’hui l’opinion que la façon dont l’ancienne Centrale du parti allemand a traité le K. A. P. D. était politique, ou croient-ils que c’était une sorte d’hystérie sentimentale qui faisait traiter la question d’une manière si délicate. Il nous serait très agréable que vous vous prononciez sur les questions qui sont un continu sujet de litige. Enfin, les camarades pensent-ils que la manière de traiter cette question par les camarades Levi et Daumig attestait la volonté de provoquer un conflit avec l’Internationale Communiste. Il est intéressant de savoir que le camarade Marković((Sima Marković (1888-1939), secrétaire du Parti Communiste Yougoslave à sa fondation. Accusé par les forces staliniennes de terrorisme trotskyste et exécuté en 1939.)) du parti Yougoslave était en mesure de faire un rapport sur les événements d’Allemagne et de faire accepter des décisions dans son Comité Central. Je suis certain de ne pas me tromper en supposant que le Comité Central à Vienne a également entretenu des relations avec M. le docteur Levi. En tous cas nous nous rappelons que Levi déclara franchement que, grâce à Dieu, il avait des relations dans l’Internationale. Nous prétendons qu’on a organisé à partir du 2e Congrès une campagne dans les coulisses, en Allemagne et dans l’Internationale. Le fait que Levi était troublé par la formation de fractions, par les relations secrètes « turkestanes » dans le parti Allemand et d’autres partis, est pour ceux qui connaissent les méthodes de ce politicien, une chose ridicule. Nous trouvons qu’on a travaille systématiquement selon ces méthodes au sein de notre mouvement

   A ce propos, les ouvriers allemands et le prolétariat révolutionnaire en Allemagne ont le sentiment très net du sens politique de ces méthodes, et des buts de ces combats. Et quand il s’agit pour les ouvriers allemands de choisir entre la direction qui, lors des combats révolutionnaires en Allemagne, ne sut pas tirer parti de tous les problèmes révolutionnaires et de préparer les luttes du prolétariat, et l’Exécutif ils n’hésitent pas. Camarades, je terminerai bientôt, on ne peut malheureusement pas en dix minutes dire tout ce que l’on voudrait. Je vous prie de ne pas hésiter maintenant à traiter l’action de mars dans ce sens là de même que les fautes commises par le parti allemand durant cette action. Je voudrais vous prier de discuter calmement et franchement. L’exposé de la camarade Zetkin a soigneusement éludé certaines questions. La camarade Zetkin a déclaré ici qu’elle ne s’était jamais solidarisée avec Levi. Peut-être ne me désavouera-t-elle pas si j’affirme me rappeler qu’elle s’est tout de même solidarisée avec Levi. Je rappelle que la Rote Fahne a publié un rapport à la suite duquel la camarade Zetkin déclara après une assemblée cantonale qu’il serait lâche et mesquin de ne pas soutenir envers et contre tous Levi. Les camarades sont-ils encore solidaires avec les calomnies émises par Levi, ses racontars sur les Turkestaniens, avec ses affirmations d’après lesquelles les représentants de l’Exécutif sont les instigateurs des attentats de toutes sortes, organisent des fractions avec de l’argent russe pour faire éclater le parti allemand ? (Vifs applaudissements.)

   Peut-on conclure de ce que le camarade Rákosi s’est exprimé peut-être d’une façon imprudente à la Commission Centrale, que l’Exécutif a adopté un autre point de vue dans la question de la formation des partis de masses communistes ? Je rappelle à ce propos qu’au moment où cette assertion s’est fait jour, toute la Commission Centrale a affirmé sans équivoque que, si un tel point de vue existait, nous, parti Allemand, ne l’approuvions pas. L’on a dit que l’on voulait agrandir le parti plus qu’il ne l’est nécessaire. De telles tendances se sont peut-être manifestées par-ci par-là. Mais des tendances à faire du parti une secte n’ont jamais existé. Nous attendons qu’on prenne position d’une manière claire et nette, qu’on ne passe pas ce sujet sous silence et que nous ne soyons pas en Allemagne dans une situation aussi critique que jusqu’à présent. Le représentant du parti russe, poursuivi par la police, dénoncé honteusement par les camarades Daumig et Düwell(( Bernhard Düwell (1891-après 1934). Etudes supérieures de commerce. Mobilisé de 1914 à 1918 ; adhère à l’U.S.P.D. en 1917, journaliste à Zeitz en 1918. Commissaire des conseils à Merseburg. L’un des organisateurs de la grève de 1919 en Allemagne centrale, député à l’Assemblée nationale. Indépendant de gauche, rédacteur au service central de presse de l’U.S.P.D., rejoint le V.K.P.D. en 1920. Solidaire de Levi, exclu en août 1921. Rejoint le K.A.G., puis l’U.S.P.D. et enfin le S.P.D. En 1922.(Notice de Pierre Broué, Révolution en Allemagne) )), a demandé officiellement dans la Commission Centrale : « Dites-moi, s’il vous plaît, à quelles actions j’ai participé ? » On ne lui répondit rien. Nous ne désirons pas que l’on élude encore une fois certaines questions. Nous attendons que les camarades se prononcent. Nous voulons rentrer chez nous avec une déclaration claire et nette, nous ne désirons pas réentendre les paroles selon lesquelles Levi est un homme remarquable parce qu’il a reconnu les fautes de l’action de Mars mais nous désirons une déclaration précise et non équivoque de ces camarades et du congrès.

