Discours sur la nationalisation des banques

Discours sur la nationalisation des banques prononcé à la séance du Comité exécutif central de Russie, le 14 (27) décembre 1917

Lénine

   Paru dans la « Pravda » n° 216, 29 (6) décembre 1917 et dans le journal « Izvestia du Comité exécutif central » n° 254, 16 décembre 1917
Conforme au texte du recueil : « Procès-verbaux des séances du Comité exécutif central des Soviets des députés ouvriers, soldats, paysans et cosaques de Russie (2e législature ) », Moscou 1918


Procès-verbal

   L’orateur précédent a tenté de nous effrayer en disant que nous marchons à notre perte certaine, que nous roulons à l’abîme. Mais ces tentatives d’intimidation ne sont pas nouvelles pour nous. Le journal qui exprime l’opinion de la fraction à laquelle appartient cet orateur, – la Novaïa Jizn, – écrivait à la veille des journées d’octobre que notre révolution n’aboutirait qu’à des pogroms et à des soulèvements anarchistes. Aussi, les discours prétendant que nous suivons une voie fausse ne font-ils que refléter la psychologie bourgeoise avec laquelle ne peuvent rompre même des gens qui n’ont aucun intérêt en la matière. (Exclamations des internationalistes : «Démagogie !») Non, ce n’est pas de la démagogie, mais vos discours perpétuels sur «la hache», la voilà, la vraie démagogie !

   Toutes les mesures proposées par le décret ne sont que des moyens d’assurer un contrôle effectif.

   Vous parlez de la complexité de l’appareil, de sa fragilité, de l’obscurité de la question, – c’est là une vérité élémentaire connue de tous. Si cette vérité ne fait que freiner toutes les initiatives socialistes, nous disons que celui qui s’engage dans cette voie est un démagogue, et un démagogue dangereux.

   Nous voulons commencer l’inspection des coffres-forts ; or, on nous dit, au nom de savants spécialistes, qu’il ne s’y trouve que des documents et des titres. Qu’y a-t-il donc de mal à ce que les représentants du peuple les contrôlent ?

   S’il en est ainsi, pourquoi donc ces mêmes savants spécialistes qui nous critiquent se cachent-ils ? Quelles que soient les décisions du Conseil, ils nous déclarent qu’ils sont d’accord avec nous, mais seulement en principe. C’est la méthode de tous les intellectuels bourgeois, de tous les conciliateurs qui mènent tout à la ruine en étant toujours d’accord sur le principe et en désaccord dans la pratique.

   Si vous êtes si avisés en toutes choses et si riches d’expérience, pourquoi donc ne nous aidez-vous pas ? Pourquoi sur notre route ardue, ne trouvons-nous que sabotage de votre part ?

   Vous vous appuyez sur une théorie scientifique juste, mais pour nous la théorie sert de fondement à l’action afin qu’elle soit entreprise avec assurance et non pour inspirer une peur stérile. Certes, il est difficile de prendre des initiatives et nous abordons souvent des choses délicates, cependant nous en sommes venus à bout, nous en venons à bout et nous en viendront à bout.

   Si un livre ne servait qu’à freiner l’action et à faire craindre éternellement tout nouveau pas, il serait sans valeur.

   En dehors des socialistes-utopistes, personne n’a affirmé qu’on pouvait vaincre sans rencontrer de résistance, sans instaurer la dictature du prolétariat et sans empoigner le vieux monde d’une main de fer.

   En principe, vous l’avez acceptée, cette dictature, mais quand on traduit ce mot en russe et qu’on l’appelle «main de fer», quand on l’applique en fait, vous mettez en garde contre la fragilité et la complexité des choses.

   Vous refusez obstinément de voir que cette main de fer crée tout en détruisant. Si nous passons du principe à l’action, nous marquons incontestablement un point.

   Pour établir le contrôle, nous avons convoqué les banquiers et élaboré avec leur concours des mesures sur lesquelles ils étaient d’accord, afin d’obtenir des prêts dûment enregistrés et contrôlés. Mais, parmi les employés de banques, il s’est trouvé des gens dévoués aux intérêts du peuple, qui nous ont dit : « Ils vous trompent, hâtez-vous de mettre
fin à leur activité criminelle qui vise directement à vous nuire ». Et nous nous sommes hâtés.

   Nous savons qu’il s’agit d’une mesure compliquée. Même ceux d’entre nous qui ont une formation économique ne se chargeront pas de l’appliquer. Nous ferons appel à des spécialistes qui s’occupent de ces questions, mais seulement lorsque les clés seront entre nos mains. Alors nous pourrons choisir des conseillers techniques même parmi ]es anciens millionnaires. Qui veut travailler – qu’il soit le bienvenu, à condition toutefois qu’on ne transforme pas chaque initiative révolutionnaire en lettre morte, – nous ne nous laisserons pas prendre à ce piège. Ces mots, dictature du prolétariat, nous les prononçons sérieusement et nous en ferons une réalité.

   Nous voulions nous entendre avec les banques, nous leur accordions des prêts pour le financement des entreprises, mais elles ont organisé un sabotage monstre ; aussi l’expérience nous a-t-elle amenés à pratiquer le contrôle par d’antres moyens.

   Le camarade socialiste-révolutionnaire de gauche a dit que ses amis voteraient en principe pour la nationalisation immédiate des banques, pour élaborer ensuite, dans le plus bref délai, des mesures pratiques. Mais il y a là un malentendu car notre projet ne renferme que des principes. Le Conseil supérieur de l’économie nationale l’attend déjà pour l’examiner ; mais ne pas approuver le décret amènerait immédiatement les banques à prendre toutes les mesures possibles pour aggraver la désorganisation économique.

   Appliquer le décret est d’une extrême urgence ; sinon, l’opposition et le sabotage nous perdront. (Applaudissements qui se transforment en ovation.)

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