L’initiative, la souplesse et le plan d’action

De la guerre prolongée

Mao Zedong

L’initiative, la souplesse et le plan d’action

  1. Dans les opérations offensives de décision rapide menées à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, telles qu’elles ont été définies plus haut, le point crucial est l’offensive.

   « A l’extérieur des lignes » désigne la sphère de l’offensive, et « décision rapide » la durée de l’offensive.

   D’où l’expression « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».

   C’est le meilleur principe pour la conduite d’une guerre prolongée et c’est aussi le principe de ce qu’on appelle la guerre de mouvement.

   Toutefois, on ne saurait appliquer ce principe sans faire preuve d’initiative et de souplesse et sans avoir un plan. Examinons donc maintenant ces trois questions.

  1. Nous avons déjà parlé plus haut de l’activité consciente. Pourquoi envisageons-­nous maintenant la question de l’initiative ?

   Comme on l’a dit plus haut, il faut entendre par activité consciente les actes et les efforts conscients en tant qu’ils sont le propre de l’homme, et tels qu’ils se manifestent avec une force toute particulière dans la guerre.

   En ce qui concerne l’initiative, dont il s’agit maintenant, elle signifie la liberté d’action des troupes, par opposition à la privation de cette liberté imposée par la situation.

   La liberté d’action est une nécessité vitale pour l’armée. Une armée qui l’a perdue est tout près de la défaite ou de la destruction. Un soldat est désarmé pour avoir perdu sa liberté d’action et avoir été réduit à la passivité.

   La défaite d’une armée a la même cause.

   C’est pour cela que les deux parties belligérantes luttent énergiquement pour l’initiative et repoussent la passivité de toute leur force.

   On peut dire que les opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, que nous préconisons, ainsi que la souplesse et le plan d’action nécessaires à leur réalisation visent à conquérir l’initiative et à réduire l’ennemi à la passivité, pour conserver nos forces et détruire celles de l’ennemi.

   Mais l’initiative et la passivité sont respectivement inséparables de la supériorité ou de l’infériorité des forces, et, par conséquent, inséparables d’une direction subjective juste ou erronée.

   En outre, il est possible d’acquérir l’initiative et de réduire l’ennemi à la passivité en profitant de son erreur de jugement et en usant de surprise. Nous allons examiner ces questions.

  1. L’initiative est inséparable de la supériorité des forces, alors que la passivité est conditionnée par l’infériorité des forces.

   Cette supériorité et cette infériorité constituent respectivement la base objective de l’initiative et de la passivité.

   Il est évident que, sur le plan stratégique, on peut plus facilement obtenir et développer l’initiative au moyen d’opérations offensives, mais que l’on ne peut arriver à détenir l’initiative durant toute la guerre et sur tous les fronts, c’est­-à-­dire l’initiative absolue, que si l’on dispose de la supériorité absolue des forces contre un adversaire dont l’infériorité est absolue. Dans un corps à corps, un homme fort et robuste aura l’initiative absolue sur un grand malade.

   Si le Japon n’était pas aux prises avec tant de contradictions insurmontables, s’il pouvait, par exemple, mettre sur pied d’un seul coup une immense armée de quelques millions d’hommes, voire d’une dizaine de millions d’hommes, si ses ressources financières étaient plusieurs fois ce qu’elles sont actuellement, s’il ne se heurtait pas aux sentiments hostiles des masses populaires de son pays et des Etats étrangers, et si enfin il n’avait pas appliqué une politique barbare qui a incité le peuple chinois à entre­prendre une lutte à mort, il pourrait s’assurer la supériorité absolue des forces et disposer de l’initiative absolue pour toute la durée de la guerre et sur tous les fronts.

   Mais l’histoire montre que cette supériorité absolue des forces ne s’observe qu’à la fin d’une guerre ou d’une campagne, tandis qu’on ne la rencontre que très rarement au début.

   Par exemple, pendant la Première guerre mondiale, à la veille de la capitulation de l’Allemagne, les pays de l’Entente avaient acquis la supériorité absolue, alors que l’Allemagne était réduite à l’infériorité absolue; en conséquence, l’Allemagne fut vaincue et les pays de l’Entente remportèrent la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une guerre.

