Dialectique de la nature
Friedrich Engels
Préfaces
Notes du traducteur
Le texte que nous présentons a été traduit d’après l’édition MEGA (Marx-Engels Gesamtausgabe) de 1935, publiée par l’Institut Marx-Engels-Lénine, à Moscou. Mais nous avons suivi, dans la disposition des matériaux, le plan de l’édition russe de 1948, avec laquelle nous avons confronté le texte allemand et dont nous avons extrait la Préface placée en tête du volume. L’ouvrage était sous presse quand parut à Berlin (Dietz Verlag, 1952) une édition allemande reproduisant exactement, dans la langue de l’original, l’édition soviétique de 1948. Nous avons donc procédé à une révision complète de notre traduction sur la base de ce texte, qui constitue maintenant l’édition définitive. Nous avons emprunté à la traduction soviétique la plus grande partie de l’appareil scientifique. Ce sont les notes marquées des sigles (O.G.I.Z.) et (O.G.I.Z., Obs.). Quant aux notes signées (N.R.), elles ont été établies avec la collaboration de Mme Jeanne Lévy et de MM. Kahane, Labérenne, Nigon, Schatzman et Vassails. Qu’ils en soient ici publiquement remerciés. On trouvera en fin de volume une table chronologique des fragments et des chapitres, ainsi qu’un index des noms et des matières.
Émile Bottigelli
Préface
Au cours de toute leur vie, Marx et Engels ont suivi avec attention l’évolution de la science de la nature, accomplissant la généralisation philosophique de ses résultats et éclairant ceux-ci du Point de vue de la théorie du matérialisme dialectique. Les questions de la théorie de la science occupent une Place éminente dans un ouvrage de la littérature marxiste aussi important que l’Anti-Dühring d’Engels, où se trouve un exposé développé des fondements de la doctrine de Marx. On rencontre dans toute une série d’autres ouvrages des deux maîtres, compris dans l’œuvre principale de Marx : Le Capital, une foule d’observations sur les problèmes des sciences de la nature. La correspondance de Marx et d’Engels révèle aussi la grande attention que tous deux apportaient aux questions scientifiques. Mais l’exposé le plus développé, embrassant toutes les branches essentielles de la science de la nature et des mathématiques, Engels l’a donné dans sa Dialectique de la nature, œuvre restée inachevée mats remarquable par sa richesse de pensée, à laquelle il a travaillé en étroit contact avec Marx.
La correspondance de Marx et d’Engels révèle que, dès 1873, Engels envisageait d’écrire un grand travail sur la dialectique dans la nature. Dans une lettre à Marx du 30 mai 1873, il fait part à son ami de ses pensées sur la science de la nature. Il y formule déjà trois idées fondamentales de sa Dialectique de la nature : 1) l’indissolubilité de la matière et du mouvement (le mouvement est une forme d’existence de la matière) ; 2) les formes qualitativement différentes du mouvement et les diverses sciences qui les étudient (mécanique, physique, chimie, biologie) ; 3) le passage dialectique d’une forme du mouvement à l’autre et Par suite il une science à l’autre. Il termine sa lettre en disant que l’élaboration de ces idées « demandera encore beaucoup de temps ».
Voici le texte de la lettre du 30 mai 1873 :
30 mai 1873. Cher Maure, Voici les idées dialectiques qui me sont venues ce matin au lit à propos des sciences de la nature : Objet de la science de la nature : la matière en mouvement, les corps. Les corps sont inséparables du mouvement ; leurs formes et leurs espèces ne se reconnaissent qu’en lui ; il n’y a rien à dire des corps en dehors du mouvement, en dehors de toute relation avec d’autres corps. Ce n’est que dans le mouvement que le corps montre ce qu’il est. La science de la nature connaît donc les corps en les considérant dans leur rapport réciproque, dans le mouvement. La connaissance des diverses formes du mouvement est la connaissance des corps. L’étude des différentes formes du mouvement est donc l’objet essentiel de la science de la nature.
1. La forme du mouvement la plus simple est le changement de lieu (dans le temps, pour faire plaisir au vieil Hegel) : le mouvement mécanique.
a) Le mouvement d’un corps isolé n’existe pas ; à parler relativement, la chute peut cependant en faire figure. Mouvement vers un centre commun à de nombreux corps. Cependant, dès que le mouvement d’un corps doit s’effectuer dans une direction autre que celle du centre, ce corps tombe toujours. il est vrai, sous les lois de la chute, mais celles-ci se modifient .
b) en lois de la trajectoire et mènent directement au mouvement réciproque de plusieurs corps ; mouvement planétaire, etc., astronomie, équilibre (temporaire ou apparemment dans le mouvement lui-même). Mais, en fin de compte, le résultat réel de ce genre de mouvement est toujours.. le contact des corps en mouvement : ils tombent l’un sur l’autre.
c) Mécanique du contact : corps en contact. Mécanique courante, levier, plan incliné, etc. Mais le contact n’épuise pas par là ses effets. Il se manifeste directement sous deux formes : frottement et choc. Tous deux ont la propriété de produire, à un certain degré d’intensité et dans des conditions déterminées, des effets nouveaux qui ne sont plus purement mécaniques : chaleur, lumière, électricité, magnétisme.
