Comment s’y prendre ?

Comment s’y prendre ?

Parti Communiste Français

   Le camarade Havez, dans son article sur le problème du renforcement idéologique du Parti traite une question qui tourmente maintes cellules et plus d’un rayon : Les moyens de retenir les nouveaux membres du Parti.

   Mais il n’est pas douteux que le souci de retenir les nouveaux adhérents n’est qu’un aspect particulier du problème de parer aux flottements des effectifs de notre parti, problème qui lui-même est étroitement lié à la question de la formation des cadres.

   Il ne peut y avoir de solution sérieuse à la question posée par le camarade Havez, sans une solution du problème de l’arrêt de la fluctuation.

   C’est justement parce qu’il y a un flottement de la composition de nos cellules, que des membres passent par le parti sans avoir reçu une éducation suffisante, ou bien même sans avoir reçu de l’éducation du tout.

   Les nouveaux adhérents arrivant dans les cellules, y trouvent trop souvent des camarades qui ont eu le temps de s’assimiler différentes abréviations administratives – qu’ils emploient avec une facilité vraiment déconcertante – mais qui n’ont pas encore pu s’assimiler les méthodes de travail communiste, les connaissances nécessaires pour un bon travail.

   C’est pourquoi les nouveaux adhérents ne peuvent pas s’éduquer suffisamment dans les cellules, et qu’ils doivent mettre beaucoup de cœur pour y rester (comme s’exprimait un camarade).

   Le nouvel adhérent « ne trouve pas suffisamment ce qu’il cherche en venant au parti », et « le parti ne sait pas l’intéresser et lui donner ce qu’il en attendait », ce sont deux choses qui n’en font qu’une.

   Car les nouveaux adhérents qui viennent au parti – ou bien parce qu’il se sont rendu compte que le P.C. est le seul parti qui lutte pour la défense des travailleurs, ou bien parce que n’ayant plus confiance dans le régime ils savent que seul le P.C. veut abattre le régime capitaliste – ne sait pas encore cette chose essentielle et indispensable pour tout militant communiste que « le Parti est le chef politique de la classe ouvrière » (Staline), (et malheureusement beaucoup de vieux membres du Parti ne prennent pas suffisamment au sérieux cette vérité fondamentale).

   Le nouvel adhérent qui vient au parti est certainement plus conscient que les autres ouvriers, mais si l’on ne lui donne pas une éducation théorique élémentaire, et qu’on ne sait pas lui apprendre les formes de travail communiste pratique, on ne pourra pas arriver à l’entraîner dans le travail pratique.

   Et s’il le fait ce sera ou bien parce qu’il suivra mécaniquement les décisions (de la cellule, du rayon) ou bien « il y mettra du coeur », deux choses également insuffisantes.

   En effet, exécuter administrativement les décisions la plupart du temps non comprises par le nouvel adhérent et – en tout cas – à l’élaboration desquelles il n’a pris aucune part, faute de préparation suffisante, cela ne mène pas loin.

   De même, y mettre du « cœur » et seulement du « cœur » est mauvais et insuffisant, car celui qui commence par y mettre du cœur, arrive – cela se voit quotidiennement – à « en avoir marre ».

   C’est donc que les nouveaux adhérents doivent avoir la possibilité de prendre part à l’élaboration du plan de travail pratique, et c’est pourquoi ils doivent – en entrant dans une cellule du parti – avoir une éducation élémentaire qui leur permette de se former par eux-mêmes une opinion sur les questions discutées; ne pas les tenir accrochés par leur coeur, mais les attacher indéniablement au parti en les faisant raisonner en communistes, en les faisant agir comme tels.

   Si nous faisons cela, une des racines profondes du flottement sera extirpée. Mais elle n’est pas la seule.

   Beaucoup d’ouvriers sympathisants ne viennent pas au parti et beaucoup de nouveaux adhérents le quittent par crainte de la répression patronale, par crainte de « se faire vider ».

