L’Inde est la plus grande non-démocratie

L’Inde est la plus grande non-démocratie

G.N. Saibaba

2011

   (De New Delhi) Il enseigne la littérature à la Delhi university. Bien loin de la guérilla maoïste implantée au cœur de l’Inde rurale et tribale, ceux que l’on appelle les Naxalites, du nom du village de Naxalbari où une première révolte paysanne eu lieu en 1967.

   G.N. Saïbaba fait pourtant partie des anti-impérialistes indiens qui comprennent les causes de l’insurrection. Cet intellectuel préfère se présenter comme un « activiste social ». Vice-président du Front révolutionnaire démocratique indien, il n’a pas de liens publics directs avec les rebelles ou avec le Parti communiste d’Inde-maoïste (CPI-maoist), classé parmi les organisations terroristes.

   S’il tient un discours emprunt d’idéologie, il décrit néanmoins avec justesse la réalité de l’Inde rurale où les expropriations et la corruption jettent les paysans dans les bras des insurgés. Il dénonce aussi avec virulence la répression massive de l’opération « Green Hunt ».

   Alors que j’effectuais un reportage en Inde, G.N. Saïbaba m’a reçu chez lui pour exposer les raisons d’une véritable guerre civile, qui a fait plus de 1 100 morts l’an dernier et qui représente, selon le Premier ministre Manmohan Singh, « la plus grave menace intérieure ».

   Christophe Payet : L’Inde est souvent qualifiée de « plus grande démocratie du monde ». Qu’en pensez-vous ?

   G.N. Saïbaba  : Il n’y a pas de démocratie en Inde. Ce n’est qu’une façade. Il y a des institutions, mais elles sont toutes vides, y compris le Parlement. Nous devons construire une démocratie authentique dans ce pays. Le peuple doit pouvoir prendre les décisions.

   L’Inde est aujourd’hui peuplée de plus de 80% de pauvres. Ils n’ont pas d’éducation, sont sans-abri. Il y a pourtant d’importantes ressources. Mais tout est confisqué par la poignée de gens qui dirige le pays. En réalité, c’est la plus grande non-démocratie.

   Votre combat se focalise notamment autour de la propriété des terres…

   Oui, c’est le plus grand problème auquel fait face l’Inde aujourd’hui. Le peuple ne contrôle pas les ressources. Seulement 10% de la population possède 80% du sol. Les ressources minérales, les forêts, l’eau sont concentrées entre quelques mains.

   Au cours des cinq dernières années, la prise de contrôle s’est intensifiée. De grandes multinationales ont signé d’importants contrats d’exploitation minière. Avec les zones économiques spéciales, ce sont de véritables territoires étrangers qui sont créés au cœur de l’Inde.

   Les gens sont expulsés de leurs terres. Alors ils résistent. Un vaste mouvement est en train de se mettre en place. La plupart du temps, les gens ont réussi à s’opposer à l’implantation de ces entreprises. Mais le gouvernement essaie de tuer ce peuple qui résiste en déployant d’importantes forces armées, paramilitaires et forces de police spéciales.

   La majorité de l’armée indienne est aujourd’hui déployée contre le peuple indien. Il y a une guerre civile. Le peuple d’un côté, les dirigeants de l’autre.

   Pensez-vous pouvoir gagner cette guerre ?

   Le peuple a déjà gagné dans certaines zones. La plupart des grands projets industriels menées par de grandes firmes multinationales sont mis à mal par la résistance populaire. A Singur, dans le Bengale-Occidental, l’expropriation de centaines d’hectares de terre a du être abandonnée face aux protestations.

   Dans l’Orissa, Vedenta a dû renoncer à étendre sa raffinerie d’aluminium. C’est aujourd’hui Posco qui voit son projet d’usine métallurgique bloqué. Et il y a des centaines d’exemples partout. Pour la première fois dans le monde, les expulsions et déplacements de populations sont stoppées avec beaucoup de succès.