   Les gens qui se solidarisent avec Levi, qui l’ont autorisé à conserver son mandat au Reichstag jusqu’à la décision du congrès, ont attaqué ainsi le parti par derrière et ont détruit systématiquement l’autorité politique et morale de l’Exécutif. Il n’y a plus place pour eux dans les rangs de l’Internationale communiste : sauf au cas où ils désavoueraient cette attitude. Et si la camarade Zetkin prétend qu’elle aurait écrit cette brochure différemment, cela est possible. Mais les huit camarades de l’opposition ne peuvent s’affranchir de la responsabilité politique qui leur revient quant à la publication de cette brochure. Il est évident que les épreuves ont été lues d’avance, et discutées. (Ecoutez, écoutez !) C’est une des questions les plus importantes pour le mouvement allemand et non pas seulement une question de discipline comme l’a cru la camerade Zetkin. Toute l’activité de l’Exécutif était consacrée au problème de la création d’un parti de masses révolutionnaires. Après leur admission dans le giron de l’Internationale Communiste, l’ancienne mode routinière d’agir avait cessé. Et j’affirme que l’expulsion du camarade Levi a été approuvée sans réserves par les camarades du parti. (Vives approbations). Les ouvriers allemands n’avaient pas encore vu cela. Ils ont eu Scheidemann, Ebert et Noske, et tous ces chefs les ont trahi sans que personne ne proteste. Pour la première fois, l’Internationale a maintenu la discipline et force les chefs à marcher en contact étroit avec les masses.

   Nous savons, d’après toute l’activité politique organisatrice, que ce n’est pas un effet du hasard, que, dans cette question, toutes les masses ouvrières se sont rangées, comme un seul homme, du côté du parti. Même Clara Zetkin, qui était plus respectée par les masses ouvrières que Levi, ne pouvait faire triompher sa conception politique, dans le district même où cette conception est le plus profondément ancrée. C’est une preuve que le prolétariat révolutionnaire, dans les situations importantes, a une meilleure compréhension que les chefs les meilleurs et les plus haut placés (Vifs applaudissements).

   (…)