   Un autre exemple : à la veille de notre victoire à Taieultchouang, les troupes japonaises, qui s’y trouvaient alors isolées, furent réduites, après de durs combats, à l’infériorité absolue des forces, tandis que nos troupes acquirent la supériorité absolue, en raison de quoi l’ennemi subit une défaite et nous remportâmes la victoire.

   C’est là un exemple de supériorité et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une campagne.

   Il arrive également qu’une guerre ou une campagne s’achève dans une situation de supériorité et d’infériorité relatives ou d’équilibre.

   Dans ce cas, la guerre conduit à un compromis, et la campagne à la stabilisation du front. Mais dans la plupart des cas, c’est la supériorité et l’infériorité absolues qui décident de la victoire et de la défaite.

   Tout cela se rapporte à la période finale d’une guerre ou d’une campagne et non à leur début.

   On peut dire d’avance que, à la fin de la guerre sino-­japonaise, le Japon sera vaincu par suite de l’infériorité absolue de ses forces et que la Chine vaincra grâce à la supériorité absolue des siennes.

   Mais, en ce moment, la supériorité ou l’infériorité des forces de l’une ou de l’autre partie n’est pas absolue, elle est relative.

   Les avantages d’une puissante armée, d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat ont assuré au Japon la supériorité sur la Chine, qui a une armée faible, une économie faible, un appareil d’Etat faible, et ont créé la base de l’initiative dont il dispose.

   Mais comme le potentiel militaire et autre du Japon est quantitativement insuffisant et que plusieurs autres facteurs lui sont défavorables, sa supériorité s’est trouvée réduite par ses propres contradictions.

   Elle l’a été plus encore, quand le Japon s’est heurté en Chine à des facteurs tels que l’étendue de notre territoire, l’immensité de notre population, l’importance numérique de notre armée et la résistance acharnée de toute la nation.

   Ainsi, la supériorité du Japon a pris, dans l’ensemble, un caractère relatif, et son aptitude à prendre et à conserver l’initiative, qui ne peut plus s’exercer que dans certaines limites, est donc devenue, elle aussi, relative.

   En ce qui concerne la Chine, il est vrai que, dans une certaine mesure, elle se trouve dans une position passive au point de vue stratégique, en raison de l’infériorité de ses forces, mais elle est supérieure au Japon par l’étendue de son territoire, le chiffre de sa population et l’effectif de ses troupes, ainsi que par le patriotisme de son peuple et le moral de son armée. Jointes aux autres facteurs favorables, ces circonstances réduisent l’importance de l’infériorité militaire, économique, etc. de la Chine et en font, sur le plan stratégique, une infériorité relative.

   Cela aussi diminue le degré de passivité de la Chine et donne à sa position stratégique le caractère d’une passivité purement relative. Cependant, comme toute passivité est nuisible, il faut que nous fassions les plus grands efforts pour en sortir.

   Au point de vue militaire, le moyen d’y réussir, c’est de mener résolument des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, de développer la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et d’arriver ainsi à nous assurer une supériorité locale écrasante et l’initiative au cours de nombreuses campagnes dans la guerre de mouvement et la guerre de partisans.

   C’est en acquérant ainsi, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales que nous obtiendrons peu à peu la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et pourrons nous dégager de notre infériorité et de notre passivité stratégiques.

   Telle est la relation entre l’initiative et la passivité, entre la supériorité et l’infériorité des forces.

  1. Nous pouvons alors comprendre aussi quel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et la direction subjective de la guerre.

   Comme nous l’avons déjà dit, nous pouvons sortir de notre infériorité et de notre passivité stratégiques relatives en nous assurant, dans un grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales, de façon à arracher à l’ennemi la supériorité et l’initiative sur le plan local et à le condamner à l’infériorité et à la passivité.

   L’ensemble de ces succès locaux nous permettront d’acquérir la supériorité et l’initiative stratégiques, et l’ennemi se trouvera réduit à l’infériorité et à la passivité stratégiques.

   La possibilité d’un tel tournant dépend d’une direction subjective juste.

