Débat sur la coopération agricole et lutte de classes actuelle

Débat sur la coopération agricole et lutte de classes actuelle((Rapport de conclusion présenté par le camarade Mao Tsétoung il la sixième session plénière élargie du Comité central issu du VIIe Congrès du Parti communiste chinois.))

Mao Zedong

11 octobre 1955

Notre session a donné lieu à un très grand débat. Celui-ci a porté sur la question de savoir si la ligne générale du Parti pour la période de transition du capitalisme au socialisme est tout à fait juste. Engagé dans tout le Parti, il a été provoqué au sujet de nos principes politi­ques en matière de coopération agricole et c’est sur cette question que nos camarades ont centré leurs interventions. Cependant, ce débat embrasse de vastes domaines, nos activités aussi bien dans l’agriculture, l’industrie, les communications, les transports, les fi­nances, les affaires monétaires, le commerce que dans la culture, l’éducation, la science et la santé publique; il touche également la transformation de l’artisanat ainsi que de l’industrie et du commerce capitalistes, la répression des contre-révolutionnaires, l’armée et les affaires étrangères. Bref, toute l’activité du Parti, du gouvernement, de l’armée et des organisations populaires est concernée. Cette large discussion est indispensable, car il n’y en a encore jamais eu de telle dans le Parti depuis la promulgation de la ligne générale. Elle doit se déployer dans les campagnes comme dans les villes, de sorte que notre travail dans tous les domaines, son rythme et sa qualité soient à la hauteur des tâches définies par la ligne géné­rale et que soit établi un plan d’ensemble pour chaque domaine d’activité.

Je voudrais maintenant parler des questions suivantes.

I. LE RAPPORT ENTRE LA COOPERATION AGRICOLE ET LA TRANSFORMATION DE L’INDUSTRIE ET DU COMMERCE CAPITALISTES

Le rapport entre la coopération agricole et la transformation de l’industrie et du commerce capitalistes, c’est-à-dire le rapport entre la tâche de réaliser, pour l’essentiel, la transformation socialiste de l’agriculture en trois quinquennats environ et celle d’accomplir, pour l’essentiel, la transformation socialiste de l’industrie et du commerce capitalistes durant la même période, est en fait le rapport entre la coopération agricole et la bourgeoisie.

Nous estimons que c’est seulement quand l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie se sera peu à peu consolidée sur une nouvelle base, celle du socialisme, au cours de la transformation socialiste totale de l’agriculture, qu’il sera possible de rompre défini­tivement les liens entre la bourgeoisie urbaine et les paysans et d’isoler complètement la bourgeoisie, ce qui facilitera la transformation totale de l’industrie et du commerce capitalistes. Notre transformation socialiste de l’agriculture a pour but de déraciner le capitalisme dans l’immense campagne.

Pour le moment, nous n’avons pas encore achevé la coopération agricole: la classe ouvrière n’a pas encore consolidé son alliance avec la paysannerie sur une base nouvelle et cette alliance reste précaire. Les paysans ne se contentent plus de l’alliance que nous avions conclue avec eux sur la base de la révolution agraire. Ils ont quelque peu oublié les avantages qu’ils en avaient tirés. Maintenant, il faut leur apporter un nouveau bienfait: le socialisme. Aujourd’hui les paysans ne vivent pas encore tous dans l’aisance, les céréales et les matières premières pour l’industrie sont loin d’être suffisantes. Dans ces cir­constances, il est probable que la bourgeoisie trouvera à redire et qu’elle nous attaquera sur cette question. Mais dans quelques années, nous verrons une situation toute nouvelle: la classe ouvrière et la paysannerie formeront, sur une base nouvelle, une alliance plus solide que jamais.

Scellée par la lutte contre les propriétaires fonciers, pour le ren­versement des despotes locaux et pour le partage des terres, l’ancienne alliance était provisoire; stable pour un temps, elle est devenue instable. Après la réforme agraire, il s’est opéré une bipolarisation parmi les paysans. Si nous n’avons rien de nouveau à leur offrir et que nous ne les aidions pas à accroître leurs forces productives, à augmenter leurs revenus et à atteindre une prospérité générale, ceux qui sont restés pauvres ne nous feront plus confiance et penseront qu’il n’est plus dans leur intérêt de suivre le Parti communiste. Puisqu’ils restent toujours pauvres malgré le partage des terres, pourquoi devraient-ils encore nous suivre? Quant à ceux qui sont dans l’aisance, c’est-à-dire ceux qui sont devenus paysans riches ou qui mènent une vie très aisée, ils n’auront pas, eux non plus, confiance en nous, esti­mant que la politique du Parti communiste n’est jamais à leur goût. En fin de compte, les paysans, qu’ils soient pauvres ou riches, ne se fieront plus à nous, et l’alliance des ouvriers et des paysans deviendra très fragile. Dans le but de la consolider, il nous faut conduire les paysans sur la voie du socialisme pour qu’ils jouissent d’une prospérité commune; les paysans nécessiteux, ainsi que tous les autres paysans, doivent devenir prospères, et mieux que cela: ils doivent atteindre un niveau de vie bien plus élevé que les paysans aisés actuels. Quand la coopération aura été achevée, la vie de toute la population rurale s’améliorera d’année en année, et il y aura davantage de grains marchands et de matières premières pour l’industrie. Alors, la bour­geoisie n’aura qu’à se taire et constatera son isolement total.

Actuellement, nous avons deux alliances, l’une avec les paysans, l’autre avec la bourgeoisie nationale, Ces deux alliances nous sont indispensables, et le camarade Chou En-lai a aussi parlé de cette question. Quels avantages l’alliance avec la bourgeoisie peut-elle nous offrir? Elle permet de nous procurer plus de produits industriels à échanger contre des produits agricoles. C’est précisément l’idée qu’avait eue Lénine pendant une certaine période après la Révolution d’Octobre. En effet, les paysans refusaient de vendre leurs céréales à l’Etat, parce qu’il n’avait pas de produits industriels à fournir en échange; ils n’acceptaient pas qu’on payât leur grain en simple papier- monnaie. C’est pourquoi Lénine avait envisagé une alliance entre le pouvoir d’Etat prolétarien et le capitalisme d’Etat pour contrecarrer, par l’accroissement des produits industriels, la tendance spontanée au capitalisme dans les campagnes((Voir V. I. Lénine: « L’Impôt en nature”.)). Si, en nous alliant avec la bour­geoisie, nous nous abstenons pour l’instant de confisquer les entreprises capitalistes et adoptons à leur égard une politique d’utilisation, de limitation et de transformation, c’est précisément dans le but d’ob­tenir plus de produits industriels pour répondre aux besoins des paysans et surmonter leur répugnance à vendre les céréales, voire cer­taines matières premières nécessaires à l’industrie. Nous utilisons ainsi notre alliance avec la bourgeoisie pour vaincre cette répugnance des paysans. D’autre part. c’est grâce à notre alliance avec la paysannerie que nous obtenons les céréales et les matières premières de l’industrie pour contenir la bourgeoisie. Comme les capitalistes ne disposent pas de matières premières alors que l’Etat, lui, en a, ils n’ont d’autre solution, pour s’en procurer, que de lui vendre leur production et de s’engager ainsi dans la voie du capitalisme d’Etat. S’ils refusent, nous leur couperons les matières premières, et ils n’auront aucune autre issue. De cette façon, nous barrerons la voie du capitalisme à la bourgeoisie qui aspire à l’ouverture du marché libre, à l’obtention libre des matières premières et à la vente libre de sa production indus­trielle, et nous isolerons la bourgeoisie sur le plan politique. Telle est l’interaction de ces deux alliances. De ces dernières, celle que nous avons passée avec les paysans est principale, fondamentale, primor­diale, alors que celle avec la bourgeoisie n’est que provisoire, secondaire. Dans un pays économiquement arriéré comme le nôtre, ces deux alliances sont aussi indispensables l’une que l’autre à l’étape actuelle.

