Manuel du guérillero urbain

Manuel du guérillero urbain

Carlos Marighella

En rédigeant ce manuel, je désire rendre un double hommage.

   Le premier, à la mémoire d’Edson Luis José de Almeida « Escoteiro » et tant d’autres combattants et guérilleros urbains, assassinés par la police politique (la D.O.P.S.) et par l’armée de la dictature militaire qui sévit au Brésil. Le second à nos courageux camarades, hommes et femmes, qui croupissent dans les geôles qui n’ont rien à envier aux crimes commis par les nazis. Comme ce le fut pour eux, notre seul devoir est de lutter.

Avertissement

   Toute personne hostile à la dictature militaire ou à toute autre forme d’exploitation et d’injustice, désireuse de combattre, peut faire quelque chose, car même si cette action est modeste, plusieurs petites actions en feront naître une immense.

   Ceux qui, après avoir lu ce manuel, auront conclu qu’il s ne peuvent rester passifs, je les invite à suivre les instructions que je propose et à s’engager tout de suite dans la lutte. Car, en toute hypothèse et dans toutes circonstances, le devoir du révolutionnaire est de faire la révolution.

   S’il importe de lire cette ouvrage, il est également très souhaitable de le faire proliférer. Que ceux qui acceptent les idées qui s’y trouvent défendues, le fasse ronéotyper ou imprimer, fût-ce sous la protection d’un groupe armé.

   Si je l’ai signé, c’est parce qu’il est le résultat synthétisé d’une expérience vécue par un groupe d’hommes qui, au Brésil, luttent les armes à la main et dont j’ai l’honneur de faire partie.

   Contre ceux qui mettent en doute ce que j’y recommande, qui continuent d’affirmer que ne sont pas encore réunis les conditions propre au combat ou qui nient les faits décrits, le mieux est que je revendique ouvertement la responsabilité de mes paroles et de mes actions. Je refuse donc les commodités ambiguës de l’anonymat.

   Mon but est de recruter le plus grand nombre possible de partisans. Le nom d’agresseur ou de terroriste n’a plus le sens qu’on lui donnait jadis. Il ne suscite plus la terreur ou le blâme ; il éveille des vocations. Être appelé « agresseur » ou « terroriste », dans le Brésil d’aujourd’hui, honore le citoyen, puis que cela signifie qu’il lutte, les armes à la main, contre la monstruosité et l’abjection que représente l’actuelle dictature militaire.

Qu’est-ce qu’un guérillero urbain ?

   La crise chronique des structures qui caractérise la situation au Brésil et l’instabilité politique qui en découle ont favorisé le déclenchement de la guerre révolutionnaire. Celle-ci se manifeste en termes de guérilla urbaine, de guérilla rurale ou de guerre psychologique.

   C’est au guérillero urbain qu’il incombe de faire, dans les villes, la guérilla aussi bien que la guerre psychologique.

   C’est de lui que je parlerai.

   Le guérillero urbain est un homme armé qui lutte contre la dictature militaire ou toute autre forme d’oppression par des moyens non conventionnels. Il est révolutionnaire sur le plan politique et vaillant patriote. Il lutte pour la libération de son pays, il est ami du peuple et de la liberté. Son champ de bataille, ce sont les grandes villes du pays.

   Dans ces villes agissent également des bandits communément traités, au Brésil, de « marginaux ». Il arrive souvent que des attaques lancées par ces hors-la-loi passent pour des actions opérées par des guérilleros.

   Ceux-ci diffèrent cependant radicalement de ceux-là.

   Le « marginal » n’a en vue que son profit personnel et attaque sans discrimination les exploiteurs ou les exploités, ce qui fait que nombre de victimes sont des hommes et des femmes du peuple. Le guérillero urbain, lui, lutte dans un but politique et n’attaque que le gouvernement, les grands capitalistes et les agents de l’impérialisme, en particulier les Nord-Américains.

   D’autres éléments aussi nuisibles que les hors-la-loi sévissent dans les villes ; ce sont les contre-révolutionnaires de droite, qui sèment la confusion, dévalisent des banques, enlèvent ou assassinent des guérilleros, des prêtres révolutionnaires, des étudiants et des citoyens ennemis du fascisme et amants de la liberté.

   Le guérillero urbain est un implacable ennemi du gouvernement; il porte systématiquement préjudice aux autorités et aux hommes qui dominent le pays et détiennent le pouvoir. Sa tâche principale est de déjouer, discréditer et harceler les militaires et toutes les forces de répression, de détruire ou de saccager les biens appartenant aux nord-américains, aux chefs d’entreprises étrangers ou à la grande bourgeoisie brésilienne.

   Le guérillero urbain ne craint pas de démanteler et de détruire le système économique, politique et social en vigueur, car son objectif est d’aider la guérilla rurale et de contribuer à l’instauration de structures sociales et politiques entièrement nouvelles et révolutionnaires, où le pouvoir sera donné au peuple armé.

   Le guérillero urbain doit acquérir un minimum de connaissances politiques :

   Il convient donc qu’il cherche à lire les écrits suivants :
– La Guerre de guérilla, de Che Guevara
Quelques questions sur les guérillas au Brésil
Opérations et tactiques de guérilla
Problèmes et Principes de stratégie
Quelques principes tactiques pour les camarades qui réalisent des opérations de guérilla
Questions touchant l’organisation
Le rôle de l’action révolutionnaire dans l’organisation
Le guérillero, journal des groupes révolutionnaires brésiliens.

Les qualités personnelles du guérillero urbain

   Le guérillero urbain se caractérise par le courage et l’esprit d’initiative. Il doit être un grand tacticien et bon tireur. Il compensera par l’astuce son infériorité sur le plan des armes, des munitions et de l’équipement.

   Le militaire de carrière ou le policier au service du gouvernement disposent d’un armement moderne et de bons véhicules ; ils peuvent circuler librement, aller où ils veulent, puisqu’ils ont pour eux l’appui du pouvoir. Le guérillero urbain, qui ne peut compter sur toutes ces ressources, agit dans la clandestinité. Il arrive qu’il ait déjà été condamné ou que pèse contre lui un décret de prison préventive ; il est, dans ce cas, contraint de faire usage de faux papiers.

   Le guérillero urbain possède toutefois un gros avantage sur le soldat conventionnel ou sur le policier : il défend une juste cause, celle du peuple, tandis que les deux autres se rangent du côté de l’ennemi que le peuple déteste.

   Les armes du guérillero urbain sont inférieures à celles de son ennemi ; mais, sur le plan moral, sa supériorité est indiscutable.

   C’est grâce ce moral qu’il peut remplir ses tâches principales qui sont d’attaquer et de survivre.

   Le guérillero urbain doit, pour pouvoir lutter, prendre à l’ennemi ses armes.

   Comme celles-ci tombent entre ses mains dans les circonstances les plus diverses, il finit par se trouver en possession d’un armement assez varié et pour lequel manquent les munitions correspondantes.

   Le guérillero urbain ne dispose d’aucun lieu où il puisse s’exercer au tir.

   Ces difficultés, il les vaincra grâce à son pourvoir d’imagination et à sa capacité créatrice, qui sont indispensable s’il veut mener à bien sa tâche de révolutionnaire.

   Le guérillero urbain doit être doté d’esprit d’initiative, d’une grande mobilité, de souplesse, du sens de l’adaptation et de beaucoup de sang-froid, la qualité principale étant l’esprit d’initiative, car on ne peut pas toujours tout prévoir et le guérillero urbain ne peut se permettre de tomber dans la perplexité ni attendre que lui soit donné un ordre.

   Il doit agir, envisager, pour chaque problème qui se présente, la solution correspondante, et ne pas remettre à plus tard. Il vaut mieux agir et se tromper que ne rien faire par souci d’éviter l’erreur.

   C’est bien connu, l’humain apprend de ses erreurs. Sans esprit d’initiative, il n’y a pas de guérilla urbaine. D’autres qualités sont souhaitées ; il faut être bon marcheur, pouvoir résister à la fatigue, la faim, à la pluie et à la chaleur ; il faut savoir se cacher et veiller, connaître l’art du déguisement, ne jamais craindre le danger, être capable d’agir de nuit comme de jour, ne pas agir avec précipitation, être doté d’une patience sans limites, garder son calme et son sang-froid dans les pires situations, ne pas laisser la moindre trace et ne pas se décourager.

   Face aux difficultés qu’ils considèrent comme presque insurmontables, certains guérilleros faiblissent, se désistent ou démissionnent.

   La guérilla urbaine n’est pas une affaire commerciale, un centre d’embauche ni la représentation d’une pièce de théâtre. On s’y engage comme on s’engage dans la guérilla rurale. Si on manque des qualités requises, il vaut mieux renoncer à devenir un guérillero urbain mais vous pouvez faire parti des réseaux de soutien et d’information.

Comment vit et subsiste le guérillero urbain?

   Le guérillero urbain doit savoir vivre au milieu du peuple et veiller à ne se distinguer en rien du citoyen ordinaire.

   Il ne peut se vêtir d’une façon qui attire l’attention. Des vêtements excentriques et à la mode sortent du lot dans les quartiers ouvriers. Il en va de même pour ceux qui vont du nord au sud du pays et vice versa, où la façon de s’habiller varie.

   Le guérillero urbain doit vivre de travail, de son activité professionnelle.

