Fascisme, intégrisme et patriarcat

Fascisme, intégrisme et patriarcat

   Article rédigé par Anuradha Gandhi sous le pseudonyme Avanti, dans People’s March, mars 2003

   Tout juste un an après qu’ait commencé le carnage au Gujarat, le pays n’est toujours pas remis de l’horreur des événements. La victoire escomptée de Narendra Modi aux élections législatives ont encore renforcé la position des forces fascistes Hindutva, non seulement au Gujarat mais également dans l’ensemble du pays. Les leçons du Gujarat sont encore plus pertinentes aujourd’hui après examen de la stratégie des forces Hindutva.

   Le programme des forces fascistes hindoues est politique. Leur stratégie est celle d’une mobilisation politique maximale des masses hindoues et leur objectif est l’établissement d’une Rashtra (Nation) hindoue. On notera que l’on peut trouver trace de la croissance de l’actuelle vague fasciste hindoue dans la politique économique néo-libérale du début des années 1980. De la même façon, les politiques agressives de réforme économique et de mondialisation des années 1990 furent accompagnées par celles d’une offensive Hindutva. Il ne faut pas aller bien loin pour en trouver les raisons : les politiques de réforme économique ont conduit à un extrême appauvrissement, non seulement d’une large section des masses mais également de sections assez importantes des classes moyennes ; les classes dirigeantes devaient donc urgemment détourner l’attention de la population de son dénuement massif par l’intermédiaire de l’attisement d’une frénésie contre les musulmans et les autres minorités. En outre, elles cherchent à détourner la colère collective contre la capitulation flagrante des classes dirigeantes devant les impérialistes, tout particulièrement les Etats-Unis, grâce à ces intrigues soutenues par des appels au nationalisme culturel et à la Rashtra hindoue.

   La polarisation extrême et continue de la société hindoue au Gujarat conformément à la ligne religieuse, la confiance effrontée avec laquelle étaient exécutées les attaques, pillages et meurtres et l’active participation d’une section de femmes de castes supérieures, montrent que les forces fascistes hindoues ont réussi à faire avancer leur programme au Gujarat. Elles se sont infiltrées et sont parvenues à convertir une section des masses hindoues à leur idéologie et les a imprégnée de l’objectif de Rashtra hindoue. Il n’est pas nécessaire de mentionner l’horreur que ceci présage pour les sections opprimées – les castes inférieures, les femmes, en particulier les femmes des communautés minoritaires, et les pauvres.

Intégrisme de plus en plus répandu à travers le monde – ce que cela signifie pour les femmes

   L’ascension des forces fascistes hindoues fait partie de l’ascension de l’intégrisme et du fascisme partout dans le monde. L’impérialisme, confronté à sa pire crise depuis l’entre-deux guerres, encourage et promeut les forces intégristes ainsi que les organisations et la propagande fasciste. Comme l’a un jour dit Lénine : « L’impérialisme s’efforce d’obtenir une réaction partout ».

   De plus, comme le soutient John S. Hawley, « les points de vue intégristes sur le genre jettent une lumière particulièrement révélatrice sur la nature de l’intégrisme dans son ensemble ». Dans l’état actuel des choses, toutes les religions sont patriarcales, tant dans les codes moraux qu’elles approuvent que dans les arrangements sociaux qu’elles soutiennent. Et un des points centraux de la propagande intégriste est une idéologie conservatrice du genre – toutes les forces intégristes, qu’elles soient de dénomination chrétienne aux USA, ou hindoue, ou shinshūkyō au Japon, ou les forces islamiques, instituent le programme spécifique d’un rétablissement de la centralité de la famille et de la maison dans la vie des femmes et le contrôle patriarcal sur leur sexualité. Par conséquent, les idéologues de la Nouvelle Droite, même aux USA, prétendent que la société américaine vit une crise morale et que sa cause est le fait que les femmes travaillent à l’extérieur de la maison. Bien qu’ils aient activement mobilisés autour de l’opposition aux droits des femmes à l’avortement, ils commencent en soutenant que les dépenses de l’état-providence ont fait augmenter les taxes et ajoutées à l’inflation, elles ont poussé les femmes au travail, détruisant de ce fait la structure de la famille patriarcale et donc l’ordre moral de la société. Selon Jerry Falwell de la Moral Majority « les enfants (aux USA) devraient avoir droit à l’amour d’une mère et d’un père qui comprennent leurs rôles différents et remplissent leurs différentes responsabilités … pour vivre dans un système économique permettant aux maris de subvenir aux besoins de leurs femmes en tant que mères à temps plein à la maison et de donner la possibilité aux familles de survivre avec un revenu au lieu de deux ».