La réforme agraire nous a permis d’établir une alliance avec les paysans sur la base de la démocratie et elle leur a donné des terres. La distribution des terres aux paysans relève de la révolution démo­cratique bourgeoise; elle n’a sapé que la propriété féodale, et non la propriété capitaliste ni la propriété individuelle. Néanmoins, du fait de cette alliance, la bourgeoisie s’est sentie isolée pour la première fois. En 1950, lors de la troisième session plénière du Comité central, j’ai dit qu’il fallait se garder d’attaquer dans toutes les directions. A ce moment-là. la réforme agraire n’avait pas encore été entreprise dans de vastes régions du pays et les paysans n’étaient pas encore passés complètement de notre côté; il était alors inopportun d’ouvrir le feu sur la bourgeoisie. C’est seulement après la réforme agraire, lorsque les paysans se sont rangés entièrement de notre côté, qu’il a été possible et nécessaire pour nous de lancer les mouvements sanfan et woufan. La coopération agricole nous permettra de consolider notre alliance avec les paysans sur la base du socialisme prolétarien et non sur celle de la démocratie bourgeoise, ce qui isolera définitivement la bourgeoisie et facilitera l’élimination définitive du capitalisme. Sur cette question, nous nous montrons vraiment impitoyables ! Oui, le marxisme est dur, sans pitié; ce qu’il veut, c’est anéantir l’impéria­lisme, le féodalisme, le capitalisme et aussi la petite production. Là-dessus, mieux vaut ne pas avoir trop d’indulgence. Certains camarades sont trop bienveillants; ils ne sont pas rigoureux, autrement dit pas tellement marxistes. Ce sera une excellente chose, et d’une portée énorme, que de faire disparaître la bourgeoisie et le capitalisme dans un pays de 600 millions d’habitants comme la Chine. Notre but est bien d’extirper le capitalisme, de le supprimer à jamais sur la Terre et de le reléguer au musée de l’Histoire. Tout ce qui apparaît au cours de l’Histoire doit nécessairement disparaître un jour, et toute chose, tout phénomène est un produit de l’Histoire; à la vie succède toujours la mort. Le capitalisme aussi est un produit de l’Histoire, il doit donc mourir. Il y a sous terre une place de choix qui l’attend, qu’il y « repose » !

La situation internationale actuelle est favorable à l’accomplisse­ment de notre tâche générale pour la période de transition. Il nous faut une période de trois quinquennats afin de réaliser pour l’essentiel l’industrialisation et la transformation socialistes. Nous tâcherons de nous assurer cette période pour l’édification pacifique. Sur ces quinze ans, trois sont déjà écoulés, mais les douze ans qui restent suffiront. Selon toute apparence, nous réussirons à disposer de ce temps. Faisons donc tout notre possible dans ce sens. Nous devons redoubler d’efforts dans le domaine des affaires extérieures et dans l’édification de la défense nationale.

Durant cette période de quinze ans, la lutte de classes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays sera très acharnée; nous pouvons déjà le constater. Dans cette lutte, nous avons remporté beaucoup de vic­toires, et nous en remporterons d’autres. Dans la lutte de classes qui s’est déroulée ces douze derniers mois à l’intérieur du pays, nous avons entrepris essentiellement quatre tâches: la lutte contre l’idéalisme, la répression des contre-révolutionnaires, la solution du problème céréa­lier et la coopération agricole. Les luttes que nous avons engagées pour régler ces quatre problèmes ont été, de par leur caractère, autant de combats contre la bourgeoisie ; nous lui avons assené des coups très durs et nous continuons de lui en porter de foudroyants.

La lutte contre l’idéalisme se poursuit depuis un an. Elle a commencé avec la question du Rêve du Pavillon rouge et on a critiqué le Wenyi Bao, puis Hou Che et Liang Chou-ming. Nous devons combattre l’idéalisme pour de bon, et cela tout au long des trois quinquennats. Au cours de ce combat, il faudra former un contingent de cadres possédant le matérialisme dialectique marxiste, pour que la masse de nos cadres et le peuple puissent s’armer des théories fondamentales du marxisme. Quant à la répression des contre- révolutionnaires, nous comptons procéder, pendant le reste de cette année et l’année prochaine, à une campagne d’élimination des contre- révolutionnaires parmi les quelque 12 millions de personnes qui tra­vaillent dans les entreprises industrielles et commerciales de l’Etat, les coopératives, les différents organismes des districts, des arrondissements et des cantons, y compris les cadres de l’armée et les ouvriers des usines. Parlant des contre-révolutionnaires, on a l’impression qu’il n’en reste plus beaucoup, puisqu’on ne les voit pas. Mais l’enquête révèle qu’il en existe bel et bien ; on en a déjà débusqué un certain nombre. Sur la question des céréales aussi, nous avons livré une grande bataille. La bourgeoisie a pris prétexte de ce problème pour nous attaquer, et même dans le Parti se sont répandues des rumeurs mensongères; c’est pourquoi nous y avons opposé des critiques. En ce qui concerne la coopération agricole, nous avons beaucoup lutté; la présente session a d’ailleurs centré ses délibérations sur ce problème. Nous avons donc mené d’importantes luttes sur les quatre questions susmentionnées, brisant la résistance et l’offensive de la bourgeoisie et gagnant ainsi l’initiative.

La bourgeoisie a eu peur de nos luttes contre elle sur ces questions et surtout de la répression des contre-révolutionnaires. Nous avons fait un bon travail dans cette répression. A ce sujet, nous devons nous en tenir aux critères fixés, sinon ce serait très dangereux. Seuls les gens qui correspondent à ces critères doivent être appelés contre- révolutionnaires; autrement dit, nous devons démasquer les vrais contre-révolutionnaires et nous garder d’inculper des innocents. Il faut s’attendre cependant à des erreurs de ce genre, lesquelles sont difficiles à éviter complètement. Mais nous devons faire en sorte que de tels cas soient en nombre réduit et, si possible, entièrement exclus. Nous ne devons mettre en cause que ceux qui sont tout à fait conformes aux critères, qui sont de vrais contre-révolutionnaires, des contre- révolutionnaires à cent pour cent, et non porter de fausses accusations contre des innocents. D’un autre côté, c’est bien possible que certains contre-révolutionnaires authentiques glissent au travers du filet. Vous dites qu’on les attrapera tous cette fois. Pas forcément. Il est bien probable qu’il y en a qui échapperont, mais nous devons faire en sorte qu’il y en ait le moins possible.

II. LE BILAN DES DISCUSSIONS SUR LA COOPERATION AGRICOLE

Les nombreuses créations des masses dans le domaine de la coopé­ration agricole ont détruit pas mal de préjugés et d’idées fausses. Le débat actuel nous a permis de résoudre quantité de problèmes qui n’étaient pas clairs pour beaucoup de gens il y a quelques mois.

1. Une extension forte ou faible, laquelle vaut mieux? C’est là un problème capital, sur lequel il y avait de grandes divergences, et il est maintenant résolu. Les masses demandent une extension très large des coopératives, et la tâche générale pour la période de transition exige que l’agriculture s’adapte à l’industrie; ce serait donc faux de préconiser une faible extension.

2. Est-ce qu’il est possible de créer des coopératives dans les régions tardivement libérées, dans les régions montagneuses, les can­tons arriérés ou les régions touchées par des calamités naturelles? Ce problème est lui aussi résolu maintenant, on peut en créer dans tous ces endroits.

3. Peut-on créer des coopératives dans les régions de minorités nationales? Il est prouvé qu’on peut en établir partout où les conditions sont réunies. Dans certaines régions où elles ne le sont pas encore, comme le Tibet et les monts Taliang et Siaoliang, il ne faut pas en créer.

4. Est-ce qu’il est possible d’établir des coopératives quand on n’a ni fonds, ni charrettes, ni bœufs de labour, et sans l’adhésion des paysans moyens aisés? Oui, on a la preuve maintenant que c’est également possible.