2. La physique proprement dite, science de ces formes du mouvement qui, après l’étude de chacun d’eux, constate que, sous certaines conditions, ils se convertissent l’un en l’autre et qui trouve en fin de compte que, à un degré d’intensité déterminé, variable selon les corps en mouvement, ils produisent des effets qui dépassent le domaine de la physique, des modifications de la structure interne du corps : des effets chimiques.
3. La chimie. Pour l’étude des formes précédentes du mouvement, il était plus ou moins indifférent qu’ils s’opèrent sur des corps vivants ou inertes. Les corps inertes faisaient même apparaître les phénomènes dans leur pureté la plus grande. Par contre, la chimie ne peut connaître la nature chimique des corps les plus importants que sur des substances issues du processus de la vie , sa tâche essentielle sera de plus en plus de produire artificiellement ces substances. Elle constitue le passage à la science de l’organisme, mais le passage dialectique ne pourra être établi que lorsque la chimie aura effectué le passage réel ou sera sur le point de l’effectuer .
4. L’organisme. Sur ce point, je ne me hasarderai pour l’instant à aucune dialectique.
Comme tu es au centre des sciences de la nature, c’est toi qui seras le mieux en mesure de juger ce que cela vaut.
Ton F. E.
Si vous croyez que cela vaut quelque chose, n’en parlez pas afin que quelque diable d’Anglais ne me vole pas la chose : l’élaboration demandera encore beaucoup de temps. (N.R.)
Le contenu de cette lettre correspond presque intégralement à l’un des fragments englobés dans Dialectique de la nature, à savoir celui qui Porte le titre : « Dialectique de la science de la nature ». Sur la même feuille que ce fragment et le Précédant immédiatement, on trouve le brouillon de l’esquisse du travail qu’Engels projetait contre Büchner et d’autres représentants du matérialisme vulgaire. Cette esquisse, rédigée, selon toute vraisemblance, peu de temps avant le fragment : « Dialectique de la science de la nature », fait apparaître ce qu’était le plan primitif d’Engels : montrer, sous la forme d’une critique du matérialisme vulgaire et sur la base de la science la plus moderne : 1) la contradiction entre le mode de pensée métaphysique et le mode de pensée dialectique et 2) la contradiction entre la dialectique mystifiée, idéaliste de Hegel et la « dialectique rationnelle » du matérialisme Philosophique. Avec cela, Engels souligne tout particulièrement dans son esquisse que, Pour la science de son temps, « la dialectique dépouillée du mysticisme devient une absolue nécessité ». De la sorte, on est tout à fait fondé à penser qu’au début de 1873 Engels envisageait d’écrire une sorte d’ « Anti-Büchner » où il aurait étudié les questions de la dialectique de la science de la nature et soumis à la critique les défauts du matérialisme vulgaire de Büchner, ainsi que sa « prétention d’appliquer à la société la théorie des sciences de la nature et de réformer le socialisme ».
D’après les manuscrits laissés par Engels, on peut voir que, peu après, il abandonnait son Projet de travail contre Büchner, mais n’en continuait pas moins à rassembler, avec une ardeur redoublée, des matériaux sur la dialectique dans la science de la nature et les mathématiques. Il commença à rédiger des esquisses Préliminaires Pour sa Dialectique de la nature et, en 1875-76, il avait déjà élaboré presque définitivement la grande « Introduction » à son œuvre. Cependant, peu après, Engels s’orienta vers un autre grand travail : la critique des écrits de Dühring, en utilisant également ses matériaux sur la dialectique de la nature. Les intérêts du parti du prolétariat révolutionnaire exigeaient la réfutation des théories de Dühring, variété nouvelle de l’utopisme philistin sous sa forme la plus réactionnaire, spécifiquement prussienne, qui menaçait de répandre les vues du socialisme petit-bourgeois dans les rangs de la social-démocratie allemande. Après avoir terminé l’Anti-Dühring (juin 1878), Engels revint à son travail sur la dialectique de la nature : il en esquissa le plan d’ensemble et rédigea quelques chapitres plus ou moins définitifs, ainsi qu’une foule de notes préliminaires. Le 23 novembre 1882, il écrivit à Marx que, maintenant, il devait terminer sa Dialectique de la nature. Mais la mort de Marx (14 mars 1883) l’obligea à interrompre son travail et à s’occuper, comme il le mentionne dans sa Préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, « de devoirs plus pressants ».