   En donnant des arguments moraux spécieux, ces fascistes aux USA présentent agressivement la campagne soi-disant pro-vie. Cette campagne, qui a débuté par des réactions aux décisions judiciaires, va maintenant au-delà de cela, entrainant des attaques contre les cliniques d’avortement et des meurtres de militants et de médecins ayant aidé des femmes à avorter. Ces mêmes forces soi-disant pro-vie militent en même temps activement pour la poursuite de la peine de mort, de plus importantes dépenses militaires et une politique internationale agressive de la part du gouvernement. Ils sont par conséquent parmi les sections les plus conservatrices et les plus réactionnaires de la société américaine. Ils ont des opinions suprémacistes blanches, s’adonnent à des activités ouvertement racistes et utilisent des modes fascistes d’organisation et de propagande.
On retrouve la même chose dans les shinshūkyō conservateurs qui sont nés au Japon, en particulier, dans l’après-guerre. Une étude au début des années 90 déclare que,

   « Dans la période d’après-guerre, de nombreux shinshūkyō ont adopté un programme de questions sociales dans lequel l’idéologie patriarcale de la famille est en tête de liste. Le système familial d’avant-guerre qu’ils cherchent à rétablir institutionalise la dominance masculine et l’autorité des aînés et garde le statut des femmes inférieur en limitant leur champ de choix en matière de mariage, reproduction et divorce. L’ancienne forme familiale est si imprégnée d’importance religieuse qu’être une bonne femme et une bonne mère n’est pas seulement approprié, c’est essentiel à son salut ».

   Tant aux USA qu’au Japon, ces mouvements ont surgi dans un contexte de changement rapide des rôles des femmes et de la transformation des structures familiales. Les femmes sont nombreuses à sortir pour travailler à l’extérieur du domicile et à gagner un revenu indépendant.

