Sur la guerre populaire et les négociations de paix

Vive l’esprit révolutionnaire du martyr et héros Thomas Sankara

Jose Maria Sison

20 septembre 2009

   Interview by Roselle Valerio, Liberation International

   1. Nous vous remercions de nous accorder cette interview en votre qualité de consultant politique principal du groupe de négociation du Front National Démocratique des Philippines (NDFP). Je voudrais poser quelques questions sur l’état et les perspectives de la guerre du peuple et les négociations de paix du NDFP avec le Gouvernement de la République des Philippines (GRP). Mais d’abord, permettez-moi de vous demander, quelle est votre situation personnelle actuelle en exil, en tant que réfugié politique ?

   JMS : Je prends au sérieux et profite de mon rôle en tant que consultant politique principal du groupe NDFP de négociation, et en tant que président de la Ligue Internationale de la Lutte des Peuples. Je fais beaucoup de recherche, j’écris et je parle devant différents types de publics. Je parviens à parler à travers Skype, Yahoo Messenger et autres méthodes de vidéo-conférence, à des publics aux États-Unis et d’autres pays qui refusent de me donner le visa.

   Je suis sur la liste noire du terrorisme de l’Union européenne et d’autres gouvernements, et j’ai été arrêtés sur des accusations fausses fournies par le régime Arroyo. Je suis interdit d’emploi salarié et je suis privé de prestations sociales. Je dois emprunter de l’argent afin de survivre. Mais mes détracteurs me dépeignent toujours en bon-vivant chaque fois qu’ils se procurent des photos de moi appréciant la compagnie de mes compatriotes et amis dans des rencontres sociales.

   2. Est-ce que le régime Arroyo, comme ils le prétend, est en mesure de détruire ou de réduire la Nouvelle armée populaire (NPA) en une force insignifiante avant le milieu de l’année prochaine ?

   JMS : Non. Même les plus hauts fonctionnaires et officiers de l’armée du régime admettent qu’ils ne peuvent pas détruire la NPA. L’intensité, la fréquence et l’échelle des offensives tactiques de la NPA démentent les affirmations de réussite militaire par les officiers les plus enragés de la guerre psychologique du régime. Le régime est préoccupé par l’aggravation de la crise et la montée en puissance de la NPA et d’autres forces révolutionnaires du peuple.

   3. Pourquoi le gouvernement Arroyo a échoué dans son objectif militaire de vaincre la NPA ?

   JMS: La politique anti-populaire d’asservissement à des intérêts étrangers, son caractère grand propriétaire et compradore, sa corruption bureaucratique et ses graves violations des droits de l’homme poussent le peuple à mener la révolution armée.

   L’aggravation de la crise du système capitaliste mondial et le système de gouvernement national sont les carburants de la guerre du peuple. Les masses laborieuses des ouvriers et des paysans et les couches sociales moyennes souffrent du chômage de masse, des faibles revenus, la flambée des prix des denrées de base, les services sociaux plus coûteux, et d’autres graves difficultés.

   Sous la direction du Parti communiste des Philippines (CPP), la NPA a poursuivi avec succès la ligne générale de la révolution de nouvelle démocratie par la guerre populaire prolongée, et est en train en ce moment même de mener une guérilla intensive et extensive sur la base d’un élargissement et d’un approfondissement permanent de la base de masse.

   4. Dans une récente interview avec le Wall Street Journal, vous avez dit qu’il y a environ 6.000 combattants de la Nouvelle Armée du Peuple. Est-ce toutes les forces armées de la NPA ?

   JMS : J’ai dit que la NPA doit avoir au moins 6000 combattants rouges avec des fusils automatiques, car, dès 1986, leur nombre était déjà de 6100. J’ai dit cela précisément pour contredire les estimations de la force de la NPA variant de 4800 à 5200 par les forces armées réactionnaires. J’ai également fait remarquer que le nombre de combattants de la NPA n’a jamais atteint 25.000 dans les années 1980.

   Le mouvement révolutionnaire ne donne pas publiquement le nombre exact de combattants de la NPA armés de fusils automatiques. Mais j’ose dire que la force armée NPA est bien supérieure à 6.000. Et elle n’est pas limitée aux milliers de combattants rouges avec des fusils automatiques.

   Elle est complétée par des dizaines de milliers de membres de la milice populaire, des centaines de milliers de membres des unités d’auto-défense des organisations de masse dans près de 10.000 barangays du pays.

   5. Mis à part la lutte armée, de quelle autre manière la NPA construit sa force politique ?

   JMS : C’est une question de notoriété publique que le NPA tire sa force politique du peuple en suscitant, en organisant et en mobilisant sur la ligne de la révolution de démocratie nouvelle, et en le servant de toutes les manières possibles et nécessaires. En termes très concrets et immédiats, la NPA tire sa force des organisations révolutionnaires de masse, des organes d’action politique et des forces alliées. Ceux-ci naissent et grandissent grâce aux travaux du CPP, de la NPA et du NDFP.

