Le Parti Communiste Chinois

Repenser le socialisme

Pao-Yu Ching & Deng-Yuan Hsu

II. L’EXPÉRIENCE CONCRÈTE DE LA CHINE PENDANT LA TRANSITION SOCIALISTE

5. LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS

   Pendant la transition socialiste jusqu’à 1978, les forces de classe qui favorisaient la transition capitaliste n’ont jamais cessé d’essayer de mettre en avant des projets capitalistes. Ces forces de classe ont souvent trouvé leurs représentants en position de pouvoir au sein du Parti Communiste Chinois. En Chine, les éléments pro-capitalistes au sein du Parti Communiste Chinois ont finalement pris le contrôle du Parti et de l’appareil d’Etat. En Chine, la lutte de classe menée depuis le début de la République Populaire jusqu’à nos jours est révélée par la compétition entre les projets socialistes et capitalistes. Ce sont les éléments procapitalistes du Parti Communiste Chinois qui ont mis en avant les projets capitalistes. Les éléments de classe du PCC depuis sa formation méritent d’être soigneusement étudiés ailleurs. Nous essayerons ici de présenter simplement quelques-unes de nos observations. Ce qui suit n’est pas une étude complète du PCC.

A. La Direction du Parti Communiste Chinois et la Révolution de Nouvelle Démocratie

   En premier lieu, la Révolution Chinoise menée par le Parti Communiste Chinois comprenait à la fois une révolution démocratique et une révolution socialiste. Lorsque Mao a écrit la «La Démocratie Nouvelle» en 1940, il a expliqué la différence entre la nouvelle et la vieille révolution démocratique. La différence était que, même si les deux visaient à renverser le vieux féodalisme et son système de propriété terrienne, le but ultime de la révolution de nouvelle démocratie était d’atteindre le communisme. Par conséquent, seul le Parti Communiste Chinois, en tant qu’avant-garde du prolétariat, pouvait mener la révolution à son terme.

   La réforme agraire était le point principal du programme de la révolution démocratique de 1911 menée par Sun Yat-sen du Parti Nationaliste (KMT-Kuomintang). Le but de cette (ancienne) révolution démocratique était seulement de détruire le féodalisme, et elle a fini par échouer. Une des principales raisons de son échec était que la Chine avait une bourgeoisie très faible qui ne pouvait pas fournir une direction nécessaire à la révolution démocratique. Le Parti Nationaliste, dirigé plus tard par Chiang Kai-shek, trahit la révolution en s’alliant avec la classe des propriétaires terriens et avec les capitaux étrangers. La reddition de Chiang à la classe des propriétaires terriens et au capital étranger ainsi que la corruption au sein du KMT, n’ont laissé aucun espoir à de nombreux jeunes intellectuels qui voulaient sincèrement réformer la Chine. La seule alternative restante pour ces jeunes patriotes était le Parti Communiste. Beaucoup d’entre eux ont rejoint le PCC. Pendant la guerre contre le Japon, de nombreux jeunes patriotes se sont rendus à Yenan pour manifester leur soutien au PCC.

   Cependant, de nombreux membres de la direction du Parti Communiste Chinois ne comprenaient pas entièrement ou n’étaient pas entièrement d’accord avec l’analyse de Mao sur la révolution de nouvelle démocratie.

   Ils voyaient la révolution de la Chine divisée en deux phases distinctes : la phase démocratique et la phase socialiste. Certains membres du PCC (menés par Liu Shaoqi et Deng Xiaoping) ont soutenu la première phase de la révolution mais se sont opposés à la seconde. Par conséquent, lorsque la réforme agraire a pris fin, ces membres du Parti Communiste ont vu cela comme une opportunité pour aller vers un développement plus poussé vers le capitalisme. Ainsi, ils ont soutenu la réforme agraire mais se sont fermement opposés au passage de la réforme agraire à la collectivisation de l’agriculture. Pour masquer leur opposition au projet socialiste, ils prétendaient que la collectivisation faisait trop évoluer les rapports de production en amont du développement des forces productives. Ils ont soutenu que les forces productives devaient être développées en premier, afin que la mécanisation vienne avant la collectivisation. (Cependant, comme nous l’avons expliqué auparavant, après la réforme agraire, la plupart des paysans ont eu du mal à réaliser une reproduction même simple, sans parler d’une reproduction élargie.) Ces membres du Parti ont continué à s’opposer à tous les projets socialistes dans les secteurs étatiques et collectifs en faisant passer leurs projets capitalistes.

   Selon Mao, cependant, ces deux phases (démocratique et socialiste) de la révolution ne pouvaient et ne devaient pas être si clairement séparées. C’est pour cela que la révolution fut nommée « de nouvelle démocratie ».

