Les premiers enseignements

Les premiers enseignements

Georges Dimitrov

(Extrait de l’entretien de Dimitrov avec les correspondants de la presse communiste de l’étranger, fin avril 1934. Les questions des correspondants sont indiquées en italique.)

— Une pareille campagne, née d’une cause internationale, est presque sans précèdent : quelle en est, selon vous, l’explication ?

— Cette solidarité démontre, je le pense, qu’on ne s’est pas seulement intéressé à la personne des accusés. Cet intérêt considérable qu’ont manifesté les ouvriers, et aussi d’autres couches sociales, exprimait leur satisfaction devant notre combat contre le fascisme allemand et la volonté d’y prendre une part active.

— Je crois que votre attitude héroïque y est pour beaucoup.

— Il est vrai que, devant le tribunal, j’ai été jusqu’au bout ; dans ma lutte, mordant, conséquent et sans égards. Vous parlez de courage, d’attitude héroïque devant le tribunal. N’avoir pas peur de la mort, voyez-vous, ce n’est pas de l’héroïsme personnel : c’est, au fond, le propre du communisme, du prolétariat révolutionnaire, des bolcheviks. La classe bourgeoise n’est plus en état de susciter dans ses rangs un véritable courage, un véritable héroïsme. C’est une classe qui sombre et qui n’a plus aucune perspective.

— Vous savez probablement que, dans tous les pays, un grand nombre de travailleurs socialdémocrates ont été enthousiasmés par votre attitude ?

— Oui, ils ont beaucoup contribué à notre libération. Ces ouvriers social-démocrates devraient maintenant se poser une question : pourquoi la social-démocratie n’a-t-elle pas de chefs héroïques ? Comment cela se fait-il ? Il n’y a qu’une explication : la social-démocratie est à la remorque de la bourgeoisie ; par sa théorie et sa pratique, elle est un instrument de la dictature bourgeoise. C’est pourquoi, justement, comme la bourgeoisie même, elle ne peut compter aucun chef vraiment courageux et héroïque.

— Quelles conclusions doit-on, à votre avis, en tirer ?

— Une des plus importantes, c’est que les ouvriers social-démocrates ne peuvent mener avec succès le combat contre la bourgeoisie qu’en communauté d’action avec les ouvriers communistes. Jusqu’ici, beaucoup de travailleurs social-démocrates en sont restés à la sympathie à notre égard. Mais la sympathie n’est pas suffisante. Elle doit se transformer en une lutte active contre la bourgeoisie et le fascisme, une lutte résolue, unifiée, que les ouvriers socialistes, chrétiens et sans parti mèneront coude à coude avec les ouvriers communistes.

Mais, dites une chose aux ouvriers de chez vous : combattre le fascisme, cela signifie, en même temps et avant tout, le combattre dans son propre pays. Il est indiscutable que chaque pays possède ses propres Hitler, Gœring ou Gœbbels en puissance. Il ne suffit pas de rassembler des forces et d’attendre qu’il soit trop tard pour engager l’attaque. Même en Hollande, on doit dès maintenant mener la lutte.

Contre tous les aspects du fascisme, il faut batailler tous les jours, à chaque heure. Dans les entreprises, dans la rue, chez les chômeurs, dans les réunions, partout, il faut barrer la voie au fascisme.

Tous les travailleurs doivent veiller à ce que ne soit donnée au fascisme aucune possibilité de croître ou d’acquérir une influence auprès des ouvriers et des paysans. Pas à pas, coup pour coup, il faut gagner sur le fascisme.

— Vous êtes donc persuadé qu’on pourra éviter l’avènement de la dictature fasciste ?

— Oui, tout à fait certain ! Si les ouvriers social-démocrates d’Allemagne étaient, pas à pas, allés de l’avant, en temps utile, avec les ouvriers communistes, contre le fascisme, s’ils n’avaient pas suivi aussi aveuglément leurs chefs, nous n’aurions certainement pas de dictature fasciste aujourd’hui. L’exemple allemand est riche d’enseignement pour les ouvriers de tous les pays. Cet enseignement, il faut, dès à présent, en tirer profit.

— Nous le dirons. Mais que peut-on faire directement pour les antifascistes d’Allemagne ?

— Des centaines et des milliers, parmi les meilleurs ouvriers, parmi les meilleurs combattants du prolétariat allemand sont, dans les prisons et les camps de concentration, en un danger de mort permanent. Il en est ainsi, avant tout, du chef de la classe ouvrière révolutionnaire d’Allemagne, Ernst Thaelmann. Je ne me fatiguerai pas de répéter qu’arracher Ernst Thaelmann, chef de la classe ouvrière allemande, des mains des bourreaux fascistes est une question d’honneur pour le prolétariat de tous les pays ; on doit s’y mettre, on doit y tendre de toutes ses forces.

— Savez-vous quelque chose de précis sur l’état de Thaelmann ?

— Je l’ai vu trois fois pendant ma détention ; deux fois, il ne put me voir ; mais, la troisième fois, en octobre, lors de l’épisode berlinois du procès, il m’a également aperçu. Du corridor, je l’ai vu dans sa cellule. Je l’ai salué et il m’a répondu. Il était très courageux, malgré la rigueur de sa détention. Les dernières nouvelles sur la façon dont il est traité, sont très inquiétantes.

— Que lui arrivera-t-il, d’après vous ?

— En tout cas, on va tenter de l’anéantir physiquement et moralement. Il ne faut pas perdre de vue que la libération de Thaelmann et des autres camarades allemands sera beaucoup plus difficile que la nôtre.

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