La fraction des partisans de l’otzovisme et de la construction de Dieu

La fraction des partisans de l’otzovisme et de la construction de Dieu

Lénine

Introduction

   Les camarades Maximov et Nikolaïev ont fait paraître une feuille spéciale intitulée : « Rapport adressé aux camarades bolcheviks par les membres évincés de la rédaction élargie du Prolétari. » Avec beaucoup, beaucoup d’amertume, nos exclus se plaignent au public de l’offense qui leur est faite et de la façon dont ils ont été évincés par la rédaction.

   Pour montrer au parti de la classe ouvrière qui sont ces victimes d’une révocation qui se plaignent si amèrement, étudions d’abord les principes directeurs de cette feuille. Grâce au n° 46 du Prolétari et à son supplément, les lecteurs, savent que la Conférence de la rédaction élargie du journal a reconnu que le camarade Maximov était l’un des organisateurs de la nouvelle fraction de notre parti, fraction avec laquelle le bolchevisme n’a aucun rapport, et à propos de laquelle elle a décliné « toute responsabilité à l’égard de toutes manœuvres politiques du camarade Maximov »((La conférence de la rédaction élargie du « Prolétari » eut lieu à Paris du 8 au 17 (21‑30) juin 1909. Neuf membres du Centre bolchevique (élu par la fraction bolchevique du V° Congrès (de Londres) du P.O.S.D R. en 1907) y participaient avec Lénine à leur tête; il y avait aussi des délégués des organisations de Pétersbourg, de la région de Moscou et de l’Oural. )). Des résolutions de la Conférence il découle que la base des divergences avec la nouvelle fraction qui s’est détachée des bolcheviks (ou plus exactement avec Maximov et ses amis) est d’abord l’otzovisme et l’ultimatisme, ensuite la construction de Dieu. Le point de vue de la fraction bolchevique sur l’une et l’autre tendance est exposé dans trois résolutions détaillées.

   Que répondent donc maintenant ces personnes éliminées qui se plaignent avec tant d’amertume ?

I

   Commençons par l’otzovisme. Nos victimes dressent le bilan de l’expérience du parlement ou de la Douma pour les années écoulées, justifient le boycottage de la Douma de Boulyguine et de celle de Witte, de même que la participation à la II° Douma, et continuent en ces termes :

   « Face à une réaction intense et renforcée, tout cela est en train de changer à nouveau. Le parti ne peut plus alors mener une vigoureuse et brillante campagne électorale, il ne peut obtenir une représentation parlementaire digne de lui… »

   Dès la toute première phrase de ce raisonnement original, non emprunté aux anciennes publications bolcheviques, apparaît l’abîme sans fond de la bêtise politique otzoviste. Réfléchissez un peu, mes bons amis, le parti peut‑il, face à une réaction intense et renforcée, mener à bien la « vigoureuse et brillante » organisation de « groupes et d’écoles d’instructeurs » pour les militants de choc, organisation dont vous parlez à la même page et dans la même colonne de votre rapport ? Réfléchissez donc un peu, mes bons amis, le parti peut‑il obtenir « une représentation digne de lui » dans de telles écoles ? Si vous saviez réfléchir et que vous étiez tant soit peu capables de jugement politique, ô victimes d’une injuste révocation, vous auriez remarqué que vous avez laissé échapper une magnifique absurdité. Au lieu de réfléchir politiquement, vous vous cramponnez à une « brillante » étiquette, vous retrouvant ainsi les gros jeans du parti. Vous parlez d’« écoles d’instructeurs » et d’« intensification (!) de la propagande dans les troupes » (idem), parce que, comme tous les novices politiques du camp otzoviste et ultimatiste, vous considérez que ce genre d’activité est particulièrement « brillant »; quant à réfléchir aux conditions d’utilisation effective (et non théorique) de ces formes d’activité, vous en êtes incapables. Vous avez retenu des bribes de phrases et de mots d’ordre bolcheviques, mais vous n’y avez compris goutte. Face à une réaction intense et renforcée, n’importe quel travail est difficile pour le parti, mais, quelles que soient les difficultés, il est tout de même possible d’obtenir au parlement une représentation honorable. C’est ce que démontre, par exemple, l’expérience de la social‑démocratie allemande à une époque de « réaction intense et renforcée », comme celle où fut introduite la loi d’exception((La loi d’exception contre les socialistes fut décrétée en Allemagne en 1878. Elle interdisait toutes les organisations ouvrières et social‑démocrates de masse, la presse ouvrière, la littérature socialiste. Elle fut abolie en 1890.)). En niant cette possibilité, Maximov et Cie ne font que trahir leur totale ignorance politique. Recommander les « écoles d’instructeurs » et « l’ intensification de la propagande dans les troupes » « en période de réaction intense et renforcée » tout en contestant que le parti ait la possibilité d’avoir une représentation parlementaire honorable, ce sont là, manifestement, des insanités dignes de trouver place dans un sottisier pour lycéens des petites classes. Les écoles d’instructeurs, aussi bien que l’intensification de la propagande dans les troupes, supposent forcément que l’on transgresse les vieilles lois, que l’on y ouvre une brèche, tandis que l’activité parlementaire ne suppose pas obligatoirement, ou du moins bien plus rarement, que la nouvelle force sociale viole l’ancienne législation. Maintenant, chers amis, réfléchissez : à quel moment est‑il le plus facile d’ouvrir une brèche dans les vieilles lois ? En période de réaction intense et renforcée ou en période de progression du mouvement ? Réfléchissez, ô victimes d’une injuste révocation, et rougissez des sottises que vous dites pour défendre vos chers otzovistes.

   Continuons. Quel genre d’action suppose un plus grand déploiement d’énergie des masses, une plus grande influence de celles‑ci sur la vie politique directe ? Est‑ce une action parlementaire fondée sur une loi promulguée par l’ancien régime ou une propagande combative s’attaquant violemment et directement à la puissance matérielle du régime ? Réfléchissez, mes bons amis, et vous verrez que l’action parlementaire en pareilles circonstances passe au deuxième plan. Et que faut‑il en conclure ? Il faut en conclure que plus fort est le mouvement de masse direct, plus grande est l’énergie qu’elles déploient, autrement dit, plus on peut parler de poussée révolutionnaire populaire « intense et renforcée » et non de « réaction intense et renforcée », plus la propagande dans les troupes et les actions vigoureuses réellement liées au mouvement de masse et non l’aventurisme de quelques têtes chaudes deviendront possibles, inévitables et fructueux. Voilà justement pourquoi, ô victimes d’une injuste révocation, le bolchevisme a su mener action vigoureuse et propagande dans les troupes avec une force particulière durant une période de poussée révolutionnaire « intense et renforcée », voilà justement pourquoi le bolchevisme a su séparer à partir de 1907 et définitivement vers 1909, sa fraction de ce combatisme qui, « en période de réaction intense et renforcée » s’est ramené inévitablement à l’aventurisme.

   Chez nos héros qui ont retenu des bribes de phrases bolcheviques tout marche à l’envers : les formes de lutte supérieures, qui n’ont jamais réussi nulle part au monde sans une attaque directe des masses, sont recommandées au premier chef comme « possibles » en période de réaction intense, les formes inférieures, qui supposent moins une transgression directe de la loi par les masses en lutte que l’utilisation de la loi pour une propagande et une agitation qui formeront la conscience des masses pour la lutte, sont décrétées « impossibles » !!

   Les otzovistes et leurs sous‑fifres « évincés » ont entendu dire et ont retenu que le bolchevisme considère comme une forme d’action supérieure la lutte directe des masses, qui entraîne même l’armée (c’est‑à‑dire, la partie de la population la plus encroûtée, la moins remuante, la mieux défendue contre la propagande, etc.) et qui transforme les escarmouches en un véritable début d’insurrection, ‑ alors que ce même bolchevisme tient pour inférieure l’action parlementaire en dehors d’un mouvement de masse direct. Les otzovistes et leurs sous‑fifres du genre de Maximov ont entendu et retenu cela sans le comprendre et c’est pourquoi ils se sont couverts de ridicule. Supérieur veut dire « brillant », pense notre otzoviste et camarade Maximov, eh bien alors, je vais pousser des clameurs « éclatantes », pour sûr, ça sonnera plus révolutionnaire, mais bien malin qui s’y retrouvera !