« J’ai le devoir de préparer pour l’impression les manuscrits laissés par Marx, et cela est beaucoup plus important que toute autre occupation. ((Anti-Dühring. (N.R) )) »
En outre, après la mort de Marx, tout le travail de direction du mouvement ouvrier international retomba sur Engels, et cela lui prenait beaucoup de temps. Il en résulta que le travail qu’il projetait sur la dialectique de la nature ne tut pas mené à son achèvement et que les matériaux qu’il avait réussi à rédiger sur ce thème ne jurent pas même mis systématiquement en forme. Dans la Préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, Engels a écrit qu’il n’abandonnait pas l’espoir que quelque occasion à venir lui permît de rassembler et de publier les résultats obtenus, « peut-être avec les manuscrits mathématiques extrêmement importants laissés par Marx ((Anti-Dühring. (N.R) )) ». Mais il n’a pu y parvenir.
Après la mort d’Engels (5 août 1895), sa Dialectique de la nature ainsi que ses autres manuscrits sont tombés entre les mains des chefs opportunistes de la socialdémocratie allemande, qui, pendant des dizaines d’années, ont criminellement tenu sous le boisseau ce travail extrêmement précieux et continuent à l’y tenir à l’heure actuelle. Dialectique de la nature fut publiée pour la première fois en U.R.S.S. d’après les photocopies des manuscrits. Elle fut éditée à Moscou en 1925 en langue allemande parallèlement à la traduction russe. Cependant cette édition était, du point de vue scientifique, tout à fait défectueuse. Le déchiffrage du manuscrit d’Engels avait été fait avec une extrême négligence, et toute une série de passages, au nombre desquels des passages concernant les bases mêmes des conceptions théoriques d’Engels, étaient absolument défigurés. La traduction russe fourmillait d’erreurs et d’altérations. Enfin la disposition des chapitres composant Dialectique de la nature était présentée dans un désordre si chaotique que cela en rendait très difficile la lecture et l’étude.
En 1927 Parut la deuxième édition de Dialectique de la nature en langue allemande et en 1929 la deuxième édition russe. Dans ces éditions, quelques erreurs de déchiffrage avaient été éliminées, mais tous les défauts fondamentaux de l’édition de 1925 subsistaient. Toutes les éditions russes de Dialectique de la nature qui suivirent (y compris celle du tome XIV des Oeuvres de Marx-Engels) ((C’est-à-dire l’édition russe des Œuvres de Marx-Engels)) reproduisent presque sans changement le texte de l’édition russe de 1929. En 1935, l’Institut Marx-Engels-Lénine publia une nouvelle édition de Dialectique de la nature dans la langue de l’original. (Marx-Engels Gesamtausgabe. Friedrich Engels : Herrn Eugen Dühring Umwälzung der Wissenchaft – Dialektik der Natur – Sonderausgabe zum vierzigsten Todestage von Friedrich Engels. Moskau-Leningrad, 1935, édition que nous désignons dans la suite par MEGA). Cette édition marquait un certain progrès, tant au point de vue du soin mis à déchiffrer le manuscrit qu’à celui de la disposition plus correcte des matériaux. Cependant elle n’était pas exemple de tout défaut essentiel sous ces deux rapports, non plus qu’au point de vue de la qualité de l’appareil scientifique. Celle édition ne fut pas traduite en russe.
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Bien que Dialectique de la nature soit resté inachevé et que certaines de ses parties aient le caractère de brouillons préliminaires et de notes fragmentaires, cette oeuvre présente un tout cohérent dont l’unité repose sur les idées générales fondamentales et sur l’harmonie du plan.
Dans Dialectique de la nature, Engels donne la généralisation philosophique des conclusions de la science de son époque. Abordant ta nature en matérialiste et en dialecticien, il la présente comme un tout infini et un, comme « la connexion universelle de l’évolution », comme le processus historique de développement de la matière. Il montre que, dans la nature, tout s’opère dialectiquement et que, en conséquence la dialectique matérialiste est la seule méthode exacte permettant de connaître la nature.