   Le but de la révolution de nouvelle démocratie est le communisme et, par conséquent, elle est dirigée par le prolétariat, alors que le but de l’ancienne révolution démocratique était d’établir le capitalisme. Selon Mao, même s’il y avait deux phases dans la révolution de nouvelle démocratie, les deux phases ne devraient pas être traitées comme si elles étaient deux entités séparées. Le développement de la première phase est de préparer le développement de la deuxième phase. Le but de la lutte au cours de la première phase ne devrait pas être limité à l’accomplissement de la révolution démocratique, mais plutôt à poursuivre la lutte vers la révolution socialiste. Mao l’a clairement expliqué en critiquant l’interprétation de la Révolution Chinoise dans le manuel d’économie politique soviétique. Le manuel disait que la nature de la Révolution Chinoise juste après la création de la République Populaire était démocratique. Mao a fait valoir, « Pendant la guerre de libération, la Chine a résolu les tâches de la révolution démocratique … il a fallu encore trois ans (après 1949) pour conclure la réforme agraire, mais au moment de la fondation de la République, nous avons immédiatement exproprié les entreprises capitalistes bureaucratiques – 80% des actifs fixes de notre industrie et de nos transports – et les avons converties en propriété du peuple tout entier. » Il a poursuivi : « Mais il serait faux de penser qu’après la libération du pays tout entier, ‘la révolution à ses débuts n’a pour l’essentiel que le caractère d’une révolution démocratique bourgeoise et ne se développera que peu à peu en une révolution socialiste. »((Mao Zedong, Une critique de l’économie soviétique, New York: Monthly Review Press, 1977, traduit par Moss Roberts, p. 40)) Cependant, certains dirigeants du PCC étaient en désaccord avec Mao. Dès le début, Liu et Deng avaient leur propre agenda pour un développement capitaliste.

B. Le Rôle du Parti Communiste dans une Société Post-Révolutionnaire

   L’histoire montre que les partis marxistes-léninistes ont remporté de nombreuses victoires majeures au cours des 80 dernières années. Plusieurs exemples montrent que le Parti Communiste est l’avant-garde du prolétariat, organisant efficacement la classe ouvrière et les masses en vu de la lutte armée et de la prise du pouvoir d’Etat. Au moment des révolutions, le but de ces partis communistes était de développer d’abord une société socialiste et finalement une société communiste. Cependant, l’histoire montre aussi que dans un cas comme dans l’autre, à un moment donné après la prise du pouvoir par le Parti Communiste, le Parti s’est retourné contre les intérêts de classe du prolétariat et a changé la direction de la transition. Le Parti communiste chinois n’est pas une exception. Nous ne cherchons pas à donner une analyse complète de la transformation du PCC après la révolution ici. Nous espérons plutôt clarifier certains points importants.

   Dans chacune des révolutions passées, après la prise du pouvoir par le parti communiste, celui-ci a eu deux rôles : 1) rester au pouvoir et administrer l’appareil d’Etat, et 2) agir en tant qu’avant-garde du prolétariat. Ce sont les deux faces d’une contradiction. Le parti communiste doit rester au pouvoir pour agir en tant qu’avant-garde du prolétariat, mais le parti communiste doit également continuer à abandonner son pouvoir en tant qu’avant-garde du prolétariat. Pour de nombreuses raisons qui restent encore à découvrir, dans chaque pays qui est parvenu à la révolution, à un moment donné, le seul objectif du parti communiste est devenu de rester au pouvoir. Lorsque le parti communiste n’agit plus comme agent de changement, le lien entre le prolétariat et le parti communiste est rompu. Quand cela arrive, le parti communiste commence à utiliser la dictature du prolétariat pour justifier la dictature du parti communiste. Cependant, il y a un processus de développement qui mène jusqu’à ce point. L’expérience concrète de la Chine peut éclairer cette discussion.

   Tout au long de cet article, nous avons essayé d’identifier les causes du révisionnisme en Chine. Nous croyons qu’en raison de la direction de Mao Zedong dans l’avancement de la théorie et de la pratique révolutionnaire, la Chine a fait quelques pas de plus dans sa lutte contre le révisionnisme. Dès le début, Mao a eu un point de vue sur la société chinoise post-révolutionnaire et sur le rôle du Parti Communiste Chinois qui était très différent de celui de son principal adversaire, Liu Shaoqi. Après la nationalisation des moyens de production, Liu considérait la principale contradiction comme une lutte entre le « système socialiste avancé » (c’est-à-dire la propriété étatique des moyens de production) et les « forces productives arriérées de la société ».((Résolution du Huitième Congrès du Parti Communiste de Chine en 1966.)) Liu pensait qu’après le transfert légal de la propriété des moyens de production à l’Etat, le changement dans les relations de production était complet et la tâche principale du PCC devenait ainsi de développer les forces productives. D’autre part, Mao pensait que même si les moyens de production étaient transférés à l’État, les changements dans les relations de production étaient loin d’être achevés. De plus, il y avait aussi des problèmes dans la superstructure. Ces deux analyses fondamentalement différentes de la société chinoise se reflétaient dans la façon dont Mao et Liu voyaient le rôle du Parti Communiste Chinois.

   Du point de vue de Liu, la tâche principale du PCC était de développer les forces productives. Il a estimé que le PCC devrait créer un environnement stable pour la croissance économique, et qu’il devrait s’appuyer sur l’expertise d’un petit nombre de technocrates chinois pour faire accomplir cette tâche. Cependant, et ce afin de garder un esprit communiste, les membres du PCC devaient se purifier en suivant quelques directives sur les bons codes moraux de comportement, selon les consignes du livre de Liu « Pour être un bon communiste ». De l’autre côté, Mao considérait l’enthousiasme des masses comme le principal moteur d’un véritable changement dans les relations de production et la superstructure. Davantage de changements dans les relations de production et dans la superstructure libéreraient les forces potentielles des masses. Mao a placé l’enthousiasme des masses plutôt que les connaissances techniques d’un petit groupe d’élite comme la clé pour faire avancer les relations de production et ainsi développer des forces productives. L’histoire a prouvé que Mao avait raison. De plus, Mao a vu que la crédibilité du PCC dépendait de son lien étroit avec les masses, et que les membres du PCC ne devraient pas devenir un groupe d’élite et se placer au-dessus des masses. Au lieu de cela, ils devaient se soumettre à la critique des masses.