   Ecoutez encore le raisonnement de Maximov (nous reprenons la citation là où nous l’avions laissée) :

   … « La force mécanique de la réaction brise les liens entre la fraction du parti déjà constituée et les masses et contrarie terriblement l’influence du parti sur celle‑ci, ce qui rend cette représentation incapable de faire, dans l’intérêt du parti, un travail de propagande et d’organisation suffisamment vaste et profond. Mais quand le parti lui‑même est affaibli, le danger subsiste de voir la fraction dégénérer et s’écarter de la voie de la social‑démocratie »…

   N’est‑ce pas admirable ? Lorsqu’il est question des formes de combat inférieures, légales, on commence à nous faire peur : « force mécanique de la réaction », « incapacité de faire un travail suffisamment vaste », « danger de dégénérescence ». Et quand il s’agit de formes supérieures de la lutte des classes qui ouvrent une brèche dans les vieilles lois, « la force mécanique de la réaction » disparaît, il n’y a plus aucune « incapacité » de faire un travail « suffisamment vaste » dans les troupes, il ne saurait même être question, veuillez le noter, d’aucun « danger de dégénérescence » des groupes et écoles d’instructeurs !

   Voilà la meilleure preuve que la rédaction du Prolétari a eu raison d’évincer des hommes politiques qui introduisent de telles idées dans les masses.

   Mettez‑vous bien cela dans la tête, ô malheureuses victimes : quand on se trouve réellement en présence d’une réaction intense et renforcée, quand la force mécanique de cette réaction brise réellement les liens avec les masses, empêche de faire un travail suffisamment vaste et affaiblit le parti, c’est justement là qu’utiliser l’arme parlementaire pour la lutte devient l’objectif spécifique du parti; et cela, malheureuses victimes, non que la lutte parlementaire est une forme de combat supérieure aux autres, mais bien au contraire, parce qu’elle leur est inférieure, qu’elle est inférieure, par exemple, à une forme de lutte qui entraînerait même l’armée dans le mouvement de masses, inférieure à celle qui suscite grèves massives, émeutes, etc. Et pourquoi donc l’utilisation de cette forme inférieure de lutte peut‑elle devenir l’objectif spécifique du parti (c’est-­à‑dire, l’objectif d’un moment donné, distinct de celui des autres moments) ? Mais parce que plus la force mécanique de la réaction est vigoureuse, plus les liens avec les masses sont relâchés, et plus la tâche de former la conscience des masses (et non l’action directe) prend de l’importance, plus l’utilisation des moyens de propagande et d’agitation créés par l’ancien régime se place au premier plan (et non l’attaque directe par les masses de l’ancien régime lui‑même).

II

   Pour tout marxiste ayant tant soit peu réfléchi à la conception du monde de Marx et d’Engels, pour tout social‑démocrate tant soit peu familiarisé avec l’histoire du mouvement socialiste international, cette transformation de l’une des formes inférieures de combat en arme spécifique de lutte à un moment historique particulier ne présente absolument rien d’étonnant en soi. Les anarchistes n’ont jamais été capables de comprendre cette chose si simple. A présent, nos otzovistes et leurs sous‑fifres évincés s’efforcent d’introduire dans le milieu social‑démocrate russe les modes de raisonnement anarchistes en proclamant (comme Maximov et Cie) qu’au Prolétari règne la théorie d’un « parlementarisme à tout prix ».

   Pour montrer à quel point ces clameurs de Maximov et Cie sont peu intelligentes et peu social‑démocratiques, il faut tout recommencer depuis le début. Réfléchissez un peu, ô victimes d’une injuste révocation, à ce qui fait la différence spécifique de politique et de tactique entre la social‑démocratie allemande et les partis ouvriers socialistes des autres pays. Utilisation du parlementarisme, transformation d’un parlementarisme bourgeois‑junker (ce qui correspond à peu près en russe à octobristes((Octobristes : membres de l’ « Union du 17 octobre », en référence à un manifeste du tsar du 17.10.1905. Défendait les intérêts de la grande bourgeoisie et des propriétaires fonciers.)) Cent‑Noirs) en instrument d’éducation socialiste et d’organisation des masses ouvrières. Cela signifie‑t‑il que le parlementarisme est une forme supérieure de la lutte du prolétariat socialiste ? Les anarchistes du monde entier pensent que oui. Cela signifie‑t‑il que les social‑démocrates allemands soutiennent un parlementarisme à tout prix ? Les anarchistes du monde entier pensent que oui et c’est pourquoi ils n’ont pas de pire ennemi que la social‑démocratie allemande, pas de cible qu’ils préfèrent aux social‑démocrates allemands. En Russie aussi, quand nos social‑révolutionnaires commencent à flirter avec les anarchistes et à faire la réclame de leur « esprit révolutionnaire », ils se croient obligés d’aller cueillir l’une ou l’autre des gaffes réelles ou imaginaires des social‑démocrates allemands pour en tirer des conclusions contre la social‑démocratie.

   Poursuivons. En quoi consiste l’erreur de jugement des anarchistes ? En ceci : étant donné l’image radicalement fausse qu’ils se font de l’évolution sociale, ils sont incapables de prendre en considération les particularités de la situation politique (et économique) concrète dans les différents pays, particularités qui déterminent, pour une période donnée, l’importance spécifique d’un moyen de lutte ou d’un autre. En fait, la social-démocratie allemande non seulement ne soutient pas le parlementarisme à tout prix, non seulement ne sacrifie pas tout et tout le monde au parlementarisme, mais au contraire elle a su mieux que quiconque dans l’armée internationale du prolétariat se servir d’armes extra-parlementaires, telles que la presse socialiste, les syndicats, l’utilisation systématique des réunions populaires, l’éducation de l’esprit socialiste chez les jeunes, etc., etc.

   Quel est donc le fond de l’affaire ? C’est qu’en Allemagne, à une période donnée, tout un ensemble de conditions historiques ont fait du parlementarisme une arme spécifique de lutte, ni plus importante, ni plus puissante, ni plus essentielle que les autres armes, ni supérieure à elles, mais très exactement spécifique, c’est-à-dire, plus caractéristique de ce pays comparé aux autres pays. Savoir utiliser le parlementarisme s’est trouvé être, pour cette raison, le symptôme (non pas la condition, mais le symptôme) d’une organisation modèle de toute l’action socialiste, dans toutes ses ramifications que nous avons énumérées plus haut.

   Passons d’Allemagne en Russie. Ceux qui auraient l’idée de mettre en parallèle les conditions de l’un et de l’autre pays tomberaient dans une série d’erreurs grossières. Mais essayez de poser la question comme doit obligatoirement la poser un marxiste : en quoi consiste le trait spécifique de la politique et de la tactique des social-démocrates russes au moment présent ? Nous devons conserver et renforcer le parti illégal, tout comme avant la révolution. Nous devons inlassablement préparer les masses à une nouvelle crise révolutionnaire, comme dans les années 1897-1903. Nous devons, par tous les moyens, renforcer les liens entre le parti et les masses, développer et utiliser, aux fins du socialisme, toutes les organisations ouvrières possibles, comme tous les partis social-démocrates sont toujours et partout tenus de le faire. La tentative (tentative malheureuse) faite par la vieille autocratie de résoudre les nouveaux problèmes historiques grâce à la Douma des octobristes et des Cent-Noirs est un trait spécifique du moment. C’est pourquoi, pour les social-démocrates, l’utilisation de cette Douma à leurs propres fins, aux fins de diffuser les idées de révolution et de socialisme, est également l’objectif spécifique de leur tactique. L’important n’est pas de savoir si cet objectif spécifique est particulièrement élevé, s’il ouvre de larges perspectives, s’il est à la hauteur, ou si du moins il se rapproche en valeur des objectifs qui se sont présentés au prolétariat, par exemple, dans les années 1905-1906. Non. L’important, c’est que ce soit le trait spécifique de la tactique du moment présent, bien distinct de la période passée et de celle à venir (car cette dernière nous apportera probablement des objectifs spécifiques plus complexes, plus élevés, plus intéressants que celui d’utiliser la III° Douma). On ne saurait se rendre maître du moment présent, on ne saurait résoudre l’ensemble des problèmes qu’il pose au parti social-démocrate sans avoir atteint l’objectif spécifique du moment, sans avoir transformé la Douma octobriste et Cent-Noirs en instrument d’agitation social-démocrate.