Dans l’Introduction à son œuvre, Engels donne un brillant aperçu du développement de la science de la nature de la Renaissance jusqu’à Darwin, montrant comment le développement propre de la science elle-même a fait éclater de l’intérieur la conception métaphysique de la nature qui caractérise les XVIIe et XVIIIe siècles, et a contraint celle-ci à céder la place à la conception moderne, dialectique. En suivant le développement historique des sciences, Engels souligne particulièrement le rôle de la pratique humaine, le rôle de la production, laquelle, au bout du compte, détermine tant l’origine de la science que la marche de son développement.
S’appuyant sur toutes les conquêtes les plus importantes de la science de son temps, Engels énonce les fondements scientifiques de la conception matérialiste dialectique du monde. L’univers est infini dans l’espace et le temps. Il est impliqué dans un mouvement et un changement perpétuels. Les cycles grandioses dans lesquels se meut la matière déploient toute la riche diversité des formes du mouvement de la matière, depuis le simple changement mécanique de lieu jusqu’à la vie et à la pensée des êtres doués de conscience. La matière et le mouvement ne peuvent être anéantis ni quantitativement, ni même qualitativement. Aucun des attributs de la matière ne peut être perdu et c’est pourquoi
« si elle doit sur terre exterminer un jour avec une nécessité d’airain sa floraison suprême l’esprit pensant, il faut avec la même nécessité que, quelque part ailleurs et à une autre heure, elle le reproduise. »
Ces idées d’Engels, exposées avec une profondeur et un brillant remarquables, sont des armes acérées pour lutter contre les théories idéalistes et mystiques des idéologues du capitalisme pourrissant. Elles sont des armes contre les tentatives les plus récentes de faire revivre l’obscurantisme du Moyen Âge et l’absence de loi en la possibilité pour l’homme de connaître le monde. Elles permettent de lutter contre celle de retaper une religion qui tombe en ruine à l’aide d’arguments tirés des sciences de la nature, tentative qui utilise chaque difficulté de la science qu’engendre dans la société bourgeoise la crise grandissante de la science en raison de la décadence de plus en plus profonde de la culture.
Dialectique de la nature est entièrement empreint de la doctrine d’Engels sur les diverses formes du mouvement de la matière (mouvement mécanique ou simple changement de lieu ; modes différents de mouvement physique : chaleur, lumière, électricité ; processus chimiques ; vie organique), sur leur unité et leurs passages réciproques de l’une à l’autre, ainsi que sur les particularités qualitatives de chacune d’elles et l’impossibilité de ramener mécaniquement, les formes supérieures du mouvement aux formes les plus basses. Sur la base de cette théorie, Engels établit une classification matérialiste dialectique des sciences de la nature où chacune d’elles « analyse une forme singulière du mouvement ou une série de formes de mouvements connexes et passant de l’une à l’autre ».
Dans toutes les branches de la science, Engels soutient, met au premier plan et développe les conceptions et les théories d’avant-garde. En particulier, il estime et souligne très fortement le génie du grand savant russe D. I. Mendeléïev, créateur du système périodique des éléments chimiques. En même temps, Engels combat résolument les idées qui ne correspondent plus aux acquisitions les plus récentes de lascience et freinent les progrès ultérieurs de la recherche. Il démasque les « partisans de l’ancien » et oppose à l’ancien le nouveau, ce qu’il y a de plus progressif dans la science de son temps. Il éclaire les faits nouveaux et les théories nouvelles du point de vue de la théorie la plus avancée, la plus révolutionnaire, le matérialisme dialectique ; il analyse leur signification avec profondeur et montre la voie ultérieure du développement de la science. Cela lui donne la possibilité non seulement de saisir le sens philosophique de l’état de la science de son temps, mais aussi de regarder loin en avant, d’anticiper quelques-unes des conquêtes postérieures de la science.Ainsi, par exemple, à la différence du plus grand nombre des savants de son époque, Engels défend le point de vue de la complexité des atomes des éléments chimiques.
Ainsi, par exemple, à la différence du plus grand nombre des savants de son époque, Engels défend le point de vue de la complexité des atomes des éléments chimiques.