   S’il est recherché par la police ou connu d’elle, s’il est condamné ou fait l’objet d’une mesure de prison préventive, il doit entrer dans la clandestinité et parfois vivre caché.

   En toutes circonstances, le guérillero urbain ne doit parler à personne de ses activités ; celles-ci ne concernent que l’organisation révolutionnaire à laquelle il appartient.

   Il doit avoir une grande capacité d’observation, être très bien informé, en particulier sur les mouvements de l’ennemi, être un bon enquêteur et bon connaisseur du terrain sur lequel il agit. Étant donné qu’il lutte les armes à la main, il ne lui est guère possible de s’acquitter pendant longtemps de ses obligations professionnelles courantes sans se faire repérer.

   C’est alors que la tâche appelée « expropriation » s’impose à lui avec clarté. Il devient en effet impossible au guérillero urbain de subsister ou de survivre sans s’engager dans la lutte pour l’expropriation.

   Dans le cadre de la lutte de classe, dont l’approfondissement est aussi inévitable que nécessaire, la lutte armée du guérillero urbain vise deux buts :
– la liquidation physique des chefs et des subalternes des forces armées et de la police
– l’expropriation d’armes ou de biens appartenant au gouvernement, aux grands capitalistes, aux latifundiaires et aux impérialistes.

   Les expropriations mineures servent à l’entretien personnel du guérillero urbain ; les autres à alimenter la révolution.

   Ces deux buts n’en excluent pas d’autres, secondaires.

   Une caractéristique fondamentale de la Révolution brésilienne est qu’elle passe, dès le début, par la dépossession de la grande bourgeoisie, de l’impérialisme, des latifundiaires, mais aussi des commerçants les plus riches et les plus puissants, liés à l’importation ou à l’exportation.

   Les attaques contre les banques, réalisées au Brésil, ont porté préjudice à de grands capitalistes comme Moreira Salles, à des compagnies étrangères chargées d’assurer ces mêmes banques, à des firmes impérialistes, au gouvernement fédéral et à des États, jusqu’ici systématiquement « expropriés ».

   Le produit de ces expropriations est destiné à l’apprentissage et au perfectionnement technique du guérillero urbain, à l’achat, à la fabrication et au transport des armes et des munitions destinées au secteur rural, à l’organisation du réseau de sécurité des révolutionnaires, à la subsistance quotidienne des combattants, en particulier des camarades délivrés de la prison par d’autres compagnons armés, des blessés ou des camarades pourchassés par la police ou les soldats de la dictature et qui doivent vivre dans la clandestinité.

   C’est sur les exploiteurs et les oppresseurs du peuple que doivent retomber les terribles charges de la guerre révolutionnaire. Les hommes du gouvernement, les agents de la dictature et de l’impérialisme doivent payer de leur vie les crimes commis contre le peuple brésilien.

   Au Brésil, le nombre d’actions violentes pratiqué est déjà très élevé. Il comporte des mises à mort, des explosions de bombes, des captures d’armes, d’explosifs et de munitions, des « expropriations » de banque, des attaques contre des prisons, etc. Autant d’actes qui ne peuvent laisser de doutes sur les intentions des révolutionnaires.

   La mise à mort de l’espion de la C.I.A. Charles Chandler, militaire américain qui, après avoir passé deux ans au Viêt-nam, vint s’infiltrer dans le mouvement étudiant brésilien, celle de plusieurs barbouzes et de plusieurs membres de la police militaire, prouvent que nous sommes entrés dans un état de guerre révolutionnaire, et que cette lutte passe nécessairement par la violence.

   Le guérillero urbain doit donc concentrer tous ses efforts sur l’extermination des agents de la répression et l’expropriation des exploiteurs du peuple.

La préparation technique du guérillero urbain

   Personne ne peut devenir guérillero sans passer par une phase de préparation technique. Elle va de l’entraînement physique à l’enseignement de professions ou d’activités de tout genre, mais surtout manuelles.

   On ne peut acquérir une bonne résistance physique qu’en s’entraînant. On ne peut devenir un bon lutteur qu’en apprenant l’art de lutter.

   Le guérillero urbain apprendra donc à pratiquer les différents types de luttes, qu’ils regardent l’attaque ou la défense personnelle.

   Outre la préparation technique, je considère comme utiles les formes d’entraînement telles que les excursions à pied, le camping et des séjours prolongés en forêt, l’ascension des montagnes, la natation, le canotage, les plongées et les chasses sous-marines, à la manière des hommes-grenouilles, la pêche, la chasse aux volatiles et au gibier de petite et grande taille.

   Il est très important d’apprendre à conduire une voiture, piloter un avion, gouverner une embarcation à moteur ou à voile, d’avoir des notions de mécanique, de radiophonie, de téléphonie, d’électricité et même d’électronique. Il est également important de posséder de notions de topographie, de savoir s’orienter, calculer les distances, établir des cartes et des plans, chronométrer, transmettre des messages, utiliser la boussole, etc.

   Des connaissances de chimie, sur la combinaison des couleurs, sur la fabrication des cachets, sur l’art d’imiter l’écriture d’autrui et autres habiletés, font partie de la préparation technique du guérillero urbain.

   Pour pouvoir survivre dans la société qu’il propose de détruire, celui-ci est obligé de falsifier des documents, comme des passeports, des permis de conduire, des cartes d’assurance maladies et divers papiers d’identités.

   En ce qui concerne les soins médicaux, il est clair que jouent un rôle spécial et important les guérilleros médecins, infirmiers ou pharmaciens, ainsi que ceux qui possède des connaissances correspondantes (les premiers soins), prescription et emploi de médicaments et notions de chirurgie.

   La partie la plus importante de la préparation technique reste, toutefois, le maniement des armes telles que la mitraillette, le revolver, les armes automatiques, le mortier, le bazooka, le fusil FAL et d’autres types de carabine ; s’y ajoute la connaissance des différentes sortes de munitions et explosifs. La dynamite est un de ces explosifs ; il importe de bien savoir s’en servir, comme il importe de savoir utiliser les bombes incendiaires, les grenades fumigènes, le C-4 et autres.

   Il faut apprendre à fabriquer des cocktails Molotov, des bombes, des mines, à détruire des ponts, démonter ou détruire des rails et des traverses de chemin de fer.

   Le guérillero urbain parachèvera sa formation dans un centre technique organisé à cet effet, mais seulement après être passé par l’épreuve du feu, c’est-à-dire avoir déjà combattu contre l’ennemi.

Les armes du guérillero urbain

   Les armes du guérillero urbain sont légères, facilement remplaçables, en général prises à l’ennemi, achetées ou fabriquées sur place. L’armement léger peut être manié et transporté rapidement.

   Cet armement se distingue par son canon qui est court ; il comporte plusieurs armes automatiques et semi-automatiques, qui augmentent considérablement la puissance de feu du guérillero urbain, mais qui sont difficilement contrôlables. De plus, celles-ci entraînent une forte consommation, voire un certain gaspillage de munitions que seule une grande précision de tir peut compenser.

   L’expérience nous a montré que l’arme de base du guérillero urbain est la mitraillette. Elle est efficace et peut être facilement dissimulée ; elle impose de plus le respect à l’adversaire. Il faut connaître à fond le maniement de cette arme devenue si populaire.

   La mitraillette idéale est l’INA, calibre 45. D’autres de différents calibres peuvent également être utilisées mais il est moins facile de pourvoir à leur chargement. On souhaitera donc que la base logistique industrielle en arrive à produire un type uniforme de mitraillette à munitions standardisées.

   Chaque groupe de guérilleros doit disposer d’une mitraillette maniée par un bon tireur.
Les autres auront des revolvers 38, notre arme commune. L’usage du revolver 32 est permis mais nous donnons la préférence au 38, à cause de sa force d’impact.

   Les grenades à main et les grenades fumigènes peuvent être considérées comme des armes légères, utiles à la défensive et pour protéger la retraite des guérilleros.

   Les armes à canon long sont plus difficilement transportables et attirent davantage l’attention. Parmi ces dernières se rangent les FAL, les mausers, les fusils de chasses et les Winchesters. Les fusils de chasse peuvent être efficaces lorsqu’ils sont employés pour des tirs a faible portée ou à bout portant, ce qui arrive surtout la nuit.

   Un fusil à air comprimé peut-être avantageusement employé pour le tir à la cible. Des bazookas et des mortiers peuvent être utilisés, mais par des gens bien entraînés.

   Les armes de fabrication artisanale sont parfois aussi efficaces que les armes conventionnelles, ainsi que les fusils à canon raccourci.

   Les camarades qui sont armuriers jouent un rôle important. Ils entretiennent les armes, les réparent et peuvent même monter un atelier où ils en fabriqueront. Les ouvriers métallurgistes, les mécaniciens et les tourneurs sont des personnes toutes indiquées pour assumer ce travail de logistique industrielle. Ils peuvent, à partir de leurs connaissances, aussi bien fabriquer secrètement des armes chez eux.

   On organisera aussi des cours sur l’art de fabriquer des explosifs et l’art de saboter ; on y prévoira la possibilité de faire des expériences.

   Les cocktails Molotov, l’essence, les instruments destinés au lancement de pétards, les grenades faite au moyen de tuyaux et de boîtes, les mines, les explosifs fabriqués avec de la dynamite et du chlorate de potassium, le plastique, les capsules fulminantes, etc. constituent l’arsenal du guérillero soucieux de remplir sa mission.