   Emboîtant le pas aux bolcheviks, nos intarissables otzovistes parlent entre autres de tenir compte de l’expérience de la révolution. Mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ils ne comprennent pas que pour tenir compte de cette expérience il faut y inclure la défense des idéaux, des objectifs et des méthodes de la révolution depuis la Douma. Si l’on ne sait pas défendre ces idéaux, objectifs et méthodes depuis la Douma, par le truchement de ceux des ouvriers de notre parti qui peuvent y être élus et qui l’ont été, c’est que l’on ne sait pas faire le premier pas lorsqu’il s’agit de tenir compte de l’expérience politique de la révolution (car il ne s’agit pas ici, bien sûr, d’expérience théorique, d’après des traités et des analyses). Ce premier pas ne saurait en aucun cas épuiser notre objectif. Le second et le troisième seront incomparablement plus importants; ce sera la transformation d’une expérience, dont les masses tiennent déjà compte, en bagage idéologique pour une nouvelle action historique. Mais puisque ces mêmes intarissables otzovistes parlent d’époque « inter-révolutionnaire », ils devraient comprendre (pour peu qu’ils sachent réfléchir et raisonner en social-démocrate) qu’« inter-révolutionnaire » veut justement dire : où sont à l’ordre du jour des tâches élémentaires, préliminaires. « Inter-révolutionnaire » qualifie une situation instable, indécise, où le vieux pouvoir, convaincu de l’impossibilité de gouverner avec l’aide des seuls instruments du passé, essaie d’utiliser un nouvel instrument dans le contexte général de l’ancien régime. C’est là une tentative intrinsèquement contradictoire, impossible à laquelle a de nouveau recours l’autocratie, tentative qui la conduira inévitablement à la faillite et qui nous conduira à la répétition de la glorieuse époque et des glorieux combats de 1905. Mais elle n’y a pas recours de la même façon qu’en 1897‑1903, elle ne conduit pas le peuple vers la révolution de la même façon qu’en 1905. C’est ce « pas de la même façon » qu’il faut savoir interpréter ; il faut savoir changer de tactique, en ajoutant à tous les objectifs essentiels, généraux, capitaux, primordiaux de la social‑démocratie révolutionnaire un autre objectif moins important, mais spécifique du nouveau moment, du moment présent : celui de l’utilisation révolutionnaire et social-démocrate de la Douma Cent‑Noirs.

   Comme tout nouvel objectif, celui‑ci semble plus difficile à réaliser que les autres, car il exige non pas une simple répétition de slogans appris (chez les otzovistes et Maximov, l’esprit ne va pas plus loin), mais une certaine initiative, de la souplesse d’esprit, de l’ingéniosité, du travail personnel sur un objectif historique original. Mais au fond, cet objectif ne peut paraître spécialement difficile qu’à ceux qui ne savent pas réfléchir et travailler d’une manière personnelle; en fait, il est, comme tout objectif spécifique du moment, plus facile à atteindre que les autres, car la solution du problème se trouve précisément dans les conditions du moment présent. A une époque de « réaction intense et renforcée », résoudre le problème d’une organisation vraiment sérieuse de « groupes et d’écoles d’instructeurs », c’est‑à‑dire d’une organisation grâce à laquelle ceux‑ci seraient réellement reliés au mouvement de masse, réellement soumis à lui, est tout à fait impossible, car le problème est mal posé, il est posé par des gens qui ont copié la formule sur une bonne brochure se référant aux conditions d’un autre moment. Mais il est possible de se fixer comme objectif de subordonner au parti des masses et aux intérêts de celles‑ci les discours, les interventions, la politique des social-démocrates à la III° Douma. Ce n’est pas facile, si ce que l’on entend par « facile » c’est de réciter ce qu’on a appris, mais c’est réalisable. Nous aurons beau tendre à présent toutes les forces du parti, nous ne pourrons pas régler le problème de l’organisation social‑démocrate (et non anarchiste) d’« écoles d’instructeurs » à l’époque « inter‑révolutionnaire » actuelle, car pour accomplir cette tâche, il faudrait de tout autres conditions historiques. En revanche, en tendant toutes nos forces, nous réglerons le problème (et nous avons déjà commencé à le faire) de l’utilisation révolutionnaire et social‑démocrate de la III° Douma; ceci non pas, ô otzovistes et ultimatistes mortifiés par votre révocation et peu gâtés par la nature ! pour mettre le parlementarisme sur un piédestal, pour proclamer le « parlementarisme à tout prix », mais pour pouvoir après avoir atteint l’objectif « inter‑révolutionnaire » correspondant au moment « inter‑révolutionnaire » actuel, passer à des objectifs révolutionnaires beaucoup plus élevés qui correspondront à l’époque plus élevée, c’est‑à‑dire plus révolutionnaire de demain.

III

   Les clameurs stupides poussées par Maximov et Cie à propos d’un « parlementarisme à tout prix » chez les bolcheviks semblent bizarres du point de vue de l’histoire réelle de l’otzovisme. Il est curieux que ce soient justement ceux qui ont créé, qui créent une nouvelle tendance exclusivement basée sur la question de leur attitude à l’égard du parlementarisme, que ce soient eux qui crient à l’exagération du parlementarisme ! Comment vous nommez‑vous vous-mêmes, chers Maximov et Cie ? Vous vous dites « otzovistes », « ultimatistes », « boycotteurs ». Maximov jusqu’à maintenant se targue d’être un boycotteur de la III° Douma et il ne manque pas de faire suivre ses rares interventions de membre du parti de cette signature : « le rapporteur des boycotteurs à la Conférence de juillet 1907((Conférence de juillet 1907, troisième conférence du P.O.S.D.R.; (Deuxième conférence de Russie); eut lieu du 21 au 23 juillet (3-5 août) 1907, en Finlande (Kotka), 26 délégués y assistaient: 9 bolcheviks, 5 mencheviks, 5 social‑démocrates polonais, 2 social‑démocrates lettons, 5 membres du Bund. Cette conférence avait pour but de définir la tactique de la social‑démocratie vis‑à‑vis du coup d’Etat du 3 juin et de la convocation de la III° Douma d’Etat. A cette conférence, Lénine s’éleva contre le boycottage de la Douma. Le rapporteur des partisans du boycottage était A. Bogdanov (Maximov), qui disposait de la majorité chez les bolchéviks. Lénine vota avec les menchéviks pour assurer la majorité à la résolution prônant la participation à cette Douma.)) ». Il y avait autrefois un écrivain qui signait : « Conseiller d’Etat en activité et Chevalier ». Maximov signe : « Rapporteur des boycotteurs » ‑ un chevalier lui aussi, en quelque sorte !

   Dans la conjoncture politique de juin 1907, où Maximov défendait le boycottage, l’erreur n’était encore pas très grave. Mais quand, en juillet 1909, dans un manifeste de son cru, il continue à se targuer de « boycottisme » à l’égard de la III° Douma, c’est complètement stupide. Boycottisme, otzovisme, ultimatisme : à eux seuls ces mots expriment une tendance basée sur une attitude à l’égard du parlementarisme et sur cela seulement. Mais se définir d’après ce critère, continuer à le faire (deux ans après que le parti a porté un jugement de principe sur cette affaire), c’est le signe d’une étroitesse d’esprit incommensurable. Ce sont précisément ceux qui agissent ainsi, c’est‑à‑dire et les « boycotteurs » (de 1909) et les otzovistes, et les ultimatistes, qui montrent, par là même, qu’ils ne raisonnent pas en social-démocrates; ils placent le parlementarisme sur un piédestal; tout comme les anarchistes, ils utilisent des recettes particulières ‑ boycotter une Douma, rappeler leurs membres d’une autre Douma, lancer un ultimatum à telle fraction de la Douma ‑ pour en faire une nouvelle tendance. Agir ainsi, c’est également se conduire en caricature de bolchevik. Chez les bolcheviks, la tendance est déterminée par leur conception générale de la révolution russe et ils ont cent fois souligné (comme pour mettre en garde les béjaunes en matière de politique) qu’identifier bolchevisme et boycottisme ou combatisme est un stupide contresens et une vulgarisation des idées de la social‑démocratie révolutionnaire. Notre point de vue sur l’obligation qu’ont les social‑démocrates de faire partie de la III° Douma, par exemple, découle nécessairement de nos opinions sur le moment présent, sur les tentatives de l’autocratie de faire un pas dans la voie d’une monarchie bourgeoise, sur l’importance de la Douma en tant qu’institution représentative à l’échelle de la nation où sont groupées les classes contre-révolutionnaires. De même que les anarchistes révèlent un crétinisme parlementaire à l’envers, lorsqu’ils dissocient le problème du parlement du problème global de la société bourgeoise en général et qu’ils essaient de créer une tendance basée sur des cris à l’encontre du parlementarisme bourgeois (bien que la critique du parlementarisme bourgeois soit en principe de même nature que la critique de la presse bourgeoise, du syndicalisme bourgeois, etc.), de même nos otzovistes‑ultimatistes‑boycotteurs révèlent un menchevisme à l’envers de la même espèce lorsqu’ils se constituent en tendance à propos de l’attitude à tenir à l’égard de la Douma, à propos des moyens de lutte contre les déviations de la fraction social‑démocrate à la Douma (et non contre les déviations des écrivains bourgeois qui entrent en passant dans la social‑démocratie, etc.).