   L’intégrisme islamique est un phénomène plus complexe. Au départ, dans la période qui a suivi la Deuxième Guerre Mondiale, il fut patronné et soutenu par l’impérialisme américain face aux mouvements démocratiques et socialistes des peuples, comme dans les pays arabes. Mais avec le rétablissement du capitalisme en Union Soviétique et en particulier en Chine, ainsi que la trahison des mouvements de libération nationale démocratique par leur leadership compromettant, l’anti-impérialisme s’est exprimé de manière traditionnelle et souvent religieuse. L’islam est aussi devenu une force idéologique adoptée par des mouvements contre les impérialistes américains comme en Iran, ou l’expression d’une résistance comme en Palestine aujourd’hui (en raison de la trahison des ancients dirigeants « de gauche » plus laïque). Dans les pays de l’ancienne Union Soviétique aussi, l’intégrisme islamique est devenu le moyen d’expression de l’opposition nationaliste contre la domination et l’exploitation russe. Dans des pays tels que l’Afghanistan, où il n’y avait ni mouvement de masse démocratique anti-féodal ni modernisation, et où l’accroissement de la liberté des femmes venait d’en haut durant l’occupation soviétique et ne pouvait avoir aucun soutien des masses, l’intégrisme islamique a conservé sa base sociale. Par conséquent, les chefs militaires qui ont pris le pouvoir en Afghanistan après le retrait soviétique en 1992, étaient aussi réactionnaires que les talibans qui se sont emparés du pouvoir plusieurs années plus tard. Ainsi, la RAWA (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan) qui s’oppose aux restrictions des droits des femmes était aussi critique à l’égard des chefs militaires que des talibans. Aujourd’hui, ces mêmes chefs militaires sont de retour au pouvoir sous protection américaine. Mais que ce soient les régimes réactionnaires tels que la monarchie saoudienne ou les organisations basées sur le mouvement de masse, ils ont fait du contrôle du code vestimentaire, des mouvements et de la participation à la vie publique des femmes un élément important de leur campagne. Et c’est cela qui a reçu une publicité maximale dans les médias bourgeois et impérialistes, étant donné la campagne de l’impérialisme américain contre l’islam. Compte tenu du rôle complexe de l’intégrisme aujourd’hui dans le monde, son rôle politique déterminera la manière par laquelle nous le combattrons. Tous les types d’intégrismes religieux encouragent le patriarcat et d’autres valeurs rétrogrades. Ils doivent donc, de manière générale, être contrecarrés par toutes les forces démocratiques révolutionnaires. Pourtant, l’intégrisme joue un double rôle aujourd’hui. D’abord, l’intégrisme des chrétiens aux Etats-Unis, de la brigade Hindutva en Inde, etc. fait partie des politiques fascistes croissantes de l’état et des classes dirigeantes et doit être perçu et attaqué dans ce contexte. La stratégie est de mobiliser la communauté majoritaire, pour en distraire les membres des questions de classe, contre les minorités. D’autre part, aujourd’hui, l’intégrisme musulman se développe en réaction à l’agressive propagande belliciste américaine et à l’offensive fasciste hindoue dans ce pays. Il joue donc un rôle politique différent vis à vis de l’état. Par conséquent, pour ce qui concerne le premier, il est nécessaire de l’attaquer sur tous les fronts ; quant au second, il faut voir son rôle anti-américain/anti-Hindutva, tout en dénonçant également ses opinions patriarcales et féodales rétrogrades.

Le contexte indien

   Dans le contexte indien, il est clair qu’actuellement, les forces Hindutva sont le plus grand ennemi des femmes. L’Hindutva s’alimente dans le réservoir stagnant purulent de valeurs féodales qui continuent à prospérer dans ce système semi-colonial, semi-féodal arriéré. Les valeurs castéistes, patriarcales et les autres valeurs féodales déjà répandues dans ce système attisent le feu fasciste hindou ; et l’élite de caste supérieure constitue l’alliée naturelle de ces vampires politiques venimeux. En outre, en raison de l’opinion générale rétrograde et d’un mouvement démocratique faible, d’autres classes et castes ont également tendance à devenir les proies de la propagande agressive à grande échelle des forces Hindutva.