   Le matériel nécessaire à la fabrication des ces engins sera acheté ou dérobé à l’ennemi au cours d’opérations soigneusement planifiées et exécutées. Le guérillero veillera à ne pas garder longtemps près de lui ce matériel susceptible de provoquer des accidents ; il cherchera à s’en servir tout de suite.

   L’introduction d’armes modernes, comme toute innovation en ce domaine, influe directement sur les tactiques de la guérilla urbaine. Ces tactiques changeront dès que sera généralisé l’usage de la mitraillette standardisée. Les groupes de guérilleros qui parviennent à uniformiser leur armement et leurs munitions acquièrent un pouvoir d’efficacité supérieur aux autres car leur puissance de feu devient plus grande.

Le tir, raison d’être du guérillero urbain

   La raison d’être du guérillero urbain, son action, sa survie, tout cela dépend de son art de tirer. Il est indispensable qu’il s’en acquitte bien. Dans la guerre conventionnelle, le combat se fait à distance et avec des armes à longue portée. Dans la guérilla, c’est le contraire ; s’il ne tire pas le premier, il risque de perdre la vie.

   De plus, comme il n’a sur lui que peu de munitions et que son groupe est réduit, il ne peut perdre du temps ; il sera donc prompt au tir.

   Un autre point sur lequel il convient d’insister jusqu’à l’exagération, c’est que le guérillero urbain ne peut tirer jusqu’à épuisement de ses munitions. Il est, en effet, possible que l’ennemi ne riposte pas, précisément parce qu’il attend que l’autre ait fait usage de toutes ses balles, s’exposant ainsi à la capture ou à la mort.

   Afin d’éviter d’être une cible facile, le combattant ne cessera de se mouvoir, tout en tirant.

   On devient un bon tireur en s’exerçant systématiquement par les moyens les plus divers : en tirant à la cible dans les fêtes foraines ; en tirant, chez soi, avec un fusil à air comprimé, etc. Le bon tireur pourra devenir un franc-tireur, c’est-à-dire un guérillero solitaire, capable d’opérer des actions isolées. En tant que tel, il devra pourvoir tirer à longue et courte distance, avec des armes appropriées à l’une ou l’autre fonction.

Les « groupes de feu » (cellules)

   Les guérilleros urbains seront organisés en petits groupes. Chaque groupe, appelé « groupe de feu » (cellule), ne peut dépasser le nombre de 4 ou 5 personnes. Un minimum de 2 groupes (cellules), rigoureusement compartimentés et coordonnés par 1 ou 2 personnes, s’appelle une « équipe de feu » (réseau).

   Au sein de chaque cellule doit régner la plus grande confiance. Celui qui tire le mieux et sait manier la mitraillette se chargera d’assurer la protection de ses camarades au cours des opérations. Chaque groupe planifiera et exécutera les opérations qu’il aura décidé, gardera des armes, discutera et corrigera les tactiques employées.

   Le groupe agit de sa propre initiative, sauf dans l’accomplissement des tâches décidées par le commandement général de la guérilla (cellule centrale ou comité central). Pour donner libre cours à cet esprit initiative, on évitera toute rigidité à l’intérieur de l’organisation. C’est d’ailleurs pour cela que la hiérarchisation caractéristique de la gauche traditionnelle n’existe pas chez nous.

   Parmi les initiatives possibles laissées à la décision de chaque groupe (cellule), citons : les raids contre des banques, les enlèvements de personnes, les exécutions d’agents notoires de la dictature ou de la réaction ou des espions et délateurs au sein de l’organisation, toute forme de propagande ou de guerre de nerfs. Il n’est pas nécessaire, avant de décider de l’une de ces opérations, de consulter le commandement général de la guérilla (cellule centrale ou comité central). Aucun groupe ne doit, du reste, attendre, pour agir, que lui viennent des ordres d’en haut.

   Tout citoyen désireux de devenir guérillero peut, de lui-même, passer à l’action et s’intégrer à notre organisation, En procédant de la sorte, il est plus difficile de savoir à qui doit être attribué tel ou tel coup, l’essentiel étant qu’augmente le volume des actions réalisées.

   Le commandement général de la guérilla compte sur ces groupes pour les envoyer remplir des missions en n’importe quel point du pays. Lorsqu’ils sont en difficulté, il se chargera de les aider. Notre organisation révolutionnaire est constituée par un réseau vaste et indestructible de « groupes de feu ». Son fonctionnement est simple et pratique ; le commandement général de la guérilla l’oriente ; ceux qui le composent participent aux même coups car tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’action directe ne nous intéresse pas.

La logistique du guérillero urbain

   La logistique conventionnelle peut s’exprimer par la formule N.C.E.M. qui veut dire:
N = Nourriture
C = Combustible
E = Équipement
M = Munitions

   Le guérillero urbain, lui, ne fait pas partie d’une armée régulière ; son organisation est intentionnellement fragmentée. Il ne dispose pas de camions, de bases fixes et la logistique industrielle de la guérilla urbaine est difficile à implanter.

   La logistique du guérillero urbain correspondra donc à la formule M.A.M.A.E. :
M = Motorisation
A = Argent
M = Munitions
A = Armes
E = Explosifs

   La logistique révolutionnaire comporte donc la motorisation, qui est un facteur essentiel. Il faut des chauffeurs. Ceux-ci doivent, comme les autres guérilleros, subir un bon entraînement. D’ailleurs, tout bon guérillero sera aussi un bon chauffeur.

   Les véhicules dont il a besoin, il les « expropriera » s’il ne dispose pas de ressources pour en acheter. Comme pour l’achat d’armes, de munitions et d’explosifs, le guérillero prélèvera l’argent des banques.

   Ces « expropriations » sont, au départ, indispensables à notre organisation. Il faut aussi bien dérober les armes en vente dans les magasins que celles que portent en bandoulière les soldats de la garde civile ou de la garde militaire. Postérieurement, lorsqu’il s’agira de développer la force logistique, les guérilleros tendront des embuscades à l’ennemi afin de capturer ses armes, ses munitions et ses moyens de transport. Sitôt dérobé, le matériel doit être caché, même si l’ennemi cherche à riposter ou à poursuivre les assaillants. Il importe donc qu’ils connaissent très bien le terrain où ils agissent et qu’ils s’annexent des guides spécialement préparés.

La technique du guérillero urbain

   La technique est, en résumé, l’ensemble des moyens qu’utilise un homme pour exécuter un travail. La technique du guérillero , qui concerne aussi bien la guérilla proprement dite que la guerre psychologique, repose sur cinq données de base :

1. Les caractéristiques de la lutte de guérilla

   La technique employée par le guérillero urbain présente les caractéristiques suivantes :
a) Elle est agressive ou offensive. Pour le guérillero, dont la puissance de feu est inférieure à celle de l’ennemi, qui ne peut compter sur l’appui du pouvoir et ne peut répondre à une attaque massive des forces adverses, la défensive ne peut qu’être fatale. C’est pourquoi jamais il ne cherchera à fortifier ou à défendre une base fixe ; jamais il n’attendra d’être encerclé pour riposter.
b) Elle repose sur l’attaque, suivie d’une retraite immédiate, nécessaire à la préservation des forces de la guérilla.
c) Elle vise à harceler, décourager, distraire les forces dont l’ennemi dispose dans les villes afin de favoriser le déclenchement et l’implantation de la guérilla rurale dont le rôle, dans la guerre révolutionnaire, est décisif.

2. Les avantages du guérillero urbain sur l’ennemi

   La dynamique de la guérilla urbaine aboutit à l’affrontement violent du combattant et des forces de répression de la dictature. Celles-ci disposent de forces supérieures à celles du premier. Il n’en incombe pas moins au guérillero urbain d’attaquer le premier.

   Les forces militaires et policières riposteront en mobilisant des ressources infiniment plus grandes. Le guérillero urbain ne pourra échapper à la persécution et à la destruction qu’en exploitant à fond les avantages dont, au départ, il jouit. Ce sera sa façon de compenser sa faiblesse matérielle.

   Ces avantages consistent à:
– Attaquer l’ennemi par surprise
– Mieux connaître que l’ennemi le terrain sur lequel il combat
– Jouir d’une plus grande mobilité ou d’une plus grande rapidité que les forces de répression
– Disposer d’un réseau d’information meilleur que celui de l’ennemi
– Faire preuve d’une telle capacité de décision que ses compagnons se sentent encouragés et ne puissent même pas hésiter alors qu’en face d’eux, l’ennemi ne saura où donner de la tête.

a) La surprise

La surprise est donc un élément très important et qui permet de compenser l’infériorité du guérillero sur le plan des armes. Contre elle, l’ennemi ne peut rien opposer; il tombe dans la perplexité et court à sa perte.

   Dans le déclenchement de la guérilla urbaine au Brésil, l’effet de surprise a été largement exploité. Il est fonction de quatre données de base que l’expérience nous fait définir comme suit:
– Nous connaissons la situation de l’ennemi que nous allons attaquer, généralement grâce à des informations précises et à une observation méticuleuse, alors que lui-même ignore qu’il va être attaqué et quelle sera la position de l’attaquant
– Nous connaissons la force de ceux que nous attaquons, et eux méconnaissent la nôtre
– Nous pouvons mieux que l’ennemi économiser et préserver nos forces
– C’est nous qui choisissons l’heure et le lieu de l’attaque, qui décidons de sa durée et des objectifs à atteindre. L’ennemi en ignore tout.

b) La connaissance du terrain

Le guérillero urbain, s’il veut que le terrain soit son meilleur allié, doit le connaître jusque dans ses moindres détails. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra intelligemment faire usage de son relief, de ses talus et de ses fossés, de ses recoins, de ses zones laissées à l’abandon, etc., afin de faciliter le tir et les opérations de retrait, mais aussi de se cacher.