   Ce crétinisme parlementaire à l’envers a atteint son summum dans le fameux raisonnement du chef des otzovistes moscovites couvert par Maximov : le rappel de la fraction doit souligner que la révolution n’est pas enterrée ! Et Maximov de déclarer publiquement sans rougir : « Les otzovistes ne se sont jamais (oh ! non, jamais !) prononcés dans le sens de l’antiparlementarisme en général. »

   Le patronage accordé aux otzovistes par Maximov et Cie est un des traits marquants de la physionomie de la nouvelle fraction et nous devons nous y arrêter pour l’étudier d’autant plus en détails qu’un public peu averti se laisse prendre bien souvent à l’hameçon de ceux qui se plaignent si amèrement d’avoir été évincés. Ce patronage consiste tout d’abord pour Maximov et Cie à déclarer sans cesse, la main sur le cœur : nous ne sommes pas des otzovistes, nous ne partageons absolument pas leurs opinions ! Ensuite, Maximov et Cie accusent les bolcheviks d’exagérer la lutte contre les otzovistes. C’est exactement l’histoire des relations entre les gens du Rabotchéïé Diélo et ceux de la Rabotchaïa Mysl (1897‑1901). Nous ne sommes pas des « économistes », s’écriaient ceux du Rabotchéïé Diélo en se frappant la poitrine, nous ne partageons pas les idées de la Rabotchaïa Mysl, nous nous disputons avec elle (exactement comme Maximov « se disputait » avec les otzovistes 1), ce sont seulement les méchants iskristes qui ont lancé contre nous de fausses accusations, qui nous ont calomniés, qui ont « gonflé » l’« économisme », etc., etc., etc. C’est pourquoi parmi les « économistes » déclarés et honnêtes, partisans de la Rabotchaïa Mysl, pas mal de gens faisaient fausse route en toute sincérité, sans hésiter à défendre leurs opinions, et on ne pouvait leur refuser son estime; parmi les gens du Rabotchéïé Diélo à l’étranger, par contre, ce n’étaient qu’intrigues caractérisées, brouillage de pistes, jeu de cache‑cache, duperie du public. Les mêmes rapports exactement existent entre les otzovistes déclarés et conséquents (dans le genre de Vsev.((Vsev, pseudonyme de l’otzoviste V. Dénissov. )) et Stan((Stan (Stanislav), pseudonyme de S. Volski (A. Sokolov), l’un des leaders de l’otzovisme, qui participa à l’organisation et aux activités des écoles fractionnistes de Capri et de Bologne.)) bien connus des cercles du parti) et le groupe de Maximov à l’étranger.

   Nous ne sommes pas des otzovistes, clame ce groupe. Mais faites dire à n’importe quel d’entre eux deux mots sur la situation politique actuelle et sur les tâches du parti, et vous entendrez la totalité des raisonnements otzovistes, coupés (comme nous l’avons vu chez Maximov) de quelques gouttes de réserves jésuitiques, d’appendices, de réticences, d’atténuations, d’explications embrouillées, etc. Ce jésuitisme ne vous lave pas, ô victimes d’une injuste révocation, de l’accusation de bêtise otzoviste, mais décuple votre faute, car une confusion idéologique dissimulée pervertit cent fois plus le prolétariat et fait cent fois plus de tort au parti.

   Nous ne sommes pas des otzovistes, se récrient Maximov et Cie. Et pendant ce temps, depuis juin 1908, après avoir quitté la rédaction restreinte du Prolétari, Maximov a fondé une opposition officielle à l’intérieur de la direction collégiale, il a demandé et obtenu la liberté de discussion pour cette opposition, demandé et obtenu une représentation spéciale pour elle dans les organes exécutifs les plus importants de l’organisation qui s’occupent de l’expansion du journal. Il va sans dire que depuis cette même époque, c’est‑à‑dire il y a plus d’un an, tous les otzovistes continuent à demeurer dans les rangs de cette opposition, qu’ils ont organisé ensemble un réseau d’agents en Russie, qu’ils ont adapté ensemble l’école à l’étranger (dont nous parlerons plus loin) aux fins de ce réseau, etc., etc.

   Nous ne sommes pas des otzovistes, clament Maximov et Cie. Mais pendant ce temps, à la Conférence de Russie du parti, en décembre 1908, lorsque les otzovistes les plus honnêtes faisant partie de cette opposition se constituèrent, devant le parti tout entier, en un groupe à part, en un courant idéologique particulier, et reçurent en cette qualité le droit d’avoir leur propre orateur (à cette Conférence, on avait établi que seules les tendances idéologiques séparées ou les organisations particulières pouvaient désigner un orateur particulier, ceci pour ne pas allonger les séances), ce fut le camarade Maximov qui (par hasard, par pur hasard !) se trouva être l’orateur de la fraction otzoviste…

   Cette façon de tromper le parti en lui dissimulant sa tendance otzoviste est systématiquement pratiquée par le groupe de Maximov à l’étranger. En mai 1908, dans une lutte déclarée, l’otzovisme a subi une défaite : à la Conférence de Moscou‑ville il fut battu par 18 voix contre 14 (dans cette région, en juillet 1907, presque tous les social-démocrates étaient des boycotteurs. Cependant, à la différence de Maximov, ils comprirent vers juin 1908, que s’entêter sur le « boycottage » de la III° Douma serait une impardonnable sottise). Après cela, le camarade Maximov organise à l’étranger une opposition de pure forme au Prolétari et entame une discussion comme il ne s’en était jamais pratiquée jusque‑là dans les pages de l’organe périodique bolchevique. Et‑ voilà qu’à l’automne 1908, aux élections à la Conférence de Russie, lorsque toute l’organisation de Pétersbourg se divise en otzovistes et non‑otzovistes (selon l’expression des ouvriers), que dans toutes les sections et sous‑sections de Pétersbourg ont lieu des discussions sur la plate‑forme non des bolcheviks et des mencheviks, mais des otzovistes et des non‑otzovistes, voilà que la plate‑forme otzoviste disparaît de la vue du public. On ne la publie pas dans le Prolétari. On ne la fait pas paraître dans la presse. A la Conférence de Russie de décembre 1908, on ne la communique pas au parti. Ce n’est qu’après la Conférence, sur l’insistance de la rédaction, que cette plate‑forme nous est envoyée et que nous la publions dans le numéro 44 du Prolétari (« Résolution des otzovistes de Pétersbourg »).

   Dans la région de Moscou, le chef des otzovistes bien connu de tous a « corrigé » dans le numéro 5 du Rabotchéïé Znamia((« Rabotchéié Znamia » [Le Drapeau ouvrier], journal bolchevique illégal, organe du Bureau régional de la région industrielle du Centre, des Comités du P.O.S.D.R. de Moscou et de l’arrondissement de Moscou; il parut à Moscou de mars à décembre 1908; il en sortit 7 numéros.)) l’article d’un ouvrier otzoviste, mais jusqu’à présent nous n’avons pas reçu la plate­forme personnelle de ce chef. Nous savons très bien que dès le printemps 1909, lorsqu’on procédait aux préparatifs de la conférence régionale de la région industrielle du centre, la plate‑forme du chef des otzovistes circulait de mains en mains. Nous savons, par des informations émanant de bolcheviks, que cette plate‑forme contenait, en plus grand nombre encore que celle de Pétersbourg, des perles d’un raisonnement bien peu social‑démocrate. Mais le texte de cette plate‑forme ne nous est toujours pas parvenu, probablement par hasard, par le plus grand des hasards, comme celui qui a fait que Maximov s’est trouvé être le porte‑parole des otzovistes à la conférence.

   La question de l’utilisation des possibilités légales a été elle aussi dissimulée par Maximov et Cie sous une phrase « coulante » disant que cela « allait de soi ». Il serait intéressant de savoir si cela « va de soi » maintenant aussi pour les chefs‑praticiens de la fraction maximoviste, les camarades Liadov et Stanislav, qui il y a trois mois, au Bureau de la région industrielle du centre, se trouvant alors entre leurs mains (ce même Bureau qui a entériné la fameuse « école »; sa composition a changé depuis); faisaient adopter une résolution contre la participation des social‑démocrates au Congrès des médecins d’usines((Le Premier Congrès de Russie des médecins d’usine et des délégués de l’industrie eut lieu à Moscou du 1° au 6 (14 au 19) avril 1909. )). C’était, comme on sait, le premier congrès auquel les social‑démocrates révolutionnaires étaient en majorité. Et tous les otzovistes et ultimatistes les plus en vue avaient fait de la propagande contre la participation à ce Congrès en déclarant qu’y prendre part, c’était « trahir la cause du prolétariat ». Mais Maximov s’occupe de brouiller la piste : « cela va de soi ». « Il va de soi » que les otzovistes et les ultimatistes déclarés sapent ouvertement en Russie le travail pratique, tandis que Maximov et Cie que les lauriers de Kritchevski et de Martynov empêchent de dormir, escamotent l’essentiel : il n’existe aucune divergence, aucune opposition sur la question de l’utilisation des possibilités légales.