   Lors de la sati/immolation de Roop Kunwar en 1987, que certains reporters considèrent comme une répétition générale de la démolition de la Babri Masjid, les forces Hindutva ont publiquement révélé leurs tendances et attitudes patriarcales. L’événement qui a eu lieu dans le village aisé de Deorala, à environ 50 kilomètres de Jaipur au Rajasthan, est devenu une question pan-indienne, diverses organisations de la brigade Hindutva se manifestant à grands cris en soutien de la pratique de la sati. Alors que les groupes de femmes progressistes ont organisé une morcha en opposition à la sati pour exiger l’arrestation des coupables, les partisans, principalement les Rajputs, dirigés par la brigade Hindutva, ont mené une morcha militante de près de 30.000 personnes dans la capitale de l’état. Le dirigeant du BJP Vijayaraje Scindia a ouvertement soutenu la sati, la qualifiant de « notre héritage culturel » en indiquant qu’il s’agit d’un droit fondamental de toute veuve qui le désire. Dans leur raisonnement, si une veuve décide volontairement de s’immoler sur le bûcher funéraire de son mari, alors, il n’y a aucune raison de s’y opposer. La femme n’est perçue qu’en relation avec son mari, son existence personnelle ne compte pas. En atteignant la sat (vérité intérieure), une femme décide de s’immoler avec son mari et acquiert donc un pouvoir qui protègera son mari dans son voyage dans l’au-delà. Par conséquent, celle qui acquiert le pouvoir de la sati est un modèle de dévouement pour son mari, la vraie pativrata dont le lien avec le mari ne peut même pas être brisé par la mort étant donné qu’elle continue à le protéger après la mort. Les familles commerçantes conservatrices du Rajasthan ont financé et construit d’innombrables temples sati au Rajasthan et ailleurs pour promouvoir cette idéologie patriarcale rétrograde. Bien que leur soutien à la sati ne soit plus aussi grossier, elles font toujours l’apologie des coutumes religieuses qui soutiennent la même idéologie et le même rôle pour les femmes. Les forces Hindutva ont repris l’exigence d’un Uniform Civil Code et ont, de ce fait, encore communalisé une autre question des droits des femmes. Ces mêmes forces s’étaient opposées aux réformes des lois coutumières hindoues se rapportant aux droits des femmes à la propriété et au mariages dans les années 50. Mais dans les années 90, elles ont commencé à demander l’introduction d’un Uniform Civil Code afin que les musulmans ne puissent plus être gouvernés par leurs lois personnelles. Leur revendication n’avait rien à voir avec le droit des femmes, qu’elles soient hindoues ou musulmanes. Il ne s’agissait que d’un bâton supplémentaire avec lequel frapper la communauté musulmane.

   Leur attitude patriarcale anti-humaine s’est révélée au Gujarat sous sa forme la plus grossière et la plus violente, par des viols collectifs et des assauts sexuels contre les femmes dans différents districts et la propagande vulgaire, parfois fausse, de femmes violées largement diffusée à divers endroits. Différentes équipes d’enquête ont recueilli les témoignages des femmes soit victimes de violes, soit témoins de viols d’amies ou de parents. Il faut comprendre ceci dans le contexte de la manière dont cette mentalité fasciste voit les femmes. Lorsqu’une idéologie arriérée approuve et préconise la subordination totale des femmes aux hommes, les femmes deviennent alors des symboles, porteuses de l’honneur social de la communauté, souvent même des incarnations de la souveraineté de l’état. Pour eux, les femmes sont les représentantes d’une communauté, transmettrices et dépositaires de la culture de la communauté et de ses valeurs. Elles sont le moyen par lequel la communauté se reproduit et se perpétue.

   Les forces Hindutva utilisent les femmes pour poursuivre leurs fins politiques, autant quand elles les mobilisent que quand elles attaquent sexuellement les femmes appartenant aux minorités. Il est important de se souvenir que ces forces, qu’elles soient de la Sangh Parivar – RSS, Bajrang Dal, BJP – ou qu’elles se trouvent au sein d’autres formations politiques telles que le Congrès, partagent la même attitude réactionnaire à l’égard des femmes.

   Même dans la plupart des cas individuels, le viol est une affirmation de la femme en tant qu’objet de plaisir et du pouvoir de l’homme sur elle. Mais quand le viol a lieu dans un contexte politique, comme au Gujarat, dans le cadre d’attaques collectives, l’acte est une agression organisée ; cela devient un rituel spectaculaire, un rituel de victoire – la profanation du symbole autonome de l’honneur de la communauté ennemie. Ceci a déjà été dit auparavant mais doit être souligné, tout particulièrement lorsque nous voyons que les tracts vulgaires publiés par le Sangh Parivar était explicitement sexuels. Il n’y a rien de sexuel dans ces viols collectifs ou dans les viols de femmes lors d’émeutes et d’attaques de ce type, que ce soit par des forces communalistes ou d’état. Ces viols sont des actes politiques, destinés à humilier l’ « ennemi » – le déshonneur de la femme, c’est le déshonneur de la communauté, un défi et une insulte pour les hommes de la communauté qui n’ont rien pu faire pour « protéger l’honneur des femmes, c’est à dire de la communauté« . Dans tout ce jeu de pouvoir, la femme, ses droits en tant qu’être humain, ne compte pour rien. Le Gujarat a une fois encore prouvé que les forces fascistes hindoues ne reculeront devant rien pour atteindre leur domination totale sur les minorités religieuses, en particulier sur les musulmans.