   Les points d’étranglement tels que les impasses, les cul-de-sac, les rues en chantier, les postes de contrôle de la police, les zones militaires, les entrées ou sorties de tunnels, les viaducs, les carrefours garnis d’agents de la circulation, de sémaphores ou de toute autre signalisation, doivent être soigneusement repérés si l’on veut éviter des erreurs fatales.
Ce qui importe, c’est de bien connaître les chemins par lesquels les guérilleros passeront et les endroits où ils se cacheront, laissant l’ennemi à la merci du lieu qu’il ignore. Familiarisé avec les rues, les coins et les recoins des centres urbains, connaissant bien les terrains vagues, les égouts, les massifs de verdure, les immeubles en construction, le guérillero urbain peut semer facilement la police ou la surprendre en lui dressant un piège ou une embuscade.

   S’il connaît le terrain, le guérillero pourra indifféremment le parcourir à pied, à bicyclette, en automobile, en Jeep ou en camion, sans se faire arrêter.

   S’il agit au sein d’un petit groupe de combattants, il pourra facilement le reconstituer en un endroit choisi d’avance, avant de déclencher une nouvelle opération. C’est pour la police un véritable casse-tête que de retrouver ou contre-attaquer un guérillero, dans un dédale de rues que lui seul connaît. L’expérience nous a montré que l’idéal, pour un guérillero urbain, est d’agir dans sa propre ville puisque c’est celle-là qu’il connaît le mieux. Celui qui vient d’ailleurs ne peut, avec autant de compétence que le premier, mener à bien une opération de guérilla.

c) Mobilité et rapidité

La mobilité et la rapidité du guérillero urbain doivent être supérieures à celles de la police. À cet effet, il veillera:
– à être motorisé ;
– à bien connaître le terrain ;
– à saboter ou entraver les communications ou les moyens de transport de l’ennemi ;
– à s’assurer la possession d’un armement léger.

   Lorsqu’il réalise des opérations qui ne durent que quelques minutes et s’il quitte le lieu de son action au moyen d’un véhicule à moteur, le guérillero ne pourra échapper à ceux qui le poursuivent que si, au préalable, il a déjà reconnu l’itinéraire.

   Il n’opérera que dans des endroits éloignés des bases logistiques de la police afin de faciliter sa fuite.

   Il devra aussi viser à entraver les communications de l’ennemi, sa première cible étant le téléphone dont il fera couper les fils.

   Les forces de répression disposent de moyens de transport très modernes ; il faut s’efforcer de leur faire perdre du temps lorsqu’elles doivent traverser le centre congestionné des grandes villes. Les embouteillages peuvent également nous désavantager.

   Nous veillerons donc à nous assurer une position favorable, en adoptant les moyens suivants :
– La simulation d’une panne ou le barrage d’une route, que d’autres compagnons assumeront, en utilisant des véhicules dont les plaques seront fausses ;
– L’obstruction du chemin au moyen de troncs d’arbres, de pierres, de fausses plaques de signalisation, de trous ou par tout autre moyen efficace et astucieux ;
– La pose de mines de fabrication artisanale aux endroits par où devra passer la police et l’incendie de ses moyens de transport avec de l’essence ou des cocktails Molotov ;
– Le mitraillage, surtout dans le but de faire éclater les pneus des véhicules de police. Le rôle du guérillero urbain est d’attaquer, puis aussitôt de battre en retraite ; c’est ainsi que, doté d’un armement léger, il peut mettre en échec l’ennemi lourdement et fortement armé. Sans un armement léger, on ne peut jouir d’une grande mobilité.

   Les guérilleros pourront toujours être motorisés si la police les attaque à cheval. De l’intérieur de leur voiture, ils pourront facilement tirer contre ces attaquants. Le grand désavantage de la cavalerie est qu’elle offre aux guérilleros deux cibles: le cheval et son cavalier.

   L’utilisation par les forces de répression de l’hélicoptère n’offre guère d’avantages ; il sera difficile à ceux qui l’occupent de tirer de si haut et impossible de se poser sur la voie publique. Volant à basse altitude, il pourra facilement être atteint par le tir des guérilleros.

d) L’information

Les chances qu’à le gouvernement de découvrir et de décimer les guérilleros diminuent fortement dans la mesure où, au milieu de la population, se multiplient les ennemis de la dictature.

   Ceux-ci, en effet, nous informeront sur les activités de la police et des agents gouvernementaux, qu’ils ne renseigneront jamais sur nos propres activités. Pour les embarrasser, ils chercheront plutôt à leur donner de fausses informations. De toute façon, les sources de renseignements du guérillero urbain sont potentiellement plus grandes que celles de la police.

   Celle-ci se sait observée par la population, mais elle ignore qui se rend complice du guérillero et dans la mesure où elle commet des injustices et fait violence à des citoyens, elle favorise cette complicité entre le peuple et les guérilleros.

   Même si les informations ne nous proviennent que d’une très petite fraction de la population, elles constituent pour nous une arme précieuse. Elles ne nous dispensent cependant pas de créer notre propre service de renseignements, et d’organiser ce réseau d’intelligences.

   Des informations sûres données au guérillero signifient que des coups également sûrs pourront être portés contre le système de la dictature.

   Afin de s’opposer plus efficacement à nous, l’ennemi stimulera la délation, et s’infiltrera en nous envoyant ses espions. Les traîtres et les délateurs, aussitôt qu’ils seront connus, devront être dénoncés auprès de la population. Dans la mesure où le gouvernement se rendra impopulaire, celle-ci se chargera de les châtier.

   En attendant, dès qu’ils les connaîtront, les guérilleros devront procéder à leur élimination physique, ce que la population ne manquera pas d’approuver et ce qui diminuera considérablement l’infiltration et l’espionnage de l’ennemi.

   Cette lutte, on la complétera en organisant un service de contre-espionnage.

   C’est en vivant au milieu de la population, en prêtant attention à tous les types de conversations et de relations humaines, non sans dissimuler avec un maximum d’astuce sa curiosité, que le guérillero complétera son information. Celle-ci concernera tout ce qui peut se passer sur les lieux de travail, dans les écoles et facultés, dans les quartiers où habitent les combattants, qu’il s’agisse des opinions ou de l’état d’esprit des gens, de leurs voyages, de leurs affaires, de leurs fréquentations, de tout ce qui les occupe.

   Le guérillero urbain ne se déplace jamais sans avoir toujours à l’esprit la préoccupation de mettre au point un éventuel plan d’opération. Il n’y a pas d’interruption dans la vie du combattant ; il doit toujours être en éveil et enrichir sa mémoire de tout ce qui peut lui être utile dans l’immédiat comme pour le futur.

   Il lira attentivement les journaux et s’intéressera aux autres moyens de communication. Il enquêtera, ne cessera de transmettre à ses compagnons tout ce qui attire son attention ; c’est là tout ce qui constitue l’immense réseau d’informations donnant au guérillero urbain un net avantage.

e) L’esprit de décision

   Un manque d’esprit de décision annule aussitôt les avantages que nous venons d’énumérer. S’il n’est pas sûr de lui, le guérillero risque d’échouer, pour bien panifiée qu’ait été son action. Cette capacité de décision doit être maintenue jusqu’au bout, sans quoi une opération bien commencée peut, par la suite, se retourner contre lui, car l’ennemi profitera de sa panique ou de son hésitation pour l’anéantir.

   Il n’existe pas d’opérations faciles.

   Elles doivent être exécutées avec un soin extraordinaire et par des hommes soigneusement choisis, précisément en fonction de leur esprit de décision. C’est au cours de la période de préparation que l’on verra dans quelle mesure les candidats à la guérilla en sont dotés.
Ceux qui, au cours de ces périodes, arrivent en retard aux rendez-vous, confondent facilement les hommes, ne les trouvent pas, oublient l’une ou l’autre chose, n’observent pas les normes élémentaires du travail, se révèlent être des gens peu décidés et susceptibles de porter préjudice à la lutte – il vaut mieux les écarter. Être décidé, cela signifie exécuter avec une détermination, une audace et une fermeté incroyables un plan tracé. Un seul indécis peut perdre tout un groupe.