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   La guerre est plus intensive dans les Etats du Chhattisgarh, l’Orissa, le Jharkhand, une partie du Bengal, du Maharashtra, et de l’Andhra Pradesh. Cela correspond à l’est et au centre du pays, où 90% des ressources sont situées. Ce sont les zones tribales. Les maoïstes y sont très présents, pour organiser les masses. Avec ou sans les eux, le peuple se bat.

   Mais dans la plupart de ces régions, les maoïstes progressent. Et là où ils sont, le combat devient plus intense. On peut dire qu’un tiers environ de ce pays est directement ou indirectement sous l’influence du mouvement révolutionnaire. La guerre civile est déjà gagnée dans des endroits importants.

   Mais le CPI-maoist est classé parmi les organisations terroristes…

   Pour le gouvernement et les partis au pouvoir, quiconque résiste est un terroriste. Ils ont interdit toutes les organisations qui se battent. Les musulmans, les adivasis [aborigènes indiens, ndlr] sont considérés comme des terroristes. Les maoïstes ne sont pas des terroristes, car ils ne tuent pas indistinctement. Ils travaillent pour le peuple. Ils sont en train de devenir le plus grand instrument d’auto-organisation du peuple.

   De toutes façons, l’interdiction du parti ne peut être appliquée que dans les villes. Là où les maoïstes sont puissants et là où l’armée du peuple est présente, l’interdiction est inefficace. Dans certaines régions, comme dans le Chhattisgarh ou le Jharkhand, ce sont les conseils populaires révolutionnaires qui dirigent.

   Avec le lancement de l’opération « Green Hunt », le déploiement militaire ne semble pourtant pas ouvrir la voie d’une victoire maoïste ?

   Selon les estimations non officielles, il y a 250 000 hommes des forces spéciales déployés contre les adivasis et les maoïstes. Cela en fait la plus grande force armée déployée contre le peuple. Le gouvernement indien a militarisé une grande partie de l’Inde. Au Cashemire, dans le centre et dans l’est, c’est l’armée qui est réellement au pouvoir.

   C’est une longue longue bataille. Des maoïstes sont tués chaque jour. Mais le mouvement prend de l’ampleur. Les maoïstes gardent le dessus. Après que l’opération « Green Hunt » ait été lancée, l’influence maoïste a augmenté. Elle se développe dans de nouvelles régions. L’opération « Green Hunt » est en train d’échouer. Les brutalités des forces paramilitaires créent plus de résistance. Nous sommes dans une situation où le gouvernement indien ne peut plus gagner.

   Les maoïstes parviennent-ils à s’implanter en milieu urbain ?

   Les maoïstes ont une stratégie : s’implanter dans les régions rurales. C’est là que l’Etat indien est le moins présent. La paysannerie constitue la principale force de combat pour les maoïstes. Ils se développent aussi dans les aires urbaines de manière croissante. Mais c’est moins visible, car ils se s’y battent pas avec des armes. Ils n’agissent pas sous le nom de maoïstes, et doivent utiliser des couvertures. Mais ils agissent pour mobiliser politiquement les classes de travailleurs.

   Quelle est la priorité : la prise du pouvoir ou le bien-être des populations tribales ?

   La priorité est d’organiser la paysannerie en force de combat. Sans l’armée du peuple, la lutte politique ne peut pas avancer. Bien sûr c’est l’avancée politique qui reste l’objectif central. Mais comme le mouvement politique est violemment étouffé, l’armée du peuple doit pouvoir se battre.

   Est-ce que la guérilla ne pénalise finalement pas les paysans, premières victimes de la lutte anti-maoïste ?

   Il est vrai que les militaires tuent les paysans au nom de la lutte anti-maoistes. Ils brûlent des villages, violent les femmes, torturent, coupent les lèvres. Mais il n’y a plus d’autre option pour le peuple aujourd’hui. Les habitants des zones rurales ne voient plus l’Etat comme quelque chose qui pourrait les aider. Le parti maoïste devient le seul protecteur.

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