   Le rétablissement des organes du parti, des groupes de liaison et autres à l’étranger, provoque forcément aussi un retour aux abus du passé qu’il faut combattre avec la plus grande fermeté. C’est l’histoire des « économistes » qui se répète : en Russie, ils faisaient de la propagande contre la lutte politique, tandis qu’à l’étranger, ils se dissimulaient derrière le Rabotchéïé Diélo. C’est l’histoire du « credo »((Credo, manifeste des « économistes » composé par E. Kouskova, publié en 1899. On trouve une critique du « Credo » dans la « Protestation des social‑démocrates de Russie » rédigée par Lénine et publiée à l’étranger en décembre 1899, sous forme d’un tiré à part extrait du n° 4‑5 de la revue Rabotchéié Diélo (voir Œuvres Paris‑Moscou, t. 4, pp. 171‑186).)) démocrate bourgeois qui fut répandu en Russie par Prokopovitch et Cie et qui fut publié dans la presse par les social‑démocrates révolutionnaires contre le gré de ses auteurs. Il n’y a rien de plus pernicieux pour le parti que ce jeu de cache‑cache, cette spéculation sur les difficiles conditions du travail illégal afin d’éviter la publicité dans le parti, ce jésuitisme de Maximov et Cie qui pour tout et en tout agissent la main dans la main avec les otzovistes et qui dans la presse affirment en se frappant la poitrine que tout cet otzovisme est orchestré à dessein par le Prolétari.

   Nous ne sommes pas des chicaneurs ni des formalistes, mais des gens qui font un travail révolutionnaire. Ce qui nous importe, ce ne sont pas les distinctions réthoriques qu’on peut établir entre otzovisme, ultimatisme et « boycottisme » (contre la III° Douma). Ce qui nous importe, c’est le contenu réel de la propagande et de l’agitation social‑démocrate. Et si, sous couvert de bolchevisme, on propage dans les cercles russes clandestins des idées qui n’ont rien à voir ni avec le bolchevisme ni avec la social‑démocratie en général, ceux qui empêchent de faire la lumière sur ces idées, d’expliquer leur fausseté devant le parti tout entier, se conduisent en ennemis du prolétariat.

IV

   Ces gens‑là se sont aussi fait remarquer dans la question de la construction de Dieu. La rédaction élargie du Prolétari a adopté et publié deux résolutions sur cette question : l’une sur le fond de l’affaire, l’autre plus spécialement sur la protestation de Maximov. On va se demander : mais que dit maintenant ce Maximov dans son « Rapport » ? Il a rédigé ce « Rapport » pour brouiller la piste, tout à fait comme ce diplomate qui disait que la langue a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée((Lénine fait allusion à Talleyrand, diplomate français de la fin du XVIII° s. et du début du XIX° s.)). On a répandu quelques « renseignements erronés » sur une « prétendue tendance à la construction de Dieu » dans le groupe de Maximov, et rien de plus.

   « Des renseignements erronés », dites‑vous ? Oh ! que non, cher ami. Si vous vous êtes mis à brouiller la piste, c’est que vous connaissez toute l’exactitude des « renseignements » en possession du Prolétari. Vous savez parfaitement que ces « renseignements », comme il est dit dans la résolution publiée, concernent d’abord les œuvres littéraires nées de votre groupe de littérateurs. Ces œuvres sont indiquées avec une parfaite précision dans notre résolution; la seule chose que celle‑ci n’ajoute pas ‑ une résolution ne pouvait le faire ‑ c’est que depuis près d’un an et demi, le plus grand mécontentement contre la « construction de Dieu » des frères d’armes règne dans les cercles dirigeants bolcheviques et que c’est précisément sur ce terrain (en plus de celui dont il a été question plus haut) qu’une nouvelle fraction composée de caricatures de bolcheviks nous a gâté toute possibilité de travail par ses faux‑fuyants, ses artifices, ses chicanes, ses prétentions, ses intrigues. Et Maximov connaît fort bien la plus fameuse de ces dernières, qui est la protestation qu’il a rédigée et adressée dans les formes à la rédaction du Prolétari contre l’article « Nos chemins divergent » (n° 42 du Prolétari). Peut‑être est‑ce là aussi un « renseignement erroné », ô victime d’une injuste révocation ? Peut‑être s’agit‑il aussi d’une « pseudo-protestation » ?

   Eh bien, non, figurez‑vous, la politique qui consiste à brouiller la piste ne réussit pas toujours, et dans notre parti, elle ne vous réussira jamais. Rien ne sert de jouer à cache‑cache et de faire des cachotteries à propos de choses bien connues de tous ceux qui s’intéressent à la littérature et à la social‑démocratie russes. Il y a un groupe de littérateur qui, à l’aide de quelques maisons d’édition bourgeoises, submerge notre littérature légale d’une propagande systématique pour la construction de Dieu. Maximov fait partie de ce groupe. C’est précisément au cours de ces derniers dix‑huit mois que cette propagande est devenue systématique, lorsque la bourgeoisie russe, à des fins contre‑révolutionnaires, a eu besoin de ranimer la religion, d’éveiller l’intérêt pour la religion, de forger une religion, de l’inoculer au peuple ou de renforcer son emprise sur lui. La propagande pour la construction de Dieu a pris ainsi un caractère social et politique. De même qu’en période de révolution, la presse bourgeoise cajolait et flattait les mencheviks les plus zélés à cause de leur cadétophilie, de même, en période de contre‑révolution, elle couvre de baisers les constructeurs de Dieu des milieux ‑ tenez‑vous bien ! ‑ marxistes et même des milieux « bolcheviques eux aussi ». Et lorsque l’organe officiel du bolchevisme a déclaré dans un article de la rédaction que le bolchevisme n’avait rien de commun avec pareille propagande (cette déclaration fut faite dans la presse après l’échec d’innombrables tentatives par lettres et conversations personnelles d’obtenir la cessation de cette honteuse prédication), le camarade Maximov a adressé une protestation en bonne et due forme à la rédaction du Prolétari. Lui, Maximov, avait été élu au Congrès de Londres((Congrès de Londres (Cinquième Congrès du P.O.S.D.R.): il eut lieu entre le 30 avril et le 19 mai (le 13 mai et le l° juin) 1907.)), ce qui faisait que son « droit acquis » se trouvait violé par ceux qui avaient osé désavouer officiellement la honteuse propagande pour la construction de Dieu ! « Eh quoi ! ne dirait‑on pas que notre fraction est prisonnière des littérateurs de la construction de Dieu ? » Cette remarque échappa au camarade Marat((Marat, pseudonyme de V. Schantser, membre de la rédaction du Prolétari, devenu plus tard ultimatiste et membre du groupe « Vpériod ».)) au cours d’une scène orageuse à la rédaction; oui, oui, à ce même camarade Marat si modeste, si plein de bonne volonté, si pacifique, si bienveillant que, jusqu’à maintenant, il n’est pas encore arrivé à décider s’il doit suivre les bolcheviks ou les pieux otzovistes.

   Ou peut‑être tout cela est‑il encore un « renseignement erroné », ô Maximov, innocente victime d’une injuste révocation ? Il n’existe peut‑être aucun groupe de littérateurs de la construction de Dieu, vous ne les avez peut‑être pas défendus, vous n’avez peut‑être jamais protesté contre l’article « Nos chemins divergent » ?

   A propos des « renseignements erronés » sur la tendance de la construction de Dieu, le camarade Maximov parle dans son « Rapport » de l’école à l’étranger organisée par la nouvelle fraction. Le camarade Maximov souligne si fort cette « organisation de la première (les italiques sont de lui) école du parti à l’étranger », il mène si bien le public par le bout du nez à ce sujet, qu’il faut parler de cette fameuse école d’une manière plus détaillée.

