Analyse de l’argumentation fournie par ces sources

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#16 – Le chauvinisme linguistique

Analyse de l’argumentation fournie par ces sources

   On remarquera par ce qui précède que cette prétendue supériorité de la langue française, a, même dans ses « sources », une base scientifique à peu près inexistante : La phrase de B. Latini est une opinion isolée. Les arguments de du Bellay et Estienne ont trait à la situation du français au XVIème siècle : ce sont deux œuvres de propagande en faveur de l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539), par laquelle François Ier ordonnait l’usage exclusif du français dans l’administration. On ne peut se servir de leurs textes pour l’exaltation de la langue française « éternelle » que par un habile découpage de citations. D’ailleurs, pour établir leur valeur linguistique, signalons simplement que H. Estienne « remarquant la parenté de nombreux mots français et italiens en conclut que l’italien a emprunté ces termes à la langue française ». (Dauzat : Philosophie du langage.) Cette simple citation suffit à montrer l’état rudimentaire des études sur les langues à l’époque. H. Estienne croyait également que le français du XVIème siècle descendait du gaulois ; et de l’existence de certaines analogies avec le grec, il tirait non pas la conclusion que ces mots étaient passés du grec au français, mais que le gaulois était une langue parente du grec, c’est-à-dire de la langue considérée comme la plus parfaite (Traité de la conformité du langage français avec le grec, 1565). Voilà les bases scientifiques de sa « précellence » du langage français : il n’est pas responsable de l’état de la philologie à son époque ; mais que penser des auteurs du XXème siècle qui le citent comme référence et qualifient la thèse soutenue dans la Précellence du langage français (1579) de « docte et vivante défense du français contre l’italien, ou plutôt l’italianisme envahissant ». (Desgranges, Précis de littérature française. Hatier, p. 106.)

   Restent Voltaire et Rivarol. On ne peut appeler la lettre de Voltaire une preuve scientifique de la supériorité du vocabulaire du français : quelques exemples astucieusement choisis — répondant à un choix aussi astucieux, — ne prouvent rien. Rivarol, lui fournit le type même du chauvinisme linguistique tel qu’il s’offre à notre époque ; de belles affirmations littéraires, sans preuves.