« Les atomes, écrit-il, ne sont nullement quelque chose de simple, ils n’apparaissent pas comme les particules de matières les plus petites que nous connaissions. »
Il a eu le génie de prévoir l’existence de particules qui seraient l’analogue des grandeurs mathématiques infiniment petites saisies à l’instant de leur disparition. La théorie contemporaine de la structure de la matière a confirmé les vues d’Engels sur la complexité de l’atome et son caractère inépuisable. Ses idées sur le sens du rayonnement en tant que facteur de répulsion et sur le rôle de ce rayonnement dans le processus d’évolution de l’univers dépassaient de loin les conceptions régnant à son époque et se sont trouvées confirmées par les découvertes les plus récentes de l’astronomie et de la physique. De même, dans des questions comme celle de l’origine de la vie, de son essence, de la théorie darwinienne de l’évolution, Engels a énoncé une série de propositions qui anticipent évolution ultérieure de la biologie. En mettant en lumière la signification révolutionnaire des théories d’avant-garde de son époque, Engels fait une guerre implacable à la fausse science. A côté de théories d’avant-garde, la science bourgeoise du XIXe siècle mettait aussi en avant des théories qui n’étaient pas le moins du monde progressistes et étaient par essence faussement scientifiques. Au nombre de ces dernières, on comptait une théorie à la mode comme celle de la prétendue « mort thermique » de l’univers. Engels la soumit à une critique approfondie et démontra qu’elle était en contradiction directe avec la loi bien comprise de la conservation et de la transformation de l’énergie. Le développement ultérieur de la science a confirmé la justesse de ses vues. Ses thèses fondamentales sur l’indestructibilité non seulement quantitative, mais encore qualitative du mouvement, et sur l’impossibilité qui en résulte de la « mort thermique » de l’univers, permettent de déceler également l’inconsistance complète des tentatives entreprises par des savants réactionnaires bourgeois pour donner un regain de vie à la théorie de la « mort thermique ».
En étudiant les problèmes des mathématiques, de la mécanique, de la physique, de la chimie et de la biologie, Engels met partout en lumière le caractère dialectique des processus naturels, et il fait lés observations de caractère méthodologique les plus profondes. Sa méthode, la méthode du matérialisme dialectique, est la plus précieuse, la plus capitale dans Dialectique de la nature. Divers détails concernant des sciences comme la physique, la chimie, la biologie, ont évidemment vieilli pour notre temps et ils ne pouvaient pas ne pas vieillir, étant donné que, depuis la rédaction de Dialectique de la nature, il y a eu près de soixante-dix ans de développement de la science. Mais la présence de déclarations vieillies concernant des questions particulières des diverses branches de la science de la nature n’atteint pas le moins du monde l’essence de la conception matérialiste dialectique d’Engels et n’amoindrit pas l’immense importance de Dialectique de la nature pour notre temps.
Hormis les chapitres et les fragments étudiant les problèmes des diverses sciences de la nature et des mathématiques, il y a, dans Dialectique de la nature, bon nombre de pages consacrées aux questions générales de la dialectique matérialiste. Ont trait à celles-ci le chapitre inachevé : « La dialectique » et 42 fragments réunis ici dans la section : « Dialectique ». Dans la préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, Engels indique qu’on parvient plus facilement à la conception dialectique de la nature « si l’on aborde le caractère dialectique de ces faits avec la conscience des lois de la pensée dialectique ((cf. Anti-Dühring. (N.R) ))». Les questions de la logique théorique et de la théorie de la connaissance sont examinées par Engels sur des matériaux concrets de la science de la nature. S’il avait réussi à terminer cette partie de son œuvre, nous aurions ici l’exposé développé de la « dialectique en tant que science des connexions, en opposition à la métaphysique ». Néanmoins, même sous cette forme inachevée, cette partie contient des matériaux extrêmement riches sur les questions fondamentales de la dialectique.
Les questions concernant l’origine de l’homme et de la société humaine constituent le passage de la science de la nature aux sciences sociales. Engels examine ces questions dans l’essai : « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme ». Avec une maîtrise inégalée, il élucide ici le rôle primordial et décisif du travail, de l’invention et de la fabrication des outils dans la formation du type physique de l’homme et dans celle de la société humaine, en montrant comment, à partir du singe, par suite d’un long processus historique, s’est développé un être qualitativement différent de lui : l’homme. La théorie de Marx et d’Engels sur l’origine de l’homme et la naissance de la société humaine détruit radicalement les mensonges réactionnaires de la sociologie bourgeoise, les vains efforts des idéologues de l’impérialisme Pour fonder le droit des races « supérieures » à l’exploitation et à la domination des races « inférieures ».
Dans le cours de cet ouvrage, Engels souligne sans se lasser le rôle éminent de la théorie philosophique d’avant-garde et montre, que, sans philosophie avancée, les savants bourgeois spécialisés s’égarent hors de la voie de la science et tombent sous l’emprise de l’obscurantisme clérical. Il critique ici à la lois les idéalistes, les agnostiques, les matérialistes vulgaires, il met à nu toute la pauvreté de la méthode métaphysique et de l’empirisme grossier, rampant. Il raille impitoyablement la crédulité des savants bourgeois qui quittent le terrain de la science et deviennent la proie des superstitions et des mystiques les plus saugrenues.
