Introduction

Les courants philosophiques dans le mouvement féministe

Anuradha Ghandy

Introduction

2006

   Nous publions ce texte fondamental d’Anuradha Ghandy suite à notre traduction de son texte sur la Journée Internationale des Femmes que nous avons publié à l’occasion du 8 mars 2017. Ce texte a été traduit par le Parti Communiste maoïste et fait partie d’un ensemble de textes d’Anuradha Ghandy édité sous le nom de « Pour un féminisme prolétarien révolutionnaire – Recueil de textes d’Anuradha Ghandy ».

   Internationalement, l’un des plus remarquables développements de l’époque capitaliste a été l’émergence et la croissance d’un mouvement des femmes. Pour la première fois dans l’histoire humaine, les femmes se sont mobilisées collectivement pour exiger leurs droits, leur place sous le soleil. L’émancipation des femmes après des siècles d’oppression est devenue une question urgente et immédiate. Le mouvement a jeté des analyses et des solutions théoriques sur la question de l’oppression des femmes. Le mouvement des femmes a contesté l’actuelle société patriarcale d’exploitation à la fois par ses activités et à travers ses théories.

   Ce n’est pas parce que, plus tôt, les femmes n’auraient pas eu conscience de leur oppression. Elles en avaient conscience. Elles exprimaient cette oppression de différentes façons à travers des chansons folkloriques, des locutions lapidaires et des poèmes, des peintures et d’autres formes d’art auxquelles elles avaient accès. Elles ont également pesté contre l’injustice dont elles avaient à souffrir. Elles ont interprété et réinterprété les mythes et épopées pour exprimer leur point de vue. Les différentes versions du Ramayana et du Mahabharata((Le Ramayana et le Mahabharata sont deux textes sacrés de la mythologie hindoue (NdT) )) par exemple, encore en circulation chez les femmes rurales à travers des chansons dans différentes parties de l’Inde, sont un témoignage marquant de cela.

   Certaines femmes remarquables ont émergé à l’époque féodale. Elles ont recherché des chemins en fonction des moyens disponibles à l’époque et sont devenues des symboles de la résistance à l’organisation patriarcale. Mirabaï((Mirabaï (1498-1546) était une princesse qui s’opposa aux coutumes de son époque, notamment de s’immoler avec le corps de son mari défunt, mais également de se remarier avec l’empereur. (NdT) )), la femme sainte est seulement un exemple parmi de nombreux autres ayant laissé un impact durable sur la société. Cela prend du temps pour toutes les sociétés dans le monde. Tout cela constitua une contre-culture, reflétant une conscience des opprimées. Mais elle fut limitée par les conditions et elle fut donc incapable de trouver un moyen de sortir, un chemin pour mettre fin à l’oppression. Dans la plupart des cas, elles ont cherché une solution dans la religion, ou dans un Dieu personnel.

   Le développement du capitalisme a provoqué un énorme changement dans les conditions sociales et dans la pensée. Le concept de démocratie signifie que le peuple est devenu important. Le libéralisme comme philosophie sociale et politique a mené le changement dans sa phase initiale ; les femmes des classes sociales progressistes se sont manifestées en tant que collectif. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, un mouvement propre des femmes elles-mêmes a émergé, lequel a exigé de la société leurs droits et l’émancipation. Ce mouvement a, comme tous les autres mouvements sociaux, eu ses flux et reflux. L’impact du capitalisme, bien que restreint et déformé dans les colonies comme l’Inde, a eu son impact sur les hommes et les femmes progressistes.

   Le mouvement des femmes propre à l’Inde a émergé dans la première partie du 20ème siècle. Il faisait partie de cette effervescence internationale et était encore enraciné dans les contradictions de la société indienne. Les théories qui ont émergé dans les pays capitalistes ont trouvé leur chemin en Inde et se sont appliquées aux conditions indiennes. La même chose est vraie d’une manière encore plus forte dans le contexte du mouvement contemporain des femmes qui a surgi dans les années 1960 en Occident. Le mouvement contemporain des femmes a posé de nombreux nouveaux défis à la société parce que les limites du capitalisme dans sa phase impérialiste sont maintenant clairs comme de l’eau de roche. Il a fallu beaucoup de luttes pour gagner la légitimité formelle de porter la revendication de l’égalité. Et même après cela, l’égalité n’a pas encore été réalisée, non seulement dans les pays arriérés, mais même dans les pays capitalistes avancés comme les Etats-Unis et la France.

