7. Conclusion

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#10 – Les journées de juin 1848

7. Conclusion

   En 1891, Engels a précisé l’importance de cette révolution de juin 1848 :

   Dès que les bourgeois républicains, portés au pinacle, sentirent le sol se raffermir sous leurs pieds, ils ne pensèrent plus qu’à désarmer les ouvriers. Voici comment ils y parvinrent : manquant à ses promesses, le gouvernement, par un défi direct à la classe ouvrière, voulut bannir dans une province éloignée les sans-travail; le soulèvement de Juin éclata, et comme on avait pris soin de réunir des forces suffisantes, les ouvriers, après une lutte héroïque de cinq jours, furent écrasés. (Introduction à Marx : la Guerre civile en France, édition « Humanité », pages XXVI-XXVII)

1. Toutes les révolutions qui ont éclaté en France depuis 1789 n’ont pas été des révolutions bourgeoises « pures ». Faites au profit de la bourgeoisie, elles n’ont pas été faites par la seule bourgeoisie, mais par le prolétariat. Or, à mesure que le capitalisme se développe, grandit l’importance du prolétariat; il apparaît désormais comme une force motrice indispensable dans tout mouvement révolutionnaire. Quand la révolution triomphait, quand elle atteignait ses objectifs bourgeois, la contradiction entre les deux forces motrices de la révolution apparaissait brutalement : la lutte s’engageait, exaspérée quand s’y ajoutait une crise économique, entre bourgeois et prolétaires. Tel est le schéma de l’insurrection de Juin.

2. Les conséquences furent très graves, même en dehors de la France. Marx et Engels l’ont indiqué nettement : l’échec des émeutes de Juin a arrêté le développement de la révolution bourgeoise allemande, car la bourgeoisie allemande a eu peur du prolétariat.

   Derrière la grande bourgeoisie viennent les prolétaires… La bourgeoisie allemande prit peur, bien plus du prolétariat français que du prolétariat allemand. Les combats de juin 1848 lui montrèrent ce qui l’attendait. Le prolétariat allemand était juste assez agité pour lui prouver qu’ici aussi la semence était jetée pour la même récolte : et à partir de ce jour la pointe de l’action politique de la bourgeoisie fut émoussée. (Engels, préface à la Guerre des paysans)

   Dès février 1852 Marx écrit de Londres :

   Le prolétariat de Paris fut battu, décimé, écrasé, avec un effet tel que, même à l’heure actuelle, il ne s’est pas encore relevé du coup. Et aussitôt, d’un bout à l’autre de l’Europe, les conservateurs et contre-révolutionnaires de relever la tête avec une outrecuidance qui montrait comme ils comprenaient bien l’importance de l’événement. (Révolution et contre-révolution en Allemagne, pages 108-109.)

   En un mot, en juin 1848 la bourgeoisie française brise les forces prolétariennes. Sans elles, elle ne peut plus réaliser sa propre révolution, elle ne peut plus détruire complètement les survivances du régime féodal. Elle le peut d’autant moins que, pour écraser les ouvriers, elle a dû faire appel aux classes, aux groupes qui représentent précisément ces survivances du régime féodal : en particulier la grande propriété foncière. Ainsi une classe sociale n’avance pas d’un mouvement régulier, mais elle doit continuellement résoudre une série de contradictions. C’est ce qu’on appelle la dialectique.

3. Dans sa Misère de la philosophie (p. 217, 3e édit.), Marx distingue le moment où le prolétariat « est une classe vis-à-vis du capital mais pas encore pour lui-même ». Le prolétariat ne comprend pas encore que ses intérêts se heurtent irrémédiablement à ceux de la bourgeoisie. Objectivement, par la place qu’il occupe dans la production, il apparaît déjà comme une classe, mais chaque ouvrier ne se considère pas encore comme membre d’une classe nettement différenciée dont l’émancipation ne sera possible que par la destruction du capitalisme. On peut dire que, sur les barricades de Juin, les ouvriers ont eu conscience de l’opposition irréductible qui existait entre eux et la bourgeoisie. Ils ont passé de la « classe en soi » à la « classe pour soi ». Pour que l’évolution soit complète, il faudra encore que ce prolétariat nous montre qu’après avoir détruit l’État bourgeois, il est nécessaire d’instaurer l’État prolétarien, ou la dictature du prolétariat (voir notre Cahier n° 2 : l’État et ses fonctions). Ce sera le résultat de la Commune.

   Les journées de juin 1848 marquent donc une étape essentielle dans l’histoire du prolétariat mondial.