Discours de Rákosi

   Rákosi (Hongrie). — Camarades, on a reproché à l’Exécutif d’avoir confié des postes très importants à des messagers insuffisants. J’aurais été du nombre de ceux-là. Des camarades allemands et italiens ont déjà parlé de moi de manière à me justifier. Je n’ajouterai que quelques mots à ce qu’ils ont dit. J’ai agi en Italie en plein accord avec le camarade Kabaktchiev((Khristo Stefanov Kabaktchiev (1878-1940), dirigeant communiste bulgare. )) et avec la direction du parti communiste Italien. Il n’y eut entre nous aucun désaccord, il me reste peu de choses à ajouter parce que nous avions la même opinion sur la situation. Il n’y eut de désaccord que lorsque intervint notre ex-camarade le docteur Paul Levi. On sait que la grande question du congrès de Livourne fut l’exclusion des réformistes, des Turatistes du parti Italien. Les représentants des grands partis qui avaient déjà fait la scission pouvaient nous aider beaucoup. Nous comptions tout d’abord dans l’ordre d’idées sur le concours du jeune parti communiste Français qui venait de faire sa scission quelques semaines avant nous et sur les faiblesses duquel reposait la défense de Serrati. Mais bien qu’invités par les camarades italiens, le parti communiste Français n’envoya pas de représentants. Il se peut que l’invitation du parti italien n’ait pas été reçue en France. Quoi qu’il en soit, nous dûmes renoncer à l’aide des camarades français. Nous comptâmes d’autant plus sur les camarades allemands qui avaient parcouru tout le chemin douloureux de l’opportunisme, et vécu plusieurs scissions. Quel ne fut donc pas notre étonnement quand Paul Levi, après un entretien de deux heures avec Serrati, vint nous tenir à peu près le même langage que ne dernier. Nous lui répondîmes que ses opinions lui étaient sans doute personnelles. Sur quoi il tira fort tranquillement de sa poche une lettre qu’il avait, disait-il, par hasard sur lui et qui était de Clara Zetkin. Il s’y trouvait les mêmes faits relatés déjà par Serrati et Levi. La camarade Zetkin y déclarait tenir Serrati pour un bon révolutionnaire et avoir par contre la plus fâcheuses opinion de la compagnie de Bordiga, de Bombacci((Nicola Bombacci (1879-1945).)), de Graziadei((Antonio Graziadei (1873-1953).)). A son avis, Serrati aurait pu mieux que tous contribuer à la formation du parti communiste. Nous fûmes naturellement douloureusement étonnés et priâmes Levi de ne pas exprimer son opinion tout au moins au Congrès. Notre demande était déjà un peu tardive. Serrati n’avait fait mystère devant personne de l’appui de Paul Levi et de Clara Zetkin. Ce concours, de deux chefs d’un des plus grands partis communistes du monde, affermit naturellement le groupe Serrati et entrava d’autant nos preuves. Nous demandâmes à Levi de nous appuyer, mais il ne fit que des déclarations plutôt ternes et quitta le lendemain le congrès malgré nos insistances pour le retenir jusqu’à la fin. Nous pensions que s’il restait son opinion se modifierait. Les camarades savent le résultat du vote et lu proportion des voix. L’Internationale Communiste et l’Exécutif (bien qu’il fonctionne dit-on déplorablement) intervinrent aussitôt qu’informés par radio, en déclarant catégoriquement, contre Serrati, ne reconnaître que le nouveau parti communiste en formation. L’Exécutif voyait fort bien de Moscou que Serrati s’évertuerait à retenir les masses avec Turati en leur persuadant qu’elles resteraient dans l’Internationale Communiste. L’Exécutif le comprit et adopta aussitôt les mesures nécessaires. Comme Serrati n’est pas un sot, il déclara sitôt après avoir reçu le télégramme de l’Exécutif ; « Nous en appellerons à l’Exécutif au 3e congrès ». Nous espérions alors qu’informés de son argumentation les partis de la 3e Internationale se prononceraient nettement contre lui. Le parti français n’adopta pas, il est vrai, d’attitude officielle, mais son organe officiel publia un article de Jacques Mesnil(( Jacques Mesnil, pseudonyme de Jean-Jacques Dwelshauvers (1872-1940).)), où il était dit, ni plus ni moins, que Serrati aurait fort bien pu prendre place dans la gauche du parti communiste français. Ce n’était pas pour déplaire à Serrati. Mais il fut tout à fait heureux quand parut le 22 janvier dans la Rote Fahne l’article resté fameux de Paul Levi((« Der Parteitag der italienische Partei », Die Rote Fahne, 23 janvier 1921, daté du 22 janvier, non signé.)). Les camarades italiens qui, aussitôt après le congrès de Livourne avaient poursuivi l’œuvre de scission dans toute une série de congrès régionaux, se trouvèrent fortement embarrassés, Serrati continuant à déclarer que Levi et deux grands partis communistes l’approuvaient. C’est à Berlin que j’appris la résolution adoptée par le V. K. P. D. sur la question italienne. J’y trouvais tout de suite des passages qui pouvaient permettre à Serrati de nouvelles turpitudes. Aussi demandai-je au Comité Central du V. K. P. D. d’adopter une nouvelle résolution excluant tout équivoque. On en élabore une sur ma demande. Au même moment, et tout à fait indépendamment de nous, l’Exécutif de Moscou se rendait compte des défauts de la résolution allemande et demandait au V. K. P. D. de la modifier dans le sens même que j’avais indiqué. En séance du Comité Central du V. K. P. D. et à la conférence des comités allemands, je décrivis la situation en Italie. Les camarades et surtout le camarade Brandler furent indignés. Paul Levi leur avait montré les masses communistes suivant en Italie Serrati et les autres, celles du jeune parti communiste composé de syndicalistes, d’anarchistes et d’éléments troubles. J’aurais, d’après la camarade Zetkin, commis dans mon rapport trois erreurs. J’aurais dit que le parti allemand était trop grand, et en parlant du parti français qu’il est parfois nécessaire de faire jusqu’à dix scissions. J’aurais déclaré en outre que nous voulons en Italie faire un exemple. Dans une conversation privée avec la camarade Zetkin, j’ai dit que lorsque 400 000 nouveaux membres adhèrent tout à coup un certain nombre de ces nouveaux adhérents sont nécessairement éliminés, soit lors des premières actions, soit lors des épurations reconnues indispensables par le 2e Congrès. Et c’est dans ce sens que je trouvai le V. K. P. D. trop nombreux. J’ai dit aussi qu’il arrive parfois qu’il faille diviser jusqu’à dix fois un parti. Il s’agissait du parti français et de savoir s’il vaut mieux que des milliers de prolétaires paient les fautes des opportunistes ou que dix scissions soient opérées au sein du parti. J’ai dit préférer dix scissions (Applaudissements.)