   Le mouvement des femmes a désormais cherché les racines de l’oppression dans le système social lui-même. Le mouvement des femmes a analysé le système patriarcal et a cherché les origines du patriarcat dans l’histoire. Les femmes ont été aux prises avec les sciences sociales et ont montré le sexisme inhérent à l’histoire. Elles ont exposé comment une manière de penser a teinté toutes les analyses concernant le rôle des femmes dans l’histoire et dans la société contemporaine. Les femmes ont une histoire, les femmes sont dans l’histoire dirent-elles (Gerda Lerner). En étudiant l’histoire, elles ont recouvré les contributions que les femmes avaient apportées au développement de la société humaine, leurs mouvements et luttes importantes. Elles ont également exposé la division sexuée du travail sous le capitalisme qui a relégué une écrasante majorité des femmes dans les catégories les moins qualifiées, les moins payées. Elles ont exposé la façon dont les classes dirigeantes ; en particulier la classe capitaliste a bénéficié économiquement du patriarcat. Elles ont dénoncé le parti pris patriarcal de l’Etat, de ses lois et règlements. Les féministes ont analysé les symboles et les traditions d’une société donnée et ont montré comment ils perpétuent le système patriarcal. Les féministes ont accordé de l’importance à la tradition orale et ont donc pu ramener à la surface la voix des femmes réprimées à travers l’histoire. Le mouvement a forcé les hommes et les femmes à regarder de manière critique leurs propres attitudes et pensées, leurs actions et paroles concernant les femmes. Le mouvement a contesté diverses attitudes patriarcales, anti-femmes qui ont entaché y compris des mouvements progressistes et révolutionnaires et qui ont affecté la participation des femmes à ceux-ci. Malgré les confusions et les faiblesses théoriques, le mouvement féministe a contribué de manière significative à notre compréhension de la question des femmes dans le monde d’aujourd’hui. Le mouvement mondial pour la démocratie et le socialisme a été enrichi par le mouvement des femmes.

   Une des caractéristiques importantes du mouvement des femmes contemporain a été l’effort fait par les féministes à théoriser sur la condition des femmes. Elles sont entrées dans le champs de la philosophie dans le but de donner des fondations philosophiques à leur analyse et approche. Les femmes ont cherché des philosophies de la libération et ont été aux prises avec diverses tendances philosophiques dont elles ont estimé qu’elles pourraient donner une perspective à la lutte des femmes. Diverses tendances philosophiques comme l’existentialisme, le marxisme, l’anarchisme, le libéralisme ont toutes été étudiées et adoptées par le mouvement des femmes actif aux États-Unis, puis en Angleterre. Ainsi les féministes sont un groupe éclectique qui comprend un large éventail d’approches, de perspectives et de structures en fonction de la tendance philosophique qu’elles adoptent. Pourtant, elles partagent un engagement à donner une voix à l’expérience des femmes et à mettre fin à la subordination des femmes. Compte tenu de l’hégémonie de l’Occident, ces tendances ont aussi eu une forte influence sur le mouvement des femmes au sein de l’Inde. Ainsi une étude sérieuse du mouvement des femmes doit inclure une compréhension des différents courants théoriques dans le mouvement.

   Les philosophes féministes ont été influencées par des philosophes aussi divers que Locke, Kant, Hegel, Marx, Derida, Nietzsche, Freud. Pourtant, la plupart d’entre elles ont conclu que la philosophie traditionnelle est orientée par les hommes, ses concepts et théories majeures, sa propre auto-compréhension révèle « une façon typiquement masculine d’aborder le monde » (Alison Jagger). Par conséquent, elles ont essayé de transformer la philosophie traditionnelle. En gardant ce contexte à l’esprit, nous avons entrepris de présenter quelques-unes des principales tendances philosophiques parmi les féministes. Un point à prendre en compte est que ces diverses tendances ne sont pas fixes et distinctes. Certaines féministes se sont opposées à ces catégories. Certaines ont changé leur approche au fil du temps, certaines peuvent être vues comme ayant un mélange de deux ou plusieurs tendances. Pourtant, pour une meilleure compréhension ces grandes tendances peuvent être utiles. Mais avant de discuter des théories, nous allons commencer par un très bref retour sur l’évolution du mouvement des femmes en Occident, surtout aux États-Unis. Cela est nécessaire pour comprendre l’atmosphère dans laquelle les développements théoriques parmi les féministes ont grandi.