   D’autre part, beaucoup de membres des cellules d’entreprises « se font vider », parce qu’ils arrivent à être connus comme communistes par le service de mouchardage de la direction, avant d’avoir fait suffisamment d’agitation parmi les ouvriers, pour personnifier dans leurs yeux les militants les plus actifs et les plus combatifs pour leurs intérêts d’avoir pu acquérir une popularité parmi les ouvriers.

   Cela est dû aux illusions « légalistes » qu’ont la majeure partie de nos camarades.

   Ils croient que le fait d’avoir des organisations légales, d’avoir une presse légale et des députés au Parlement, cela permet de ne pas s’occuper du passage à l’illégalité.

   Ils oublient que la bourgeoisie, quand la situation sera plus tendue, sera disposée à pourchasser impitoyablement tout ce qui pourra mettre son existence en danger.

   Le point 3 des 21 conditions d’adhésion à l’I.C. dit

   « Presque dans tous les pays d’Europe et d’Amérique la lutte de classe entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise.

   Ils doivent créer partout un organisme clandestin parallèle pouvant, au moment décisif, aider le Parti à remplir son devoir envers la révolution.

   Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège, ou des lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de mener légalement toute leur act:on, la concomitance de l’action légale et de l’action illégale est indiscutablement nécessaire. »

   En France, nous ne sommes pas dans une « période de guerre civile », loin de là.

   Et malgré tout la « légalité bourgeoise » réprime le travail antimilitariste dans l’armée, « vide » les communistes des entreprises, envoie au bagne les lutteurs grévistes. Voilà la situation.

   Multipliez-la par mille et vous pourrez-vous faire l’idée de notre situation dans la « légalité » d’une période de guerre civile. Notre tâche centrale actuellement est la lutte pour la conquête de 1’influence politique sur les ouvriers des entreprises. Dans les usines la bourgeoisie nous met déjà, dans une grande mesure, hors la légalité.

   Pour sortir vainqueurs de cette lutte, nous devons être plus rusés que la bourgeoisie, nous devons dérouter toutes ses nombreuses antennes, depuis les mouchards payés, jusqu’à la lâcheté inconsciente de certains ouvriers, nous devons travailler avec une extrême prudence de manière à ce que nos pertes soient les plus petites possibles.

   Certes, les pertes ne prennent pas l’ampleur des pertes d’un pays de répression féroce, d’un pays fasciste; certes, les risques courus par les militants ne mettent pas en danger leur vie.

   Mais ils mettent en danger la vie de la cellule d’entreprise, ce qui, est l’essentiel.

   Et si les risques sont moindres – infiniment moindres – que dans les pays de terreur fasciste, cela ne fait que faciliter la tâche de nos militants, cela ne fait que leur permettre d’obtenir une plus vaste expérience sans payer trop lourdement les fautes éventuellement commises.

   Mais cela ne doit nullement nous encourager à l’insouciance et au laisser aller qu’accusent beaucoup d’entre nous, au manque du moindre souci de conspiration, à l’étalage ouvert et accessible à tous – donc aussi à la police et aux agents de la bourgeoisie – de nos forces, de nos plans particuliers.

   Certes, la bourgeoisie sait notre but final et elle le craint.

   Mais cette crainte même la fait développer ses moyens de défense, la fait lutter contre les étapes partielles de la réalisation de notre but, pour la destruction de nos forces.

   Une façon particulière de destruction de nos forces c’est la destruction des cellules d’entreprises par le « vidage » systématique des éléments connus comme communistes ou suspects.

   Pourquoi, par notre travail ouvert aux yeux de tout le inonde, lui faciliterions-nous sa besogne?

   De plus, cette façon insouciante de travailler, retient dans la passivité nombre de sympathisants qui ne veulent pas que quelque chose leur arrive pour rien.

   Cette timidité contient certainement des éléments de peur, mais il faut faire ici sa part à la question qu’il se pose :« A quoi bon me faire simplement vider ».

   Pour lui, l’adhésion au Parti signifie « vidage », et c’est de notre faute, car jusqu’ici nous n’avons pas réussi à persuader les camarades de la nécessité indispensable de la conspiration, dans le travail de cellule en général, et du travail des cellules d’entreprises en particulier.

