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Programme du PCR

Parti Communiste Révolutionnaire

6. Le prolétariat exploité, fer de lance de la révolution socialiste

   De la même façon que certains prétendent que la bourgeoisie «n’est plus ce qu’elle était» ou qu’elle a même plus ou moins disparu, plusieurs penseurs bourgeois appliquent commodément le même raisonnement quant à l’existence du prolétariat. Depuis l’effondrement de l’URSS et de l’ancien bloc de l’Est en particulier, on se plaît en certains milieux non seulement à prétendre que le socialisme n’est plus viable ou possible mais même que les «vieilles» divisions de classe sont désormais choses du passé. C’est comme si les difficultés et les échecs rencontrés par le prolétariat dans sa lutte pour renverser le capitalisme et s’établir comme classe dominante avaient eu pour effet d’entraîner sa propre disparition.

   Et toutes les raisons sont bonnes pour l’évoquer (sa disparition, ou son attrition progressive) : le développement technologique, l’automatisation qui permettent de remplacer les personnes par des machines ; le gonflement de l’armée des sans-emplois qui peuvent apparaître, quand on y regarde trop rapidement, comme étant définitivement «exclus» du marché du travail (et du prolétariat lui-même) ; l’embourgeoisement – par ailleurs évident – de certaines couches au sein du prolétariat qui tirent profit des miettes que l’impérialisme peut leur concéder ; bref, il s’agit de «prouver» non seulement que le prolétariat n’existe plus ou presque, mais surtout que pour cette même raison, il ne peut plus prétendre jouer un rôle quelconque dans la lutte pour transformer la société et la conduire à une étape supérieure.

   Pour en arriver à de telles conclusions, il faut d’abord faire un sérieux effort pour ne pas voir et ignorer la réalité dans laquelle nous vivons. Et il ne faut surtout pas avoir compris ce qu’est le prolétariat – i.e. une classe dont l’existence est fondée sur la place qu’elle occupe dans les rapports de production, et non pas le résultat d’un «souhait» ou d’une simple volonté politique. Ceux-ci (les rapports de production) ont-ils changé au point où la bourgeoisie puisse désormais «se passer» du prolétariat ? Bien sûr que non. La vérité, c’est que les choses changent, certes ; que le développement du capitalisme, l’exacerbation de la concurrence et la lutte de classes elle-même bouleversent les choses et amènent des transformations constantes, y compris au sein même du prolétariat, notamment dans sa composition. Mais celles-ci n’affectent en rien le rapport fondamental qui l’oppose à la bourgeoisie. Au contraire, c’est l’existence même de ce rapport qui explique, en bout de ligne, les changements qui se produisent.

   Oui, il y a présentement accentuation de la précarité de l’emploi, dans tous les pays impérialistes. Les prolétaires y sont de moins en moins «enchaînéEs» à un capitaliste en particulier pour lequel ils et elles seraient appeléEs à bosser toute leur vie. Oui, il y a augmentation et persistance d’un taux de chômage élevé, que les capitalistes utilisent pour implanter leurs fameux programmes de workfare et de travaux forcés – ce seul fait suffit d’ailleurs à montrer que le prolétariat existe toujours. Seulement, il arrive de plus en plus souvent qu’il soit embauché par des agences, privées ou gouvernementales, et qu’il travaille à la journée, sans droit, pour répondre aux besoins immédiats de tel ou tel capitaliste. Dans tous les grands pays capitalistes en fait, les bourgeois cherchent constamment et avec plus de force que jamais à nous faire travailler pour moins cher que par le passé.

   Et puis, lorsqu’on regarde un peu plus loin que le simple horizon «national» auquel on se limite trop souvent, on voit encore mieux que le prolétariat est actuellement la classe qui monte et que de plus en plus, se consolide le phénomène des deux grandes classes qui s’affrontent, que Marx et Engels ont analysé dans leur Manifeste. Au cours des dix ou vingt dernières années, dans les pays dominés par l’impérialisme, ce sont des millions et des millions d’anciens paysans pauvres, ruinés par l’exploitation et l’oppression dont ils ont été victimes, qui ont quitté les campagnes pour se retrouver dans les villes, où ils ont joint et grossi les rangs d’un prolétariat surexploité, qu’on retrouve notamment dans les maquiladoras – ces fameuses «zones franches» qui permettent aux capitalistes étrangers d’utiliser la main-d’œuvre locale en-dehors de tout contrôle et de toute réglementation. Ils et elles sont tout aussi nombreux et nombreuses à avoir migré vers les métropoles impérialistes, où là encore ils et elles ont contribué et contribueront encore plus à l’avenir non seulement à transformer le prolétariat, mais aussi à la renforcer, quantitativement et surtout qualitativement.

   Au Canada, et même si les statistiques officielles ne permettent pas d’en dresser le portrait exact, le prolétariat représente environ 65 % de la population du pays. Cela inclut les ouvriers et les ouvrières ; les employéEs d’exécution ; les assistéEs sociales et sociaux et les chômeurs et chômeuses (y compris ceux qui ne sont pas reconnuEs comme tels) ; la majorité des autochtones ; les travailleurs et travailleuses retraitéEs ; les conjointes et conjoints d’ouvriers, d’ouvrières et d’employéEs qui ne sont pas sur le marché du travail.

   Loin d’être une classe en déclin ou d’avoir «disparu», le prolétariat constitue encore aujourd’hui la classe la plus nombreuse au pays. Elle est donc non seulement la force dirigeante, mais aussi la force principale de la révolution.