Vue d’ensemble du mouvement des femmes en Occident

   Le mouvement des femmes en Occident est divisé en deux phases. La première phase a surgi au milieu du 19ème siècle et a pris fin dans les années 1920, alors que la deuxième phase a débuté dans les années 1960. La première phase est connue pour le mouvement des suffragettes ou le mouvement des femmes pour leurs droits politiques, c’est à dire le droit de vote. Le mouvement des femmes a émergé dans le contexte de la croissance du capitalisme et de la propagation d’une idéologie démocratique. Il est né dans le contexte d’autres mouvements sociaux qui ont émergé à l’époque. Aux États-Unis, le mouvement pour libérer les esclaves Noirs et le mouvement pour organiser les rangs sans cesse croissants du prolétariat étaient une partie importante de l’effervescence socio-politique du 19ème siècle.

   Dans les années 1830 et 1840, les abolitionnistes (ceux qui font campagne pour l’abolition de l’esclavage) comprennent certaines femmes instruites qui ont bravé l’opposition sociale pour faire campagne pour libérer les Noirs de l’esclavage. Lucretia Mott, Elizabeth Cady Stanton, Susan Anthony, Angeline Grimke étaient parmi les femmes actives dans le mouvement anti-esclavage qui plus tard sont devenues actives dans la lutte pour les droits politiques des femmes.

   Mais l’opposition au sein des organisations anti-esclavage à ce que des femmes les représentent et que des femmes soient dans la direction ont forcé les femmes à réfléchir sur leur propre statut dans la société et leurs propres droits. Aux États-Unis, les femmes dans les différents États ont commencé à se rassembler pour exiger leur droit à l’éducation commune avec les hommes, pour les droits des femmes à la propriété et au divorce. En 1848, la Convention de Seneca Fall organisée par Stanton, Anthony et d’autres fut un jalon dans l’histoire de la première phase du mouvement des femmes aux États-Unis. Elles ont adopté une Déclaration de Sentiments sur le modèle de la Déclaration d’Indépendance, dans laquelle elles demandaient l’égalité des droits dans le mariage, la propriété, les salaires et le vote. Pendant les 20 années qui ont suivi cette Convention, des conventions au niveau des états ont eu lieu, des campagnes de propagande à travers des tournées de conférences, des brochures et des pétitions ont été menées. En 1868, un amendement a été apporté à la Constitution (14ème amendement) accordant le droit de vote aux Noirs, mais pas aux femmes. Stanton et Anthony ont fait campagne contre cet amendement, mais ont échoué à l’empêcher. Une scission entre les femmes et les abolitionnistes a eu lieu.

   Pendant ce temps, le mouvement de la classe ouvrière a également grandi, bien que la direction syndicale établie n’était pas intéressée à la syndicalisation des travailleuses. Seul l’IWW((Industrial Workers of the World, syndicat international fondé aux Etats-Unis en 1905. (NdT))) a soutenu les efforts pour organiser les travailleuses qui travaillaient de longues heures pour des salaires extrêmement bas. Des milliers de femmes étaient des travailleuses du textile. Les anarchistes, socialistes, marxistes, dont certains étaient des femmes, travaillaient parmi les travailleurs et les organisaient. Parmi elles se trouvaient Emma Goldman, Ella Reevs Bloor, Mother Jones, Sojourner Truth. Dans les années 1880, les luttes militantes et la répression sont passées à l’ordre du jour. La plupart des dirigeantes du mouvement pour le suffrage n’ont montré aucun intérêt vis à vis de l’exploitation des travailleurs et ne soutenaient pas leur mouvement. Vers la fin du siècle et au début du 20ème siècle, le mouvement des femmes ouvrières se développa rapidement. Le point culminant fut la grève de près de 40 000 femmes travailleuses du textile en 1909. Les femmes socialistes ont été très actives en Europe et les dirigeantes communistes comme Eleanor Marx, Clara Zetkin, Alexandra Kollontaï, Vera Zassoulitch étaient à la pointe de la lutte pour organiser les travailleuses. Des milliers de travailleuses ont été organisées et des journaux et des magazines de femmes ont été publiés. Ce fut à la deuxième Conférence Internationale des Femmes Ouvrières à Copenhague que Clara Zetkin, la communiste allemande et célèbre chef de file du mouvement international des femmes, inspirée par la lutte des travailleuses américaines, proposa la résolution de commémorer le 8 mars comme la Journée des Femmes à l’échelle internationale.