   Pourquoi ?

   Parce que l’ennemi, comme nous­-mêmes, s’efforce de conquérir la supériorité et l’initiative.

   En ce sens, la guerre est une compétition portant sur la capacité subjective du commandement de chacune des deux armées en présence à créer la supériorité des forces et à acquérir l’initiative, à partir de conditions matérielles données telles que les forces militaires et les ressources financières.

   De cette compétition l’une des parties sort victorieuse, et l’autre vaincue. Si l’on fait abstraction des conditions matérielles objectives, le vainqueur devra nécessairement son succès à une direction subjective juste, et le vaincu sa défaite à une direction subjective erronée.

   Nous reconnaissons qu’il est beaucoup plus difficile de s’orienter dans la guerre que dans n’importe quel autre phénomène social, qu’elle comporte moins de certitude, c’est­-à­-dire qu’elle est encore plus une question de « probabilité ».

   Cependant, elle n’a rien de surnaturel, elle n’est qu’un événement de la vie soumis à des lois définies.

   Voilà pourquoi la règle de Souentse : « Connais ton adversaire et connais-toi toi­-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles »((Souentse (Souen Wou), célèbre stratège et théoricien militaire chinois du Ve siècle av. J.­C., auteur du traité Souentse en 13 chapitres. Cette citation est extraite du « Plan de l’attaque », Souentse, chapitre III.)) reste une vérité scientifique.

   Les erreurs viennent de ce que l’on ne connaît pas l’ennemi et qu’on ne se connaît pas soi­-même ; d’ailleurs, en bien des cas, le caractère spécifique de la guerre ne nous permet pas de connaître parfaitement et l’ennemi et nous­-mêmes, d’où l’incertitude dans l’appréciation de la situation militaire et dans les actions militaires, d’où les erreurs et les défaites.

   Mais, quelles que soient dans une guerre la situation et les actions militaires, il est toujours possible d’en connaître les aspects généraux, les traits fondamentaux.

   Grâce aux reconnaissances, puis à des déductions et jugements sagaces, le commandant peut parfaitement réduire le nombre des erreurs et exercer une direction généralement bonne.

   Munis de cette arme d’une « direction généralement bonne », nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires, transformer notre infériorité en supériorité et notre passivité en initiative.

   Tel est le rapport entre l’initiative ou la passivité et une bonne ou une mauvaise direction de la guerre.

  1. Cette affirmation qu’une bonne direction peut transformer l’état d’infériorité et la passivité en un état de supériorité et en initiative autant qu’une mauvaise direction peut aboutir à un changement contraire devient encore plus évidente si l’on considère dans l’histoire les exemples de défaites subies par des armées puissantes à l’effectif nombreux et de victoires remportées par des armées faibles à l’effectif peu nombreux.

   Ces exemples sont multiples dans l’histoire de la Chine et d’autres pays.

   On peut citer dans l’histoire de la Chine : la bataille de Tchengpou entre les Tsin et les Tchou((Tchengpou est situé dans le sud­-ouest de l’actuel district de Kiuantcheng, province du Chantong. En 632 av. J.­C., il s’y déroula une grande bataille entre les troupes des principautés de Tsin et de Tchou.

Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui porta des coups puissants ; l’armée de Tchou subit alors une lourde défaite.)), la bataille de Tchengkao entre les Tchou et les Han, la bataille au cours de laquelle Han Sin vainquit les Tchao((En l’an 204 av. J.­C., les troupes des Han, sous le commandement de Han Sin, livrèrent bataille à l’armée de Tchao Hsié à Tsingking. L’armée de Tchao Hsié, qui comptait, dit­on, 200.000 hommes, l’emportait de plusieurs fois en nombre sur les troupes des Han. Han Sin disposa ses troupes devant un cours d’eau ; coupées de leur retraite, elles combattirent avec acharnement. En même temps, Han Sin envoya une partie de ses troupes porter un coup par surprise à l’arrière, mal protégé, de l’armée de Tchao Hsié. Prise ainsi comme dans une tenaille, l’armée de Tchao Hsié subit une lourde défaite.)), la bataille de Kouenyang entre les Sin et les Han, la bataille de Kouantou opposant Yuan Chao et Tsao Tsao, la bataille de Tchepi entre les Wou et les Wei, la bataille de Yiling entre les Wou et les Chou, la bataille de Feichouei entre les Ts’in et les Tsin. Dans l’histoire des autres pays, on peut prendre comme exemples la plupart des batailles de Napoléon et la guerre civile en U.R.S.S. après la Révolution d’Octobre.