5. « C’est facile de créer des coopératives, mais difficile de les consolider. » Cette idée préconçue a été battue en brèche, elle aussi. Créer des coopératives n’est pas aussi facile qu’on le prétend, et les consolider pas forcément aussi difficile qu’on le pense. Insister sur la facilité de leur création et sur la difficulté de leur consolidation, cela revient en fait à vouloir ne pas en créer, ou en créer le moins possible.

6. Sans machines agricoles, peut-on créer des coopératives? L’opinion selon laquelle les machines agricoles sont indispensables pour l’établissement de coopératives n’est plus très répandue, mais elle subsiste encore. C’est un préjugé qu’on peut également balayer.

7. Doit-on dissoudre toutes les coopératives mal gérées? Si certaines sont vraiment incapables de se maintenir, elles peuvent naturellement retourner au stade de l’équipe d’entraide. Mais on ne doit pas en règle générale dissoudre les coopératives considérées comme mal gérées, car une fois remises en ordre, elles peuvent repartir du bon pied.

8. « Si on ne descend pas immédiatement de cheval, on risque de briser l’alliance des ouvriers et des paysans. » C’est là probablement un « argument » provenant du Département du Travail rural du Comité central, ce département ne se contente pas de semer des rumeurs, il produit aussi force « arguments ». Je pense que cette assertion est « juste » pour l’essentiel: pour qu’elle le devienne tout à fait, il suffit d’y changer un mot: remplacer « descendre » par « monter ». Ne vous découragez pas, Camarades du Département! J’ai repris tels quels tous les mots que vous avez utilisés, sauf un. La différence ne porte que sur un seul mot, celui qui a été l’objet de notre controverse. Vous voulez qu’on descende alors que moi, je veux qu’on monte. “Si on ne monte pas immédiatement à cheval, on risque de briser l’alliance des ouvriers et des paysans »; cela est bien vrai!

9. « Si des bœufs de labour sont morts, c’est la faute des coopéra­tives. » Cette accusation n’est pas tout à fait fondée. La mort de ces bœufs n’est pas due essentiellement aux coopératives, mais aux inonda­tions, au prix élevé des peaux et au manque de fourrage; dans d’autres cas, il y a des bœufs qui, trop vieux, ne sont bons que pour la boucherie.

10. « La tension qui règne à la campagne a pour cause principale l’établissement d’un trop grand nombre de coopératives.” Une telle affirmation est fausse. Les tensions apparues au printemps dernier dans les régions rurales étaient dues notamment au problème des céréales. D’ailleurs, dans la plupart des cas, la soi-disant pénurie de céréales était imaginaire; c’étaient des clameurs des propriétaires fonciers et des paysans riches ainsi que des paysans moyens aisés. Nous n’avons pas encore trouvé le temps de faire un vaste travail d’éducation auprès des masses paysannes sur ce point; d’autre part, notre travail dans le domaine céréalier présentait des insuffisances. Comme nous ne savions pas très bien, l’année dernière, quelle quantité de céréales devait être achetée, nous en avons acheté aux paysans 500.000 tonnes de trop. Nous prévoyons maintenant un réajustement en réduisant nos achats de j.500.000 tonnes; cela s’ajoutant à la bonne récolte de cette année, détendra la situation dans les campagnes.

11. Il y a encore une autre assertion: « La supériorité des coopéra­tives ne durera que trois ans. » C’est du pessimisme. J’estime, quant à moi, que leur supériorité durera certainement bien plus, car le socialisme s’étendra sur une très longue période. Et dans l’avenir, quand celui-ci ne présentera plus de supériorité, le communisme le remplacera pour manifester la sienne à son tour.

12. Faudra-t-il créer des coopératives de forme supérieure dans un proche avenir? On n’avait pas d’idée claire sur cette question, et vous l’avez soulevée à la présente session. Il faut en créer un certain nombre. Quant au chiffre exact, c’est à vous de voir.

13. Il est également faux de dire que « les bateliers et les charre­tiers ne peuvent pas s’organiser en coopératives”. Aujourd’hui, il semble que les millions de travailleurs des transports de ce genre doivent aussi se regrouper en coopératives.

A la lumière des discussions, nous avons résolu ces nombreux problèmes. C’est un grand succès de la présente session plénière du Comité central.

III. LA PLANIFICATION D’ENSEMBLE ET LA DIRECTION RENFORCEE

La planification d’ensemble doit comprendre: 1) un plan pour les coopératives; 2) un plan pour la production agricole; 3) un plan pour toute l’économie. Le plan pour l’ensemble de l’économie rurale doit englober entre autres les occupations subsidiaires, l’artisanat, les acti­vités diversifiées, les exploitations polyvalentes, le défrichage et le déplacement de la population à faible distance, les coopératives d’ap­provisionnement et de vente, les coopératives de crédit, les banques, les stations de vulgarisation des techniques, ainsi que le reboisement des collines dénudées et des villages. Je pense que c’est surtout les montagnes arides de la Chine du Nord qu’il faut reboiser; c’est par­faitement réalisable. Camarades du Nord, aurez-vous assez de courage pour cela? Dans le Sud, bien des endroits ont besoin aussi d’être reboisés. Ce serait beau de voir dans un certain nombre d’années, au Nord comme au Sud, un peu partout, des régions reverdies. L’agriculture, l’industrie et tous les autres secteurs en profiteront.

Quels sont les autres plans à élaborer? Un plan pour la culture et l’enseignement, qui doit comprendre la liquidation de l’analphabétisme, la création d’écoles primaires, l’établissement d’écoles secondaires qui répondent aux besoins des campagnes et dans lesquelles seront intro­duits des cours d’agriculture, l’édition d’ouvrages de vulgarisation et de livres adaptés aux besoins des paysans, l’extension du réseau de radiodistribution et la multiplication des équipes itinérantes de cinéma dans les campagnes, l’organisation des activités culturelles et récréa­tives, etc. Il faut encore des plans pour la consolidation et l’édification du Parti et de la Ligue de la Jeunesse, le travail des femmes et la répression des contre-révolutionnaires. Tout cela doit entrer dans la planification d’ensemble.

Il doit y avoir les plans suivants: 1) Celui des coopératives rurales. Toutes les coopératives, si petites soient-elles, doivent avoir un plan, qu’elles apprendront à établir. 2) Celui des cantons. Notre pays compte plus de 220.000 cantons, chacun doit faire son plan. 3) Celui des districts. Nous espérons que chaque district élaborera un plan. Cer­tains districts en ont déjà présenté d’excellents, dont la lecture est intéressante. Dans ces districts, avec un esprit émancipé qui ose défier le ciel et la terre et qui est libre de toute entrave, on a pu concevoir des plans pleins d’initiative. 4) Celui des provinces (régions autonomes ou banlieues des municipalités). Mais nous devons mettre l’accent sur la planification au niveau des cantons et des districts. Il faut saisir ces deux maillons pour qu’un certain nombre de plans soient rapidement établis, par exemple, ceux de trois ou quatre districts dans chaque province, qui seront ensuite distribués à divers endroits comme modèles.