   Ceci dit, il ne s’agit pas d’une classe homogène. Elle est traversée par plusieurs contradictions. Et surtout, son expérience de lutte contre la bourgeoisie et le capitalisme reste somme toute encore assez limitée. Malgré qu’il ait livré des combats héroïques tels la grève générale de Winnipeg en 1919, la fondation du Parti communiste canadien en 1921 (sous l’influence directe de sa composante immigrée), le mouvement des sans-travail dans les années 30, etc., le prolétariat canadien reste politiquement, idéologiquement et organisationnellement dominé par la bourgeoisie.

   Le mouvement syndical actuel, notamment – qui reste le principal mode d’organisation du prolétariat -, ne représente pas ses intérêts fondamentaux. Il n’arrive plus à exprimer autre chose qu’une banale orientation de collaboration de classes, et il est devenu en fait un instrument aux mains des capitalistes pour contrôler et mater la classe ouvrière. Mais ce n’est pas qu’une simple question d’orientation, qu’il suffirait de modifier pour en changer la nature profonde. Car cette orientation reflète en réalité sa composition de classe. Les salariéEs provenant de couches sociales non-prolétariennes comptent en effet pour environ 40 % des effectifs du mouvement syndical.

   Cette petite-bourgeoisie salariée vient s’ajouter aux travailleurs et aux travailleuses provenant des couches supérieures du prolétariat qui dominent et dirigent dans les faits le mouvement syndical canadien. En consolidant leur présence et leur direction au sein du mouvement syndical, ces couches, qui sont aussi celles qui soutiennent les gros fonds de pension, les fonds d’investissement et de capital de risque qui pullulent depuis quelques années dans le mouvement ouvrier, ont fortement contribué à son intégration à l’intérieur du système capitaliste et de l’appareil d’État bourgeois.

   Du fait que le Canada soit devenu aujourd’hui un pays impérialiste relativement puissant (même s’il n’est évidemment pas au même niveau que son voisin américain), la bourgeoisie canadienne a pu se permettre, avec le temps, d’utiliser une partie des surprofits qu’elle tire de l’exploitation des peuples des pays dominés pour corrompre et se rallier des secteurs non négligeables du prolétariat et de la petite-bourgeoisie. Même si la situation de ces couches privilégiées demeure instable, à long terme (parce que liée au caractère lui-même changeant d’un système impérialiste où la concurrence est exacerbée au plus haut point), et qu’elles pourraient éventuellement basculer, ou retomber, dans le camp de la révolution, il n’en reste pas moins que pour l’instant, et pour un avenir prévisible, elles ont encore un intérêt certain à défendre le capitalisme.

   Le mouvement syndical pris dans sa globalité, les partis politiques bourgeois qui parlent au nom de la classe ouvrière et des masses exploitées (le NPD au Canada anglais, Québec solidaire au Québec), la gauche réformiste et révisionniste qui prétend pouvoir améliorer le sort des travailleurs et travailleuses sans chercher à abattre le capitalisme, représentent tous, chacun à leur façon, les intérêts de cette aristocratie ouvrière et de cette petite-bourgeoisie, sur lesquelles ils s’appuient.

   Comme représentant des intérêts fondamentaux du prolétariat, le parti communiste révolutionnaire tient compte de cette fracture qui existe au sein du prolétariat entre la minorité privilégiée et les couches profondes, pour qui l’exploitation constitue la règle. Nous ne cherchons pas à la dissimuler, à faire comme si elle n’existait pas. Nous ne visons pas à construire l’unité de toute la classe indépendamment de cette fracture, ce qui ne signifierait en pratique rien d’autre chose que la trahison des intérêts de la majorité et le renforcement des privilèges de la minorité.

   L’Internationale communiste, à l’époque où elle était dirigée par Lénine, a selon nous déterminé correctement l’attitude à prendre en rapport avec les divisions qui existent au sein du prolétariat. Faisant plus spécifiquement référence à «l’armée toujours croissante des sans-travail», la Thèse sur la tactique adoptée par le troisième congrès de l’Internationale en 1921 expliquait :

   « En prenant avec la plus grande énergie la défense de cette catégorie d’ouvriers, en descendant dans les profondeurs de la classe ouvrière, les partis communistes ne représentent pas les intérêts d’une couche ouvrière contre une autre, ils représentent ainsi l’intérêt commun de la classe ouvrière, trahi par les chefs contre-révolutionnaires, au profit des intérêts momentanés de l’aristocratie ouvrière : plus large est la couche de sans-travail et de travailleurs à temps réduit, et plus son intérêt se transforme en l’intérêt commun de la classe ouvrière, plus les intérêts passagers de l’aristocratie ouvrière doivent être subordonnés à ces intérêts communs. Le point de vue qui s’appuie sur les intérêts de l’aristocratie ouvrière pour les retourner comme une arme contre les sans-travail ou pour abandonner ces derniers à leur sort déchire la classe ouvrière et est en fait contre-révolutionnaire. Le Parti communiste, comme représentant de l’intérêt général de la classe ouvrière, ne saurait se borner à reconnaître et à faire valoir par la propagande cet intérêt commun. Il ne peut représenter efficacement cet intérêt général qu’en menant dans certaines circonstances le gros même de la masse ouvrière la plus opprimée et la plus appauvrie au combat contre la résistance de l’aristocratie ouvrière. »

Nous sommes d’avis que les circonstances actuelles, marquées, on l’a vu, par la persistance du chômage, le développement de la précarité de l’emploi et du travail forcé, rendent cette tactique encore plus pertinente.

Sur quelque question que ce soit, dans quelque milieu que ce soit, l’objectif des communistes révolutionnaires est d’amener le prolétariat exploité à agir comme classe autonome et distincte de la bourgeoisie, à faire prévaloir ses intérêts et à se diriger lui-même, de façon à ce qu’il puisse éventuellement mener la lutte révolutionnaire qui renversera la bourgeoisie et diriger la société socialiste jusqu’à son terme, i.e. jusqu’au triomphe du communisme.

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