   On trouve les justifications de ces viols dans les écrits des idéologues de l’Hindutva, et en fait, dans les plus élaborés d’entre eux, les écrits de Savarkar eux-mêmes. Dans son interprétation de l’histoire, Savarkar représente le musulman comme lascif et sensuel, alors que l’hindou est relativement impotent. Le musulman, poussé par son devoir religieux, a kidnappé, violé et converti de force des millions de femmes hindoues, tandis que les hommes hindous avaient un « sens pervers de la galanterie » les empêchant de faire quoi que ce soit aux femmes de l’ennemi. Il qualifiait la loi de la nature (suivie même par le monde animal) le fait que dans la guerre, les hommes de la tribu vaincue soient tués alors que les femmes sont distribuées par les vainqueurs entre eux. Ceci figure dans son traité marathi rédigé en 1963 Six Glorious Epochs of Indian History, traduit en anglais en 1971. Après la guerre de 1965 avec le Pakistan, il a répété cette idée encore plus vivement en critiquant Shivaji et Chinnaji Appa pour ne pas avoir fait aux femmes musulmanes ce que les hommes musulmans avaient fait aux femmes hindoues – seule une politique de représailles leur apprendrait, affirmait-il. En fait, dès 1938, Savarkar a abordé à plusieurs reprises le thème de la violation des femmes hindoues aux mains des musulmans et la nécessité d’abandonner la non-violence. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le point de vue fasciste, sur le plan historique ainsi que moral, justifie le viol et le meurtre de fœtus et de nouveaux-nés – une justification morale au nettoyage ethnique !

   Alors que les fascistes hindous encouragent les pires formes d’orthodoxie brahmanique, leur approche patriarcale , bien qu’elle ait pris sa forme la plus dégradante contre les minorités (particulièrement les musulmans et les chrétiens) est également manifeste contre les femmes en général (par exemple par la promotion de la dot, de la sati, etc. et le confinement de la femme à la maison, bien meuble destiné à l’entretien domestique et à la production d’enfants). En outre, l’agressive offensive Hindutva contre les musulmans a retardé le mouvement parmi les femmes musulmanes pour réformer leur droit des personnes étant donné que toute la communauté est repoussée dans les bras de ses dirigeants religieux. La défense du droit à leur croyance est maintenant devenue leur principal problème. L’augmentation de l’utilisation de la burkha est un exemple de cette régression.

