Réfutation de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine

De la guerre prolongée

Mao Zedong

Réfutation de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine

  1. Ne considérant qu’un seul facteur, le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine disaient déjà autrefois : « Si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement. »

   Maintenant, ils affirment :  » Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable. « 

  Si nous nous contentons de répondre à cela que l’ennemi, tout en étant fort, est un petit pays, et que la Chine, tout en étant faible, constitue un grand pays, nous ne convaincrons pas les partisans de cette théorie.

  Ils peuvent trouver dans l’histoire les exemples du renversement des Song par les Yuan ou des Ming par les Tsing, et prouver ainsi que l’assujettissement d’un pays grand mais faible par un pays petit mais fort, et, qui plus est, d’un pays avancé par un pays retardataire, est possible.

  Si nous leur disons que tout cela s’est produit dans un passé lointain et ne peut servir de preuve dans la situation actuelle, ils peuvent aussi s’appuyer sur le cas de l’assujettissement de l’Inde par l’Angleterre pour démontrer qu’un pays capitaliste petit, mais fort, peut asservir un pays grand, mais faible et retardataire.

  C’est pourquoi nous devons donner d’autres raisons encore afin qu’il soit possible de contraindre les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine à se taire et à reconnaître leur erreur, et de fournir en même temps à tous ceux qui poursuivent un travail de propagande des arguments suffisants pour convaincre ceux dont les idées restent confuses ou ceux qui sont encore indécis et pour renforcer leur foi dans notre victoire.

  1. Quels sont donc les arguments que nous devons apporter ? Ils résident dans les particularités de notre époque, soit, concrètement, dans le caractère rétrograde du Japon et le faible appui dont il jouit, dans le caractère progressiste de la Chine et le large soutien dont elle bénéficie.
  2. Cette guerre n’est pas une guerre quelconque, c’est une guerre entre la Chine et le Japon dans les années 30 du XXe siècle.

  Si l’on considère notre ennemi, il est avant tout un impérialisme moribond, un impérialisme sur son déclin, qui non seulement ne ressemble pas à l’Angleterre du temps de l’assujettissement de l’Inde, alors que le capitalisme britannique était encore ascendant, mais diffère aussi de ce qu’était le Japon il y a vingt ans, dans la période de la Première guerre mondiale.

  La guerre actuelle a éclaté à la veille de la grande débâcle de l’impérialisme mondial et, en premier lieu, des Etats fascistes.

  C’est justement pour cela que l’ennemi s’est lancé dans une guerre d’aventure, qui n’est au fond qu’une guerre désespérée.

  Pour la même raison, la guerre aura pour résultat non pas la ruine de la Chine, mais celle de la clique dirigeante de l’impérialisme japonais.

  C’est là une issue inévitable, à laquelle il lui est impossible d’échapper.

  En outre, le Japon a entrepris cette guerre à un moment où d’autres pays du monde sont déjà entraînés dans la guerre ou vont l’être, alors que tous ensemble nous combattons déjà l’agression barbare ou bien nous nous préparons à la combattre.

  Et les intérêts de la Chine se confondent avec les intérêts de la majorité des pays et des peuples du monde.

  Telles sont les raisons profondes de l’opposition que le Japon suscite et suscitera de plus en plus contre lui dans ces pays et parmi ces peuples.

  1. Quelle est la situation de la Chine ?

  La Chine d’aujourd’hui ne peut déjà plus être comparée à celle d’autrefois, à une période quelconque de l’histoire.

  Le caractère semi­-colonial et semi-­féodal de la Chine la fait considérer comme un pays faible.

  Mais, en même temps, la Chine traverse une époque de progrès dans son développement historique, et c’est là notre principal argument pour affirmer qu’elle peut vaincre le Japon.

  Lorsque nous disons que la Guerre de Résistance contre le Japon est une guerre progressiste, nous ne prenons pas ce mot dans son sens courant ou général, nous n’entendons pas qu’elle est progressiste comme l’était la résistance de l’Abyssinie à l’agression italienne, ou comme l’était la Guerre des Taiping ou la Révolution de 1911, nous voulons parler du caractère progressiste de la Chine d’aujourd’hui. En quoi la Chine d’aujourd’hui est­-elle progressiste ?