   Le camarade Maximov se plaint amèrement :

   « Pas une seule tentative n’a été faite par la rédaction du Prolétari, non seulement pour apporter son soutien à cette école, mais même pour en prendre en main le contrôle; avant de répandre sur l’école des renseignements mensongers récoltés on ne sait où, la rédaction n’a fait aucune enquête auprès de ses organisateurs pour les vérifier. Voilà quelle a été l’attitude de la rédaction dans toute cette affaire. »

   Bien, bien. « Pas une seule tentative, même pour prendre en main le contrôle de l’école »… Le jésuitisme de Maximov en arrive à tel point dans cette phrase qu’il se trahit lui‑même.

   Rappelez‑vous, lecteurs, le foyer Eroguine à l’époque de la I° Douma. Zemski natchalnik((En 1889, le gouvernement tsariste, afin de renforcer le pouvoir des gros propriétaires fonciers sur les paysans, créa le poste de zemski natchalnik. Les zemskié natchalniki, nommés parmi les propriétaires nobles, reçurent des pouvoirs énormes d’ordre administratif et juridique, allant jusqu’au droit d’arrêter les paysans et de leur infliger des châtiments corporels.)) à la retraite (ou chevalier d’administration dans ce genre), Eroguine avait organisé à Pétersbourg un foyer pour les députés paysans de passage, par désir de prêter son concours aux « vues du gouvernement ». Les campagnards inexpérimentés qui arrivaient dans la capitale étaient récupérés par les agents d’Eroguine et dirigés vers son foyer où, cela va sans dire, ils se trouvaient à bonne école. Là, on corrigeait les doctrines erronées de la « gauche », on vilipendait les troudoviks((Groupe du Travail (les troudoviks), groupe de démocrates petits‑bourgeois aux Doumas d’Etat, compose de paysans et d intellectuels d’inspiration populiste. Leur fraction fut constituée en avril 1906 avec les députés paysans de la I° Douma d’Etat.)), etc., et les nouveaux venus à la Douma étaient initiés à la sagesse gouvernementale « vraiment russe ». Heureusement, le fait que la Douma d’Etat se trouve à Pétersbourg a forcé Eroguine à installer son foyer dans cette ville : or Pétersbourg étant un centre idéologique et politique suffisamment vaste et libre, il va sans dire que les députés d’Eroguine eurent tôt fait d’abandonner ce foyer pour déménager dans le camp des troudoviks ou dans celui des députés indépendants. L’initiative d’Eroguine avait tourné à sa honte et à celle du gouvernement.

   Maintenant, lecteurs, imaginez que semblable foyer soit organisé, non pas dans quelque Pétersbourg de l’étranger, mais dans un quelconque Tsarévokokchaïsk((Tsarévokokchaïsk, petite ville de district de la Russie tsariste)) situé hors de nos frontières. Vous conviendrez alors que les Eroguine otzovistes et constructeurs de Dieu ont profité de leur connaissance de l’Europe pour se montrer plus malins que le vrai Eroguine russe. Ces gens qui se disent bolcheviks ont constitué une caisse indépendante de la caisse générale des bolcheviks, unique pour autant que nous le sachions, qui couvre les frais de publication et de diffusion du Prolétari. Ils ont organisé leur propre réseau d’agents, ils ont glissé quelques‑uns de leurs agitateurs à Tsarévokokchaïsk, y ont fait venir quelques ouvriers social‑démocrates inscrits au parti et ont baptisé ce foyer Eroguine (caché du parti à Tsarévokokehaïsk) du nom de « première école du parti » (du parti parce que cachée du parti) « à l’étranger ».

   Hâtons‑nous de faire quelques réserves. Attendu que le camarade Maximov révoqué a mis beaucoup d’empressement à soulever la question de savoir si sa révocation était légale ou illégale (à ce sujet, voir ci‑dessous), hâtons‑nous donc de faire des réserves et de dire que dans la façon d’agir de nos Eroguine otzovistes et constructeurs de Dieu, il n’y a strictement rien d’« illégal ». Absolument rien. Tout est parfaitement régulier : que des amis politiques se groupent ensemble dans un parti, qu’ils aient une caisse et organisent une seule entreprise générale d’agitation et de propagande. Qu’à un moment donné ils désirent choisir pour cette entreprise la forme, disons, d’une « école » et non pas d’un journal; qu’ils la considèrent officiellement comme du parti, puisque ce sont des membres du parti qui l’ont fondée et puisqu’il y a au moins une organisation du parti, quelle qu’elle soit qui assume la responsabilité politique et idéologique de cette entreprise. Tout cela est parfaitement légal et serait très bien si… s’il n’y avait pas là de jésuitisme, d’hypocrisie, s’il n’y avait pas duperie de son propre parti.

   N’est‑ce pas tromper le parti que de souligner publiquement que l’école lui appartient, c’est‑à‑dire de limiter la question à la subordination formelle de l’école et de taire les noms de ses promoteurs et de ses fondateurs, ce qui revient à passer sous silence sa tendance politique et idéologique en tant qu’entreprise de la nouvelle fraction de notre parti ? A la rédaction du Prolétari, il y a eu deux « papiers » au sujet de cette école (les rapports de la rédaction avec Maximov depuis plus d’un an déjà se bornent à un échange de « papiers » et de notes diplomatiques). Le premier était anonyme, il ne portait absolument aucune signature, c’était une simple dissertation sur l’utilité de l’instruction et sur l’importance de ces établissements à but instructif qu’on appelle écoles. Le second était signé par des prête‑noms. Aujourd’hui, en prenant publiquement position dans la presse pour exalter la « première école du parti à l’étranger », le camarade Maximov dissimule, comme d’habitude, son caractère d’école d’une fraction.

   Cette politique de jésuite nuit au parti. Cette « politique », nous allons la démasquer. Ceux qui ont pris l’initiative de cette école et qui l’ont fondée sont en fait les camarades « Er »((Er, pseudonyme de S. Volski.)) (appelons ainsi le chef des otzovistes moscovites bien connu de tous au parti ; c’est lui qui a lu les exposés sur l’école, organisé l’école des étudiants et qui a été choisi comme conférencier par quelques cercles ouvriers), Maximov, Lounatcharski, Liadov, Alexinski, etc. Nous ne savons pas, et cela ne nous intéresse pas de savoir le rôle particulier qu’ont joué les uns ou les autres de ces camarades, comment ils se répartissent dans les différentes institutions officielles de l’école, dans son « conseil », dans sa « commission exécutive », dans son collège de conférenciers, etc. Nous ne savons pas quels sont les camarades « extrafractionnels » qui peuvent venir à l’occasion compléter cette compagnie. Tout cela n a aucune importance. Nous soutenons que la vraie tendance idéologique et politique de cette école, en tant que nouveau centre fractionnel, est précisément définie par la liste des noms cités et qu’en la dissimulant au parti, Maximov mène une politique de jésuite. Il n’est pas mauvais qu’un nouveau centre fractionnel ait vu le jour dans le parti, nous ne sommes absolument pas de ces gens qui ne demandent pas mieux que de se constituer un petit capital politique avec des clameurs démagogiques, et qui ne leur coûtent pas cher, contre le fractionnisme; au contraire, il est bon qu’une nuance particulière ait la possibilité de s’exprimer dans le parti, du moment qu’elle existe. Ce qui est mauvais, c’est que le parti soit induit en erreur ainsi que les ouvriers qui éprouvent de la sympathie, cela va de soi, pour toute école, comme pour toute entreprise instructive.

   N’est‑ce pas de l’hypocrisie de la part du camarade Maximov que de se lamenter publiquement parce que la rédaction du Prolétari n’a « même » (« même » !) pas voulu « prendre en main le contrôle de l’école » ? Pensez donc, en juin 1908, le camarade Maximov a quitté la rédaction restreinte du Prolétari, depuis lors on assiste dans la fraction bolchevique à une lutte intérieure quasi permanente et qui revêt mille formes diverses. Alexinski est à l’étranger, « Er » et Cie sont hors des frontières, et en Russie on répète sur tous les tons, après Maximov, toutes les sentencieuses sottises des otzovistes et des constructeurs de Dieu contre le Prolétari. Maximov rédige et fait paraître des protestations formelles contre l’article « Nos chemins divergent »; tous ceux qui connaissent, ne serait‑ce que par oui‑dire, les affaires du parti, parlent de l’impossibilité d’éviter une scission chez les bolcheviks (il suffit de rappeler que le menchevik Dan a déclaré bien haut à une séance officielle de la Conférence de Russie de décembre 1908 : « Qui ne sait que les bolcheviks accusent maintenant Lénine de trahir le bolchevisme » !), et le camarade Maximov jouant l’innocence de l’enfant qui vient de naître, demande solennellement à son très respectable public : pourquoi la rédaction du Prolétari n’a‑t‑elle « même » pas voulu prendre en main le contrôle de l’école du parti dans le Tsarévokokchaïsk des constructeurs de Dieu ? Le « contrôle » de l’école ! Les partisans du Prolétari assistant en qualité d’« inspecteurs » aux cours de Maximov, de Lounatcharski, d’Alexinski et Cie !! Allons, pourquoi jouer cette indigne, cette lamentable comédie ? Pourquoi ? Pourquoi jeter de la poudre aux yeux du public en distribuant des « programmes » et des « rapports » sur l’« école » qui ne veulent rien dire, au lieu de donner franchement, carrément les noms des dirigeants et animateurs idéologiques du nouveau contre fractionnel !