Le point de vue communaliste patriarcal de l’état

   Les forces fascistes en Inde ont révélé leur point de vue patriarcal sous des formes grossières et violentes, l’état indien partage aussi la même approche communaliste et patriarcale. Toutes ses prétentions laïques et démocratiques sont mises à nu lorsque nous examinons sa manière de fonctionner. Car comme l’éditorial du Times of India fut contraint de le faire remarquer dans le contexte de la déportation forcée des bangladeshis en cours actuellement, s’ils sont hindous, ils sont considérés comme réfugiés, tandis que s’ils sont musulmans, ils sont considérés comme des agents infiltrés. Mais ce n’est pas tout. L’état indien a dévoilé son penchant communaliste patriarcal lors de la formation de l’Inde elle-même – en 1947, dans la manière avec laquelle fut gérée la question des femmes, kidnappées pendant les troubles et les émeutes en marge de la Partition. En huit ans, à partir de 1947, 30.000 femmes furent « récupérées » dans les deux pays. Le nombre total de femmes musulmanes « récupérées » en Inde est de 20.728. La délivrance des femmes enlevées était perçue comme une question d’honneur national et d’obligation morale. Les femmes étaient victimes ; elles étaient les symboles de l’honneur de la communauté. Les femmes musulmanes devaient être restituées à la « nation musulmane » et les femmes hindoues à la « nation hindoue ». Après l’enlèvement forcé, il y eu le retour forcé. Par conséquent, même l’ordonnance promulguée en Inde ne s’intéressait qu’aux femmes musulmanes résidant dans d’autres maisons et pas à toutes les femmes. Le gouvernement a même adopté une autre loi selon laquelle les femmes ramenées du Pakistan devaient y laisser leurs enfants (considérant qu’ils avaient été engendrés par un musulman), celles qui étaient enceintes étaient contraintes d’avorter. En fait, durant tout le processus, les souhaits des femmes ne furent jamais pris en considération et elles n’eurent aucun droit l’égal de décider si elles voulaient quitter la famille dans laquelle elle vivait ou si elles voulaient rentrer ou pas. La politique de l’état était claire – les femmes devaient revenir, qu’elles le veuillent ou non. L’état indien avait donc révélé sa tendance hindoue à l’époque même de la Partition. Et les femmes furent les victimes de cette politique.

   La magistrature aussi était très influencée par l’idéologie hindoue dans les années ’80. Puisque les hauts magistrats viennent des mêmes classes que celles qui soutiennent les forces fascistes hindoues, il n’est pas surprenant que leur penchant se manifeste. Le jugement du juge de la Cour Suprême Y.V. Chandrachud dans l’affaire Shahbano en est un exemple. Le jugement a déployé toute son éloquence sur les musulmans et le droit musulman des personnes ainsi que le privilège dont jouissent les hommes musulmans. Il a évoqué l’écartèlement des musulmans et la nécessité d’introduire immédiatement un Uniform Cvil Code, tout en n’ayant que peu de choses à dire sur les droits des femmes. C’est essentiellement la nature anti-musulmane du jugement qui a attisé la colère de la communauté, entrainant la mobilisation des dirigeants musulmans conservateurs contre les droits des femmes musulmanes à une pension alimentaire après le divorce.

Les organisations de femmes au sein des forces Hindutva

   La RSS a elle-même lancé le Rashtrasevika Samiti en 1936, annexe de la RSS qui n’admettait que des membres masculins. Il était calqué sur la RSS, avec de petites shakhas (antennes) basées dans les régions et un pramuck sanchakila, poste non-électif. Les membres du bureau sont sélectionnés par les hauts responsables. Ces shakhas sont des centres d’intense formation idéologique pour les femmes sans avoir à quitter leur région ni leur environnement de caste ou de classe. On leur enseignait la version de la RSS de l’histoire indienne, à propos de la culture et de la tradition, et elles recevaient un entrainement physique. Mais le Rashtrasevika Samiti se limitait à sa base de classe et de caste. Ce n’est qu’après que le mouvement progressiste des femmes ait émergé à la fin des années ’70 que les partis pro-hindous ont créé des organisations de femmes. Le BJP a créé sa Mahila Morcha en 1980, la Mahila Agadhi fut fondée par la Shiv Sena en 1985, tandis que le VHP (Vishwa Hindu Parishad) a créé le Durga Vahini plus tard. Toutes étaient conçues pour mobiliser les masses de femmes pour la cause Hindutva.