   Dans tous ces cas, il y a eu victoire d’une petite armée sur une grande, de forces inférieures sur des forces supérieures.

   Chaque fois, l’armée la plus petite, la plus faible savait opposer des forces supérieures à des forces inférieures de l’ennemi en un point donné et y conquérir l’initiative ; après avoir remporté ainsi une première victoire, elle se tournait vers son objectif suivant, écrasait les unes après les autres les forces de l’ennemi et transformait ainsi la situation générale en arrachant partout la supériorité et l’initiative.

   Le cas de l’ennemi était inverse : il détenait au début la supériorité des forces et l’initiative, mais par suite des erreurs subjectives commises par sa direction et de ses contradictions internes, il pouvait perdre entièrement une position excellente ou une position relativement bonne dans laquelle il avait la supériorité et l’initiative, et devenir en quelque sorte un général sans armée, un roi sans couronne.

   Il en résulte que, si la supériorité ou l’infériorité dans la guerre est la base objective dont dépend l’initiative ou la passivité, cette supériorité ou cette infériorité ne constitue pas en elle­-même l’initiative ou la passivité dans la réalité ; l’initiative ou la passivité ne devient effective que par la lutte, par la confrontation des capacités subjectives.

   Au cours de la lutte, l’infériorité peut se transformer en supériorité, la passivité en initiative et vice versa, selon que la guerre est bien ou mal dirigée.

   Le fait qu’aucune dynastie régnante n’a jamais pu venir à bout des armées révolutionnaires montre que la supériorité des forces à elle seule ne suffit pas à assurer l’initiative, ni, à plus forte raison, ne garantit la victoire finale.

   Ceux qui sont en état d’infériorité et se trouvent dans la passivité peuvent arracher l’initiative et la victoire à ceux qui détiennent la supériorité des forces et l’initiative, si, s’appuyant sur la situation réelle, ils déploient une grande activité subjective pour créer certaines conditions indispensables.

  1. On peut perdre la supériorité des forces et l’initiative quand on se trouve désorienté par l’adversaire et qu’on est pris au dépourvu.

   C’est pourquoi, chercher systématiquement à désorienter l’ennemi et à le prendre au dépourvu est un moyen, très important du reste, pour obtenir la supériorité sur lui et lui arracher l’initiative.

   Que signifie être désorienté ? « Prendre des buissons et des arbres du mont Pakong pour des soldats »((En l’an 383, Fou Kien, chef de Ts’in, ayant sous­-estime la force des armées des Tsin, les attaqua. L’armée des Tsin défit l’avant-­garde de Ts’in au Louokien, dans le district de Cheouyang, province de l’Anhouei, et poursuivit ensuite son offensive par terre et par eau. Fou Kien monta sur la citadelle de Cheouyang et porta ses regards en direction de l’ennemi.

Il vit que l’armée des Tsin s’était disposée entièrement en ordre de bataille. Puis, lorsqu’il regarda en direction du mont Pakong, les arbres et les buissons lui semblèrent être des soldats. Croyant qu’il avait devant lui un puissant ennemi, il fut saisi de peur. Voir « Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine », note 30, Œuvres choisies de Mao Tsé­toung, tome I, p. 284.)) en est un exemple.

   Et « faire des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre » est un des moyens de désorienter l’ennemi.

   Lorsque nous bénéficions du soutien des masses au point que les informations ne peuvent filtrer dans le camp de l’ennemi, nous réussissons souvent, en utilisant diverses méthodes pour tromper l’ennemi, à le placer dans des situations difficiles où il est amené à porter des jugements faux, à entreprendre des actions erronées, qui lui font perdre et la supériorité et l’initiative.