Les plans du mouvement coopératif doivent fixer les rythmes du développement pour les différentes régions. On peut distinguer trois catégories de régions. La première comprend la majorité des régions, la seconde, une partie du plus petit nombre et la troisième, le reste. Dans la majorité des régions, on réalisera la coopération en trois vagues, en trois hivers-printemps. Par trois vagues, on entend cet hiver et le printemps prochain, l’hiver prochain et le printemps suivant, plus un autre hiver-printemps. Les trois hivers-printemps, ce sont précisé­ment ces trois vagues qui se succèdent l’une à l’autre; il devra y avoir entre deux vagues un intervalle, tout comme une vallée entre deux montagnes et un creux entre deux lames. Au printemps 1958, la première catégorie dc régions aura réalisé pour l’essentiel la coopération semi-socialiste. Pour la deuxième catégorie, comme la Chine du Nord, le Nord-Est et quelques banlieues, deux hivers-printemps, deux vagues suffiront. Certaines localités y arriveront en une seule vague, au printemps prochain. Pour la troisième catégorie, c’est-à-dire le reste du plus petit nombre, quatre, cinq, voire six hivers-printemps seront nécessaires. Cette catégorie n’inclut pas certaines régions de minorités nationales — les monts Taliang et Siaoliang, le Tibet et les autres régions où les conditions ne sont pas mûres; on ne doit pas établir de coopératives dans ces circonstances. Qu’est-ce qu’on entend par réalisation, pour l’essentiel, de la coopération semi-socialiste? Cela signifie que 70 à 80 pour cent de la population rurale se seront regroupés dans des coopératives semi-socialistes. Une marge nous est ici réservée: ça peut aller avec 70 pour cent, 75 pour cent, 80 pour cent, ou un peu plus. Voilà ce qu’on appelle la réalisation, pour l’essentiel, de la coopération semi-socialiste. Pour le reste de la popu­lation rurale, cela viendra plus tard. Il n’est pas bon d’aller trop lentement ou trop vite, car ces deux cas relèvent l’un comme l’autre de l’opportunisme. Il y a deux sortes d’opportunisme: l’opportunisme de lenteur et l’opportunisme de précipitation. Cette façon de dire est plus accessible aux simples gens.

A chacun de ces trois niveaux: provinces (municipalités ou régions autonomes), préfectures et districts, la direction doit se tenir constam­ment au courant des progrès du mouvement et s’attaquer aux problèmes dès qu’ils surgissent. Il ne faut absolument pas laisser s’accumuler les problèmes pour en faire le bilan après. Dans le passé, on a souvent travaillé de cette façon: au lieu de les résoudre au fur et à mesure, on laissait les problèmes s’amonceler pour en faire le bilan ou « tirer tardivement des coups de canon ». Certains camarades ont commis cette erreur au cours des mouvements sanfan et woufan. Il ne faut pas se plaire à ne critiquer qu’après coup. Bien sûr, il est nécessaire de critiquer après, mais il vaut mieux le faire dès les premiers indices d’une erreur. Ce n’est pas bon de se plaire à ne critiquer qu’après coup et de ne pas donner les conseils que la situation impose. Que faire si les choses ne tournent pas bien? Dans ce cas, il faut freiner immédiatement ou, en d’autres termes, stopper tout court. C’est comme lorsque l’on conduit une voiture sur une pente raide, dès qu’un danger survient, on appuie immédiatement sur le frein. Les autorités des provinces, des préfectures et des districts ont toutes le pouvoir de freiner. Il faut prévenir toute déviation “de gauche ». Agir ainsi, c’est marxiste et non opportuniste. Le marxisme n’appelle pas la déviation « de gauche », et l’opportunisme « de gauche » n’est pas du marxisme.

Désormais, sur quoi portera notre émulation dans l’établissement des coopératives? Sur la qualité, sur le respect des normes. Quant à la quantité ou au rythme, il suffit d’atteindre les chiffres fixés plus haut. C’est sur l’émulation pour la qualité que l’accent doit être mis. Quels sont les critères de la qualité? Eh bien, l’augmentation de la production et la préservation des bêtes de trait. Mais comment y arriver? En respectant le principe du libre consentement et de l’avan­tage réciproque, en élaborant un plan d’ensemble et en faisant preuve de souplesse dans la direction. Avec tout cela, à mon avis, la qualité des coopératives sera bien satisfaisante; on pourra augmenter la production et préserver les bêtes de trait. Nous devons absolument éviter l’erreur qui a été commise naguère en Union soviétique et qui consistait à abattre massivement le bétail. Les deux ans à venir seront d’une importance cruciale, surtout les cinq prochains mois, c’est-à-dire cet hiver et le printemps prochain. Je voudrais attirer votre attention sur ceci: vous devrez, de novembre 1955 à mars 1956, vous assurer qu’aucun grand problème ne surgisse, qu’aucune perte importante de bœufs n’ait lieu. Comme nous n’avons maintenant que très peu de tracteurs, les bœufs sont très précieux, ils sont l’outil principal dans la production agricole.

Dans les cinq mois à venir, les principaux cadres au niveau des provinces, des préfectures, des districts, des arrondissements et des cantons, en premier lieu les secrétaires et secrétaires adjoints des comités du Parti, doivent se plonger dans l’étude des coopératives et se familiariser avec les divers problèmes qui s’y rapportent. Ce délai est-il trop court? J’estime que cinq mois suffiront si vous vous y mettez sérieusement. Il est certes très important pour les camarades respon­sables au niveau des provinces de faire une telle étude, mais il l’est surtout pour ceux des districts, des arrondissements et des cantons; s’ils n’approfondissent pas cette question et qu’ils créent beaucoup de coopératives tout en restant profanes dans ce domaine, ce sera très dangereux. Que faire s’il y en a qui n’arrivent toujours pas à appro­fondir la question? Il faut les muter. Dans cinq mois, après mars prochain, le Comité central convoquera probablement une nouvelle session, analogue à celle-ci. A ce moment-là, nous ferons des compa­raisons sur la qualité, et nous ne devrons plus insister dans nos interventions sur ce qui a été dit à cette session; il faudra apporter du nouveau, c’est-à-dire que les interventions devront porter sur la planification d’ensemble, la gestion et les méthodes de direction. Elles devront préciser quelles sont les bonnes méthodes à employer pour mettre sur pied des coopératives selon le principe: rapidité, quantité et qualité. Bref, elles devront s’étendre sur la qualité.

Les méthodes de direction sont très importantes. Pour éviter les erreurs, il faut leur prêter une grande attention et renforcer la direction. Voici quelques suggestions en matière de méthodes de direction, et vous verrez si elles sont praticables. On convoquera chaque année, comme nous le faisons, quelques réunions, grandes ou petites, pour résoudre les problèmes du moment. Quand surgit un problème, il faut savoir dégager ce qu’il y a d’universel dans un cas particulier. On n’a pas besoin d’attraper et de disséquer tous les moineaux pour prouver qu »‘un moineau, bien que petit, possède tous les organes inter­nes nécessaires ». Aucun scientifique n’a jamais agi de cette façon. Il suffit de bien connaître quelques coopératives pour être en mesure d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Outre les réunions, il y a d’autres méthodes de direction qui ne sont pas moins importantes: com­munications télégraphiques ou téléphoniques et tournées d’inspection. De plus, chaque province doit confier à des personnes compétentes le soin de diriger les publications et de les améliorer pour assurer des échanges rapides d’expérience. Voici encore une suggestion, et vous pourriez essayer. J’ai mis onze jours à lire cent vingt et quelques rapports, tout en y apportant des modifications et en rédigeant des notes introductoires. Ce travail m’a permis de “parcourir tous les royaumes », d’aller plus loin que Confucius ne l’avait fait, puisque j’ai pu « mettre le pied » jusqu’au Yunnan et au Sinkiang((II s’agit ici de la préparation du recueil Comment gérer une coopérative agri­cole de production, entreprise par le camarade Mao Tsétoung après lecture des rapports sur la coopération agricole provenant de diverses localités. Voir « Préfaces de L’Essor du socialisme dans les campagnes chinoises« , pp. 250-257 du présent tome.)). Chaque province ou région autonome pourrait, toutes les années ou bien tous les six mois, compiler un recueil, à raison d’un article par district. Cela permettrait à tous les districts d’échanger leurs expériences et favoriserait une extension rapide du mouvement coopératif. Une autre méthode enfin, ce sont les bulletins d’information. Les comités du Parti des districts soumettront leurs bulletins aux comités des préfectures, ceux-ci aux comités des provinces ou régions autonomes, et ces derniers au Comité central. Ces bulletins feront connaître les progrès de la coopération et les problèmes rencontrés. Grâce à ces bulletins, la direction aux différents échelons sera au courant de la situation et elle pourra ainsi résoudre les problèmes qui se poseraient. Voilà quelques suggestions sur les méthodes de direction, veuillez, Camarades, les prendre en considération.