   Les shakhas du Rashtrasevika se concentrent dans les états où la RSS est traditionnellement forte – Maharashtra, Karnataka et Andhra Pradesh. Il se limite aux mêmes cercles des castes/classes dans laquelle le RSS a sa base – les communautés brahmanes et commerçantes. Les femmes sont incitées à créer des contacts dans leurs quartiers, deviennent conseillères, encouragent la célébration de festivals hindous promus par le Samiti et propagent de manière officieuse les idées apprises dans les shakhas. C’est leur objectif principal – répandre leurs idées après avoir bâti des amitiés et une confiance. De cette manière, le Samiti a propagé son idéologie parmi les classes moyennes conservatrices. Il s’est également associé à l’éducation des enfants – Shishu Vihars, Saraswati Vidyalayas. L’idéologie du Rashtrasevika Samiti insiste pour le rôle central de la femme dans la famille, son rôle dans la transmission des « samskaras » aux autres membres de la famille, en particulier aux enfants. Les samskaras soulignent la vertu du respect des aînés et de la famille, et désapprouve l’action en opposition aux souhaits de la famille. Un grand nombre des femmes parlementaires du BJP ont été membres du Samiti. Elles croyaient en une femme hindoue forte, d’où la priorité de l’entrainement physique. Elles propagent l’idée selon laquelle les femmes mettent les enfants au monde pour servir la patrie. Leur position est que les femmes sont formées au combat dans la guerre contre l’ennemi musulman. Elles ont combiné avec succès leur rôle traditionnel dans la famille avec leur devoir « patriotique », fusionné le Desh bhakti au Ram bhakti. Le service à la nation et la libération du Ramjanmabhoomi ne font qu’un pour les femmes qu’elles endoctrinent.
Le Rath Yatra en 1990 peut être considéré comme un tournant en ce qui concerne la mobilisation publique des femmes par les forces Hindutva. Les femmes en sont venues à se mobiliser sur une large échelle pour la campagne Ramjanmabhoomi. Depuis lors, la participation active des femmes dans les émeutes – dans le pillage et dans les attaques contre la communauté minoritaire – est devenue évidente. Elles furent actives dans les émeutes à Mumbai et à Surat immédiatement après la démolition de la Babri Masjid. Le BJP, la Shiv Sena et le VHP ont attiré une base de masse bien plus considérable que le Samiti. Ils se sont répandus dans des zones et des régions particulières en organisant la célébration de coutumes et de festivals hindous traditionnels comme le haldi kumkum, le villuku pooja et le ganapati, en les aidant à aborder des problèmes régionaux, en encourageant les projets de régimes de revenus pour les femmes et, surtout, en encourageant les femmes à se montrer actives pour les causes politiques soutenues par leur organisation. Que ce soit l’arrestation d’un dirigeant, le Maha-arthi ou la campagne pour le temple. Grâce à cette participation, les femmes ont acquis un sentiment d’importance et de participation à la vie publique qui, jusqu’ici, leur était refusé. Bien que ces organisations aient abordé des questions telles que la dot, la mort, le viol et ait résolu des disputes familiales et autres, elles le font en fait grâce au parti. Elles ne préconisent pas la justice de genre et sont opposées à tout mouvement qui puisse troubler la structure patriarcale de la famille et du parti politique. L’endoctrinement idéologique, soit par l’intermédiaire de feuilletons télévisés comme Ramayana, soit par les shibirs (camps d’entrainement), maintient les valeurs patriarcales et autoritaires, en particulier en ce qui concerne la famille. Elles ont été conditionnées à croire que le mouvement progressiste des femmes en Inde est une greffe issue de l’Occident sans intérêt pour l’Inde. Selon eux, « Les femmes en Inde ont toujours eu la place d’honneur au sein du ménage et de la société. Cela doit seulement être ré-établi et ré-affirmé ». Cependant, les différents dirigeants des partis Hindutva ne parlent pas d’une seule voix. Certains, comme Vijayaraje Seindia, ont ouvertement pris une position conservatrice, et certains dirigeants BJP comme Bamdev et sants comme Swami Muktanand Saraswati ont exigé que soit rendu aux hommes hindous le droit à la polygamie (« Pourquoi seuls les musulmans devraient-ils avoir ce privilège ? ») ; d’autres dirigeants prennent une position plus modérée. Ils soutiennent, par exemple, le droit des femmes à travailler (ce n’est qu’alors qu’elles peuvent être fortes). La position qu’ils adoptent dépend également de la situation politique et de la nécessité du moment. Au fond, ils présentent les femmes comme des Matrishakti – la maternité étant centrale dans leur caractérisation des femmes et de leur pouvoir. Les femmes sont des mères et des épouses, et elles doivent être honorées et protégées. Pour eux aujourd’hui, la femme hindoue n’est pas une victime, c’est un pouvoir qu’il faut canaliser au service de la communauté. Ils endoctrinent essentiellement les femmes à détester les musulmans comme des ennemis et à maintenir les valeurs patriarcales (ils croient qu’il y a des différences essentielles et naturelles entre les hommes et les femmes). Ils ne tiennent aucun compte des injustices de genre qui existent dans les lois et coutumes hindoues, mais exagèrent l’injustice à laquelle sont soumises les femmes musulmanes (notez leur inquiétude démesurée à propos de restrictions telles que la burqa pour les femmes musulmanes) et l’ignorance délibérées du ghoonghat et justifient les viols et les maltraitances contre les femmes issues de la communauté musulmane et d’autres communautés minoritaires. Dans l’ensemble, elle sont conditionnées à accepter un programme fasciste qui sera extrêmement mauvais pour les droits des femmes. L’autonomie et l’indépendance des femmes seront écrasées et elles devront servir l’état et la communauté comme sous le régime nazi en Allemagne. Ils sont passés sur la lutte des femmes pour l’égalité et elle sera broyée sans pitié si les forces Hindutva parviennent à leurs objectifs fascistes.