   Pourquoi ? Nous allons tout de suite répondre à cette question, mais finissons‑en d’abord avec cette question d’école : Tsarévokokchaïsk pourrait trouver place à Pétersbourg ou s’y transporter (du moins en grande partie), mais Pétersbourg ne peut ni trouver place à Tsarévokokchaïsk ni s’y transporter. Les étudiants de la nouvelle école du parti les plus énergiques et les plus indépendants sauront trouver le chemin qui mène de la nouvelle petite fraction à notre large parti, de « la science » des otzovistes et des constructeurs de Dieu à la science du social‑démocratisme en général et du bolchevisme en particulier. Quant à ceux qui se contenteront de l’enseignement d’Eroguine, on n’y peut rien. La rédaction du Prolétari est et restera prête à apporter toute l’aide possible à tous les ouvriers, quelles que soient leurs idées, s’ils désirent déménager du Tsarévokokehaïsk de l’étranger au Pétersbourg de l’étranger (ou y passer) pour connaissance avec les idées du bolchevisme. C’est l’hypocrite politique de ceux qui ont eu l’initiative de « la première école du Parti à l’étranger » et qui l’ont fondée, que nous allons démasquer devant tout le parti.

V

   Pourquoi tant d’hypocrisie chez Maximov, demandions-nous, et nous avons attendu pour répondre à cette question d’en avoir fini avec la discussion sur l’école. Mais à vrai dire, ce n’est pas la question « pourquoi ? » mais la question « comment ? » qui mérite ici d’être éclaircie. Il serait faux de croire que tous les membres de la nouvelle fraction pratiquent consciemment et dans un but déterminé cette politique d’hypocrisie. Non. Ce qu’il y a, c’est qu’elle se trouve en germe dans la situation même de cette fraction, dans les conditions où elle intervient et où elle agit (ce dont beaucoup d’otzovistes et de constructeurs de Dieu ne sont pas conscients).

   Il y a longtemps que l’on dit que l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu. Mais c’est une maxime qui concerne le domaine de la morale personnelle. Pour ce qui est des tendances politiques et idéologiques, il faut dire que l’hypocrisie est la couverture à laquelle s’accrochent des groupes intérieurement hétérogènes, composés d’éléments de différents poils, rassemblés par hasard, et qui se sentent trop faibles pour se manifester ouvertement et directement.

   La composition de la nouvelle fraction indique la couverture dont elle s’est saisie. L’état‑major de la fraction des pieux otzovistes comprend des philosophes méconnus, des constructeurs de Dieu ridiculisés, des otzovistes convaincus d’imbécilité anarchiste et de creuse phraséologie révolutionnaire, des ultimatistes brouillons, enfin de ces combatistes (peu nombreux heureusement dans la fraction bolchevique) qui jugent au‑dessous de leur dignité d’entreprendre un travail révolutionnaire social‑démocrate obscur, modeste, dépourvu de tout panache, de tout « éclat » extérieur, mais qui répond aux conditions et aux objectifs d’une époque « inter‑révolutionnaire ». Ceux‑là, Maximov les comble avec une phrase « brillante » sur les écoles et les groupes d’instructeurs… en 1909. La seule chose qui unisse fortement à l’heure actuelle ces éléments de calibres divers, c’est une haine farouche pour le Prolétari, haine bien méritée puisque toutes les tentatives faites par ces éléments pour obtenir le droit de s’exprimer dans ce journal, pour s’en faire reconnaître, même indirectement, ou pour avoir son patronage, se sont toujours heurtées à une riposte des plus vives.

   « Abandonnez à jamais tout espoir », voilà ce que disait à ces éléments le Prolétari dans chacun de ses numéros, à chaque réunion de rédaction, à chaque intervention suscitée par quelque question à l’ordre du jour que ce soit concernant la vie du parti.

   Et voilà que, lorsque (par suite des conditions objectives du développement de notre révolution et de notre contre-révolution) furent mises à l’ordre du jour, dans le domaine littéraire, les questions de la construction de Dieu et des bases théoriques du marxisme, et dans le domaine du travail politique, celle de l’utilisation de la III° Douma et de sa tribune par la social‑démocratie, ces éléments se sont unis et il s’est alors produit un éclatement naturel et inévitable.

   Comme tout éclatement, cela s’est passé brusquement : non que les tendances ne se soient pas fait remarquer auparavant, non qu’il n’y ait pas eu de manifestations isolées, mais en ce sens que ce regroupement politique de tendances hétérogènes, dont quelques‑unes sont très loin de la politique, s’est fait presque inopinément. Le grand public est pour cela enclin, comme toujours, à admettre d’abord l’explication petite‑bourgeoise de la nouvelle scission mettant en cause quelque défaut d’un dirigeant ou d’un autre, l’influence exercée par l’étranger, et par l’esprit de cénacle, etc. Il est indubitable que l’étranger, devenu nécessairement par suite de conditions objectives la base opérationnelle de toutes les organisations révolutionnaires centrales, a laissé son empreinte sur la forme du schisme. Il est certain que les caractéristiques du cercle littéraire qui n’adhérait à la social‑démocratie que par un seul côté, se reflètent aussi dans cette forme. Nous appelons explication petite‑bourgeoise non la constatation de ces circonstances qui ne peuvent rien expliquer en dehors de la forme, des prétextes, de l’« histoire extérieure », de la scission, mais la mauvaise volonté ou l’inaptitude à comprendre les bases, les causes et les racines politiques et idéologiques des divergences.

   La méconnaissance de ces bases par la nouvelle fraction a eu également pour résultat qu’elle s’est accrochée à une vieille couverture, en brouillant les pistes, en niant ses liens indissolubles avec l’otzovisme, etc. La méconnais­sance de ces bases amène la nouvelle fraction à spéculer sur l’explication petite‑bourgeoise de la scission et sur la sympathie petite‑bourgeoise.

   Maximov et Cie ne spéculent‑ils pas en effet sur la sympathie petite‑bourgeoise lorsqu’ils se mettent maintenant à gémir en public sur leur « mise à la porte », sur leur « révocation » ? Faites l’aumône d’un peu de sympathie, pour l’amour de Dieu, à ces pauvres gens qu’on a mis dehors, aux victimes d’une injuste « révocation »… Que cet expédient soit parfaitement calculé pour attirer les sympathies petites‑bourgeoises est démontré par ce fait original que même le camarade Plekhanov, ennemi de toute construction de Dieu, de toute philosophie « nouvelle », de tout otzovisme et ultimatisme, etc., même lui, y est allé, pour l’amour de Dieu, de sa petite aumône et a pris prétexte des pleurnicheries de Maximov pour traiter encore et encore, à cette occasion, les bolcheviks de « draconiens » (voir les Cahiers du Social‑Démocrate de Plekhanov, août 1909). Si Maximov est allé quémander la sympathie jusque chez Plekhanov, vous pouvez imaginer, lecteurs, combien les éléments petits‑bourgeois à l’intérieur de la social‑démocratie ou près d’elle vont verser avec lui de larmes de compassion sur la « mise à la porte », la « révocation » de ces braves, de ces bien intentionnés, de ces modestes otzovistes et constructeurs de Dieu.

   Cette affaire de révocation a été exploitée par le camarade Maximov et dans la forme et dans le fond. Voyons cela.