IV. LA LUTTE IDEOLOGIQUE

Toute l’expérience du passé nous montre une chose: la lutte idéologique doit frapper juste. Comme le dit aujourd’hui une expres­sion courante, il faut que les idées s’affrontent. L’affrontement, c’est un combat; tu me pousses une botte, je riposte; et les deux épées se croisent nécessairement. Sans choc des idées, rien ne s’éclaircit et on n’approfondit rien, et ce n’est pas bien. A cette session, nous avons confronté nos idées; nous sommes parvenus à voir les choses clairement et en profondeur. Cette méthode a l’avantage, d’abord, de permettre à la grande majorité des camarades de se faire une idée claire des questions soulevées, et ensuite d’aider ceux qui ont fait des erreurs à les corriger.

En ce qui concerne les camarades fautifs, il faut d’abord, à mon avis, qu’ils veuillent eux-mêmes faire la révolution et ensuite que les autres leur permettent de la poursuivre. Il y a des gens qui ne veulent pas continuer la révolution, comme Tchen Tou-sieou, Tchang Kouo-tao, Kao Kang et Jao Chou-che, mais ils ne sont qu’une infime minorité. La plupart des camarades veulent la poursuivre. Mais il faut encore qu’on le leur permette. Nous ne devons pas nous comporter comme le Faux Diable étranger de La Véritable histoire de Ah Q, qui interdit à Ah Q de faire la révolution, ni comme Wang Louen le Lettré à l’habit blanc((D’après le roman classique chinois Chouei hou tchouan, Wang Louen (sur­nommé le « Lettré à l’habit blanc ») était devenu chef des forces paysannes du mont Liangchan. Pour maintenir sa propre position de chef, il refusa d’abord d’admettre dans les rangs de ses forces Lin Tchong, officier-instructeur de la garde impériale qui s’était révolté contre les autorités et cherchait refuge au mont Liangchan; puis il empêcha Tchao Kai, chef de l’insurrection paysanne, et d’autres insurgés de se rassembler avec les rebelles du mont Liangchan. Finalement, il fut tué par Lin Tchong.)) de Chouei hou tchouan (Au bord de l’eau), qui, lui aussi, défend aux autres de s’engager dans la voie révolutionnaire. Tous ceux qui empêchent les autres de faire la révolution s’exposent à un grand danger: Wang Louen, qui interdit aux autres de faire la révolution, finit par être tué. Kao Kang, qui agissait de la même façon, n’a-t-il pas fini aussi par perdre la vie?

L’expérience historique le montre: ceux qui ont commis des erreurs d’ordre dogmatique ou empirique peuvent se corriger dans leur immense majorité. Mais à deux conditions: qu’on les critique sévère­ment et qu’en même temps on se montre indulgent envers eux. Ce n’est pas bien de ne pas avoir d’indulgence, car sans elle, il n’y a pas de relations normales. Qui est-ce qui ne fait jamais d’erreurs? Tout le monde en commet forcément, de grosses ou de petites. Rares sont les gens irrécupérables, comme Tchen Tou-sieou, Tchang Kouo-tao, Kao Kang, Jao Chou-che, ainsi que Tchen Kouang et Tai Ki-ying. Mais eux mis à part, les autres peuvent être sauvés et amenés à se corriger grâce à l’aide des camarades. Nous devons agir dans ce sens et avec confiance. Ceux qui sont tombés dans l’erreur doivent eux aussi être confiants.

Des camarades du Département du Travail rural du Comité central, et en premier lieu le camarade Teng Tse-houei, ont fait des erreurs. Celles de ce dernier relèvent, cette fois, de la déviation de droite, de l’empirisme. Il a fait son autocritique. Dans les réunions de groupes, certains camarades ont déclaré que cette autocritique ne leur paraissait pas suffisamment approfondie, mais nous, camarades du Bureau politique, ainsi que d’autres camarades, nous avons estimé, après discussion, qu’elle était satisfaisante dans ses grandes lignes: c’est déjà assez bien que le camarade Teng Tse-houei ait atteint pour le moment une telle conscience. Il faut reconnaître que durant les longues luttes révolutionnaires du passé, il a rendu beaucoup de services et qu’il a donc du mérite. Mais les mérites ne doivent pas devenir un fardeau. Cela, il l’a dit lui-même, en reconnaissant qu’il a quelque peu tiré vanité de son passé. On doit être modeste. Nous sommes persuadés qu’il pourra corriger ses erreurs à condition de faire preuve de modestie et d’accepter volontiers l’aide des camarades.

Le camarade Teng Tse-houei a avancé une formulation ayant un caractère de programme, qui préconisait de s’appuyer sur les commer­çants (c’est-à-dire sur la bourgeoisie) et de garantir les “quatre grandes libertés”. Cette formulation n’est pas correcte. Elle est de par sa nature un véritable programme bourgeois, capitaliste, et non prolétarien, et qui va à l’encontre des décisions prises par la deuxième session plénière du Comité central issu du VIIe Congrès pour imposer des restrictions à la bourgeoisie. Nous appliquons maintenant une politique de limitation à l’égard de la bourgeoisie urbaine et de la bourgeoisie rurale (les paysans riches). C’est pourquoi ces “quatre grandes libertés » au nom desquelles aucune restriction n’est imposée à l’embauche de main-d’œuvre, au commerce, au crédit et au louage des terres posent un problème réel. Moi, je dirais plutôt « quatre petites libertés ». Car des libertés, il y en a de « grandes » et de « petites”. Soumise aux restrictions, la bourgeoisie jouit un peu de ces libertés, juste un petit peu. Nous devons préparer les conditions pour la priver même de ces petites libertés. Envers la bourgeoisie urbaine, nous appliquons une politique d’utilisation, de limitation et de transformation. S’il est nécessaire d’utiliser la bourgeoisie, nous devons cependant en limiter l’aspect qui nuit à l’économie nationale et au bien-être du peuple. Une telle politique n’est ni “de gauche » ni de droite. Ne lui imposer aucune restriction, c’est dévier trop à droite: fixer des limites trop rigides qui lui interdisent carrément d’entreprendre quoi que ce soit, c’est dévier trop à « gauche ». Comme l’a dit Lénine, vouloir supprimer totalement et d’un seul coup le capitalisme quand il existe encore des millions et des millions de petits producteurs, c’est de la part d’un parti politique non seulement une sottise, mais aussi un suicide((Voir V. Lénine: « L’Impôt en nature« .)). Il n’en reste pas moins que la formulation du camarade Teng Tse-houei est erronée, parce qu’elle ne fait pas mention de la limitation et qu’elle diffère de celle du Comité central comme de celle de la deuxième session plénière.

Certains camarades ont pratiquement passé outre, sans qu’on sache pourquoi, aux décisions du Parti et aux mesures politiques qu’il préconise depuis longtemps, comme s’ils n’avaient jamais rien lu ni entendu à ce sujet. Par exemple, pendant des années, on a entrepris le mouvement d’entraide et de coopération dans la base centrale révolutionnaire, à Yenan et dans toutes les autres bases d’appui; mais il semble que ces camarades n’aient rien vu ni entendu à ce sujet. Dès l’hiver 1951, le Comité central avait adopté une résolution sur l’entraide et la coopération dans la production agricole, mais ils ne l’ont pas remarquée non plus. Jusqu’en 1953, ils ont toujours parlé sans aborder aucun sujet sérieux et se sont plu à accorder de petites faveurs. Parler sans aborder aucun sujet sérieux signifie ne pas aborder le socialisme, et se plaire à accorder de petites faveurs veut dire accorder ces petites faveurs que sont les « quatre grandes libertés ». En d’autres termes, ces camarades se moquent éperdument des résolutions du Parti ou des programmes et mesures politiques qu’il préconise depuis long­temps, et ils agissent à leur guise. Ils ne se donnent jamais la peine de vérifier si des problèmes du même genre ont été discutés et comment ils l’ont été. Certains historiens s’appliquent à faire des recherches sur des carapaces de tortue, des inscriptions sur bronzes ou stèles et d’autres antiquités mises au jour, alors que ces camarades, eux, ne daignent même pas jeter un coup d’œil sur les choses récentes de chez nous et rechignent à consulter nos documents. Bref, ne voulant pas entendre ce qui se passe dans le monde extérieur, ils écrivent et discourent à leur aise sur des sujets comme les « quatre grandes libertés » par exemple, et voilà qu’ils ont fini par se cogner la tête contre le mur.