Femmes, soulevez-vous et combattez le fascisme hindou !

   Pour les forces révolutionnaires et démocratiques, pour le mouvement progressiste des femmes, les tâches sont clairement exposées : pour combattre l’ascension des forces fascistes Hindutva en Inde, il n’est pas suffisant de ne les combattre que dans le domaine politique, il faut les combattre sur tous les fronts. Il faut également s’opposer à l’impact de ces forces sur les femmes et à leur stratégie pour les femmes. Il est nécessaire de révéler que la notion de mobilisation des femmes signifie une véritable « responsabilisation » des femmes. Nous devons mettre en lumière le fait qu’en dépit de leur discours sur la femme forte et la shakti, en dépit de leur projection de dirigeantes agressives comme Uma Bharati et de sadhavis comme Rhitambara, leur conception fondamentale du rôle de la femme est patriarcale. Nous devons dénoncer que leur activation même des femmes est basée sur une histoire déformée et totalement fausse et sur une stimulation systématique de la haine contre une communauté minoritaire assiégée. L’entrainement paramilitaire donné aux femmes par les Durga Vahinis et les Sevika Samitis n’est pas destiné à leur propre protection ni à la libération des masses de l’oppression et de l’exploitation mais pour attaquer les musulmans et les autres communautés. Il faut aussi que nous dénoncions le fait qu’ils ont soutenu les forces de droites aux Etats-Unis et ailleurs, vu qu’ils partagent non seulement des intérêts économiques communs, mais également une vision commune de la société et de la place de la femme dans la société. Et nous devons révéler que ces forces ont obtenu du soutien parce que la société indienne n’a pas traversé de révolution démocratique qui aurait balayé la culture et les rapports féodaux, non seulement en ce qui concerne les aspects économiques, mais aussi dans la vie sociale. Par conséquent, cette lutte englobe les sphères économique, politique et sociale et doit comprendre la propagande et l’éducation parmi les masses de femmes. Elle ne peut pas seulement se limiter aux femmes de classe moyenne. Ainsi, dans le contexte actuel, un aspect important de la lutte contre le patriarcat est la mobilisation des vastes masses de femmes, pas simplement contre l’intégrisme en général mais plus particulièrement contre les forces fascistes Hindutva.

Traduit par J. Adarshini

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