   À la fin du siècle, la situation des femmes a connu beaucoup de changement aux États-Unis. Bien qu’elles ne disposaient pas du droit de vote, dans le domaine de l’éducation, des droits à la propriété, de l’emploi, elles avaient fait de nombreuses avancées. C’est en raison de ceci, que la revendication pour le vote a acquis de la respectabilité. Le mouvement a pris une tournure plus conservatrice, en séparant la question de gagner le droit de vote de toutes les autres questions sociales et politiques. Leurs principales tactiques étaient la pétition et le lobbying auprès des sénateurs, etc. Ce mouvement est devenu actif en 1914 avec l’arrivée d’Alice Paul qui a introduit les tactiques militantes des suffragettes britanniques, comme le piquetage, les grèves de la faim, les sit-ins, etc. En raison de leur campagne active et de leurs tactiques militantes, les femmes ont conquis le droit de vote en Amérique en 1920. La lutte des femmes en Grande-Bretagne a commencé plus tard qu’en Amérique mais elle a pris un tour plus militant au début du 20ème siècle avec Emmeline Pankhurst, ses filles et ses défenseuses en adoptant des tactiques militantes pour attirer l’attention sur leurs revendications, faisant plusieurs fois face à des arrestations pour faire parler de leurs revendications. Elles ont formé les Women’s Social and Political Union (WPSU) en 1903 après avoir été déçues par le style de travail des organisations plus anciennes. Cette WSPU était le fer de lance de l’agitation pour le suffrage. Mais elles se sont compromises avec le gouvernement britannique lors de la Première Guerre mondiale qui a éclaté en 1914. Tant aux États-Unis qu’en Angleterre, les dirigeantes du mouvement étaient blanches et de classe moyenne et ont limité leurs revendications aux femmes de la classe moyenne. Ce sont les femmes socialistes et communistes qui ont rejeté le fait que la revendication pour le vote soit limitée à celles ayant des biens et ont élargi la revendication pour adopter le vote pour toutes les femmes, y compris les femmes de la classe ouvrière. Elles ont organisé des mobilisations de masse séparées pour la revendication du droit de vote pour les femmes. Le mouvement des femmes n’a pas continué pendant la période de la Dépression, de la montée du fascisme et de la guerre mondiale. Dans la période d’après la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique a connu un boom de son économie et la croissance de la classe moyenne. Dans les années de guerre, les femmes avaient pris toutes sortes d’emplois pour faire fonctionner l’économie, mais après cela, elles ont été encouragées à renoncer à leur emploi et à devenir de bonnes ménagères et mères.

   Cette bulle de prospérité et de contentement dura jusqu’aux années 1960. L’agitation sociale avec le mouvement des droits civiques des Noirs a gagné du terrain et plus tard, le mouvement anti-guerre (contre la guerre du Vietnam) a émergé. Ce fut une période de grande agitation. La Révolution Culturelle qui avait commencé en Chine a aussi eu son impact. L’activité politique parmi les étudiants universitaires a augmenté et c’est dans cette atmosphère de crise sociale et politique que le mouvement des femmes a émergé à nouveau, cette fois d’abord parmi les étudiants universitaires et les professeurs.

   Les femmes ont réalisé qu’elles étaient victimes de discrimination dans l’emploi, pour les salaires, et dans l’ensemble de la façon dont elles étaient traitées dans la société. L’idéologie consumériste a également été attaquée. Simone de Beauvoir a écrit Le Deuxième Sexe en 1949 mais son impact se ressent encore aujourd’hui. Betty Friedan a écrit La Femme Mystifiée en 1963. Le livre est devenu extrêmement populaire. Elle a lancé l’Organisation Nationale des Femmes en 1966 pour lutter contre les discriminations auxquelles les femmes sont confrontées et lutter en faveur de l’amendement d’égalité des droits.