D’autres camarades, entichés d’ultra-décentralisation, réclament leur « indépendance » et vont jusqu’à se créer des « royaumes indépen­dants », trouvant la dictature personnelle tout à fait à leur goût. Au début, c’est pour leur confort qu’ils se sont créé leurs royaumes et se sont proclamés rois. Mais quel en a été le résultat? Loin de vivre à leur aise, ils se sont vus soumis au feu de la critique. N’y a-t-il pas un opéra qui s’appelle La Montée au trône? Regardez donc comme il se sent à l’aise, Siué Ping-kouei, quand il devient roi; mais en ce temps-là, on ne pratiquait pas l’autocritique. Ce n’était pas bien. Beaucoup de gens n’aiment pas consulter les autres. Bien des cama­rades approuvent du bout des lèvres la direction collective, mais en réalité, ils adorent la dictature personnelle, comme si on n’avait pas l’air d’un dirigeant quand on ne l’exerce pas. Pour être un dirigeant, on n’a pas forcément à se conduire en dictateur, vous le savez bien! La bourgeoisie a sa propre démocratie, elle insiste sur la dictature de classe. Le prolétariat, le Parti communiste doit exercer aussi une dictature de classe; mais il n’est pas bon de pratiquer la dictature personnelle. Quand surgissent des problèmes, il faut toujours consulter les autres, en discuter en commun et mettre en valeur l’intelligence du plus grand nombre, c’est bien mieux ainsi.

Une autre question est à aborder ici. Beaucoup de camarades sont toujours absorbés dans les affaires courantes et n’étudient pas les problèmes. Ces affaires, ne faut-il pas les régler? Si, bien sûr; c’est indispensable. Cependant, c’est dangereux de s’y cantonner, sans étudier les problèmes. Si vous n’entrez pas en contact avec les cadres ni avec les masses, ou si, dans votre contact avec eux, vous leur faites toujours la leçon, au lieu de les consulter, de discuter avec eux en disant: « D’après vous, est-ce que mes idées sont justes? Pourriez-vous me donner votre avis?”, vous serez alors incapables de flairer l’am­biance politique, vous aurez l’odorat émoussé, vous serez atteints d’un rhume politique. Quand on a le nez bouché, on ne sent plus le climat du moment. Le camarade Tchen Yi a dit aujourd’hui que l’on devrait être capable de saisir les choses dès qu’elles bourgeonnent. On a vraiment l’esprit très lourd si on ne voit pas les choses qui existent déjà en grande quantité, un peu partout. Cet état de choses mérite notre attention; c’est très mauvais de ne s’occuper que des affaires courantes, de n’attacher aucune importance à l’étude des problèmes ni aux contacts avec les masses et les cadres, de ne pas les consulter.

V. D’AUTRES PROBLEMES

Les problèmes que je vais aborder ont été pour la plupart posés par vous, Camarades.

1. Lorsqu’il s’agit de remplacer les paysans moyens aisés à la direction des coopératives, il faut attacher de l’importance à la dé­marche à suivre et aux méthodes à employer, éviter de les balayer tous d’un seul coup. Quoiqu’il ne soit guère indiqué de leur confier la direction, les paysans moyens aisés n’en sont pas moins des travailleurs. Nous devons les traiter différemment selon leur comportement dans le travail. Il y en a qui doivent absolument être démis de leurs fonctions, car il serait vraiment inadmissible qu’ils restent à la direction. Néanmoins, il faut faire comprendre aux masses (aux membres des coopératives entre autres) et aux paysans moyens aisés intéressés que ce serait vraiment inopportun qu’ils restent à leur poste de dirigeant. Il y a encore une autre condition: on ne peut les muter que lorsque d’autres personnes mieux qualifiées sont prêtes à leur succéder ou ont été formées pour les remplacer. Certains paysans moyens aisés, en revanche, peuvent garder leur charge, s’ils ont fait leur autocritique et corrigé leurs erreurs; d’autres peuvent être mutés comme adjoints ou comme simples membres du comité de gestion. Quant à ceux qui donnent satisfaction, il n’est pas question, bien entendu, de les destituer quoiqu’ils soient des paysans moyens aisés. Ne traitez pas les paysans moyens aisés comme des paysans riches; ils ne le sont pas. Il ne faut pas les remplacer tous d’un seul coup. Cette question doit être examinée avec soin et résolue de façon appropriée. Les diverses provinces et régions étudieront si les différentes mesures susmen­tionnées sont praticables<

2. Il faut expliquer aux cellules du Parti et aux masses que, si nous affirmons cette fois-ci que les paysans moyens-pauvres et les paysans moyens aisés sont deux couches sociales différentes, ce n’est pas pour redéfinir leur appartenance de classe, mais parce que, en fait, les diverses couches de la paysannerie adoptent des attitudes différen­tes, actives ou passives, envers la coopération; cette différence existe également parmi les individus d’une même couche. Par exemple, parmi les paysans pauvres, il y en a qui, pour le moment, ne désirent pas faire partie des coopératives. Cela devrait nous aider à mener un travail de persuasion auprès des paysans moyens aisés en leur disant: « Tenez, même parmi les paysans pauvres et les paysans moyens- pauvres, il y en a qui se montrent réticents envers les coopératives. On ne les force pas à y adhérer, du moment qu’ils n’en ont pas envie. Alors, vous, paysans moyens aisés, si vous ne voulez pas y entrer maintenant, vous êtes libres aussi de rester dehors. » Nous admettrons d’abord les enthousiastes, ensuite nous ferons de la propagande auprès d’un deuxième groupe de gens jusqu’à ce qu’ils deviennent enthou­siastes pour y adhérer; et enfin, de même pour un troisième groupe. Cela doit se faire par groupes échelonnés. Tout le monde entrera en définitive dans les coopératives. Ainsi donc, il ne s’agit pas d’une nouvelle détermination de l’appartenance de classe.

3. A propos de l’admission des propriétaires fonciers et des paysans riches dans les coopératives, on pourrait peut-être procéder de la façon suivante: prendre à la fois le district et le canton comme unité (le district seul ne suffit pas, parce que même si la coopération est achevée pour l’essentiel dans un district, il peut y avoir des cantons où il n’y ait pas encore de coopératives) et, quand la coopération sera réalisée pour l’essentiel dans un district ou dans un canton, c’est-à-dire quand elle aura gagné 70 à 80 pour cent des familles paysannes, les coopératives consolidées se mettront à traiter le problème de l’admis­sion, par étapes et par groupes, des propriétaires fonciers et des paysans riches selon leur comportement. Ceux qui se comportent toujours bien, qui sont honnêtes et respectent la loi, auront le titre de membre de coopérative; d’autres travailleront avec les membres des coopératives et seront rémunérés, mais ils n’auront pas le titre de membre; ils seront en fait des candidats qui pourront devenir eux aussi des membres s’ils ont un bon comportement, ce qui est pour eux un sujet d’encourage­ment. Quant à ceux de la troisième catégorie, ils ne sont pas autorisés pour le moment à entrer dans les coopératives; on verra plus tard, et on décidera selon les cas. Mais de toute façon, les propriétaires fonciers et les paysans riches qui feront partie des coopératives ne pourront y assumer aucune fonction. Quant aux jeunes instruits issus de familles de propriétaires fonciers ou de paysans riches, est-ce qu’on peut, à la campagne, confier à certains d’entre eux, après vérification, des postes comme ceux d’instituteur? Dans les endroits où l’on trouve à part eux très peu de gens instruits, c’est une nécessité de les employer comme enseignants sous la direction et le contrôle de la cellule du Parti et du comité de gestion de la coopérative. Actuellement, on trouve pas mal de ces jeunes instruits parmi les instituteurs. A mon avis, ce n’est pas nécessaire d’interdire absolument ce genre de travail à ces jeunes qui n’ont que dix-sept ou dix-huit ans et qui viennent de sortir du primaire ou du premier cycle du secondaire. Nous pouvons les utiliser pour apprendre aux paysans à lire et pour éliminer l’anal­phabétisme. Enfin, veuillez examiner si c’est faisable. Quant à leur confier un poste comme celui de comptable, ce serait risqué.