   En observant les différences entre ces deux points de vue, nous pouvons comprendre que Mao a vu le rôle du Parti Communiste Chinois comme étant celui d’agent de changement fondamental dans la société chinoise, alors que pour Liu, construire une Chine forte était la tâche principale du Parti Communiste Chinois. Bien sûr, il n’y avait aucun doute sur le fait que la Chine devrait être forte à la fois économiquement et militairement pour pouvoir se défendre contre les impérialistes, mais l’argument était de savoir comment y parvenir et si la construction d’une Chine forte était le seul but. Pour revenir à notre point précédent, Mao n’a jamais pensé que le rôle du PCC était de se garder au pouvoir ; au contraire, le PCC devrait continuer à mener la transition vers le communisme, et ce n’est qu’ainsi qu’il pourrait être l’avant-garde du prolétariat.

C. La Base Matérielle de la Bureaucratie

   Il y a également la question de la bureaucratie. Quiconque connaît le développement de la Chine depuis la révolution comprend que la bureaucratie est devenue un obstacle au changement. Pour faire quelque chose, il fallait passer par des couches et des couches de bureaucratie pour que cela soit approuvé. Par conséquent, la question de la bureaucratie et sa relation avec le PCC requièrent notre attention. Beaucoup ont blâmé le long passé féodal de la Chine comme étant la source du problème. Et bien sûr, nous aussi voyons l’influence de l’idéologie féodale sur les fonctionnaires du gouvernement et sur le peuple en général, mais après la prise du pouvoir par le Parti Communiste Chinois, il existait une nouvelle base matérielle qui soutenait cette idéologie arriérée. Il y a une différence entre l’attitude et le style de travail féodal des dirigeants et un réseau de bureaucratie construit sur une nouvelle base matérielle de pouvoir. Nous pouvons voir la différence en comparant la situation avant et après la prise du pouvoir par le PCC.

   Pendant la guerre révolutionnaire, quand le PCC a conduit les paysans et les ouvriers à combattre le KMT et les Japonais, Mao a écrit des articles pour critiquer le style de direction des cadres. Mao a vu l’influence de la vieille idéologie, des vieilles coutumes et habitudes des cadres, et le problème de la bureaucratie. Il a également vu que la nouvelle direction du PCC devait passer par des changements fondamentaux et drastiques dans ses relations avec les masses. Mao a souligné à plusieurs reprises qu’il était important pour les cadres de comprendre les masses, d’apprendre des masses et de se préoccuper du bien-être des masses. Au cours des décennies de la guerre révolutionnaire, nous avons assisté à la naissance d’une nouvelle génération de cadres, radicalement différente des anciens fonctionnaires corrompus du KMT. Ces cadres avaient des principes et étaient fortement disciplinés. Beaucoup d’entre eux venaient des rangs des ouvriers et des paysans et ont entretenu des liens étroits avec les travailleurs, les amenant à la révolution. L’ancienne idéologie féodale, les habitudes et les coutumes influençaient ces cadres, mais ils étaient capables de changer leur mode de penser et leur vision du monde par la critique et l’autocritique.

   Pendant la guerre révolutionnaire, la survie et l’expansion du PCC dépendaient de ses relations étroites avec les masses. Mao a dit que les soldats révolutionnaires étaient comme des poissons et que les masses étaient comme de l’eau – et les poissons avaient besoin d’eau pour nager et survivre. En effet, les paysans ont protégé les soldats de la Huitième Armée de Route des attaques du KMT, et ils ont fourni aux soldats du grain et d’autres produits de première nécessité. Les paysans savaient que ces soldats venaient d’eux et se battaient pour leur libération. Ce n’est qu’avec le soutien des masses que les communistes ont pu mener la guérilla et gagner la révolution.

   Après avoir pris le pouvoir en 1949, le PCC a établi la République Populaire de Chine, qui a confisqué le capital bureaucratique du KMT et a nationalisé 80% des actifs de production dans l’industrie, l’exploitation minière, le transport et la communication. Le nouveau gouvernement devait compter sur les dizaines de milliers de bureaucrates pour s’occuper des opérations quotidiennes de gestion du pays. Le réseau administratif comprenait différents niveaux de bureaucratie d’État, des ministères, des bureaux, des départements, etc. Sous la direction des cadres du parti, les unités administratives devaient utiliser de nombreux anciens fonctionnaires du KMT connus pour leur corruption et leur abus de pouvoir. Les masses connaissaient depuis longtemps leur corruption et avaient un fort ressentiment envers ces fonctionnaires. En outre, au début des années 50, des cas de corruption et de gaspillage ont été signalés parmi les hauts responsables du Parti. Mao était très inquiet parce que, selon lui, si cela était permis, les fonctionnaires du Parti qui venaient de goûter au pouvoir réel pourraient facilement devenir de nouveaux bureaucrates qui abuseraient de leur pouvoir. Le PCC avait un tel prestige que ses membres pouvaient jouir d’autant de privilèges que ceux qui avaient lors de la période féodale de la Chine pris le pouvoir et établi de nouvelles dynasties. C’est à ce moment-là que le PCC sous la direction de Mao a initié la Campagne des Trois-Anti, puis des CinqAnti. (Nous expliquerons ces campagnes plus en détail dans la section D ci-dessous.) Les Campagnes des Trois-Anti et des Cinq-Anti étaient significatives non seulement parce qu’une purge totale était nécessaire, mais aussi parce que de telles campagnes étaient des tentatives d’établir des liens entre le PCC et les masses.