   Mais le mouvement autonome des femmes (mouvement féministe radical) a émergé au sein du mouvement étudiant qui avait des penchants gauchistes. Les étudiants Noirs dans le Conseil de Coordination des Etudiants Non-violents (SNCC) (qui a fait campagne pour les droits civiques pour les Noirs) ont rejeté les étudiants et étudiants blancs de la Convention de Chicago en 1968, au motif que seuls des Noirs pourraient lutter pour la libération Noire. De même, l’idée que la libération des femmes est une lutte des femmes a gagné du terrain.

   Dans ce contexte, les femmes membres de Students for a Democratic Society (SDS) ont exigé que la libération des femmes fasse partie du conseil national dans leur convention de juin 1968. Mais elles ont été sifflées et le résultat du vote a été défavorable. Beaucoup de ces femmes sont sorties et ont formé le WRAP (Women’s Radical Action Project) à Chicago. Les femmes au sein de la New University Conference (NUC – un organisme national des étudiants, personnels et professeurs qui voulaient une Amérique socialiste) ont formé un Caucus de femmes. Marlene Dixon et Naomi Wisstein de Chicago l’ont dirigé. Shulamith Firestone et Pamela Allen ont commencé une activité similaire à New York et ont formé le New York Radical Women (NYRW). Toutes entre elles ont rejeté la vision libérale que des changements dans la loi et l’amendement sur l’égalité des droits permettraient de résoudre l’oppression des femmes et ont estimé que la structure entière de la société devait être transformée. C’est pour cela qu’elles se sont appelées radicales. Elles en sont venues à soutenir la position que les groupes et partis mixtes (hommes et femmes), comme le Parti Socialiste, le SDS, la Nouvelle Gauche, n’étaient pas en mesure de porter en avant la lutte pour la libération des femmes et qu’un mouvement des femmes, autonome des partis, était nécessaire.

   La première action publique du NYRW fut la manifestation contre le concours de beauté Miss America qui a amené le mouvement des femmes naissant à une notoriété nationale. Un an plus tard, le NYWR s’est divisé en Redstockings et WITCH (Women’s Inernational Terrorist Conspiracy from Hell : La Conspiration Internationale Terroriste des Femmes de l’Enfer). Les Red Stockings ont publié leur manifeste en 1969 et dedans la position du féminisme radical est clairement présentée pour la première fois. «…nous identifions les agents de notre oppression comme les hommes, la suprématie masculine est la plus ancienne, la forme la plus fondamentale de la domination. Toutes les autres formes d’exploitation et d’oppression (le racisme, le capitalisme, l’impérialisme, etc.) sont des extensions de la suprématie masculine : les hommes dominent les femmes, quelques hommes dominent le reste…» Entre sœurs nous sommes puissantes et les questions personnelles sont politiques sont devenus leurs slogans qui ont gagné une grande popularité. Pendant ce temps, le SDS a publié sa prise de position sur la libération des femmes en décembre 1968. Elle a été débattue par les femmes à partir de différents points de vue. Kathy McAfee et Myrna Bois ont écrit Du Pain et des Roses pour signifier que la lutte ne peut pas être seulement contre l’exploitation économique du capitalisme (le pain), mais aussi contre l’oppression psychologique et sociale à laquelle les femmes sont confrontées (les roses).

   Ces débats menés dans les diverses revues produites par les groupes de femmes qui ont émergé dans cette période ont été pris au sérieux et ont influencé le cours et les tendances au sein du mouvement des femmes, non seulement aux États-Unis, mais dans d’autres pays aussi. Les groupes ont pris principalement la forme de petits cercles pour élever la conscience. Il faut noter que tous ceux-ci suivaient soit les trotskystes ou le socialisme cubain au sein du mouvement de gauche. Ils se sont opposés à tous les types de structures hiérarchiques. De cette façon, les tendances féministe socialiste et féministe radicale au sein du mouvement des femmes ont émergé. Bien qu’elles eussent beaucoup de limites selon une perspective marxiste, elles ont soulevé des questions et dévoilé sur la place publique de nombreux aspects de l’oppression des femmes.