  En ce que, déjà, elle n’est plus un Etat féodal dans toute la force du terme.

  Le capitalisme y est apparu, ainsi que la bourgeoisie et le prolétariat ; de larges masses du peuple se sont éveillées ou s’éveillent à une vie consciente ; la Chine a un Parti communiste, elle a une armée progressiste au point de vue politique, l’Armée rouge chinoise dirigée par le Parti communiste ; et elle a accumulé les traditions et l’expérience de dizaines d’années de révolutions et, en particulier, l’expérience des dix­ sept années écoulées depuis la fondation du Parti communiste chinois.

  C’est cette expérience qui a éduqué le peuple chinois et les partis politiques de Chine, c’est elle qui forme aujourd’hui la base même de l’union du peuple dans la résistance contre le Japon.

  S’il est vrai que la victoire de 1917 aurait été impossible en Russie sans l’expérience de 1905, nous pouvons dire que si nous n’avions pas l’expérience des dix­ sept dernières années, la victoire future dans la Guerre de Résistance serait également impossible.

  Telles sont nos conditions intérieures.

  Les conditions internationales font que la Chine ne se trouve plus isolée dans la guerre, et c’est là encore une situation sans précédent dans l’histoire.

  Dans le passé, la Chine aussi bien que l’Inde ont toujours fait la guerre dans l’isolement.

  C’est de nos jours seulement qu’un mouvement populaire aussi large et aussi profond, né ou sur le point de naître dans le monde entier, apporte son aide à la Chine.

  La Révolution de 1917 en Russie a reçu, elle aussi, une aide internationale, et les ouvriers et les paysans russes ont triomphé, mais cette aide n’était pas aussi étendue et elle n’avait pas un caractère aussi profond que celle dont bénéficie la Chine de nos jours.

  Le mouvement populaire dans le monde se développe aujourd’hui avec une ampleur et une profondeur sans précédent.

  Un facteur encore plus important de la politique internationale contemporaine est l’existence de l’Union soviétique, pays qui, sans aucun doute, apportera de l’aide à la Chine avec un immense enthousiasme ; c’est là un fait qui n’existait pas il y a vingt ans. L’ensemble de ces facteurs a créé et continue de créer d’importantes conditions, indispensables pour la victoire finale de la Chine.

  Une aide directe et étendue n’existe pas pour le moment et n’interviendra que plus tard, mais la Chine, qui est dans une ère de progrès et qui est un grand pays, pourra soutenir une longue guerre et, par là même, promouvoir l’aide internationale et avoir le temps de la recevoir.

  1. Si l’on ajoute à ce qui vient d’être dit que le Japon est un petit pays ayant un territoire peu étendu, des ressources matérielles limitées, une population et une armée peu nombreuses, et que la Chine est un grand pays au vaste territoire, aux ressources matérielles abondantes, ayant une population nombreuse et une grande armée, on verra dans le rapport des forces entre le Japon et la Chine, à côté du fait que le Japon est un pays fort et la Chine un pays faible, un autre aspect : sur la voie de son déclin et faiblement appuyé, un petit pays s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien.

  C’est la raison pour laquelle la Chine ne sera jamais asservie.

  Le premier aspect du rapport des forces : un pays faible s’opposant à un pays fort fait que le Japon pourra se déchaîner en Chine pendant un certain temps et jusqu’à un certain point, que la Chine aura nécessairement à passer par une période d’épreuves et que la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et non pas une guerre de décision rapide.

  Cependant, le deuxième aspect du rapport des forces, à savoir qu’un petit pays sur son déclin, faiblement appuyé, s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un large soutien, fait à son tour que le Japon ne pourra pas se déchaîner indéfiniment en Chine et qu’il subira nécessairement, en fin de compte, la défaite, que la Chine ne sera jamais asservie et qu’elle est sûre de remporter la victoire finale.

  1. Pourquoi l’Abyssinie a-­t-­elle été asservie ?

  Premièrement, elle n’était pas seulement faible, elle était aussi un petit pays.