Lénine n’a pas connu Dialectique de la nature qui ne fut publié qu’après sa mort. Mais il est remarquable que, n’ayant jamais lu cette œuvre, il exprime dans ses travaux philosophiques des idées qui sont le développement de presque tout ce qui en constitue les principes fondamentaux, et que, parfois, ses formulations coïncident presque mot pour mot avec les formules employées par Engels.
Dans son livre génial : Matérialisme et empiriocriticisme, publié en 1909, Lénine donne
« une généralisation matérialiste de tout ce que la science, avant tout la science de la nature, avait acquis d’important et de substantiel pendant toute une période historique, depuis la mort d’Engels jusqu’à la parution de l’ouvrage de Lénine » ((Staline : Histoire du Parti communiste (bolchévik) de J’U.R.S.S. (N.R.) )).
Matérialisme et empiriocriticisme est un modèle de développement créateur du marxisme.
Citant les paroles d’Engels qui dit que
« la forme du matérialisme doit inévitablement se modifier avec toute découverte faisant époque dans le domaine des sciences naturelles. »
(et à plus forte raison dans l’histoire de l’humanité), Lénine écrit :
« Ainsi la révision des « formes » du matérialisme d’Engels, la révision de ses postulats de philosophie naturelle n’a rien de a révisionniste à au su consacré du mot : le marxisme l’exige au contraire » ((V. I. Lénine : Matérialisme et empiriocriticisme. (N.R.) )).
Des découvertes scientifiques, comme celles de l’électron, de la radioactivité, etc., ont posé de façon nouvelle une série de problèmes fondamentaux de la physique théorique et ont été une confirmation nouvelle de la « seule philosophie juste de la science de la nature », le matérialisme dialectique. S’appuyant sur ces acquisitions de la science, Lénine a fait progresser la doctrine philosophique du marxisme. Toutes les acquisitions postérieures de la science, – théorie de la relativité, théorie des quanta, loi de l’équivalence de la masse et de l’énergie, – apportent toutes la confirmation de l’unité matérielle de l’univers, sur l’incréabilité et l’indestructibilité de la matière, sur l’unité du contenu et du discontinu dans la structure de la matière et sa faculté d’évoluer en passant de formes simples d’existence à des formes de plus en plus complexes.
Lénine est revenu les questions de la science de la nature également dans de ses travaux. Ainsi dans son célèbre article : « Du rôle du matérialisme militant » (mars 1922), il souligne très fortement le rôle de la philosophie d’avant-garde pour les sciences de la nature.
« A défaut d’une base philosophique solide, il n’est point de science naturelle ni de maté- rialisme qui puissent résister à l’envahissement des idées bourgeoises et à la régénération de la conception bourgeoise du inonde. Pour soutenir cette lutte et la mener pleinement à bonne fin, le naturaliste doit être un naturaliste moderne, un partisan éclairé du matérialisme représenté par Marx, c’est-à-dire qu’il doit être un matérialiste dialectique » ((V. I. Lénine : Marx, Engels, marxisme. (N.R.) ))
Cette déclaration coïncide presque mot pour mot avec les affirmations d’Engels dans Dialectique de la nature.
Il est également remarquable que, dans ses Cahiers philosophiques, Lénine souligne fortement la nécessité d’élaborer la dialectique en tant que philosophie de la science, et il a apporte dans ce sens des idées d’une très grande richesse, comme s’il rappelait ce qui a été dit sur cette question dans Dialectique de la nature d’Engels qui lui était restée inconnue.
Dans Matérialisme dialectique et matérialisme historique, Staline a fait un exposé inégalé des bases philosophiques du marxisme et les a fait progresser. Il s’y réfère souvent à Dialectique de la nature d’Engels et développe et concrétise les principes d’Engels qui caractérisent les traits fondamentaux de la méthode matérialiste dialectique et du matérialisme philosophique marxiste. Cela souligne plus encore l’importance de Dialectique de la nature pour notre époque.
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Peu de temps avant sa mort, Engels a groupé tous les matériaux se rapportant à Dialectique de la nature en quatre liasses auxquels il a donné les titres suivants : 1) « La dialectique et la science de la nature » ; 2) « L’étude de la nature et la dialectique » ; 3) « Dialectique de la nature » ; 4) « Mathématiques et sciences de la nature. Divers ». De ces quatre liasses, deux seulement (la 2e et la 3e) sont munies de sommaires composés par Engels et énumérant les matériaux qui y sont contenus. Grâce à ces sommaires, nous savons de manière précise quels matériaux il a rangés dans la 2e et la 3e liasse et dans quel ordre de succession il les y a placés. Quant à la 1re et à la 4e liasse nous ne pouvons pas avoir la certitude que les feuillets s’y trouvent exactement là où Engels les a mis.