   Pendant la révolution, l’écrasante majorité des gens qui avaient choisi de rejoindre le PCC n’étaient pas motivés par leurs propres intérêts. Il n’y avait aucun gain personnel à rejoindre le Parti, et plus le rang était haut, plus il y avait de responsabilités et de sacrifices. La situation après 1949 a complètement changé. La position d’une personne au sein du Parti déterminait le véritable pouvoir de la position occupée dans l’appareil d’Etat. L’appareil d’Etat avait le pouvoir politique, économique et militaire. Le pouvoir économique de l’État dans une économie planifiée signifie un contrôle presque total des ressources économiques par les administrateurs de l’État. La Commission d’État pour la Planification avait le pouvoir de diriger les ressources matérielles et humaines vers différents secteurs de l’économie ainsi qu’au sein d’un secteur de l’économie. La commission de planification était responsable du fonds d’accumulation, qui était en fait la plus-value. L’autorité d’approprier la plus-value signifiait le pouvoir de déterminer où l’investissement et la reproduction élargie devaient avoir lieu. Les dirigeants d’entreprises contrôlaient les ressources à une échelle plus petite mais néanmoins substantielle. Ainsi, le pouvoir économique était un pouvoir politique et militaire.

   En outre, le PCC a choisi ses cadres pour occuper les postes de cadres de l’appareil d’Etat. Il existait un lien étroit entre les hauts cadres du parti/responsables du parti et les hauts fonctionnaires de l’Etat. Ce système de filiation fonctionnait par auto-reproduction. En fait, l’appareil d’État, le PCC et le système de cadres avaient une relation de soutien mutuel et de dépendance.

   Avant et après 1949, les cadres du PCC étaient influencés par une vieille idéologie, de vieilles coutumes du passé féodal, mais la différence était qu’après 1949, les cadres du parti et les fonctionnaires l’Etat étaient en position de pouvoir ; ils avaient une nouvelle base matérielle pour construire un nouveau système de bureaucratie. Par conséquent, nous ne pouvons pas simplement blâmer le passé féodal pour le problème de la bureaucratie. Après 1949, le Parti Communiste Chinois ne dépendait plus (du moins à court terme) du soutien des masses ; au lieu de cela, ils avaient le pouvoir de contrôler les masses. Nous voulons souligner ici que nous ne voulons pas dire que le PCC n’a pas bien utilisé ce pouvoir pendant la période de transition socialiste entre 1949 et 1978. Au contraire, le PCC a bien utilisé ce pouvoir et a conduit la Chine dans sa transition vers le socialisme. Les archives montrent seulement une très petite minorité de fonctionnaires gouvernementaux du parti ont abusé de leur pouvoir. Cependant, le lien entre le PCC et la base du pouvoir existait objectivement, même si la majorité des cadres restaient encore fortement guidés par des principes et disciplinés. Par conséquent, le danger potentiel était définitivement là, sauf si ce pouvoir pouvait être contrôlé d’une manière ou d’une autre. Cela montre pourquoi les mouvements de masse préconisés et dirigés par Mao étaient si importants.

D. Le Mouvement de Masse – la Stratégie pour le Changement de Mao

   Sous la direction de Mao Zedong, la Chine a vécu une expérience unique pendant la transition socialiste : le PCC a parrainé une série de mouvements de masse entre 1949 et 1978. Tous les changements majeurs durant cette période étaient accompagnés de mouvements de masse. Chaque mouvement de masse reflétait la principale contradiction dans la société chinoise à l’époque, et chaque mouvement était un processus pour résoudre cette contradiction. Lorsque le PCC a mobilisé les masses dans des mouvements pour résoudre les contradictions, il a agi comme un agent du changement continu dans la société en transformation.

   Plus tôt, nous avons décrit le mouvement de masse au cours de la réforme agraire et comment ce mouvement a changé la population paysanne chinoise. Dans la dernière section, nous avons expliqué la signification des Campagnes des Trois-Anti et des Cinq-Anti (de novembre 1951 à mars 1952). La Campagne des Trois-Antis ciblait la corruption, le gaspillage et la bureaucratie. Le mouvement a mobilisé les fonctionnaires du gouvernement à tous les niveaux et les masses populaires dans de nombreuses villes pour exposer la corruption et d’autres formes de concussion. Ceux qui ont commis des crimes sont dûment punis en fonction de la gravité de leurs crimes. Parmi les personnes sanctionnées figuraient deux responsables de haut niveau du parti qui ont détourné de grandes quantités de fonds publics en prenant d’importants pots-de-vin sur les contrats de construction et sur d’autres transactions. Malgré leurs positions élevées et leurs contributions antérieures durant la révolution, ils n’ont reçu aucune protection de la part du gouvernement et ont été mis à mort l’un comme l’autre.((Po Yi-po, Mes Mémoires de Nombreuses Décisions Politiques Importantes, Vol. I (en chinois), Éditions du Parti communiste chinois, 1991, p. 148-151.))