   C’est de cela justement qu’il s’agit quand on dit : « La guerre ne répugne à aucune ruse ».

   Que signifie être pris au dépourvu ?

   C’est se trouver sans préparation. Sans préparation, la supériorité des forces n’est pas une véritable supériorité et on ne peut pas non plus avoir l’initiative.

   Si l’on comprend cette vérité, des troupes, inférieures en force mais prêtes, peuvent souvent, par une attaque inopinée, battre un ennemi supérieur.

   Nous disons qu’il est plus facile de porter des coups à un ennemi en marche, parce qu’il se trouve pris au dépourvu, c’est­-à-­dire non préparé.

   Le principe de ces deux procédés : désorienter l’ennemi et l’attaquer par surprise est de contraindre l’ennemi à agir dans des conditions pour lui mal définies et de nous assurer le plus possible de certitude, ce qui nous permet d’acquérir la supériorité des forces et l’initiative, et de remporter la victoire.

   Une bonne organisation des masses est la condition première de tout cela.

   Il est donc extrêmement important pour nous de soulever tous les simples gens, qui sont contre l’ennemi, de les armer tous, sans exception, afin qu’ils puissent effectuer partout des raids contre l’ennemi et, en même temps, empêcher la fuite des informations dans le camp de l’ennemi et couvrir notre armée ; ainsi, l’ennemi ne pourra savoir où et quand nos forces s’apprêteront à lui porter des coups, et une base objective sera créée pour désorienter l’ennemi et pour le prendre au dépourvu.

   Autrefois, au temps de la Guerre révolutionnaire agraire, c’est dans une grande mesure grâce au soutien des masses populaires armées et organisées que l’Armée rouge chinoise a réussi à remporter bien des victoires avec de faibles effectifs.

   Logiquement, nous devrions pouvoir compter sur un soutien encore plus large des masses populaires dans la guerre nationale que dans la Guerre révolutionnaire agraire, mais, par suite d’erreurs commises dans le passé((En 1927, Tchiang Kaï­chek, Wang Tsing­wei et leurs acolytes trahirent le premier front uni national démocratique entre le Kuomintang et le Parti communiste et poursuivirent dix ans durant une guerre antipopulaire, ce qui priva le peuple chinois de la possibilité de s’organiser largement. C’est la clique réactionnaire du Kuomintang, dirigée par Tchiang Kaï­chek, qui porte la responsabilité de cette faute historique.)), les masses populaires ne sont pas organisées et nous ne pouvons, sans un travail préparatoire, les entraîner à nous aider ; souvent même, c’est l’ennemi qui se sert d’elles.

   Seule une mobilisation large et résolue des masses populaires nous donnera des ressources inépuisables pour répondre à tous les besoins de la guerre.

   Et cette mobilisation jouera certainement un grand rôle dans l’application de notre tactique visant à vaincre l’ennemi en le désorientant et en le prenant au dépourvu.

   Nous ne sommes pas comme le duc Siang de Song, nous n’avons nul besoin de son éthique stupide((Le duc Siang régnait sur la principauté de Song à l’époque de Tchouentsieou au VIIe siècle avant notre ère. En 638 av. J.­C., la principauté de Song faisait la guerre à la puissante principauté de Tchou. Les troupes de Song étaient déjà disposées en ordre de bataille, alors que l’armée de Tchou en était encore à traverser le fleuve qui séparait les deux ennemis. Un des dignitaires de Song, sachant que les troupes de Tchou étaient de beaucoup supérieures en nombre, proposa de profiter du moment propice et de les attaquer avant qu’elles aient terminé leur traversée.

Mais le duc Siang répondit : « Non, un homme bien né n’attaque pas un adversaire en difficulté. » Lorsque les troupes de Tchou eurent traversé la rivière, et alors qu’elles ne s’étaient pas encore disposées en ordre de bataille, le dignitaire de Song lui proposa à nouveau d’attaquer l’armée de Tchou. Le duc Siang répondit « Non, un homme bien né n’attaque pas une armée avant qu’elle soit en ordre de bataille. » C’est seulement lorsque les troupes de Tchou furent parfaitement préparées au combat que le duc donna l’ordre d’attaquer. Le résultat fut une lourde défaite pour la principauté de Song et le duc Siang lui­-même fut blessé.)).

