La décision dans la guerre de résistance

De la guerre prolongée

Mao Zedong

La décision dans la guerre de résistance

  1. Cette question devra être envisagée sous trois aspects : nous devons chercher résolument la décision dans chaque campagne ou combat où nous sommes sûrs de remporter la victoire ; nous devons éviter la décision dans chaque campagne ou combat où nous ne sommes pas sûrs de la victoire ; et nous devons absolument éviter une décision stratégique où le sort du pays est en jeu.

   Les caractéristiques qui différencient notre Guerre de Résistance d’un grand nombre d’autres guerres se révèlent également dans cette question.

   Dans la première et la deuxième étape de la guerre, alors que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, il voudrait que nous concentrions le gros de nos forces et que nous acceptions la décision.

   Nous, au contraire, nous voulons choisir les conditions favorables, concentrer des forces supérieures et chercher seulement la décision dans les campagnes et les combats où nous sommes sûrs du succès, comme par exemple dans la bataille de Pinghsingkouan, dans celle de Taieultchouang et dans bien d’autres ; nous voulons éviter la décision lorsque les conditions nous sont défavorables et que nous ne sommes pas sûrs du succès : c’est le principe que nous avons adopté dans les batailles livrées à Tchangteh et ailleurs.

   Quant à la décision stratégique où le sort du pays est en jeu, il faut la refuser catégoriquement, comme nous l’avons fait, par exemple, récemment, en évacuant Siutcheou.

   Nous avons ainsi ruiné le plan de l’ennemi qui escomptait une « décision rapide » et l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.

   Ces principes sont inapplicables dans un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré politiquement.

   Mais comme la Chine est un grand pays à une époque de progrès, elle peut les appliquer.

   Si nous évitons la décision stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire, mais, comme dit le proverbe : « La forêt donnera toujours du bois », nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer, et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.

   C’est là pour nous la meilleure politique à suivre dans la Guerre de Résistance.

   Les partisans par trop impétueux de la théorie de la victoire rapide, incapables de supporter les dures épreuves d’une guerre prolongée et souhaitant des succès foudroyants, réclament à grands cris une décision stratégique dès que la situation s’est quelque peu améliorée.

   Si l’on suivait leurs conseils, on porterait un préjudice énorme à la cause de la Guerre de Résistance, c’en serait fait de la guerre prolongée, et nous aurions donné en plein dans le piège tendu par l’ennemi.

   Ce serait assurément le plus mauvais plan de guerre.

   Il est certain que si nous refusons la décision, nous sommes obligés d’abandonner des territoires ; et dans le cas où cela devient inévitable (et seulement dans ce cas), nous devons avoir le courage de le faire.

   Dans des moments pareils, nous ne devons pas avoir le moindre regret, car donner des territoires pour gagner du temps est une bonne politique. L’histoire nous apprend que la Russie, ayant effectué une retraite courageuse pour éviter la décision, a vaincu Napoléon, dont le nom résonnait alors dans le monde entier((En 1812, avec une armée de 500.000 hommes, Napoléon attaqua la Russie. L’armée russe se retira de Moscou en flammes, vouant l’armée de Napoléon à la faim, au froid et à d’incroyables souffrances, détruisit les lignes de communication à l’arrière des envahisseurs et, finalement, les plaça dans la situation intenable de troupes encerclées, si bien que Napoléon fut obligé de se replier.

Profitant de cette situation, l’armée russe passa à la contre­offensive et, de toute l’armée de Napoléon, quelque 20.000 soldats seulement purent s’échapper.)).

   Aujourd’hui, la Chine doit agir de la même façon.

  1. Mais ne craignons-­nous pas d’être dénoncés comme partisans de la « non­résistance » ? Non, nous ne le craignons pas.

   Ne pas se battre du tout et s’entendre avec l’ennemi, cela, c’est la nonrésistance ; elle ne mérite pas seulement d’être dénoncée, elle est absolument inadmissible.

   Nous devons poursuivre énergiquement la Guerre de Résistance, mais pour éviter les pièges que nous tend l’ennemi, il est tout à fait indispensable que nous n’exposions pas le gros de nos forces à un coup qui compromettrait tout le cours ultérieur de la guerre, bref, que nous empêchions l’asservissement du pays.

   Ceux qui se montrent sceptiques là­-dessus font preuve de myopie dans la question de la guerre et se retrouvent obligatoirement, en fin de compte, dans le camp des partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

   Pourquoi avons­-nous critiqué la mentalité du risque­tout de « toujours avancer sans jamais se retirer » ?

   Précisément parce que, si cette mentalité se généralisait, on s’exposerait à ne pouvoir poursuivre la guerre, ce qui aboutirait à l’asservissement de la Chine.