   La corruption publique ne pouvant se passer sans la participation de capitalistes privés, la Campagne des Trois-Anti a également dénoncé la collaboration entre les fonctionnaires du gouvernement et le secteur privé pour le vol de biens publics et d’autres crimes économiques. Certains capitalistes privés ont profité de l’occasion offerte par la guerre de Corée pour faire des profits illégaux en trichant sur leurs contrats avec le gouvernement ; ils ont réussi à corrompre des fonctionnaires du gouvernement pour obtenir ce qu’ils voulaient. Immédiatement après la Campagne des Trois-Anti, le Parti a lancé la Campagne des Cinq-Anti et a ciblé la corruption, l’évasion fiscale, le vol de biens d’Etat, la fraude sur les contrats gouvernementaux et le vol d’informations économiques.((Ibid.)) Ces campagnes étaient nécessaires et tombaient à point nommé pour rompre avec le passé, vu que les capitaux privés allaient bientôt rejoindre les entreprises d’État, exigeant une coopération plus étroite entre les bureaucrates d’État et les capitalistes privés. À ce stade, la contradiction entre le peuple chinois et les fonctionnaires et les capitalistes corrompus qui ne respectaient pas les lois de l’État était la principale contradiction. Il n’était pas possible de procéder à la nationalisation tant que cette contradiction n’était pas résolue.

   En plus du mouvement de masse, Mao a également vu la relation de ligne de masse comme un moyen de maintenir le lien entre le Parti et les masses. La ligne de masse a souligné l’importance des opinions exprimées par les masses lors de la mise en œuvre des politiques les concernant. Il a également mis l’accent sur la participation des masses à l’élaboration de ces politiques. En Chine, à travers la pratique de la ligne de masse, de nouveaux liens entre l’autorité et les masses ont été établis. Par exemple, ces liens comptaient des méthodes telles que les « trois hauts et trois bas » et « des masses aux masses ». Ces méthodes ont souligné l’importance des idées et des opinions émanant des masses. Ils étaient des moyens pratiques de solliciter et d’articuler les opinions et les idées des masses à travers une communication de va-et-vient entre les autorités et les masses. Une autre méthode consistait à réaliser des projets expérimentaux pour tester la faisabilité de certaines politiques. Les projets expérimentaux étaient aussi des moyens de tester ce que les masses voulaient et quels problèmes elles éprouvaient. Pour rester en contact étroit avec les masses, les cadres ont également été encouragés à rester avec eux pour des durées variables. Cela s’appelait le « Dun Dian ». Au cours des « Dun Dian » les cadres pourraient faire des observations de première main sur place et mener des enquêtes approfondies. Les résultats ainsi obtenus aideraient le PCC dans ses analyses de la société et dans la détermination de la principale contradiction à l’époque. Des politiques pourraient alors être formulées pour la résoudre. Grâce à ces moyens de communication, il était possible de savoir si une politique avait le soutien des masses, et donc la base matérielle du succès. En réalité, cependant, la pratique de la ligne de masse ne correspondait en rien à l’idéal tel que décrit. Au lieu de solliciter des opinions et des idées auprès des masses, les cadres se voyaient parfois comme exécutant des ordres d’en haut. Ce genre d’attitude et de pratique des cadres a mis des barrières dans la communication entre les autorités et les masses et a promeut le commandisme et la bureaucratie.

   Que les cadres aient ou non suivi la ligne de masse pouvait être testé dans les mouvements de masse. Les mouvements de masse offraient un forum ouvert où les masses pouvaient exprimer leurs opinions et exprimer leur mécontentement, critiquant les membres du parti pour tout acte répréhensible et tout abus de pouvoir. La participation à des mouvements de masse a éveillé la conscience des ouvriers et des paysans et généré une nouvelle idéologie. Toutes les grandes politiques mises en œuvre pendant la transition socialiste ont été accompagnées de mouvements de masse, où de nouvelles idées ont été propagées et où des questions importantes ont été débattues. Si de telles politiques favorisaient effectivement les intérêts des masses, les masses finissaient par les adopter. Les mouvements de masse menés au préalable fournissaient l’occasion au gouvernement de demander la validation de ses politiques par les masses. Les politiques ainsi validées avaient de meilleures chances de réussir. Les mouvements de masse ont également suscité l’enthousiasme des masses et dynamisé ceux qui étaient en faveur de ces politiques.