En prenant connaissance du contenu des quatre liasses de Dialectique de la nature, on se rend compte que, outre des chapitres et des esquisses préliminaires, écrits spécialement pour cette oeuvre, Engels y a inclus aussi quelques manuscrits qu’il avait primitivement rédigés en vue d’autres oeuvres (ainsi : l’ « Ancienne Préface à l’AntiDühring », deux « Notes » à propos de l’Anti-Dühring, le « Fragment retranché du Feuerbach » et « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme »).
La présente édition de Dialectique de la nature comprend tout ce qui est inclus dans les quatre liasses d’Engels, à l’exception de cinq petites pages de calculs mathé- matiques fragmentaires que n’accompagne aucun texte (dans la 4e liasse) et des fragments suivants, dont le contenu montre clairement qu’ils ne se rapportent pas à Dialectique de la nature : 1) la première esquisse de l’ « Introduction » à l’Anti-Dühring ( sur le socialisme de l’époque) ; 2) un fragment sur l’esclavage ; 3) des extraits du livre de Charles Fourier : Le Nouveau Monde (ces trois fragments, qui ont trait aux travaux préparatoires à l’Anti-Dühring, se sont trouvés dans la 1re liasse de Dialectique de la nature pour une raison qui nous est inconnue), et 4) un petit billet portant de brèves remarques d’Engels sur l’attitude négative de Philippe Pauli à l’égard de la théorie « travailliste » de la valeur (dans la 4e liasse).
En tenant compte de ces limites, Dialectique de la nature se compose de 10 articles ou chapitres ; 169 notes et fragments et 2 esquisses de plans, soit en tout 181 éléments.
Ces éléments sont rangés, dans la Présente édition, selon l’ordre thématique, conformément aux lignes directrices du plan d’Engels, telles qu’elles sont marquées dans les deux esquisses de plan qui nous sont parvenues. Ces deux esquisses sont données tout au début de l’ouvrage. La plus développée d’entre elles, qui embrasse toutes les sections de l’œuvre, a été rédigée vraisemblablement fin 1878 on début 1879 ; l’autre n’englobe qu’une partie de l’ouvrage et a été écrite approximativement en 1880. Ce sont ces esquisses de plan que l’on a prises pour base dans l’ordonnance des matériaux. Cependant on a tenu compte de la démarcation indiquée par Engels lui-même(lors du groupement des matériaux en liasses) entre les articles, ou chapitres, plus ou moins mis au point, d’une part, et les esquisses, notes et fragments de l’autre (la majorité de ces derniers ne constituant que des matériaux préparatoires pour une élaboration ultérieure).
Il en résulte que le livre est divisé en deux parties : 1) articles ou chapitres ; 2) notes et fragments. Dans chacune de ces parties, les matériaux ont été ordonnés selon un seul et même schéma directeur, conformément au plan d’Engels.
Ce plan indique l’ordre de succession suivant : a) introduction historique, b) questions générales de la dialectique matérialiste, c) classification des Sciences, d) considérations sur les branches singulières de la science de la nature, e) passage aux sciences sociales. Dans l’esquisse détaillée du plan général, Engels a indiqué encore une série de points : « l’âme du plastidule », la liberté de la science et de son enseignement, « l’État cellulaire» de Virchow, la campagne des darwinistes bourgeois allemands contre le socialisme. Il ne les a pas élaborés. En général, les points de l’esquisse du plan d’Engels ne correspondent pas tout à fait aux matériaux dont nous disposons et auxquels il a travaillé tant avant qu’après l’avoir établi, soit pendant treize années entières (1873-1868). Mais les lignes fondamentales du plan et le contenu fondamental des matériaux dont nous disposons correspondent tout à fait. Aussi, s’il était impossible de réaliser littéralement dans tous ses détails le schéma de 1878- 1879, on peut pleinement conserver les grandes lignes de l’ordre des parties indiquées sur les esquisses de 1878-1879 et 1880.
En prenant donc pour base les grandes lignes du plan d’Engels telles qu’elles sont consignées dans les deux esquisses, nous obtenons pour les articles ou chapitres de Dialectique de la nature qui constituent la première partie de l’ouvrage, l’ordre suivant :
1. Introduction (rédigée en 187 5-1876).
2. Ancienne préface à l’Anti-Dühring (mai-juin 1878).
3. La science de la nature dans le monde des esprits (milieu 1878).
4. La dialectique (1879).
5. Les formes fondamentales du mouvement (1880-1881).
6. La mesure du mouvement – Le travail (1880-1881).
7. Le frottement de la marée (1880-1881).
8. La chaleur (1881-1882).
9. L’électricité (1882).
10. Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme (1876).