   Si nos méthodes de travail ne changent pas, le flottement continuera, et quant aux meilleurs sympathisants et aux nouveaux adhérents au Parti, ça leur fera gros « coeur », mais ils resteront chez eux, inactifs.

   Voilà, à mon avis, « que faire? ».

   Reste la question « comment s’y prendre? ». Voici ce que je propose :

   Les ouvriers assez mous politiquement, ou les ouvriers. assez conscients pour demander de leur propre initiative l’adhésion au Parti, ou bien simplement les ouvriers les plus combatifs, doivent être organisés en des groupes d’éducation pour y recevoir les éléments essentiels du communisme, les notions élémentaires du marxisme-léninisme, et où ils apprendront la pratique courante du travail de militant.

   « Oui !» crieront certainement les vieux membres du Parti. Nous connaissons ça. Ça a déjà été fait!

   C’est les écoles que tu combines seulement avec le stage. Bah ! Ça n’a pas donné de résultats ! C’est vieux comme le monde ! Tu fais de l’archéologie et non pas de la politique.

   En effet, de pareils groupes d’études ont déjà existé, existent encore; on éduque, mais c’est tout.

   Ceci est dû à une conception par trop étroite et scolastique de l’éducation. Se borner à lire les livres les plus intéressants du monde et de discuter avec les meilleurs arguments sur les questions les plus brûlantes à l’ordre du jour – hélas! qu’on est loin de là, pour le moment – ne signifie pas encore éducation pour un communiste.

   Ce n’est qu’une partie, qui a une grande importance – il est vrai – mais s’y borner, réduire tout l’objectif du groupe d’études à l’éducation abstraite, c’est détacher les membres du groupe de la réalité vivante, environnante, qui les touche de près.

   Nous ne devons pas nous borner à l’éducation livresque pure et simple, mais au contraire, nous devons en même temps qu’elle, donner aux membres du groupe, nouveaux adhérents ou sympathisants, une éducation pratique, leur apprendre et les entraîner aux diverses formes de travail pratique (travail dans les syndicats, travail de fraction dans les diverses organisations de masse, distribution de manifestes, collage d’affiches, barbouillage des murs avec les mots d’ordre du Parti, etc.).

   Vous direz que ceci n’est que le fameux « stage ». Peu importe le nom si le contenu de la notion ne trouve pas sa réalisation pratique.

   Ce dont il faut bien se pénétrer c’est que le nouvel adhérent au parti, après avoir reçu l’éducation dans les groupes d’études, après y avoir travaillé, en entrant dans une cellule du parti, aura déjà une certaine expérience du travail, qu’il ne restera plus qu’à développer dans la cellule du parti.

   C’est ainsi que pourra se faire la sélection et qu’on aura des cellules saines.

   Ces groupes ont la tâche de former des cadres stables.

   Ils ne pourront l’accomplir que s’ils réussissent à être plus qu’une école. Les cours élémentaires du communisme qu’on y fera en liaison avec les événements quotidiens, pour apprendre aux nouveaux adhérents à regarder les événements au travers de la théorie marxiste-léniniste.

   Cela a une grande importance, car ça permettra aux nouveaux militants de prendre l’habitude de s’orienter dans la politique.

   Et la conclusion qui s’impose c’est que, devant l’analyse de la situation, il faudra qu’ils prennent une attitude.

   Cela les obligera à penser aux solutions pratiques en liaison étroite avec la théorie.

   Il se posera devant eux la question de la mise en application de ces conclusions pratiques.

   Alors ils feront leur éducation de la pratique communiste par l’application des conclusions auxquelles ils sont arrivés par eux-mêmes.

   Le travail de ces groupes doit être étroitement surveillé et constamment dirigé par des membres capables et responsables du Parti.

   Il ne faudra pas y négliger aucun détail : apprendre aux membres du groupe à remplir soigneusement leur tâche, leur faire voir la nécessité de la ponctualité et de la discipline des discussions, ce sont des choses qui apparemment n’ont pas grande importance, mais qui sont étroitement liées à l’établissement de la discipline bolchévik dans le parti.