3. Les objectifs visés par le guérillero

   Les objectifs que visent les attaques déclenchées par les guérilleros urbains sont, au Brésil, les suivants :
a) Ébranler le polygone de sustentation de l’État et de la domination nord-américaine. Ce polygone est constitués par le triangle Rio – São Paulo – Belo Horizonte, triangle dont la base correspond à l’axe Rio – São Paulo. C’est là que se situe le gigantesque complexe industriel, financier, économique, politique, culturel et militaire du pays, c’est à dire le centre de décision national ;
b) Affaiblir le système de sécurité de la dictature en forçant l’ennemi à mobiliser ses troupes pour la défense de cette base de sustentation, sans qu’il sache jamais quand, où, comment il sera attaqué ;
c) Attaquer de toutes parts, avec beaucoup de petits groupes armés, bien compartimentés et même sans éléments de liaison, afin de disperser les forces gouvernementales. Plutôt que de donner à la dictature l’occasion de concentrer son appareil de répression en lui opposant une armée compacte, on se présentera avec une organisation très fragmentée sur tout le territoire national ;
d) Donner des preuves de combativité, de détermination, de persévérance et de fermeté afin d’entraîner tous les mécontents à suivre notre exemple, à employer, comme nous, les tactiques de la guérilla urbaine.
En procédant ainsi, la dictature devra envoyer des soldats garder les banques, les industries, les magasins d’armes, les casernes, les prisons, les bâtiments de l’administration, les stations de radio et de télévision, les firmes nord-américaines, les gazomètres, les raffineries de pétrole, les bateaux, les avions, les ports, les aéroports, les hôpitaux, les ambassades, les entrepôts d’alimentation, les résidences des ministres, des généraux et des autres personnalités du régime, les commissariats de police, etc.
e) Augmenter graduellement les troubles par le déclenchement d’une série interminable d’actions imprévisibles, forçant ainsi le pouvoir à maintenir le gros de ses troupes dans les villes, ce qui affaiblit la répression dans les campagnes ;
f) Obliger l’armée et la police, ses commandants, ses chefs et leurs subordonnés à quitter le confort et la tranquillité des casernes et de la routine et les maintenir dans un état d’alarme et de tension nerveuse permanentes, ou les attirer sur des pistes qui ne mènent nulle part ;
g) Éviter la lutte ouverte et les combats décisifs, en se limitant à des attaques surprises, rapides comme l’éclair ;
h) Assurer au guérillero urbain une très grande liberté de mouvement et d’action, pour qu’il puisse maintenir une cadence soutenue dans l’emploi de la violence, aider ainsi au déclenchement de la guérilla rurale et, postérieurement, à la formation de l’armée révolutionnaire de libération nationale.

4. Les modes d’action du guérillero

   Pour atteindre les objectifs énumérés ci-dessus, le guérillero urbain est obligé de recourir à des modes d’action les plus diversifiés possible, mais non pas arbitrairement choisis.

   Certaines de ces actions sont simples ; d’autres, plus complexes.

   Aussi le guérillero qui débute devra-t-il suivre cette échelle allant du simple au compliqué. Avant d’entreprendre une mission, il doit considérer les moyens et les personnes dont il dispose pour l’accomplir. Il ne s’assurera la collaboration que de gens techniquement préparés. Ces précautions une fois prises, il pourra envisager les modes d’action suivants :
– L’attaque
– L’incursion ou invasion d’un lieu
– L’occupation d’un lieu
– Les embuscades
– Le combat tactique de rue
– La grève ou toute interruption de travail
– La désertion, le détournement ou l’ « expropriation » d’armes, de munitions et d’explosifs
– La libération de prisonniers
– La mise à mort
– L’enlèvement
– Le sabotage
– Le terrorisme
– La propagande armée
– La guerre des nerfs.

1. L’attaque

Certains raids doivent être réalisés de jour, par exemple quand il s’agit d’attaquer un fourgon postal ; d’autres, la nuit, lorsque c’est plus avantageux pour le guérillero. L’idéal serait que toutes les attaques aient lieu la nuit ; cela augmente l’effet de surprise et favorise la fuite.
On distingue les attaques contre des objectifs fixes, tels que les banques, les maisons de commerce, les casernes, les prisons, les stations de radio etc., des attaques contre des objectifs mobiles comme les voitures, les camions, les trains, les embarcations, les avions, etc. S’il s’avère difficile de détruire ces objectifs en mouvement, on cherchera à les arrêter, par exemple en dressant des barrages sur les routes, en tendant des embuscades.
Les véhicules lourds, les trains, les bateaux ancrés dans les ports, les avions peuvent être attaqués et leurs conducteurs ou pilotes maîtrisés par les guérilleros qui les dévieront de leur itinéraire.
Les raids contre des banques sont les modes d’action les plus populaires. Au Brésil, ils sont largement pratiqués ; nous en avons fait un peu une sorte d’examen d’entrée dans l’apprentissage de la technique de la guerre révolutionnaire. Au cours de ces attaques, on peut faire usage de techniques variées : enfermer le personnel de la banque dans les toilettes ou le faire asseoir sur le sol, immobiliser les soldats chargés de la garder, leur prendre leurs armes, tandis qu’on forcera le gérant à ouvrir le coffre-fort.
On peut, pour égarer la police, se déguiser ; et, dans la fuite, on tirera dans les pneus des véhicules qui chercheraient à prendre en chasse les guérilleros.
Le fait d’y installer des sonneries d’alarme ou d’autres moyens électroniques destinés à avertir la police n’empêche pas le guérillero de poursuivre ses opérations. Il emploiera, lui aussi, des moyens nouveaux, fera usage d’une puissance de feu croissante, sera entouré d’un plus grand nombre de compagnons et préparera l’attaque jusque dans les moindres détails.
Dans ce genre d’expropriations, les révolutionnaires souffrent d’une double concurrence:
– celle des bandits ;
– celle des contre-révolutionnaires de droite.
Ceci constitue un facteur de confusion pour la population. Le guérillero cherchera dès lors à l’éclairer sur le sens politique de son action, de deux façons:
– Il refusera de se comporter comme un bandit, c’est-à-dire d’abuser de la violence et de s’approprier de l’argent et des objets personnels des clients qui se trouveraient dans la banque.
– Il joindra, à l’expropriation, des actes de propagande, en écrivant sur les murs des slogans stigmatisant les classes dominantes et l’impérialisme, répandra des tracts, divulguera des circulaires énonçant les fins politiques qu’il poursuit.

2. Les incursions et les invasions

Les incursions et les invasions sont des attaques-éclairs pratiquées contre des bâtiments situés dans les quartiers périphériques et même dans le centre des villes. Certaines incursions auront de multiples buts : exproprier, exercer des représailles, délivrer des camarades prisonniers, détruire la logistique de l’ennemi et aussi le forcer à se déplacer, ou l’entraîner loin de ses bases.

   Certaines incursions auront pour objectif l’accaparement de documents ou de papiers secrets prouvant la corruption, les mauvaises actions, le trafic d’influence, les transactions criminelles passées avec des Nord-Américains dont sont coupables les hommes du gouvernement.

3. Les occupations de lieu

Un groupe de guérilleros urbains peut attaquer un lieu, s’y installer et résister à l’ennemi pendant un certain temps, afin de réaliser un acte de propagande.

   Les occupations d’écoles, de fabriques, ou d’une station de radio sont particulièrement importantes car elles ont une très grande répercussion. Mais comme le danger de perdre des hommes et du matériel est plus grand, on veillera à préparer soigneusement la retraite. De toute façon, plus on est rapide dans l’accomplissement de l’opération de propagande projetée, mieux ça vaut.

4. Les embuscades

Les embuscades sont des attaques réalisées par surprise. Elles consistent à attirer l’ennemi dans un piège, par exemple en lui adressant un faux appel au secours. Le but des embuscades est de punir l’ennemi de mort ou de lui prendre ses armes.

   Le guérillero franc-tireur peut facilement dresser des embuscades car il lui est aisé, puisqu’il est seul, de se cacher. Il peut se dissimuler sur les toits, à l’intérieur de certaines constructions, dans la nature.

5. Les combats tactiques de rue

Par les combats tactiques de rue, les guérilleros visent à s’allier la participation des masses contre l’ennemi. Au cours de l’année 1968, les étudiants brésiliens ont réussi à réaliser d’excellentes opérations tactiques, en lançant des milliers de manifestants dans les rues à sens unique et à l’encontre des voitures, en utilisant des lance-pierres et des billes de verre qu’ils répandaient entre les pattes des chevaux de la police montée.

   À part cela, on peut dresser des barricades, dépaver les chaussées, lancer, du haut des immeubles et des grattes-ciel, des bouteilles, des briques et autres projectiles.

   Il faut aussi savoir répondre aux attaques de l’ennemi. Lorsque la police avance, armée de boucliers, il faut se scinder en deux groupes, l’un attaquant par-devant et l’autre par-derrière, l’un se retirant quand l’autre lance ses projectiles.

   Lorsque les forces ennemies détachent un groupe de soldats ou de policiers pour encercler un ou plusieurs de nos camarades, nous devons, à notre tour, détacher un groupe plus important pour encercler ceux qui les encerclent.

   Lorsque l’ennemi encercle des écoles, des usines, des lieux de rassemblement de la population, les guérilleros urbains ne doivent jamais ni se rendre ni se laisser surprendre.
Dans ce but, ils auront soin, avant de pénétrer dans un de ces endroits, d’en étudier au préalable les issues possibles, les moyens de briser l’encerclement, et déterminer les points stratégiques et les chemins par où devront nécessairement passer les véhicules de la police. Ensuite, ils choisiront leurs propres points stratégiques, à partir desquels ils affronteront l’ennemi. Les chemins par où doivent passer les véhicules de la police seront minés.

   Les guérilleros n’organiseront aucune réunion, assemblée ou occupation en des lieux dépourvus de bonnes possibilités de fuite.

   C’est de cette façon que s’articule l’action des guérilleros urbains avec les mouvements de masses. Les guérilleros ont alors pour tâche d’encadrer, d’appuyer et de défendre les manifestations de masses.