   Nous considérons que les mouvements de masse soutenus par le parti au pouvoir sont inhabituels, car l’autorité craint généralement non seulement que de tels mouvements finissent dans le chaos, mais aussi qu’une action de masse puisse cibler les autorités elles-mêmes. En outre, nous croyons que les mouvements de masse dans le passé étaient les seules forces d’opposition qui ont défié la concentration du pouvoir dans l’appareil d’État (et du Parti) ainsi que la rigidité structurelle du système bureaucratique de la Chine. Pendant les mouvements de masse, les cadres ont été soumis à la critique des masses et ont été forcés de réformer leur style de gestion bureaucratique. Dans une large mesure, l’abus de pouvoir était contenu. Cependant, avant la Révolution culturelle, tous les mouvements de masse étaient sponsorisés et organisés par le PCC. Ce n’est que pendant la Révolution culturelle que les jeunes étudiants et les masses ont commencé à s’organiser d’eux-mêmes. Au lieu de demander au PCC de donner des directives au mouvement, de nombreuses initiatives sont venues d’en bas au niveau local. C’est au cours de la Révolution Culturelle que « prendre le pouvoir » a été mentionnée pour la première fois. Des slogans tels que « faire la révolution n’est pas un crime, la révolte ouverte a une raison » ont été largement diffusés. Ce changement d’orientation était très important parce que c’était un aveu ouvert, pour la première fois, que les masses avaient le droit de défier ceux qui étaient au pouvoir. Il était vrai que ce ferment révolutionnaire créait un certain chaos et que certaines personnes étaient injustement punies. Cependant, il était très important que les masses apprennent de cette expérience qu’elles pourraient défier non seulement des fonctionnaires corrompus dans le gouvernement ils le faisaient mais aussi les décisions prises par le Comité Central du PCC. L’image divine du PCC, qui ne pouvait faire de mal, fut ainsi brisée. Pendant la Révolution culturelle, des tentatives ont été faites pour trouver une alternative à la structure de pouvoir existante. Un exemple était la création de comités révolutionnaires pour gérer les usines et autres fonctions administratives. Pour des raisons qui restent encore à analyser, ces tentatives ont échoué. Lorsque nous évaluons la Révolution Culturelle du point de vue du prolétariat, ce que la Révolution Culturelle a accompli l’a emporté sur ce qu’elle n’a pas réussi à accomplir. Comme l’a dit Mao, « Il faudra beaucoup d’autres révolutions culturelles pour accomplir cette tâche ». Par conséquent, la révolution continue.

   Depuis que Deng et ses partisans se sont emparés du pouvoir en 1979, ils ont résolument mis de l’avant un ensemble de projets qui s’intégraient bien dans le cadre général de la réforme. Les réformateurs ont mené à bien des projets, tous de nature capitaliste, par l’adoption de lois et la publication de décrets et d’ordres administratifs. En 1979, les réformateurs ont amendé la Charte et aboli le droit de grève des travailleurs et le droit à la liberté d’expression (voir plus haut). Plus tard, les réformateurs ont adopté la loi sur le travail sous contrat pour abolir légalement le système d’emploi permanent dans les entreprises d’État.((Voir Deng Yuan Hsu et Pao-yu Ching, «Réforme du travail – Mao contre LiuDeng», dans La Pensée Mao Zedong Vit (en anglais), vol. I, p. 183-213, Center for Social Studies and New Road Publications, 1995.)) Tous les programmes de réforme de Deng ont été exécutés en imposant des actions légales (ou illégales) aux masses. Les réformateurs interdisaient tout mouvement de masse. La réforme de Deng a créé beaucoup de nouvelles contradictions dans la société chinoise, et surtout, la contradiction entre les bureaucrates du parti et les masses s’est distinguée comme la principale. Sans mouvement de masse, ces contradictions n’avaient aucun moyen d’expression, ce qui signifie aucune résolution. Au printemps de 1989, ces contradictions ont atteint un tel sommet que les étudiants ont commencé à manifester dans les grandes villes chinoises. Des millions de citadins se sont également joints pour exprimer leur mécontentement et faire entendre leurs plaintes. Les gens en Chine ont suivi la longue tradition d’utiliser les mouvements de masse pour exprimer leurs mécontentements. La seule différence était cette fois qu’ils l’ont fait spontanément sans le soutien du Parti. Lorsque le régime chinois actuel a décidé qu’une telle confrontation directe ne pouvait plus être tolérée, ils y ont envoyé des troupes et y ont mis fin avec le massacre de Tiananmen du 4 juin. Maintenant, sept ans après le massacre, l’abus de pouvoir et de privilèges des bureaucrates, qui était la cible principale de la manifestation, a non seulement continué mais est devenu encore plus excessif. Même si la propagande dans les journaux a annoncé à maintes reprises que ceux qui commettent des crimes économiques seraient dûment punis par la loi, le peuple en Chine sait bien que seuls ceux qui ont commis des petits crimes ont été persécutés parce que les coupables n’avaient pas le soutien de leurs supérieurs. D’autre part, de nombreux cas de corruption impliquant le détournement de milliards (de yuan) de fonds publics ont été dissimulés, parce que les coupables dans ces cas avaient des liens avec des hauts fonctionnaires du PCC. Sans mouvement de masse, il n’y a aucun moyen d’exposer les crimes commis par ces hauts fonctionnaires.