   C’est seulement en étant passé par un tel « enseignement » et en ayant un tel « passé » que le nouvel adhérent sans se soucier du « coeur » ou de quelque autre organe, restera dans le parti, sera un élément sain, et c’est seulement avec de tels éléments que nous formerons des cadres stables et résistants, et que nous contribuerons à la bolchévisation du parti.

   La campagne de recrutement est en cours. Elle a déjà donné des centaines d’adhésions nouvelles. Cela montre qu’il y a beaucoup d’ouvriers conscients qui restent loin de nous, parce que – pour la plupart du temps – nous ne savons pas les appeler.

   Il faut être bien secoués par le C.C. pour le faire. Cet état de choses témoigne bien une mauvaise compréhension de la tâche du communiste. Notre tâche est de recruter constamment.

   A côté des tâches purement techniques, qui incombent à chaque communiste, chaque membre du parti doit avoir autour de lui un nombre quelconque d’ouvriers sympathisants, ou dont il fera des sympathisants, les entraînera dans le travail des organisations de masse; faire une sélection dans cet « entourage », choisir les éléments les plus conscients et les plus combatifs, et former avec eux un groupe d’études, les faire adhérer au parti.

   Certes, ce système de recrutement est long, sinueux, plein de dangers, car beaucoup d’ouvriers resteront en route; mais ainsi les membres du Parti auront préalablement subi une sélection.

   Par cette méthode de recrutement on n’aura pas cinq cents adhésions par quinzaine. Non. Mais elle permettra un débit régulier, un apport régulier de nouvelles forces éduquées.

   Dans les pays où le mouvement communiste est dans l’illégalité, le problème du recrutement est depuis longtemps résolu dans ce sens.

   Les arrestations continues des cadres du parti leur ont fait voir la nécessité d’avoir à fout moment des nouveaux membres pour remplacer ceux qui sont tombés dans la lutte de classe.

   Si on employait la même méthode de recrutement, étant donné qu’aucune arrestation ni autre perturbation ne vient pas troubler la vie du parti, on pourrait, en relativement peu de temps, avoir un parti fort et fortifié par de nouvelles forces éduquées.

   Bien entendu, les vieux membres du parti doivent aussi et surtout relever leur niveau idéologique, pour pouvoir faire efficacement de la propagande, pour pouvoir consciemment accomplir leurs tâches de communistes.

   C’est par là qu’il faudrait commencer.

   Que les cellules, ou bien des groupes séparés des cellules aient, à côté des réunions concernant le travail pratique, des réunions pour faire leur éducation idéologique, régulières et bien préparées, sous la direction d’un camarade assez développé pour pouvoir assumer cette tâche.

   Si l’on met en application ces propositions, après un certain délai de temps nos cadres seront méconnaissables en ce sens que chaque membre du Parti saura suffisamment de notions du communisme pour pouvoir soutenir une controverse politique avec un adversaire, pour pouvoir s’attirer des sympathisants et leur donner un début d’éducation théorique et pratique.

   Je me résume, il faut :

  1. L’éducation des membres par des cours spéciaux leur donnant les réponses aux questions fondamentales du communisme et leur permettant de transmettre cet enseignement aux sympathisants ;
  2. Chaque membre doit avoir autour de lui un nombre d’ouvriers qu’il éduque, soit individuellement soit en créant un groupe d’études. Il attire ces ouvriers au travail, il en fait une sélection et les fait adhérer au parti.

   Mais il ne faut pas tomber dans l’erreur grossière de croire que les ouvriers seront attirés par la haute théorie, par des subtilités doctrinales.

   Au contraire, il faut que dans la propagande on s’intéresse aux besoins quotidiens de l’ouvrier, à ses revendications et à ses misères, lui expliquer ces faits par la théorie marxiste-léniniste, et lui montrer les solutions dans la pratique bolchévik ; voilà comment il faut agir.

Jean Longchoux
Février 1934

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