   Contre ceux qui veulent assaillir les manifestants, ils tireront, incendieront les véhicules, séquestreront leurs occupants ou les fusilleront, en particulier les barbouzes et les chefs des polices parallèles qui, pour ne pas attirer l’attention, s’amènent dans des voitures particulières munies de fausses plaques.

   Une autre de leurs missions est d’orienter les manifestants et de faciliter leur fuite. Ils seront, d’autre part, aidés par les francs-tireurs qui leur donneront la meilleure couverture possible.

6. Les interruptions de travail

La grève intéresse avant tout ceux qui étudient ou ceux qui travaillent. Comme elle constitue pour les exploités un moyen de pression très redouté, l’ennemi cherchera à l’empêcher ou à la briser en multipliant, s’il le faut, sa puissance de feu. Il cherchera à frapper les grévistes, à les arrêter ou même à les tuer.

   Dans l’organisation des grèves, les guérilleros doivent donc procéder sans laisser le moindre indice pouvant mener à l’identification des responsables. Ils prépareront ces grèves, avec des petits groupes et dans le plus grand secret. Ils se muniront d’armes, d’explosifs, de cocktails Molotov et de bombes de fabrication artisanale afin de pouvoir affronter l’ennemi.

   Et pour que celui-ci soit gravement atteint, on aura aussi mis au point un plan de sabotage que l’on exécutera au bon moment. Les interruptions de travail ou d’études, pour brèves qu’elles soient, n’en inquiètent pas moins l’ennemi.

   Il suffit, en effet, que surgissent, de différents points d’un lieu, des groupes troublant le rythme de vie quotidien et opérant comme un mouvement de flux et de reflux, pour créer une agitation qui est, elle aussi, une opération de guérilla.

   Au cours de ces interruptions de travail, les guérilleros pourront occuper le local qui les intéresse afin d’y faire des prisonniers, d’emmener des personnes en otages, particulièrement des agents notoires de l’ennemi, afin de les échanger contre des grévistes détenus.

   Ces grèves peuvent également favoriser la préparation d’embuscades dans le but de liquider physiquement les policiers les plus sanguinaires et les responsables des tortures infligées aux patriotes.

7. Les désertions et les détournements ou « expropriations » d’armes, de munitions et d’explosifs

Les détournements d’armes sont pratiqués dans les casernes, sur les bateaux, dans les hôpitaux militaires, etc. Le guérillero urbain, qui est aussi soldat, caporal, sergent, sous-officier ou officier de l’armée, désertera au bon moment, emportant avec lui le plus d’armes possibles, les plus modernes, et des munitions qu’il mettra au service de la révolution.

   Un de ces « bons moments » se présente quand le soldat est appelé à quitter sa garnison pour aller combattre ses camarades guérilleros ; il lui sera alors plus facile de leur remettre ses armes, les véhicules qu’il conduit, ou l’avion qu’il pilote.

   Ce moyen d’approvisionnement offre un grand avantage : c’est avec les moyens de transport du gouvernement en place que, sans qu’ils se donnent beaucoup de peine, les guérilleros sont pourvus d’armes et de munitions.

   Les camarades qui sont militaires seront, de toute façon, attentifs à choisir d’autres occasions d’aider ainsi les révolutionnaires.

   Si ceux qui les commandent sont mous, versent dans le bureaucratisme, s’acquittent mal de leurs tâches, ils ne feront rien pour y remédier ; les camarades militaires se contenteront d’en aviser l’organisation révolutionnaire à laquelle ils sont liés et prépareront, seuls ou avec d’autres compagnons, leur désertion, non sans veiller à emporter tout ce qu’ils peuvent.
Les incursions de guérilleros à l’intérieur des casernes et autres bâtiments militaires, réalisées dans le but de dérober des armes, pourront être préparées avec la collaboration des camarades soldats.

   S’il n’est vraiment pas possible de déserter en emportant des armes, ces camarades devront alors se vouer au sabotage et faire exploser ou incendier des dépôts d’armes, d’explosifs et de munitions. Toutes ces activités affaiblissent et découragent fortement l’ennemi.

   Les guérilleros captureront encore des armes en saisissant celles que portent les sentinelles ou toute personne remplissant une mission de surveillance ou de répression. On procédera par la violence, ou par la surprise et l’astuce. Lorsqu’on désarme un ennemi, il faut toujours le fouiller afin de savoir s’il ne possède pas une autre arme cachée dont il pourrait se servir contre celui qui l’assaille.

   Dans la mesure où se multiplient le nombre de patriotes décidés à passer à l’action, ces captures d’armes se font de plus en plus nécessaires. Souvent, le guérillero commencera à lutter avec une arme qu’il aura achetée ou dérobée ; ensuite il lui faudra agir avec audace et esprit de décision ; notre force est celle de nos armes.

   Lors des attaques contre des banques, on saisira aussi systématiquement les armes des soldats de la garde civile chargés de les protéger ainsi que celles des gérants ou des trésoriers.

   Enfin, on pourra s’armer aux frais des commissariats de police, des magasins spécialisés dans la vente de ces objets et des fabriques d’armes, en opérant contre eux des raids. On dérobera aussi les explosifs dont on se sert dans les carrières.

8. La libération des prisonniers

Certaines actions à main armée sont destinées à délivrer des guérilleros des verrous. Tout révolutionnaire court le risque d’être, un jour, arrêté et condamné à de nombreuses années de détention. Son combat n’en sera pas pour autant terminé ; l’expérience de la prison sera un enrichissement et, en prison toujours, il devra continuer la lutte.

   Il cherchera d’abord à bien connaître le lieu de sa détention avant de pouvoir s’échapper rapidement et facilement, lorsque des camarades armés viendront le libérer.

   Aucune prison, qu’elle soit située dans une île du littoral, en ville ou à la campagne, ne peut être considérée comme inexpugnable (qu’on ne peut prendre d’assaut), face à l’astuce et à la puissance de feu des révolutionnaires.

   Le guérillero en liberté cherchera, lui, à connaître les établissements pénitentiaires de l’ennemi car il sait qu’y croupissent beaucoup de ses frères d’armes. C’est du travail du guérillero en liberté et du guérillero emprisonné que dépend le salut des prisonniers.
Les opérations pouvant y conduire sont les suivantes :
– Les mutineries à l’intérieur des maisons de correction, des colonies pénitencières, dans les îles réservées aux détenus, sur les navires-prisons ;
– Les attaques partant de l’extérieur ;
– Les attaques contre les trains et les véhicules de transport des prisonniers ;
– Les embuscades dressées contre les soldats ou les policiers chargés de les escorter.

9. La mise à mort

   Seront punis de mort des gens comme les espions américains, les agents de la dictature, les tortionnaires, les personnalités fascistes du gouvernement coupables de crimes et de poursuites contre les patriotes, les délateurs et les informateurs de la police. Ceux qui, de leur propre gré, se rendent à la police pour dénoncer des militants, fournir des renseignements, aider les enquêteurs, s’ils tombent sur des guérilleros, ceux-ci devront les abattre.

   Ces mises à mort sont des actions secrètes ; n’y participent que le plus petit nombre possible de guérilleros. Très souvent, un simple franc-tireur, patient et inconnu, qui agit dans la plus rigoureuse clandestinité et avec le plus grand sang-froid, pourra s’acquitter de cette tâche.

10. L’enlèvement

   On pourra kidnapper et détenir dans un endroit secret un agent de la police, un espion nord-américain, une personnalité politique ou un ennemi notoire et dangereux du mouvement révolutionnaire. On ne libérera la personne enlevée que lorsque les conditions formulées par les ravisseurs auront été remplies : la remise en liberté de révolutionnaires emprisonnés ou la suspension des tortures appliquées dans les geôles du gouvernement.
L’enlèvement de personnalités connues pour leurs activités artistiques, sportives ou autres, mais qui ne manifestent pas d’opinion politique, peut constituer une forme de propagande favorable aux révolutionnaires mais cet enlèvement ne se fera que dans des circonstances très spéciales et de telle sorte que le peuple l’accepte avec sympathie.

   L’enlèvement de personnalités américaines résidant au Brésil ou y venant en visite constitue une forme importante de protestation contre la pénétration de l’impérialisme des États-Unis dans notre pays.

11. Le sabotage

Le but des sabotages est de détruire. Peu de personnes, parfois une seule, peuvent réaliser ces opérations. Quand un guérillero envisage de saboter, il le fait d’abord seul.

   Postérieurement, il agira avec d’autres personnes de telle sorte que se généralise, parmi le peuple, cette pratique.

   Un sabotage bien fait exige étude, planification et parfaite exécution.

   Les formes les plus caractéristiques du sabotage sont le dynamitage, l’incendie et le minage. Un peu de sable, la moindre fuite de combustible, une lubrification mal faite, un boulon mal vissé, un court-circuit, des pièces de bois ou de fer mal agencées peuvent causer des désastres irréparables.

   En sabotant, on cherchera à affaiblir, détériorer ou même anéantir les appoints vitaux de l’ennemi tels que :
– L’économie du pays, en s’attaquant en particulier au réseau commercial interne et externe, aux secteurs cambiste, bancaire et fiscal ;
– La production agricole et industrielle ;
– Le système des transports et communications ;
– Le système de répression militaire et policier, surtout leurs établissements et leurs dépôts ;
– Les firmes et les biens des Nord-Américains établis dans le pays.