   Nous pensons que ceux qui possèdent le pouvoir ont des occasions de s’enrichir en suivant le régime actuel. Cette opportunité existait objectivement par le passé malgré le fait que beaucoup de cadres acceptaient l’idéologie de « servir le peuple » ou de « servir leur pays », et qu’ils méprisaient l’idée de « s’enrichir ». En fin de compte, la position sociale objective était plus importante que la croyance personnelle. Avant le début de la réforme, la tendance à convertir cette concentration de pouvoir en quelque chose d’utile pour ses détenteurs existait déjà. La réforme de Deng a donné le feu vert à ces détenteurs de pouvoir. Sa réforme de la législation a légitimé la conversion de la propriété d’état en capital bureaucratique. Après la réforme, les bureaucrates aux niveaux national et provincial ne contrôlaient plus seulement la plus-value ; ils l’ont utilisé pour développer leur capital bureaucratique. Ainsi, ces bureaucrates sont, en fait, devenus la classe exploiteuse. Rétrospectivement, quand Mao a désigné une petite poignée de membres du parti de haut rang comme cibles pendant la Révolution Culturelle, il a pu le faire délibérément comme tactique pour isoler les hauts dirigeants du camp de Liu-Deng.

E. De Nouvelles Forces Révolutionnaires peuvent-elles être ranimées au sein du Parti Communiste Chinois ?

   Avant d’aborder cette question, nous devons faire un bref résumé des quatre observations que nous avons faites sur le PCC ci-dessus et les relier aux analyses globales de ce document. Il semble clair qu’à la fin de la réforme agraire, les hauts dirigeants du PCC se sont divisés sur la direction que la Chine devrait prendre pour développer sa société. Au sein du PCC, Mao et ses partisans ont choisi le socialisme comme objectif de la transition de la Chine, tandis que Liu, Deng et leurs partisans ont choisi le capitalisme comme objectif de la transition de la Chine. Rétrospectivement, il semble clair que la majorité des principaux dirigeants du PCC ne comprenaient pas complètement le sens de la transition socialiste ou ce qu’il faudrait faire pour atteindre le socialisme. Quand Liu et Deng ont fait avancer leurs projets capitalistes, ils les ont déguisés comme meilleur moyen d’atteindre le socialisme, parce qu’ils prétendaient que ces projets développeraient des forces productives plus rapidement. Selon leur logique, le développement plus rapide des forces productives aiderait à construire une Chine forte pour défendre le socialisme. Comme nous l’avons dit plus tôt, beaucoup de dirigeants communistes ont rejoint la révolution parce qu’ils considéraient le PCC comme le seul espoir de survie de la Chine. Ainsi, l’idée d’une Chine forte les attiraient beaucoup. La majorité des membres de base du parti ont fait confiance à la direction de Mao et ont suivi les politiques du PCC dans la réforme agraire et dans le mouvement de collectivisation qui a suivi.

   Tout au long de la longue et dure lutte lors de la guerre révolutionnaire, les ouvriers et les paysans ont fait confiance au PCC et à son chef, Mao Zedong. Leur confiance était double : premièrement, le PCC était de leur côté ; deuxièmement, le PCC avait la bonne stratégie pour les mener vers leur libération. Cette confiance a duré après la mise en place du gouvernement populaire en 1949.

   Ils ont choisi de suivre la direction du PCC dans la construction d’un pays socialiste. Cependant, ils ne se sont pas rendu compte, jusqu’à la Révolution Culturelle, que les hauts dirigeants du PCC étaient divisés entre eux.

   Pendant la transition socialiste, les projets socialistes ont profité aux ouvriers et à la majorité des paysans et ont été mis en œuvre avec leur soutien. Le PCC sous la direction de Mao a soutenu les mouvements de masse pour solliciter le soutien des ouvriers et des paysans. La stratégie de l’alliance ouvrier-paysan de Mao a permis de consolider leur soutien envers la ligne prolétarienne. Nous pensons que la ligne prolétarienne dominait de 1949 à 1978 non pas parce que la majorité des hauts responsables du PCC la soutenait, mais parce que Mao et un petit mais fort groupe de ses partisans au sein de la haute direction du PCC ainsi que la majorité des membres du parti de base ont continué à solliciter les masses pour avoir leurs soutiens pour les projets socialistes. Si cela est juste, alors il est douteux que nous puissions dire que pendant la transition socialiste il y avait une dictature du prolétariat. Au cours de cette période, Liu et Deng ont maintes fois réussi à faire avancer leurs projets capitalistes avec leurs partisans au sein du PCC (également minoritaire), pour ensuite voir leurs projets brisés par des mouvements de masse.

   Plus tôt, nous avons discuté dans notre analyse du développement de la bureaucratie en Chine de la nouvelle base matérielle de la bureaucratie après la prise du pouvoir par le PCC. Les membres du parti de haut rang, qui étaient aussi des cadres de haut niveau et des administrateurs en chef dans l’appareil d’Etat, détenaient un pouvoir énorme depuis le début de la République Populaire. Jusqu’en 1978, leur puissance était limitée, dans une large mesure, par les mouvements de masse récurrents. La majorité des chefs du Parti n’ont pas abusé de leur pouvoir. En tant que groupe et avec l’aide des cadres moyens et inférieurs, ils ont beaucoup contribué à la gestion du pays et à la gestion de la production. Cependant, leurs perspectives furent limitées à cause de leur position de fonctionnaires d’Etat ayant du pouvoir entre leurs mains. Ils croyaient accomplir leur devoir au socialisme en gérant le pays en douceur, en gardant la production dans les entreprises d’Etat, et en faisant un bon travail en assurant l’approvisionnement en nourriture et autres nécessités de la vie. Leur idée du socialisme était qu’une fois les moyens de production transférés à l’État et aux collectivités, la transition vers le socialisme était complète. Ils ont souvent manqué de compréhension sur la nécessité de poursuivre le changement. Ils ont donc joué un rôle important dans le maintien du statu quo et dans la perpétuation d’une hiérarchie de fonctionnaires à différents niveaux de gouvernement. De plus, ils ont souvent résisté au changement s’ils voyaient ces changements menacer leur base de pouvoir. Pendant la Révolution Culturelle, certains d’entre eux ont été critiqués pour leur manque de coopération dans la mise en œuvre de nouvelles politiques. On disait qu’ils se « coucheraient et joueraient aux morts » pour s’opposer à la mise en œuvre de politiques qu’ils n’aimaient pas. Mao a également critiqué les hauts fonctionnaires du Ministère de la Santé Publique pour être devenus semblables aux anciens mandarins qui étaient déconnectés des problèmes concernant la santé publique de la population en général.