   Il nous faut boucher de la manière la plus complète les yeux et les oreilles de l’ennemi, pour qu’il devienne aveugle et sourd.

   Il nous faut, autant que possible, créer la confusion dans l’esprit de ses chefs, de façon qu’ils perdent complètement la tête, et en profiter pour remporter la victoire.

   Tel est aussi le rapport entre l’existence ou l’absence d’initiative et la direction subjective de la guerre.

   Nous ne saurions vaincre le Japon sans cette direction subjective.

  1. Si en général le Japon détient l’initiative à l’étape de son offensive, c’est grâce à sa puissance militaire et à nos erreurs subjectives, passées et présentes, qu’il a su exploiter.

   Mais cette initiative commence à faiblir dans une certaine mesure, à cause des nombreux facteurs défavorables inhérents à la situation de l’ennemi et des erreurs subjectives qu’il a lui aussi commises au cours de la guerre (il en sera question plus loin) et en raison, également, des nombreux facteurs qui nous sont favorables.

   La défaite subie par l’ennemi à Taieul­tchouang et ses difficultés dans la province du Chansi en sont des preuves évidentes.

   Le large développement de la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi réduit à la passivité complète ses garnisons dans les territoires occupés.

   L’ennemi continue actuellement son offensive stratégique et conserve l’initiative, mais il la perdra lorsque son offensive s’arrêtera.

   Le manque de troupes ne lui permettra pas de poursuivre son offensive indéfiniment, et c’est la première raison pour laquelle il ne pourra conserver l’initiative.

   La deuxième raison, c’est que nos opérations offensives au cours des campagnes et la guerre de partisans que nous faisons derrière ses lignes l’obligeront, avec d’autres facteurs, à arrêter son offensive à une certaine limite et ne lui laisseront donc pas la possibilité de conserver l’initiative.

   La troisième raison, c’est l’existence de l’U.R.S.S. et les changements qui se produisent dans la situation internationale.

   Il apparaît ainsi que l’initiative de l’ennemi est limitée et qu’elle peut être réduite à néant.

   Si donc la Chine s’en tient fermement à la méthode des opérations offensives menées par ses forces principales au cours des campagnes et des combats, développe vigoureusement la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et mobilise largement les masses populaires dans le domaine politique, elle peut s’assurer peu à peu l’initiative stratégique.

  1. Venons-­en maintenant à la question de la souplesse.

   Qu’est­-ce que la souplesse ? C’est la réalisation concrète de l’initiative dans les opérations militaires ; c’est la souplesse dans l’emploi des troupes.

   Employer les troupes avec souplesse est la tâche capitale dans la conduite de la guerre et c’est aussi la tâche la plus difficile.

   Si l’on fait abstraction des tâches telles que l’organisation et la formation des troupes, l’organisation et l’éducation de la population, la conduite de la guerre n’est autre chose que l’emploi des troupes dans le combat ; tout cela doit contribuer à rendre le combat victorieux.

   Organiser et instruire les troupes, par exemple, est évidemment difficile, mais il est encore plus difficile de les employer au combat, surtout lorsqu’il s’agit d’affronter un ennemi plus fort que soi.

   Pour venir à bout de cette tâche, il faut une haute capacité subjective, il faut savoir trouver l’ordre, la clarté et la certitude dans la confusion, l’obscurité et l’incertitude propres à la guerre.

   C’est seulement ainsi que se réalise la souplesse dans le commandement.

  1. Le principe fondamental des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance consiste à mener des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.

   Pour appliquer ce principe, il y a diverses tactiques ou méthodes : dispersion et concentration des forces, progression en ordre dispersé et attaque convergente, offensive et défensive, assaut et fixation, encerclement et mouvement tournant, progression et retraite.

   Il est facile de comprendre ces tactiques, mais il n’est pas facile de les appliquer et de les varier avec souplesse.

   Il faut ici tenir compte de trois facteurs­-clés : le temps, le lieu et l’unité combattante ; sans un choix judicieux de ces facteurs, la victoire est impossible.