   Pour les opérations de sabotage industriel, les éléments les mieux placés sont les ouvriers. Ceux-ci connaissent en effet comme personne les fabriques dans lesquelles ils travaillent, les machines ou les pièces dont la destruction peut paralyser tout le processus de production.

   Dans les attaques contre les moyens de transport, il faut veiller à ne pas provoquer la mort des voyageurs, surtout en ce qui concerne les trains de banlieues et ceux qui parcourent de longues distances, puisque ceux qui les prennent sont des gens du peuple.
D’ailleurs, c’est avant tout les services de communication utilisés à des fins militaires qu’il faut détruire. Faire dérailler les wagons d’un train chargé de combustible signifie atteindre l’ennemi dans ce qui, pour lui, est vital. Il en va de même pour le dynamitage des ponts et chemin de fer, car il lui faudra des mois pour réparer les dommages causés. Les fils des lignes télégraphiques et téléphoniques pourront être systématiquement coupés et les centres de transmission détruits.

   Les oléoducs, les stocks de combustible, les réserves de munitions, les arsenaux, les casernes, les moyens de transport de la police et de l’armée doivent être systématiquement sabotés.

   Le volume des actes de sabotage contre les firmes et les biens nord-américains doit être égal, sinon supérieur, à celui des actes pratiquée contre des objectifs nationaux.

12. Le terrorisme

Nous entendons par terrorisme le recours aux attentats à la bombe. Ne pourront s’y livrer que ceux qui ont acquis une bonne connaissance technique dans la fabrication des explosifs et qui seront dotés du plus grand sang-froid. Parfois, on inclura dans les actes de terrorisme la destruction de vies humaines et l’incendie d’installations nord-américaines ou de certaines plantations.

   Si l’on envisage de piller des stocks de produits alimentaires, il faut veiller à ce que la population puisse en profiter, surtout dans les moments et aux endroits où sévissent la faim ou la cherté de la vie. Le guérillero sera toujours ouvert au terrorisme révolutionnaire.

13. La propagande armée

L’ensemble des actes perpétrés par les guérilleros urbains, et chaque action à main armée en particulier, constituent le travail de propagande armée.

   Les « médias de masse » d’aujourd’hui, par le simple fait de divulguer ce que font les révolutionnaires, sont d’importants instruments de propagande. Leur existence ne dispense cependant pas les militants d’organiser leur propre presse clandestine, de posséder leurs propres imprimantes qu’ils auront « réquisitionné » s’ils n’ont pas de quoi les acheter.

   Car il faut publier et répandre, parmi le peuple, des journaux clandestins, des manifestes et des tracts dénonçant les méfaits de la dictature ou favorisant l’agitation. L’existence de cette presse sert, par ailleurs, à rallier de nombreuses personnes à notre cause.

   Les camarades qui ont l’esprit inventif fabriqueront des catapultes destinées au lancement de ces tracts et manifestes. On cherchera encore à faire passer sur les antennes des stations de radio des messages révolutionnaires enregistrés sur bandes.

   On écrira aussi des slogans sur les murs et à des endroits difficilement accessibles. On enverra aussi des lettres de menaces, de propagande, ou bien visant à expliquer le sens de notre lutte à certaines personnalités qui chercheront à les divulguer pour impressionner la population.

   Comme on ne ralliera jamais tous les citoyens, on peut populariser le slogan suivant « Que celui qui ne veut rien faire pour la révolution ne fasse non plus rien contre elle. »

14. La guerre des nerfs

La guerre des nerfs, ou guerre psychologique, est une technique de lutte basée sur l’utilisation directe ou indirecte des médias ou du « téléphone arabe ». Son but est de démoraliser le gouvernement. On y arrive en divulguant des informations fausses, contradictoires, en semant le trouble, le doute et l’incertitude parmi les agents du régime. Dans la guerre psychologique, le gouvernement se trouve en position de faiblesse, aussi censure-t-il les moyens de communication. Cette censure se retourne contre lui, car il se rend impopulaire ; il lui faut par ailleurs exercer une surveillance sans relâche, ce qui mobilise beaucoup d’énergie.

   Les moyens de la guerre des nerfs sont les suivants :
– Le téléphone et l’envoi de lettres. Par ces moyens, on informera la police sur la prétendue localisation de bombes à retardement, sur des projets d’enlèvement ou d’assassinat de certaines personnalités, ce qui obligera les forces de répression à se mobiliser pour rien, à perdre du temps, à douter de tout ;
– Livrer à la police de faux plans d’attaque ;
– Répandre des rumeurs sans fondement ;
– Exploiter systématiquement la corruption, les erreurs et les méfaits de certains gouvernants, les forçant ainsi à se justifier ou à démentir les bruits répandus par les moyens de communication qu’ils ont eux-mêmes censurés. En informant les ambassades étrangères, l’O.N.U., la nonciature apostolique, les commissions internationales de juristes et des droits de l’homme, les associations chargées de défendre la liberté de la presse, sur la violence et les tortures exercées par les agents de la dictature.

5. Les méthodes qu’il faut suivre

   Le citoyen qui veut devenir guérillero ne pourra agir que s’il connait parfaitement les méthodes qu’il faut suivre. Les hors-la-loi commettent souvent sur ce point des erreurs graves et qui les perdent.

   Les patriotes auront donc soin d’user d’une technique révolutionnaire et non pas d’emprunter celle des bandits. C’est en fonction de la méthode employée qu’on saura si c’est bien un guérillero qui a commis tel ou tel acte. Les méthodes qu’il faut suivre sont constituées par l’usage ou l’application des éléments suivants :
– L’enquête et le service d’informations ;
– L’observation, qu’il convient de combiner avec ce qui précède pour voir s’il y a correspondance avec les renseignements cueillis ;
– L’exploration du terrain ;
– La reconnaissance et le chronométrage des itinéraires ;
– La planification ;
– La motorisation ;
– La sélection du personnel et son renouvellement ;
– La sélection basée sur les capacités de tir ;
– La simulation de l’action projetée en guise de répétition ;
– L’exécution ;
– La protection des exécutants ;
– La retraite ;
– L’enlèvement ou le transport des blessés, en évitant de le faire à bord de véhicules où se trouvent des enfants. Le mieux est d’emporter, à pied, les blessés, en empruntant des chemins assez étroits pour que l’ennemi ne puisse passer avec ses moyens de locomotion.
– Le brouillage des pistes ;

L’aide aux blessés

   Au cours des opérations de guérilla urbaine, il peut arriver qu’un des camarades soit victime d’un accident ou soit blessé par la police. Si, dans le « groupe de feu », se trouve quelqu’un qui est secouriste, il lui donnera les premiers soins.

   En ce sens, il faudra veiller à ce que des cours de secourisme soient organisés à l’intention des combattants. Le rôle des guérilleros médecins, étudiants en médecine, infirmiers, pharmaciens, est important. Ceux-ci pourront rédiger un petit manuel de secourisme à l’intention de leurs camarades.

   En aucun cas le guérillero blessé ne devra être abandonné sur le lieu du combat.

   Lorsqu’il préparera une opération, le groupe devra s’assurer un appoint médical. Il utilisera, par exemple, une petite infirmerie mobile montée à l’intérieur d’une automobile, ou il placera à un endroit proche du lieu de l’opération, un camarade muni d’une trousse pour les soins.

   L’idéal serait de disposer d’une clinique propre à l’organisation mais cela coûterait si cher qu’on ne pourrait guère l’envisager qu’en « expropriant » du matériel nécessaire à son équipement. En attendant, il faudra bien recourir aux cliniques légales, non sans faire usage des armes pour forcer les médecins à soigner nos blessés.

   Au cas où nous aurions besoin d’acheter du sang ou du plasma sanguin dans des banques de sang, il ne faudra jamais donner les adresses où sont hébergés les blessés ni celles des personnes chargées de s’en occuper. Ces adresses ne seront, du reste, connues que du très petit groupe chargé du transport et du traitement des blessés.

   Les linges, bandages, mouchoirs, etc. tachés de sang, les médicaments et tout autre objet ayant servi aux soins seront obligatoirement retirés des maisons par où sont passés les blessés.

La sécurité du guérillero

   Le guérillero urbain est sans cesse exposé à la dénonciation ou à la découverte par la police. Pour y parer, il doit s’entourer d’assez de garanties touchant sa cachette, sa personne et celle de ses camarades. Nos pires ennemis sont, en effet, les espions infiltrés dans nos rangs. On punira de mort ceux qui seront découverts, ainsi que les déserteurs qui se mettraient à renseigner la police sur ce qu’ils savent. Le meilleur moyen d’empêcher cette infiltration est la prudence et la sévérité que l’on observera dans le recrutement.

   On ne permettra pas non plus que tous les militants se connaissent ou qu’ils soient au courant de tout. Chacun ne saura que ce qui est nécessaire à l’accomplissement de sa mission. La lutte que nous menons est dure; c’est une lutte de classe et, comme telle, c’est une question de vie ou de mort, lorsque les classes qui s’affrontent sont antagoniques.
Par manque de vigilance, un guérillero peut avoir l’imprudence de révéler son adresse ou tout indication également secrète à un ennemi de classe. C’est là chose inadmissible.