   C’est la Révolution Culturelle qui a mis en évidence la ligne prolétarienne et la ligne bourgeoise. La majorité des ouvriers et des paysans et les membres de base du parti commençaient tout juste à comprendre la différence entre les projets socialistes mis en avant par Mao à travers des mouvements de masse des projets capitalistes poussés par Liu et Deng d’en haut. Au cours des 16 ans de la réforme de Deng, la majorité des ouvriers et des paysans, à travers leurs luttes continuelles contre les projets capitalistes imposés par les réformateurs, ont compris davantage la véritable nature de la réforme de Deng et ont mieux apprécié ce qu’ils ont perdu. Cela devient flagrant quand on observe l’amour et le respect qu’ils ont exprimé envers Mao ces dernières années.

   Il semble maintenant clair avec le recul qu’au cours de la Révolution Culturelle, Mao était minoritaire dans la direction du PCC. Comme nous l’avons dit plus tôt, la Révolution Culturelle a tenté de trouver une alternative à la structure du pouvoir qui existait au sein du PCC et dans l’appareil d’État, mais elle n’a pas réussi. À mesure que progressait la Révolution Culturelle, la majorité des membres du parti de haut rang voyaient leur base de pouvoir menacée et ne l’appuyaient donc pas. Il semble également maintenant clair que la réforme de Deng depuis 1979 avait le soutien de l’élite de haut rang du PCC. Au début de la réforme de Deng, des membres de haut rang du Parti qui étaient sur la ligne prolétarienne (comme par exemple Chen Yong-gui) ont été expulsés du PCC. Le soutien de Deng est venu d’une coalition de différents groupes qui ont trouvé un intérêt commun dans les projets capitalistes de la réforme de Deng. Ce n’est qu’avec leur soutien que la réforme de Deng, clairement opposée aux intérêts des ouvriers et des paysans, a pu aller aussi loin. Cette coalition a profité des contradictions qui se sont développées au milieu des années 1970 et a sollicité le soutien de ceux qui bénéficieraient de la mise en œuvre de projets capitalistes. Au cours des 16 années de la réforme de Deng, les contradictions au sein de la société chinoise se sont aiguisées. La contradiction principale est maintenant entre les larges masses et les hauts fonctionnaires corrompus/les fonctionnaires du gouvernement qui s’enrichissent en volant le peuple et en vendant les intérêts de la Chine au capital monopoliste étranger. Au cours de la mise en place de la réforme de Deng, des différences se sont développées dans la coalition qui a soutenu Deng. A la droite de Deng se trouvaient ceux qui ne pensaient pas que sa réforme était assez profonde ou assez rapide pour transformer la Chine en capitalisme. Ils ont profité du mécontentement des étudiants et des masses pour exprimer leur mécontentement en 1989, sans succès. Au cours des dernières années, lorsque la réforme de Deng a rencontré des difficultés insurmontables, les élites du parti à la gauche de Deng ont commencé à exprimer leurs préoccupations. Ces élites du Parti ont vu le danger de la détérioration continue de la réputation et l’influence du PCC. D’une part, ils ont réalisé que le PCC a perdu le soutien des larges masses ; d’autre part, ils ont vu qu’alors que la propriété privée et les entreprises avec des capitaux étrangers continuaient d’augmenter, la nouvelle classe capitaliste émergente exigeait une représentation politique. Ainsi, ils craignaient que le PCC ne suive le destin du Parti Communiste de l’ex-Union soviétique et fasse face à une éventuelle disparition. Il semble probable qu’après la mort de Deng, ce groupe puisse prendre le contrôle du PCC. Si c’est le cas, il pourrait instituer des politiques qui annuleraient une partie de la réforme de Deng et nettoieraient en partie la corruption. Cependant, il semble improbable que ce groupe d’élites du Parti renverse la transition du capitalisme vers le socialisme et fasse suffisamment confiance aux masses pour les impliquer dans ce changement fondamental.

   Ceci dit, nous ne nions pas qu’au sein du PCC, il reste de nombreux membres qui croient encore au socialisme et voient le mal que les réformes de Deng ont fait à la Chine. Cependant, ces membres du parti n’ont pas été en mesure de s’opposer à ces réformes. Ce qu’ils seront capables de faire à l’avenir reste à voir. En outre, au cours des 16 dernières années, le PCC a recruté un grand nombre de nouveaux membres qui n’ont aucun intérêt au socialisme et n’ont rejoint le PCC qu’à des fins d’autopromotion. Ces membres du PCC joueront également un rôle dans son développement futur.

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