   Si, par exemple, dans l’attaque contre un ennemi en marche, le coup est porté trop tôt, on risque de se découvrir soi­-même et de lui donner le temps d’y parer ; si, par contre, le coup est porté trop tard, l’ennemi aura le temps d’arrêter sa marche et de se regrouper, et nous nous casserons les dents sur un os.

   Voilà pour le choix du temps.

   Si l’on choisit un point d’assaut, par exemple sur le flanc gauche de l’ennemi, et qu’on tombe justement sur son côté faible, la victoire sera facile ; mais si on a choisi le flanc droit et qu’on se heurte à un mur, on n’arrivera à rien.

   Voilà pour le choix du lieu.

   Enfin, si l’on choisit, pour réaliser telle tâche, telle unité combattante, il sera facile de vaincre, mais si l’on en choisit une autre pour remplir la même tâche, il sera peut­-être difficile de remporter un succès. Voilà pour le choix de l’unité combattante.

   Cependant, il faut savoir non seulement appliquer les diverses tactiques, mais encore les varier.

   C’est une tâche importante pour une direction souple que de savoir par exemple passer de l’offensive à la défensive ou de la défensive à l’offensive, de la progression à la retraite ou de la retraite à la progression, de la fixation à l’assaut ou de l’assaut à la fixation, de l’encerclement au mouvement tournant ou du mouvement tournant à l’encerclement, et d’effectuer ces changements de tactique à bon escient et en temps voulu, conformément à la situation des troupes et à la nature du terrain de notre côté comme du côté de l’ennemi.

   Cela est vrai aussi bien pour la direction dans les combats que pour la direction dans les campagnes ou pour la direction stratégique.

  1. Comme le dit le vieil adage, « le secret d’une habile exécution est dans la tête ». C’est ce « secret » que nous appelons la souplesse.

   Elle est le fruit du talent d’un bon commandant. La souplesse, ce n’est pas l’action inconsidérée ; il faut repousser l’action inconsidérée.

   La souplesse, c’est l’aptitude d’un chef habile à prendre en temps utile des décisions justes conformément à la situation objective, ou, en d’autres termes, à « tenir compte du temps et de la situation » (par situation, il faut entendre celle de l’ennemi et de nos troupes, la nature du terrain, etc.).

   C’est en cela que consiste « le secret d’une habile exécution ».

   En nous appuyant là­-dessus, nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, passer de l’infériorité à la supériorité, arracher l’initiative à l’ennemi, le mater et le détruire, et la victoire définitive nous appartiendra.

  1. Venons-­en maintenant à la question du plan. Par suite de l’incertitude propre à la guerre, il est beaucoup plus difficile d’y appliquer un plan que dans n’importe quelle autre activité.

   Cependant, « en toutes choses, la préparation assure le succès comme l’impréparation entraîne l’échec » ; il ne peut y avoir de victoire dans la guerre sans plan et préparation préalables.

   Il n’existe pas de certitude absolue dans la guerre, mais celle­-ci n’est pas sans comporter un certain degré de certitude relative.

   En effet, nous sommes relativement certains de connaître notre situation.

   Nous avons très peu de certitude de connaître la situation de l’ennemi, mais il existe des signes qui peuvent être décelés, des indices qui peuvent nous guider, des séries de faits qui nous aident à réfléchir.

   Tout cela constitue ce que nous appelons un certain degré de certitude relative, lequel peut servir de base objective à une conduite planifiée de la guerre.

   Le développement de la technique moderne(le télégraphe, la radio, l’avion, l’automobile, le chemin de fer, le bateau à vapeur, etc.) a accru la possibilité de planifier les opérations militaires.

   Toutefois, il est difficile dans la guerre d’élaborer des plans complets ou stables, puisque les certitudes n’y ont qu’un caractère très limité et momentané.

   Les plans se modifient suivant le cours de la guerre(sa mobilité ou son évolution) et l’ampleur de ces modifications dépend de l’échelle des opérations militaires.

   Il faut souvent changer plusieurs fois par jour les plans tactiques, par exemple les plans offensifs ou défensifs des petites formations ou des petites unités.