   Dans les années 1960 et au début des années 70 aux États-Unis et en Europe de l’Ouest « différents groupes ont eu des visions différentes de la révolution. Il y avait des féministes, des Noirs, des anarchistes, des marxistes-léninistes et d’autres versions de la politique révolutionnaire, mais la conviction que la révolution d’une sorte ou d’une autre était au coin de la rue traversait ces divisions. » (Barbara Epstein)

   Les féministes socialistes (marxistes) et radicales partageaient une vision de la révolution. Au cours de cette première période, les féministes furent aux prises avec la théorie marxiste et des concepts clés comme la production, la reproduction, la conscience de classe et le travail. Tant les féministes socialistes que les féministes radicales ont essayé de changer la théorie marxiste pour y intégrer la compréhension féministe de la position des femmes. Mais après 1975, il y a eu un changement. L’analyse systémique (du capitalisme, de l’ensemble de la structure sociale) a été remplacée ou refondée en tant que féminisme culturel.

   Le féminisme culturel commence avec l’hypothèse que les hommes et les femmes sont fondamentalement différents. Il s’est concentré sur les caractéristiques culturelles de l’oppression patriarcale et il visait principalement à des réformes dans ce domaine. Contrairement au féminisme radical et socialiste, il rejette catégoriquement toute critique du capitalisme et comprend le patriarcat comme la racine de l’oppression des femmes et vire vers le séparatisme. À la fin des années 1970 et 1980, le féminisme lesbien a émergé comme un courant au sein du mouvement féministe. Dans le même temps, les femmes de couleur (les femmes Noires, les femmes du tiers monde dans les pays capitalistes avancés) ont soulevé des critiques sur le mouvement féministe en cours et ont commencé à exprimer leurs versions du féminisme. Des organisations parmi les femmes de la classe ouvrière pour l’égalité de traitement au travail, la garde d’enfants, etc. ont également commencé à grandir. Il était devenu évident que le mouvement féministe avait été limité aux blanches, à la classe moyenne, aux femmes instruites dans les pays capitalistes avancés et avait été principalement axé sur les questions liées à leurs préoccupations. Cela a donné naissance au féminisme global ou multiculturel.

   Dans les pays du tiers-monde, des groupes de femmes sont aussi devenus actifs, mais toutes les questions ne sont pas nécessairement « purement » des questions relatives aux femmes. Les violences contre les femmes sont devenues une question majeure, surtout le viol, mais à côté, il y a eu des questions qui ont émergé de l’exploitation en raison du colonialisme et du néo-colonialisme, la pauvreté et l’exploitation par les propriétaires terriens, les problèmes des paysans, les déplacements, l’apartheid et de nombreux autres problèmes qui étaient importants dans leur propre pays. Au début des années 1990, le post-modernisme est devenu influent parmi les féministes.

   La réaction de la droite conservatrice contre le féminisme a grandi dans les années 1980, en se concentrant sur l’opposition à la lutte féministe pour le droit à l’avortement. Ils ont également attaqué le féminisme comme détruisant la famille, soulignant l’importance du rôle des femmes dans la famille. Pourtant, la perspective féministe se répandit largement et d’innombrables groupes d’activistes, des projets sociaux et culturels à la base ont grandi et ont continué à être actifs. Les études sur les femmes se sont aussi largement répandues. Les questions de la santé et de l’environnement ont été au centre de l’attention de beaucoup de ces groupes. Beaucoup de dirigeantes féministes ont été absorbées dans des emplois universitaires. Dans le même temps, la plupart des grandes organisations sont devenues de grandes institutions, absorbées par l’ordre établi, fonctionnant avec un personnel et comme toute institution bureaucratique établie. L’activisme a décliné. Dans les années 1990, le mouvement féministe est plus connu par les activités de ces organisations et les écrits des féministes dans le domaine universitaire. « Le féminisme est devenu plus une idée qu’un mouvement, et une idée qui manque de la qualité visionnaire qu’elle a eu autrefois, » a écrit Barbara Epstein dans Monthly Review (mai 2001). Dans les années 1990, l’écart croissant entre la situation économique de la classe ouvrière et des minorités opprimées et les classes moyennes, l’inégalité continue entre les genres, l’augmentation de la violence sur les femmes, l’assaut de la mondialisation et son impact sur les peuples, en particulier les femmes dans le tiers monde a conduit à un regain d’intérêt pour le marxisme. Dans le même temps, la participation des femmes, en particulier des jeunes femmes, dans un éventail de mouvements politiques, comme en témoignent les mouvements anti-mondialisation et anti-guerre, a en outre aidé le processus de réveil.

   Avec ce bref aperçu de l’évolution du mouvement des femmes en Occident, nous allons analyser les propositions des principaux courants théoriques au sein du mouvement féministe.

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