  1. Qu’il s’agisse de combats isolés ou de batailles plus ou moins importantes, nous sommes pour la décision chaque fois que les conditions favorables existent, et nous n’admettons là aucune passivité.

   Seule cette décision permet d’anéantir ou d’épuiser l’ennemi, et chaque combattant dans la Guerre de Résistance doit la chercher résolument.

   Cela exigera des sacrifices partiels importants ; ceux qui pensent qu’il faut éviter tous les sacrifices ne sont que des poltrons ou des gens qui tremblent devant les Japonais, et il faut combattre énergiquement leur point de vue.

   L’exécution de déserteurs tels que Li Fou­ying et Han Fou­kiu est un juste châtiment. Dans le cadre de plans d’opérations correctement établis, il est absolument indispensable d’exalter la vaillance et le sacrifice héroïque de soi­même, sans quoi la guerre prolongée aussi bien que la victoire définitive seraient impossibles.

   Nous avons flétri sévèrement l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer », et nous sommes pour une discipline sévère, précisément parce qu’il n’est possible de vaincre un puissant ennemi qu’en cherchant hardiment la décision suivant un plan correctement établi. L’attitude des paniquards n’est qu’un soutien direct à la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.

  1. N’y a­t­il pas contradiction entre livrer d’abord un combat héroïque et abandonner ensuite le territoire ?

   Ne verse­t­on pas inutilement son sang dans ces combats héroïques ? Ces questions sont très mal posées.

   Ne mange­t­on pas en vain si c’est pour évacuer ensuite ? Ne se met­on pas inutilement au lit pour dormir si c’est pour se lever ensuite ? Peut­on poser les questions ainsi ?

   A mon avis, ce n’est pas possible. Dire : du moment que l’on mange, autant manger tout son content, du moment que l’on dort, autant dormir tout son soûl, et puisqu’on se bat héroïquement, autant se battre jusqu’au Yalou, c’est donner dans le délire subjectiviste et formaliste ; dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi.

   Comme tout le monde le sait, bien que les combats sanglants engagés en vue de gagner du temps et de préparer la contre­offensive n’aient pu empêcher qu’une certaine partie du territoire ne soit abandonnée, ils nous ont permis de gagner du temps, d’atteindre notre objectif qui est d’anéantir ou d’épuiser les forces de l’ennemi, d’acquérir l’expérience de la guerre, d’entraîner au combat les masses populaires qui n’y participaient pas encore et d’accroître notre influence dans l’arène internationale.

   Dans ces conditions, le sang a­t­il été répandu en vain ?

   Manifestement non.

   Lorsqu’on abandonne un territoire, c’est pour conserver ses forces, et c’est même pour conserver le territoire ; en effet, si, au lieu d’abandonner une partie du territoire quand les conditions sont défavorables, on se lançait inconsidérément dans une bataille décisive sans être aucunement sûr du succès, le seul résultat serait la perte des forces armées, et donc la perte inévitable de tout le territoire ; à plus forte raison il serait impossible de recouvrer les territoires déjà perdus.

   Pour faire des affaires, le capitaliste a besoin d’un capital, mais s’il fait faillite, il cesse d’être capitaliste.

   Pour jouer, le joueur a besoin d’argent, mais s’il joue tout sur une seule carte et que la chance lui fasse défaut, il n’aura plus rien pour continuer à jouer. Le cours des choses suit une voie tortueuse et jamais une ligne droite. Cela est vrai également pour la guerre et il n’y a que les formalistes qui soient incapables de comprendre cette vérité.

  1. A mon avis, ce qui a été dit plus haut s’applique aussi à la décision dans l’étape de la contre­offensive stratégique.

   Certes, à cette étape, l’ennemi se trouvera en état d’infériorité alors que nous aurons la supériorité, mais le principe : « chercher la décision lorsque des conditions favorables existent et s’y refuser lorsqu’elles n’existent pas » n’en gardera pas moins toute sa valeur, jusqu’au moment où nos combats nous auront conduits au Yalou.

   De cette manière, nous pourrons conserver l’initiative du commencement à la fin. Tous les « défis » lancés par l’ennemi, tous les « brocards » d’autrui, nous devons les écarter avec dédain et n’y prêter aucune attention.

   Dans la Guerre de Résistance, seuls seront considérés comme courageux et clairvoyants les généraux qui auront fait preuve de cette fermeté.

   Ce n’est point le cas de ceux qui « prennent feu comme la poudre ».

   Bien qu’à la première étape, nous nous trouvions, jusqu’à un certain point, réduits à la passivité stratégique, nous n’en devons pas moins saisir l’initiative dans chaque campagne et nous devons naturellement la garder durant toutes les autres étapes.

   Nous sommes pour la guerre prolongée, pour la victoire finale, nous ne sommes pas des joueurs aventureux qui risquent tout leur enjeu sur une seule carte.

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