  Deuxièmement, elle n’était pas aussi progressiste que la Chine : c’était un pays passant de l’antique régime esclavagiste au régime du servage, un pays où il n’y avait ni capitalisme ni parti politique bourgeois ni, à plus forte raison, de parti communiste, et qui n’avait pas une armée comme la Chine en possède, ni, à plus forte raison, comme notre VIIIe Armée de Route.

  Troisièmement, elle ne put tenir le temps nécessaire pour recevoir une aide internationale et elle dut faire la guerre toute seule.

  Quatrièmement, et c’est là le principal, des erreurs furent commises dans la conduite de la guerre contre les envahisseurs italiens.

  C’est pour toutes ces raisons que l’Abyssinie fut asservie. Toutefois, une guerre de partisans assez étendue s’y maintient et si les Abyssins la poursuivent avec ténacité, ils pourront reconquérir l’indépendance de leur patrie à la faveur d’un changement dans la situation internationale.

  1. Si maintenant les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine utilisent les exemples d’échec du mouvement de libération dans la Chine moderne pour démontrer que « si nous menons une guerre de résistance, c’est l’asservissement » et que « poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable », nous pouvons, ici encore, leur répondre que les temps ont changé.

  La situation en Chine aussi bien que la situation au Japon et la situation internationale sont aujourd’hui différentes.

  Le Japon est devenu plus fort qu’auparavant, tandis que la Chine demeure toujours un pays semi­-colonial et semi-­féodal assez faible.

  C’est là une grave circonstance.

  Les dirigeants du Japon peuvent encore maintenir leur peuple sous leur joug et profiter des contradictions internationales pour envahir la Chine.

  Tout cela est vrai.

  Mais au cours d’une longue guerre, des changements en sens inverse se produiront inévitablement.

  Actuellement, ils ne sont pas encore accomplis, mais ils le seront dans l’avenir.

  Voilà ce dont les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine ne veulent justement pas tenir compte.

  Et en Chine ?

  Nous avons déjà des hommes nouveaux, un parti nouveau, une armée nouvelle et une politique nouvelle, une politique de résistance contre le Japon, notre situation est fort différente de celle d’il y a dix ans et, qui plus est, elle évoluera nécessairement vers de nouveaux progrès.

  Certes, l’histoire du mouvement de libération en Chine a connu de nombreux insuccès, qui ont empêché la Chine d’accumuler des forces plus importantes pour la présente Guerre de Résistance ; c’est là une leçon historique particulièrement amère dont il faut bien se pénétrer pour ne plus permettre, à l’avenir, la destruction par les Chinois eux-mêmes de leurs forces révolutionnaires.

  Cependant, si nous faisons des efforts énergiques en nous appuyant sur ce qui existe déjà, nous pouvons assurément progresser pas à pas et accroître nos forces pour résister aux envahisseurs japonais. Un grand front uni national anti-japonais, voilà l’objectif vers lequel doivent tendre tous ces efforts.

  En ce qui concerne le soutien international, bien qu’une aide directe et massive ne soit pas encore à portée, elle se prépare, la situation internationale étant déjà foncièrement différente de ce qu’elle était auparavant.

  Les innombrables insuccès du mouvement de libération dans la Chine moderne s’expliquent aussi bien par des causes objectives que par des causes subjectives, mais la situation actuelle est entièrement différente sous ces deux rapports.

  Bien qu’il y ait aujourd’hui de nombreuses conditions défavorables, qui rendent la Guerre de Résistance difficile, par exemple le fait que le Japon est un Etat fort et la Chine un Etat faible, que l’ennemi commence seulement à éprouver des difficultés et que nous n’avons pas encore atteint un degré de développement suffisant, il n’en existe pas moins un très grand nombre de conditions favorables à notre victoire sur l’ennemi.

  Il suffit donc que nous fassions des efforts, et nous pourrons surmonter les difficultés et remporter la victoire.

  Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la Chine, de période qui présentât des conditions aussi favorables pour nous que la période actuelle.

  Voilà pourquoi la Guerre de Résistance contre le Japon ne se terminera pas, comme les mouvements de libération d’autrefois, un échec.

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