   6. Sur la base des informations dont vous disposez en tant que consultant politique principal du NDFP, quelle est votre opinion ou évaluation des plans de la direction du CPP pour faire avancer la guerre du peuple ?

   JMS : D’après ce que j’ai lu dans les publications du CPP, il est logique que le CPP vise à élargir le nombre actuel de fronts de guérilla à plus de 170, soit assez pour couvrir tous les districts ruraux au cours des prochaines années. Répondant à des exigences politiques et militaires, une telle expansion entraînerait certainement un grand progrès de la guerre du peuple et jetterait les bases d’un possible équilibre stratégique, voire d’une stratégie offensive dans les dix prochaines années.

   7. Si le CPP vise un grand progrès dans la guerre du peuple, pourquoi permet-il au NDFP d’engager des négociations de paix avec le Gouvernement de la République des Philippines (GRP) ? N’y a-t-il pas là une contradiction à cet égard ?

   JMS: Je ne pense pas qu’il y ait une contradiction en soi. Les négociations de paix se posent précisément grâce à la guerre du peuple. Quel que soit le rythme des négociations de paix, le GRP cherche à détruire le mouvement révolutionnaire armé du peuple et les forces révolutionnaires se défendent et font progresser la guerre du peuple.

   Les négociations de paix fournissent aux forces révolutionnaires la possibilité de diffuser leur juste cause de la lutte pour la libération nationale et la démocratie, et d’explorer les possibilités de réformes sociales, économiques et politiques de base. Même à la veille de la victoire révolutionnaire complète, les forces révolutionnaires peuvent s’engager dans des négociations de paix afin de faciliter la victoire.

   8. Quelles sont les chances pour la reprise des pourparlers formels dans les négociations de paix avant que Gloria Arroyo quitte le pouvoir en 2010 ? Qu’est-ce qui peut être accompli avant cette date ?

   JMS : Le régime Arroyo a refusé de respecter et de se conformer à l’accord conjoint sur les garanties de sécurité et d’immunité (JASIG). Il continue d’utiliser de fausses accusations, les enlèvements, les détentions, la torture et l’assassinat des membres du NDFP, consultants, membres du personnel et d’autres gens protégés par le JASIG. En outre, il cherche à miner et à supprimer le JASIG et tous les autres accords bilatéraux entre le GRP et le NDFP depuis 1992.

   Il considère les négociations de paix comme un complément mineur de Oplan Bantay Laya. Il cherche à écraser le mouvement révolutionnaire du peuple par la force militaire et la tromperie dans les négociations de paix. Il est obsédé par imposer le cadre du désarmement, de démobilisation et de réintégration au NDFP. Il cherche également à mettre la priorité sur la question de la cessation des hostilités et éluder les questions des réformes sociales, économiques et politiques dans l’agenda des négociations de paix.

   Si seulement le régime était d’accord pour reprendre les négociations formelles et se conformer aux obligations stipulées par les accords précédents, il serait toujours possible d’avancer d’une manière importante vers un accord global sur les réformes sociales et économiques et pour améliorer la situation des droits humains aux Philippines. Mais le régime est évidemment déterminés à entrer dans l’histoire des Philippines comme un régime détesté marionnette de l’impérialisme américain, de corruption effrénée, et de flagrantes et systématiques violations des droits humains.

   9. Pensez-vous que le prochain gouvernement serait prêt à négocier avec le NDFP ?

   JMS : Je le crois. La crise du système dirigeant est devenue pire. Plus que jamais, le peuple exige des négociations de paix en même temps qu’il exige l’avancée du mouvement révolutionnaire, en particulier parce que les négociations de paix n’ont pas encore abouti à d’importantes réformes à son profit. Le peuple réclame des réformes fondamentales pour réaliser une paix juste et durable, que ce soit par la guerre du peuple et / ou des négociations de paix.

   10. Est-il possible que la NPA et la guerre du peuple soient un jour devenus si fort que ceux de la GRP choisiraient de négocier la paix plus sérieusement que maintenant ?

   JMS : Tout comme il est possible pour le mouvement révolutionnaire du peuple de remporter une victoire complète dans les dix prochaines années, il est également possible pour les sections patriotiques et progressistes du gouvernement réactionnaire de chercher à négocier la paix et d’accepter une concorde historique d’unité nationale et de paix juste contre la domination étrangère et féodale.

   Une telle concorde historique doit respecter, défendre et promouvoir l’indépendance nationale, la démocratie par le pouvoir du peuple travailleur, la justice sociale, le développement par l’industrialisation nationale et la réforme agraire, une culture nationale, scientifique et de masse, et la solidarité internationale pour la paix et le développement.

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