4. Pour ce qui est des conditions nécessaires à la création des coopératives de forme supérieure et du nombre de ces coopératives à créer, je ne vais pas en parler aujourd’hui; vous voudrez bien étudier la première de ces questions, et on en discutera l’année prochaine. Les différentes localités peuvent procéder selon leurs possibilités réelles. Bref, de telles coopératives peuvent être créées là où les conditions sont mûres ; sinon, on s’en abstiendra. On peut commencer par en créer quelques-unes et, plus tard, en augmenter le nombre graduellement.

5. En ce qui concerne le bon moment de l’année pour établir les coopératives, on pourrait envisager de ne pas le limiter à l’hiver et au printemps. L’été et l’automne conviennent aussi pour en créer un certain nombre, comme cela se fait dans certains endroits. Cependant, il faut souligner qu’un intervalle est nécessaire entre deux vagues pour le repos et la consolidation; une fois qu’on a mis en place un groupe de coopératives, on doit d’abord les consolider, et ensuite seulement en créer de nouvelles. C’est comme à la guerre: entre deux batailles, il faut un repos. Nier qu’on ait besoin de repos pour la consolidation, de répit pour reprendre haleine, est complètement faux. Dans l’armée, certains jugeaient qu’il était inutile de s’arrêter pour se reposer, se consolider et reprendre souffle et qu’il fallait avancer et se battre sans discontinuer. En réalité, cela est impossible. L’homme doit dormir. Si la réunion d’aujourd’hui ne se terminait pas, mais se prolongeait indéfiniment, tout le monde, moi y compris, s’y oppo­serait. Tous les jours, l’homme a besoin d’un long repos pour reprendre ses forces, c’est-à-dire qu’il lui faut dormir sept ou huit heures, au moins cinq ou six heures, sans compter d’ailleurs les moments de détente pendant la journée. Dire qu’une entreprise aussi importante que la création des coopératives peut se faire sans repos ni consolidation est donc très naïf.

6. Le mot d’ordre “gérer les coopératives avec diligence et économie” est excellent; il vient de la base. Il faut pratiquer stricte­ment l’économie et lutter contre le gaspillage. En ce moment même, dans les villes comme à la campagne, on mène un mouvement de grande envergure pour combattre ce mal. Il faut encourager la dili­gence et l’économie dans la conduite du ménage, dans la gestion des coopératives et dans l’édification du pays. Notre pays doit pratiquer la diligence et l’économie, bannir la paresse et le luxe. La paresse engendre le déclin, ce n’est pas bien. Pour gérer les coopératives avec diligence et économie, il faut accroître la productivité, pratiquer une stricte économie, réduire les prix de revient, appliquer le système du rendement commercial, combattre les prodigalités et le gaspillage. Elever la productivité et abaisser les prix de revient sont deux tâches qui incombent à toutes les coopératives. Quant au rendement com­mercial, on l’appliquera graduellement, car, avec l’agrandissement des coopératives, ce système s’avérera indispensable; on doit donc s’y initier progressivement.

7. A cette session, personne n’a parlé des fermes d’Etat; c’est une lacune. J’espère que le Département du Travail rural du Comité central et le Ministère de l’Agriculture étudieront ce problème. A l’avenir, la proportion des fermes d’Etat grandira d’année en année.

8. Il faut continuer à lutter contre le chauvinisme grand-han, car c’est une manifestation de l’idéologie bourgeoise. Les Hans sont si nombreux qu’ils ont tendance à regarder de haut les minorités nationa­les, au lieu de les aider de tout leur cœur; c’est pourquoi nous devons lutter vigoureusement contre le chauvinisme grand-han. D’un autre côté, un nationalisme étroit peut se manifester chez les minorités nationales; nous devons aussi nous y Mais, de ces deux tendances, la principale, celle qu’il importe de combattre au premier chef, c’est le chauvinisme grand-han. Si les camarades hans adoptent une attitude correcte et se montrent vraiment équitables vis-à-vis des minorités nationales, et si, en politique nationale et pour ce qui est des relations entre nationalités, ils s’en tiennent à des conceptions entière­ment marxistes et non bourgeoises, bref, s’ils se débarrassent du chauvinisme grand-han. il sera relativement facile de surmonter les conceptions de nationalisme étroit parmi les minorités nationales. Les manifestations du chauvinisme grand-han sont encore nombreuses aujourd’hui, par exemple, vouloir prendre tout en main, ne pas respec­ter les mœurs et coutumes des minorités nationales, s’estimer infaillible, mépriser les minorités, prétendre qu’elles sont vraiment trop arriérées. A la Conférence nationale du Parti de mars dernier, j’ai dit que la Chine ne pouvait pas se passer des minorités nationales. Il y en a des dizaines en Chine. Les régions qu’elles habitent sont plus vastes que celles où vivent les Hans, et elles abondent en richesses naturelles de toutes sortes. L’économie nationale ne peut pas se passer de l’économie des minorités nationales.

9. Il conviendrait, à mon avis, de poursuivre la campagne pour la liquidation de l’analphabétisme. Dans certaines localités, c’est cette campagne qu’on a liquidée; ce n’est pas bien. Au cours du mouvement de coopération, il faut en finir avec l’analphabétisme; ce n’est pas la liquidation de l’analphabétisme qu’il faut liquider, mais l’analphabé­tisme lui-même.

10. Certains demandent: Qu’entend-on par déviation « de gauche” et déviation de droite? Nous avons déjà dit que toutes les choses se meuvent dans l’espace et dans le temps. Ici, je parlerai principalement du temps. Si les observations qu’on fait sur le mouve­ment des choses ne correspondent pas à la réalité et qu’elles devancent le temps, c’est la déviation « de gauche »; par contre, si elles retardent, c’est la déviation de droite. Prenons le mouvement de coopération. Bien que les conditions soient déjà mûres, à savoir l’enthousiasme des masses, l’existence sur une large échelle des équipes d’entraide et la direction du Parti, certains camarades refusent de le reconnaître. La coopération agricole peut maintenant (je dis bien maintenant, et non il y a quelques années) se développer largement, mais ces camarades disent que ce n’est pas encore possible: voilà la déviation de droite. De l’autre côté, si on veut réaliser à 80 pour cent la coopération dans l’ensemble du pays en un court laps de temps, alors que des conditions, comme le niveau de conscience des paysans et la direction du Parti, ne sont pas encore mùres, c’est la déviation « de gauche ». Il y a deux proverbes chinois qui disent: « Le melon se détache de la tige quand il est mûr » et « Le canal se forme dès que l’eau arrive ». Nous devons agir en fonction des conditions spécifiques et atteindre notre but naturellement, sans forcer les choses. Par exemple, pour la naissance d’un enfant, neuf mois de grossesse sont nécessaires. Si le médecin force cette naissance au septième mois en exerçant une pression, ce n’est pas bon, c’est une déviation “de gauche ». En revanche, au bout de neuf mois, quand l’enfant désire vraiment venir au monde, si vous voulez l’en empêcher, c’est une déviation de droite. Bref, les choses évoluent dans le temps. Quand vient le moment d’entreprendre, il faut s’y mettre; s’y opposer, c’est dévier à droite. Si le moment n’est pas encore venu et qu’on veuille forcer les choses, c’est la déviation « de gauche ».