   J’ai dit ensuite que nous devions donner l’exemple, à propos du parti communiste italien. Depuis que c’est devenu une mode d’adhérer à la 3e Internationale, pour conserver quelque influence dans le mouvement et pour continuer, en bénéficiant du prestige de l’Internationale Communiste, le jeu du réformisme, cette duperie s’est manifestée en Italie dans toute sa beauté. J’ai dit qu’à l’endroit des Turati, des Modigliani, des Treves, nous devions faire un exemple et montrer que s’il n’est pas facile d’entrer dans l’Internationale Communiste, il est facile d’en être expulsé. (Applaudissements). La camarade Clara Zetkin m’a reproché ces trois choses. Le docteur Paul Levi ne serait pas un docteur en droit s’il n’avait pu en bon avocat tirer de mes paroles et de mon appréciation sur la scission en Italie des conclusions sur une scission prétendue nécessaire en Allemagne. Naturellement j’ai tout de suite démenti les idées qu’on me prêtait ainsi, dans une déclaration faite à la même séance et publiée dans la Rote Fahne. Comme on sait, notre résolution fut acceptée malgré l’opposition de la camarade Zetkin.

   Celte résolution venait bien au secours du parti communiste allemand, mais n’avait plus que peu de valeur, parce que la démission de six membres du Comité Central lui faisait perdre presque toute son importance et donnait à Serrati une arme puissante. Tel a été mon rôle dans la scission italienne. Nous avons fait l’impossible pour faire entrer les masses italiennes dans le parti communiste. L’action de la camarade Zetkin, sous tous les rapports, tendait au contraire à désorienter ces masses disposées à se joindre au parti communiste italien. Si la camarade Zetkin, amenée à l’évidence, reconnaît aujourd’hui après cinq mois, s’être trompée à l’égard de Serrati, elle ne répare malheureusement qu’une part infime des grandes fautes qu’elle a commises envers le parti italien et la révolution en Italie. J’ajouterai seulement que si la camarade Zetkin s’est si profondément trompée au sujet du parti italien, elle a dû aussi déduire de ses prémices erronées des conclusions tout aussi fausses en ce qui concerne la politique future du V. K. P. D. Je crois qu’en cette matière ses opinions se révéleront aussi fausses que ses espoirs et opinions dans la question italienne. (Applaudissements.)

   Je voudrais encore dire quelques mots sur le rapport de l’Exécutif au nom du parti communiste hongrois. Nous sommes, sous tous les rapports, contents de l’activité de l’Exécutif. Mais nous connaissons aussi et fort bien les défauts techniques de notre appareil et surtout le défaut de liaison avec les sections nationales. Notre expérience nous permet pourtant de dire que ce défaut est largement imputable aux sections nationales elles-mêmes. Elles abandonnent trop volontiers la liaison à l’Exécutif et préfèrent s’occuper de critique que d’amélioration. Je voudrais demander au nom du parti hongrois que l’expérience acquise dans les scissions d’Italie nous serve à l’endroit des partis communistes affiliés à l’Internationale, au sein desquels se manifestent des tendances centristes ou à demi-centristes, afin qu’on n’ait pas à s’occuper au prochain congrès des partis français ou tchèques de quelque nouvelle question Serrati, (Vive approbation.)

   (…)

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