La possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi

De la guerre prolongée

Mao Zedong

La possibilité d’exploiter les erreurs de l’ennemi

  1. Même dans le commandement ennemi, nous pouvons trouver des possibilités de victoire.

   Il n’y a jamais eu, depuis les temps les plus reculés, de chef militaire infaillible.

   Tout comme il nous est difficile d’éviter nous­-mêmes des erreurs, il nous est possible d’en découvrir chez l’ennemi et par conséquent d’en profiter.

   Durant ces dix mois de guerre d’agression, l’ennemi a déjà commis une série d’erreurs sur le plan stratégique et dans les campagnes. Nous ne soulignerons que les cinq plus importantes.

   La première, c’est que l’ennemi n’accroît ses forces que par petites quantités.

   Cela provient du fait qu’il a sous­-estime la Chine et aussi de ce qu’il n’a pas assez de troupes.

   L’ennemi s’est toujours comporté envers nous avec mépris.

   Après avoir envahi sans grande peine les quatre provinces du Nord-­Est, il a occupé la partie orientale de la province du Hopei et le nord de la province du Tchahar ; tout cela peut être considéré comme une reconnaissance stratégique de sa part.

   Et la conclusion qu’il en a tirée est que la Chine est un tas de sable croulant.

   Aussi, estimant que la Chine s’effondrerait au premier coup, il a élaboré un plan de « décision rapide », n’a mis en jeu que très peu de forces et a espéré nous prendre par la peur.

   L’ennemi ne s’attendait pas que la Chine eût fait preuve au cours des dix derniers mois d’une cohésion si forte et d’une si forte résistance : il a oublié qu’elle est déjà entrée dans une ère de progrès, qu’il y existe déjà un parti d’avant­-garde, une armée d’avant­-garde et un peuple d’avant-garde.

   Lorsque l’ennemi s’est trouvé dans une mauvaise passe, il a commencé à accroître peu à peu ses forces, en les portant, en plusieurs étapes, d’un peu plus de dix à trente divisions.

   S’il veut poursuivre son avance, il ne pourra se dispenser d’accroître encore ses forces.

   Mais comme le Japon a une position hostile envers l’Union soviétique et que ses ressources humaines et financières sont bornées, il y a forcément une limite à l’importance des effectifs qu’il peut mettre en ligne, ainsi qu’à l’ampleur maximum de son offensive.

   La deuxième erreur consiste à n’avoir pas fixé la direction principale de l’offensive.

   Avant la bataille de Taieultchouang, l’ennemi avait, dans l’ensemble, divisé ses forces sur deux fronts : en Chine centrale et en Chine du Nord.

   Cette division des forces s’observait aussi dans chacune de ces deux régions.

   Par exemple, dans la Chine du Nord, les forces japonaises étaient réparties le long de trois lignes de chemin de fer : Tientsin­-Poukeou, Peiping-­Hankeou et Tatong-­Poutcheou ; le long de chacune de ces lignes, l’ennemi subit des pertes et laissa des garnisons sur les territoires occupés, si bien qu’il n’eut plus assez de troupes pour continuer l’offensive.

   Mettant à profit la leçon de sa défaite à Taieultchouang, il a concentré le gros de ses forces en direction de Siutcheou.

   Ainsi, cette erreur peut être considérée comme temporairement corrigée. La troisième erreur réside dans l’absence de coordination stratégique.

   Il y avait bien une certaine coordination à l’intérieur des deux groupes de forces japonaises, celui de Chine centrale et celui de Chine du Nord, mais il n’y en avait guère entre les deux.

   Quand les troupes japonaises sur la section sud de la ligne de chemin de fer Tientsin-Poukeou attaquèrent Siaopengpou, d’autres qui se trouvaient sur la section nord de cette même ligne restèrent inactives ; quand celles-­ci attaquèrent Taieultchouang, celles-­là ne bougèrent pas davantage.

   Quand l’ennemi eut subi de graves revers sur ces deux sections, le ministre de la Guerre du Japon vint en inspection et le chef d’état­-major général japonais accourut pour diriger les opérations ; une certaine coordination s’établit ainsi pour un temps.

   La classe des propriétaires fonciers, la bourgeoisie et les militaristes japonais sont divisés par des contradictions très sérieuses qui ne font que s’aggraver ; l’absence de coordination dans les opérations en est une manifestation concrète.

   La quatrième erreur, c’est de ne pas avoir su saisir, en stratégie, des moments favorables.

   L’exemple le plus frappant en est qu’après la prise de Nankin et de Taiyuan l’ennemi s’est arrêté, principalement parce qu’il n’avait pas assez de troupes et qu’il ne disposait pas de forces stratégiques de poursuite.

   La cinquième erreur, c’est qu’ayant encerclé un grand nombre de troupes il n’en a anéanti que peu. Avant la bataille de Taieultchouang, au cours des opérations de Changhaï, de Nankin, de Tsangtcheou, de Paoting, de Nankeou, de Hsinkeou et de Linfen, beaucoup de troupes chinoises ont été battues, mais très peu de soldats ont été faits prisonniers.

   Cela montre la maladresse du commandement japonais.

   Ces cinq erreurs : accroissement des forces par petites quantités, absence d’une direction principale de l’offensive, absence de coordination stratégique, non­-utilisation des moments favorables et faible proportion des troupes anéanties en regard du grand nombre de troupes encerclées témoignent de l’incompétence du commandement japonais dans la période qui a précédé la bataille de Taieultchouang.

   Certes, après cette bataille, l’ennemi a quelque peu rectifié sa direction, mais par suite de l’insuffisance de ses effectifs, de ses contradictions internes et d’autres facteurs semblables, il lui sera impossible de ne pas retomber dans ses erreurs ; d’ailleurs, ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre.

   Par exemple, la concentration de ses forces de la Chine du Nord à Siutcheou a fait un grand vide sur les territoires occupés de la Chine du Nord, ce qui nous a donné la possibilité d’y développer librement les opérations de partisans.

   Ce que nous avons dit jusqu’ici concerne les erreurs commises par l’ennemi lui­-même, et non celles que nous pouvons le pousser à commettre.

   Or, nous pouvons délibérément faire commettre des erreurs à l’ennemi, c’est­-à­-dire que nous pouvons le désorienter et le manœuvrer à notre gré, au moyen d’actions habiles et efficaces couvertes par une population locale bien organisée, par exemple, en faisant des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre.

   Cette possibilité, nous en avons déjà parlé plus haut.

   Tout cela montre que nous pouvons trouver jusque dans les actes mêmes du commandement ennemi matière à notre victoire ; cependant, nous ne devons pas considérer ces possibilités comme une base importante pour nos plans stratégiques ; au contraire, le plus sûr est d’établir nos plans en supposant que l’ennemi commettra peu d’erreurs.

   De plus, l’ennemi peut utiliser nos erreurs comme nous les siennes.

   Il appartient donc à notre commandement de lui donner le moins de prise possible sur nous.

   Il n’en est pas moins vrai que le commandement ennemi a déjà commis des erreurs, qu’il en commettra aussi à l’avenir, et que nos propres efforts peuvent lui en faire commettre d’autres encore.

   Toutes ces erreurs peuvent être utilisées par nous, et nos généraux de la Guerre de Résistance doivent s’employer à les exploiter.

   Si, sur le plan stratégique et opérationnel, le commandement ennemi se montre à bien des égards peu compétent, il excelle, par contre, dans la direction des combats, c’est-­à­-dire dans la tactique de combat des détachements et des petites unités ; il y a là beaucoup à apprendre pour nous.

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