11. Certains demandent: Est-il possible de commettre des erreurs déviationnistes « de gauche »? Nous répondons que c’est parfaitement possible. Si un organisme dirigeant, qu’il soit une cellule du Parti de canton ou un comité du Parti d’arrondissement, de district, de préfec­ture ou de province, ne tient pas compte du niveau de conscience des masses ni du degré de développement des équipes d’entraide, s’il n’a ni plan ni chiffres de contrôle, ne réalise pas la coopération agricole par groupes et par étapes, mais recherche uniquement la quantité sans se soucier de la qualité, alors on verra surgir nécessairement de sérieuses erreurs « de gauche ». Lorsque les masses, poussées par l’enthousiasme, demandent à adhérer aux coopératives, il faut envisager toutes sortes de difficultés, toutes les conditions défavorables et les leur dire fran­chement pour qu’elles puissent y réfléchir mûrement; qu’elles adhèrent aux coopératives si elles n’ont aucune appréhension, mais qu’elles s’en abstiennent dans le cas contraire. Bien entendu, il ne faut pas non plus effrayer les gens. Je suppose qu’aujourd’hui je ne vous effarouche pas, puisque nous sommes en réunion depuis bien des jours. Il est néces­saire de refréner au moment voulu les emballements pour qu’on n’ait pas la tête chaude.

Nous sommes contre le fait de se tracasser sans cesse et de multi­plier les interdictions et les prescriptions. Mais est-ce que cela veut dire qu’on ne doit plus se soucier de rien et qu’il faut se passer de toute interdiction, de toute prescription? Bien sûr que non. Des inquiétudes justifiées, nécessaires, qui n’en a pas? Et nous devons avoir aussi les interdictions et les prescriptions qui s’imposent. Sans quelques inter­dictions et prescriptions, comment pourrions-nous faire marcher les choses? Les soucis, les interdictions et les prescriptions nécessaires, nous ne pouvons absolument pas nous en passer, pas plus que des interruptions, des pauses, des coups de frein et des arrêts qui s’avèrent indispensables.

Voici une méthode à suivre: quand les gens commencent à devenir prétentieux, à bomber le torse, il faut leur assigner de nouvelles tâches (par exemple, nous venons de proposer une émulation à propos de la qualité; quand nous nous retrouverons l’année prochaine, on comparera les résultats, la question de la quantité étant alors devenue secondaire), de sorte que chacun sera si occupé qu’il n’aura plus le temps de faire le fier! Cette méthode, nous l’utilisions autrefois. Quand une unité de notre armée avait remporté une victoire, certains camarades en parlaient autour d’eux avec trop de satisfaction et se montraient fiers comme des coqs ; vite, on leur confiait une tâche nouvelle: un deuxième combat. Cette nouvelle mission leur étant assignée, ils devaient y réfléchir et s’y préparer; ainsi ils cessaient aussitôt de parader: ils n’en avaient pas le temps.

12. Certains camarades ont suggéré: Est-ce qu’on peut accorder aux districts une marge de manœuvre de 10 pour cent? Pour l’établis­sement des coopératives par exemple, on pourrait en créer 10 pour cent de moins ou de plus. Je pense que cette proposition est acceptable et qu’elle est bonne; il ne faut pas être trop rigide. Je vous prie de la prendre en considération.

13. Y a-t-il des gens qui remettraient en cause les décisions que nous avons prises? Il y en a pas mal. Selon eux, les coopératives ne donneront rien de bon et tout ce que nous faisons est à rejeter, ils pré­tendent que nous ne sommes pas des marxistes, mais des opportunistes. Pourtant à mon avis, ces décisions ne peuvent pas être remises en question, comme l’indique le cours général des événements.

14. Certains demandent: Quelle sera la future tendance? En trois quinquennats environ, on réalisera pour l’essentiel l’industrialisation socialiste du pays et la transformation socialiste de l’agriculture et de l’artisanat, ainsi que de l’industrie et du commerce capitalistes. Telle sera à mon avis la tendance. Mais, comme je l’ai dit à la dernière conférence nationale du Parti, j’ajouterai qu’il nous faudra probable­ment cinquante à soixante-quinze ans, c’est-à-dire 10 à 15 plans quin­quennaux pour faire de la Chine un puissant Etat socialiste.

Durant ces cinquante à soixante-quinze ans, il y aura certainement à l’étranger, chez nous et dans le Parti bien des luttes et des conflits sérieux et complexes, et nous rencontrerons forcément beaucoup de difficultés. Rappelons-nous notre propre expérience: nous avons tra­versé tant de conflits, armés ou pacifiques, avec ou sans effusion de sang! Comment peut-on penser qu’il n’y en aura plus à l’avenir? Bien sûr il y en aura, et non pas très peu, mais beaucoup; par exemple, une guerre mondiale, des bombes atomiques sur nos têtes, l’apparition de nouveaux Beria, Kao Kang, Tchang Kouo-tao et Tchen Tou-sieou. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas prévoir maintenant. Mais en tant que marxistes, nous pouvons affirmer que toutes les difficultés pourront être surmontées et qu’une Chine socialiste puissante surgira à coup sûr. Est-ce vraiment sûr? Moi, je dis que oui. Selon le marxisme, cela est certain. La bourgeoisie a déjà produit ses propres fossoyeurs et sa tombe est toute prête, comment pourrait-elle ne pas mourir? Voilà, pour le dire en gros, la tendance générale.

15. Vous avez proposé beaucoup d’amendements aux deux documents — la résolution et les statuts. C’est très bien. Nous ras­semblerons vos propositions pour les étudier. La résolution adoptée aujourd’hui sera revue par le Bureau politique et publiée dans quelques jours. Quant aux statuts, ils prendront plus de temps. Il faut consulter les personnalités démocrates et suivre la procédure législative. On adoptera peut-être le même processus que pour la Loi sur le service militaire: on les soumettra d’abord à l’examen du Comité permanent de l’Assemblée populaire, puis on confiera au Conseil des Affaires d’Etat le soin de les faire publier afin de recueillir des opinions. Et ensuite on les mettra en application à titre d’essai, pendant un certain temps, dans différentes régions, et l’année prochaine, on les soumettra à l’approbation de l’Assemblée populaire.

Enfin, je voudrais vous prier, en passant, de faire attention à l’art d’écrire. J’espère que tous les camarades ici présents deviendront des « professeurs de chinois ». Vos articles sont bien écrits, mais ils ont peut-être quelques points faibles. Vous devriez aider les autres à améliorer leur style. Maintenant, parmi les articles de nombre de nos camarades, il y en a, en effet, qui sont d’un verbiage creux, mais ils sont peu nombreux; leur principal défaut, c’est qu’ils sont bourrés de tournures classiques et fortement imprégnés d’un style mi-classique mi- moderne. D’autre part, quand on écrit, il faut respecter la logique: il faut veiller à la structure de l’ensemble d’un article ou d’un discours: l’introduction, le développement et la conclusion doivent avoir une relation, une liaison interne et ne pas être en contradiction. Il faut aussi respecter les règles de grammaire. Beaucoup de camarades sup­priment les sujets ou les compléments d’objet indispensables, emploient les adverbes comme des verbes, ou même omettent les verbes; tout cela est contraire à la grammaire. Il leur faut aussi veiller au style pour rendre leurs articles plus vivants. Bref, quand vous écrivez, veillez à ces trois points: la logique, la grammaire et le style.

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