Les annotations dans la marge des pages de journal, les documents oubliés, les cartes de visite, les lettres et les billets sont des indices que la police ne négligera pas. L’usage d’un carnet d’adresses, de papiers portant des numéros de téléphone, des noms, des indications biographiques, des cartes et des plans, doit être aboli. Les lieux de rendez-vous seront retenus de mémoire. Celui qui transgressera ces normes sera averti par le premier camarade qui s’en rendra compte; s’il persévère dans l’erreur, on cessera de travailler avec lui.

   Les mesures de sécurité à prendre pourront varier en fonction des mouvements de l’ennemi. Cela suppose, évidemment, que l’on soit bien renseigné, que le service d’information fonctionne normalement. Il sera dès lors utile de lire les journaux, en particulier la page qui rapporte les activités de la police.

   En cas d’arrestation, le guérillero ne pourra rien révéler qui puisse nuire à l’organisation, causer l’arrestation d’autres camarades ou la découverte des dépôts d’armes et de munitions.

Les sept erreurs du guérillero urbain

   Quand bien même le guérillero urbain suivrait rigoureusement les normes de sécurité, il n’en resterait pas moins sujet à l’erreur. Il n’y a pas de guérillero parfait ; on peut tout juste s’efforcer de diminuer la marge de ces erreurs.

   Nous en voyons sept que nous chercherons à combattre:
– L’inexpérience, qui fait que l’on juge l’ennemi stupide, que l’on sous-estime ses capacités, que l’on trouve les choses faciles à faire et, de ce fait, qu’on laisse des traces qui peuvent être fatales. Cette même inexpérience peut conduire le guérillero à surestimer les forces adverses. Son assurance, son esprit de décision, son audace s’en ressentiront ; il en sera plus facilement intimidé ;
– La vantardise, qui fait que l’on propage aux quatre vents ses faits d’armes ;
– La surestimation de la lutte urbaine. Ceux qui se laissent enivrer par les actes de guérilla dans les villes risquent de ne pas se préoccuper beaucoup du déclenchement de la guérilla rurale. Ils finissent par considérer la guérilla urbaine comme décisive et par y consacrer toutes les forces de l’organisation. La ville est susceptible d’être l’objet d’un encerclement stratégique, que nous ne pourrons éviter ou rompre que lorsque sera déclenchée la guérilla rurale. Tant que celle-ci n’aura pas surgi, l’ennemi pourra toujours nous porter des coups graves ;
– La disproportion dans l’action par rapport à l’infrastructure logistique existante ;
– La précipitation en vertu de laquelle on perd patience, on s’énerve et on passe à l’action au risque de subir les plus grosses pertes ;
– La témérité, qui fait que l’on attaque l’ennemi à un moment où celui-ci se fait particulièrement agressif ;
– L’improvisation ;

L’appui de la population

   Le guérillero urbain cherchera toujours à situer son action dans un sens favorable aux intérêts du peuple, afin d’obtenir son appui.

   Là où apparaîtront l’ineptie et la corruption du gouvernement, le guérillero urbain devra montrer que c’est cela qu’il combat.

   Ainsi, une des exigences les plus lourdes du gouvernement actuel concerne la perception d’impôts très élevés. Le guérillero s’attachera dès lors à attaquer le système fiscal de la dictature, et à entraver, avec tout le poids de la violence révolutionnaire, son fonctionnement.

   Il n’épargnera pas les hommes et les institutions du régime responsables de la hausse du coût de la vie, les riches commerçants brésiliens et étrangers, les grands propriétaires, tous ceux qui, grâce à la cherté de la vie, aux mauvais salaires et à l’augmentation des loyers, font de fabuleux bénéfices.

   L’insistance que met le guérillero à intercéder en faveur du peuple est la meilleure manière d’obtenir son appui. À partir du moment où une bonne partie des citoyens commence à prendre au sérieux son action, la victoire lui est assurée.

   Le gouvernement ne pourra plus qu’intensifier la répression, ce qui rendra la vie des citoyens plus insupportable. Les foyers seront violés, des battues de police organisées, des innocents arrêtés, des voies de communication fermées.

   La terreur policière s’installera, les assassinats politiques se multiplieront ; ce sera la persécution politique massive.

   La population refusera de collaborer avec les autorités qui ne pourront plus, pour vaincre les difficultés, que recourir à la liquidation physique des opposants.

   La situation politique du pays se transformera en situation militaire et les « gorilles »passeront pour être les responsables de toutes les violences, des erreurs et des calamités qui pèsent sur le peuple.

   Lorsqu’ils verront qu’en conséquence du développement de la guerre révolutionnaire, les militaires de la dictature roulent vers l’abîme, les éternels temporisateurs des classes dominantes et les opportunistes de droite, partisans de la lutte pacifique, supplieront les « gorilles » d’entamer le processus de « redémocratisation », de réformer la constitution, etc. afin de tromper les masses et d’affaiblir l’impact de la révolution. D’ores et déjà, cependant, aux yeux du peuple, les élections ne seront plus qu’une farce.

   Et cette farce, le guérillero urbain doit la combattre en redoublant de violence et d’agressivité. En agissant ainsi, on empêchera la réouverture du Congrès, la réorganisation des partis, celui du gouvernement et celui de l’opposition tolérée, qui dépendent du bon plaisir de la dictature et dont les représentants sont comme les marionnettes d’un même guignol.

   C’est de cette façon que les guérilleros gagneront l’appui des masses, renverseront la dictature et secoueront le joug nord-américain. À partir de la rébellion dans les villes, on arrivera vite à déclencher la guérilla rurale dont la préparation dépend de la lutte urbaine.

La guérilla urbaine, école de formation du guérillero

   La révolution est un phénomène social qui dépend des armes et des fonds. Ceux-ci existent dans le pays ; il suffit d’avoir des hommes pour s’en emparer. Ces hommes devront, pour leur part, être dotés de deux exigences révolutionnaires fondamentales:
– Une forte motivation politique ;
– Une bonne préparation technique.

   On les trouvera dans l’immense contingent des ennemis de la dictature militaire et de l’impérialisme des États-Unis. Il en arrive presque quotidiennement qui sont désireux de s’intégrer dans la guérilla urbaine.

   C’est ce qui explique que chaque fois que la réaction annonce la liquidation d’un groupe de révolutionnaires, celui-ci renaît de ses cendres.

   Les hommes les mieux entraînés, les plus riches d’expérience tant sur le plan de la guérilla urbaine que sur celui de la guérilla rurale, constituent l’épine dorsale de la guerre révolutionnaire et le point de départ de la future armée de libération nationale.

   Ce noyau central, dont les membres n’ont rien à voir avec les bureaucrates et les opportunistes des lourds appareils politiques, les radoteurs et les signataires de motions, n’hésite pas à participer aux actions révolutionnaires. Il est armée d’une discipline solide, d’une vue tactique et stratégique à long terme, de la théorie marxiste, du léninisme et du castro-guévarisme appliqués aux conditions concrètes de la réalité brésilienne.

   De ce groupe se détacheront les hommes et les femmes d’excellente formation politico-militaire qui, après la victoire de la révolution, auront pour tâche de construire la nouvelle société brésilienne.

   Ces hommes et ces femmes se recruteront parmi les ouvriers, les étudiants, les intellectuels, les prêtres et les religieux révolutionnaires, les paysans qui affluent vers les villes, attirés par le besoin de trouver du travail et qui, politisés et entraîné, retourneront dans les campagnes. Et c’est dans la guérilla urbaine que se forgera l’alliance armée de ces différents groupes.

   Les ouvriers connaissent bien le secteur industriel des villes qu’il s’agit d’attaquer. Les paysans connaissent d’instinct la terre, sont astucieux et peuvent admirablement communiquer avec la multitude des humiliés.

   Ils organisent les points d’appui nécessaires à la lutte dans les campagnes, aménagent les cachettes pour les hommes, les armes et les munitions, constituent des réserves alimentaires à partir de la culture des céréales, s’occupent du bétail qui nourrira les guérilleros, forment des guides et organisent les services d’information.

   Les étudiants, dont le tranchant est bien connu, renversent à souhait les tabous pacifistes et opportunistes, acquièrent en peu de temps une bonne formation politique, technique et militaire.

   Et comme ils n’ont pas grand-chose à faire, une fois qu’ils ont été expulsés des écoles où ils étudiaient, ils peuvent se consacrer entièrement à la révolution. Les intellectuels jouent un rôle fondamental dans la lutte contre l’arbitraire, l’injustice sociale et l’inhumanité de la dictature. Jouissant d’un grand prestige et d’un grand pouvoir de communication, ils entretiennent la flamme révolutionnaire.

   La participation d’intellectuels et d’artistes à la guérilla urbaine est un des plus beaux acquis de la Révolution brésilienne.

   L’adhésion de pasteurs de diverses confessions et de religieux est importante sur le plan de la communication avec le peuple et, en particulier, avec les ouvriers, les paysans et les femmes du pays. Certaines de nos concitoyennes, intégrées dans la guérilla urbaine, ont fait preuve d’une combativité et d’une ténacité extraordinaires, en particulier au cours d’attaque contre des banques et des casernes et, aussi, en prison.

   La guérilla urbaine est une excellente école de formation. Qu’ils soient chauffeurs, messagers, tireurs d’élite, informateurs, propagandistes ou saboteurs, les guérilleros luttent, souffrent, et courent ensemble les mêmes risques. Ils affrontent ensemble les épreuves de sélection.

Carlos Marighella
Action de Libération Nationale
juin 1969

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