   On peut prévoir dans l’ensemble un plan de campagne, c’est-­à­-dire un plan d’opérations des grosses formations, pour toute la durée de la campagne, mais au cours même de cette campagne on doit souvent le soumettre à une révision partielle, et parfois à une révision complète. Quant au plan stratégique, il est élaboré à la lumière de la situation générale des deux parties belligérantes, et, par suite, son degré de stabilité est plus grand ; néanmoins, il n’est valable que pour une étape stratégique définie ; il faut le modifier lorsque la guerre aborde une nouvelle étape.

   L’élaboration et la modification des plans tactiques, des plans de campagne et des plans stratégiques, dans le cadre qui les concerne et en rapport avec la situation, constituent un facteur-­clé dans la direction de la guerre.

   C’est ainsi que l’on réalise concrètement la souplesse dans les opérations militaires, que l’on fait jouer le secret d’une habile exécution.

   A tous les échelons, les commandants qui prennent part à la Guerre de Résistance doivent y prêter une attention particulière.

  1. Certains allèguent la mobilité de la guerre pour nier catégoriquement la stabilité relative des plans ou directives militaires. Ils affirment que ces plans ou directives sont « mécaniques ».

   C’est une vue erronée.

   Nous reconnaissons pleinement, nous l’avons dit plus haut, que, puisque la guerre ne connaît que des certitudes relatives et qu’elle se développe (se meut ou évolue) avec rapidité, un plan ou une directive militaires ne peuvent avoir qu’un caractère de stabilité relative et qu’il nous faut en élaborer d’autres ou y apporter des modifications en temps opportun, conformément aux changements qui surviennent dans la situation et à l’évolution de la guerre, sous peine de devenir des mécanistes.

   Cependant, on ne peut nier la nécessité d’un plan ou d’une directive militaires relativement fixes pour une période donnée.

   Le nier signifie nier tout, nier la guerre elle­-même et se nier soi­-même. Comme la situation et l’action militaires sont d’une stabilité relative, il convient d’élaborer les plans ou les directives relativement stables qui en résultent.

   Par exemple, la situation sur le front de la Chine du Nord et les opérations menées de façon dispersée par la VIIIe Armée de Route ayant, à une étape donnée, un caractère stable, il devient indispensable de définir, à cette étape, ce principe d’opérations stratégique relativement stable pour la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Une directive pour une campagne a une période de validité plus courte qu’une directive stratégique, et une directive tactique en a une plus courte encore, mais l’une et l’autre de ces directives sont stables pour une période donnée.

   Le nier, c’est en arriver à ne pas savoir comment mener la guerre, c’est devenir un relativiste dans la guerre, sans idées bien arrêtées et ballotté au gré des flots.

   Personne ne conteste qu’une directive, même valable pour une période donnée, ne doive subir certains changements ; sinon, une directive ne pourrait être remplacée par une autre.

   Mais ces changements sont limités, ils ne dépassent pas le cadre des diverses actions militaires entreprises pour exécuter la directive et ne modifient pas son essence ; en d’autres termes, la directive ne subit que des changements quantitatifs et non qualitatifs.

   Dans les limites de la période en question, son essence ne change absolument pas, c’est ce que nous entendons par stabilité relative pour une période donnée.

   Dans le vaste cours général de la guerre, où le changement est absolu, chaque étape présente une stabilité relative ; c’est ainsi que nous concevons l’essence d’un plan ou d’une directive militaires.

  1. Après avoir parlé de la guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique et des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, puis de l’initiative, de la souplesse et du plan d’action, nous pouvons maintenant résumer tout cela en quelques mots.

   La Guerre de Résistance doit être poursuivie selon un plan.

   Les plans de guerre, c’est­-à­-dire l’application concrète de notre stratégie et de notre tactique, doivent être souples, afin de pouvoir s’adapter aux circonstances de la guerre.

   Il faut s’efforcer par tous les moyens de transformer l’infériorité en supériorité, la passivité en initiative, de façon à changer la situation où nous nous trouvons par rapport à l’ennemi.

   Tout cela doit trouver son expression dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats, et en même temps, dans une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique.

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