En ce qui concerne tous ces articles ou chapitres, l’ordre thématique coïncide presque avec l’ordre chronologique (à l’exception de l’article sur « le rôle du travail » qui constitue le passage des sciences de la nature aux sciences sociales). L’article « La science de la nature dans. le monde des esprits » n’est absolument pas mentionné dans les esquisses de plan d’Engels. Il est tout à fait probable qu’il se proposait esquisse de le faire paraître séparément dans quelque revue, et ce n’est que plus tard qu’il l’a inclus dans le corps de Dialectique de la nature. Nous l’avons placé en troisième dans la section articles, car il a un caractère méthodologique général et, par son contenu, touche d’assez près l’ « Ancienne Préface à l’Anti-Dühring ».
En ce qui concerne les esquisses, notes et fragments qui constituent la deuxième partie de l’ouvrage et qui sont au nombre de 169, le rapprochement des matériaux dont nous disposons avec les esquisses de plan d’Engels aboutit à leur classement sous les rubriques suivantes :
1. Éléments d’histoire de la science.
2. Science de la nature et Philosophie.
3. Dialectique.
a) Questions générales de la dialectique. Lois fondamentales de la dialectique.
b) Logique dialectique et théorie de la connaissance. A propos des « limites de la connaissance ».
4. Les formes du mouvement de la matière. Classification des sciences.
5. Mathématiques.
6. Mécanique et astronomie.
8.Physique.
9.Chimie.
9. Biologie.
Si nous confrontons ces rubriques des fragments avec les titres des dix articles de Dialectique de la nature énumérés plus haut, nous voyons la correspondance complète entre l’ordre de classement des articles et celui des fragments. Au premier article correspond la 1re section des fragments ; au 2e et au 3e, la 2e section. Au 4e article (« Les formes fondamentales du mouvement ») correspond la 4e section. Aux 6e et 7e articles, la 6e section. Les 8e et 9e articles correspondent à la 7e section. En ce qui concerne le 10e article (Le rôle du travail…), il n’a pas sa section de fragments correspondante. D’après le plan d’Engels, la question de « la différenciation de l’homme grâce au travail » devait être examinée tout à la fin du livre, après l’étude des problèmes de la biologie.
A l’intérieur des rubriques et des sous-rubriques, les fragments ont été à nouveau rangés selon le principe de l’ordre thématique. On a donné au début les fragments étudiant des questions plus générales, puis ceux qui traitent de questions plus particulières. Dans la section « Éléments d’histoire de la science », les fragments sont rangés selon l’ordre de succession historique : de la naissance des sciences chez les peuples anciens jusqu’aux contemporains d’Engels. Chaque section des fragments se termine si possible par ceux que font transition avec la section suivante.
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Dans la présente édition de Dialectique de la nature, la traduction a été de nouveau vérifiée d’après l’édition allemande de 1935 (MEGA), cependant que le texte de cette édition était derechef confronté avec les photocopies du manuscrit d’Engels. Cette vérification a révélé une grande quantité d’erreurs essentielles dans le déchiffrage antérieur du texte allemand.
Comme, dans notre édition, les matériaux sont rangés dans l’ordre thématique et non chronologique, nous avons donné, à la fin du livre, afin d’éclairer l’ordre chronologique des éléments composant Dialectique de la nature, une table de tous ceux dont la date de rédaction peut être déterminée avec une certaine précision.
Nous avons laissé de côté, comme c’est la règle, tous les mots et phrases qu’au cours de la rédaction Engels a barrés parce qu’ils ne le satisfaisaient pas. Des passages barrés par Engels on n’a donné par principe que ceux qui constituent des paragraphes entiers et sont biffés non de plusieurs, mais d’un seul trait vertical ou oblique, ce qui indique qu’Engels les a utilisés de quelque manière dans d’autres de ses travaux. Des autres passages barrés, on n’a donné, à titre exceptionnel, que ceux qui sont indispensables pour la liaison de l’exposé ou qui présentent un intérêt particulier comme complément au texte fondamental.
Dans tous les cas où, dans le manuscrit d’Engels, des citations ne sont notées que par le premier et le dernier mot séparés par des points de suspension ou par les mots : « etc. » nous avons donné le texte complet de la citation.
La Présente édition a été Préparée Par V. K. Brouchlinski sous la direction de A. A. Maximov et V. M. Pozner.
L’Institut Marx-Engels-Lénine auprès du Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S