   Du point de vue de la forme, la révocation de Maximov est « illégale », nous disent les évincés, et « nous ne l’admettons pas », car Maximov « a été élu par le Congrès bolchevique, c’est‑à‑dire par la partie bolchevique du Congrès du parti ». En lisant la feuille de Maximov et de Nikolaïev, le public prend connaissance d’une sévère accusation (« révocation illégale »), sans avoir ni la formule exacte ni les matériaux pour juger de l’affaire. Mais tel est justement le procédé habituel de certains éléments lors des scissions à l’étranger : atténuer les divergences de principe, les dissimuler, faire le silence sur les discussions idéologiques, taire le nom de ses adeptes et faire beaucoup de bruit sur les conflits d’organisation que le public n’est pas en mesure d’apprécier exactement ni en droit d’analyser en détail. C’est ainsi qu’agirent les partisans du Rabotchéïé Diélo en 1899, proclamant que l’« économisme » n’existait pas, mais que c’était Plekhanov qui avait volé l’imprimerie. C’est ainsi que se conduisirent les mencheviks en 1903, se récriant qu’il n’était pas question d’un revirement de leur part en faveur du Rabotchéïé Diélo, mais que c’était Lénine qui avait « mis à la porte » ou « évincé » Potressov, Axelrod et Zassoulitch, etc. C’est ainsi qu’agissent les gens qui spéculent sur les amateurs de scandale et de sensationnel à l’étranger. Point d’otzovisme ni de construction de Dieu, point. Il y a « révocation illégale » de Maximov par la « majorité de la rédaction » qui veut « garder à son entière disposition » « les biens de toute la fraction »; venez donc à notre boutique, messieurs, nous vous raconterons là-dessus quelque chose d’on ne peut plus piquant…

   Vieux procédé, camarades Maximov et Nikolaïev ! Les politiciens qui y recourent ne manqueront pas de se casser le cou.

   Nos « révoqués » parlent d’« illégalité » parce qu’ils estiment que la rédaction du Prolétari n’a pas le droit de décider du sort de la fraction bolchevique et de la scission. Très bien, messieurs. Si la rédaction du Prolétari et les quinze bolcheviks, membres ou suppléants du Comité central élus au Congrès de Londres, n’ont pas le droit de représenter la fraction bolchevique, il vous est tout à fait loisible de le déclarer bien haut et de faire campagne pour renverser ou remplacer cette inopportune représentation. Vous l’avez bien d’ailleurs fait, cette campagne, mais n’ayant essuyé qu’une série d’échecs, vous avez choisi de gémir et de pleurnicher. Puisque vous avez soulevé la question d’un congrès ou d’une conférence des bolcheviks, camarades Maximov et Nikolaïev, pourquoi n’avez‑vous pas dit publiquement que le camarade « Er », il y a quelques mois, avait déjà présenté au Comité de Moscou un projet de résolution exprimant la défiance à l’égard du Prolétari et recommandant l’organisation d’une conférence des bolcheviks pour élire un nouveau centre idéologique bolchevique ?

   Pourquoi vous êtes‑vous tus à ce sujet, ô victimes d’une injuste révocation ?

   Pourquoi n’avoir pas dit que la résolution de « Er » avait été repoussée par toutes les voix sauf la sienne ?

   Pourquoi n’avoir pas dit qu’à l’automne 1908, dans toute l’organisation de Pétersbourg, du haut en bas de l’échelle, il y avait eu conflit sur les plates‑formes des deux tendances du bolchevisme, celle des otzovistes et celle des adversaires de l’otzovisme, lutte dans laquelle les premiers avaient eu le dessous ?

   Maximov et Nikolaïev ont envie de pleurnicher devant le public parce qu’ils ont essuyé plus d’une défaite en Russie. « Er » et les otzovistes pétersbourgeois avaient le droit, sans attendre de conférence et sans publier leur plate‑forme devant tout le parti, de mener du haut en bas la lutte contre le bolchevisme.

   Mais la rédaction du Prolétari qui, depuis juin 1908, a déclaré une guerre ouverte à l’otzovisme n’avait pas le droit, après une année de luttes, une année de discussions, une année de tiraillements, de conflits, etc., après avoir fait venir de Russie trois délégués régionaux et quelques membres russes de la rédaction élargie qui n’avaient pris part à aucun conflit à l’étranger, elle n’avait pas le droit de déclarer ce qui était à savoir que Maximov avait rompu avec elle, que le bolchevisme n’avait rien de commun avec l’otzovisme, l’ultimatisme et la construction de Dieu.

   Cessez de faire les hypocrites, messieurs ! Vous avez porté le combat sur un terrain où vous vous croyiez très forts et vous avez perdu. Vous avez porté l’otzovisme dans les masses au mépris de la décision du centre officiel des bolcheviks et sans attendre aucune conférence spéciale. Et maintenant, vous vous mettez à pleurnicher et à gémir parce que vous vous trouvez en minorité ridiculement faible dans la rédaction élargie et à la Conférence à laquelle participent les délégués régionaux !

   Nous voilà de nouveau en présence du procédé typique des partisans du Rabotchéïé Diélo à l’étranger : jouer à la « démocratie », alors que n’existent pas les conditions d’une démocratie totale, spéculer sur la possibilité d’attiser tout mécontentement « à l’étranger » et en même temps diriger de là‑bas (au moyen de l’« école ») sa propre propagande en faveur de l’otzovisme et de la construction de Dieu, provoquer une scission parmi les bolcheviks et ensuite le déplorer, fonder sa propre fraction (sous la couverture de l« école ») et verser des larmes hypocrites sur la politique « scissionniste » du Prolétari.

   Non, en voilà assez de ces chicaneries ! Une fraction est une union indépendante de ceux qui partagent les mêmes idées à l’intérieur du parti, et après plus d’une année de lutte, aussi bien en Russie qu’à l’étranger, nous avons acquis le droit et nous avons été dans l’obligation de tirer des conclusions définitives. Et c’est ce que nous avons fait. Vous avez parfaitement le droit de les combattre, de proposer votre plate‑forme, de gagner la majorité. Si vous ne le faites pas, si au lieu de vous unir ouvertement aux otzovistes et de proposer une plate‑forme commune, vous continuez à jouer à cache‑cache et à spéculer sur un « démocratisme » de l’étranger au rabais, alors vous ne récolterez que le mépris que vous aurez mérité.

   Vous menez un double jeu. D’un côté vous déclarez que le Prolétari s’est depuis un an engagé « à fond » dans une ligne non bolchevique (et vos partisans de Russie ont plus d’une fois essayé d’introduire ces idées dans les résolutions du Comité de Pétersbourg et du Comité de Moscou). D’un autre côté vous vous plaignez qu’il y eut scission et refusez d’admettre votre « révocation ». D’un côté, vous marchez en fait la main dans la main avec les otzovistes et les constructeurs de Dieu, de l’autre vous les reniez et vous affectez de grands airs de conciliateurs cherchant à réconcilier les bolcheviks avec eux.

   « Abandonnez à jamais tout espoir ! » Vous pouvez obtenir la majorité. Vous pouvez remporter toutes les victoires possibles parmi la partie des bolcheviks qui n’est pas encore mûre. Nous, nous n’accepterons aucune réconciliation. Bâtissez votre fraction ou, plutôt, continuez à la bâtir comme vous l’avez déjà commencé, mais ne trompez pas le parti, ne trompez pas les bolcheviks. Aucune conférence, aucun congrès au monde ne réconciliera maintenant les bolcheviks avec les otzovistes, les ultimatistes et les constructeurs de Dieu. Nous avons dit et nous le répétons : chaque bolchevik social‑démocrate et chaque ouvrier conscient doit faire un choix résolu et définitif.

VI

   Tout en dissimulant sa parenté idéologique et en redoutant de développer sa plate‑forme réelle, la nouvelle fraction s’efforce de combler les insuffisances de son bagage idéologique en empruntant ses mots à celui des vieilles scissions. « Un nouveau Prolétari », « la ligne du Nouveau Prolétari », clament Maximov et Nikolaïev en s’inspirant de la vieille bataille contre la nouvelle Iskra.

   Voilà un procédé bien fait pour séduire certains novices de la politique.

   Mais même ces vieux mots‑là, vous ne savez pas les employer, messieurs. Le « sel » du slogan « contre la nouvelle Iskra » venait de ce que les mencheviks qui s’emparaient de l’« Iskra » devaient eux‑mêmes adopter une nouvelle ligne, alors que le Congrès (le II° Congrès du P.O.S.D.R. en 1903) avait justement confirmé la ligne de la vieille Iskra. Le « sel » venait de ce que c’était aux mencheviks (par la bouche de Trotski en 1903‑1904) de proclamer : entre la vieille et la nouvelle Iskra, il y a un abîme. Et Potressov et Cie s’efforcent jusqu’à ce jour d’effacer les « traces » de cette époque où la vieille Iskra les menait.

   Le Prolétari en est maintenant à son quarante‑septième numéro. Il y a exactement trois ans, en août 1906, paraissait le premier. Dans ce premier numéro, daté du 21 août, nous trouvons un article de la rédaction « A propos du boycottage », et dans cet article, nous lisons noir sur blanc : « Le temps est justement venu, pour les social‑démocrates révolutionnaires, de cesser le boycottage. » Depuis lors il n’y a pas eu un seul numéro du Prolétari où fût insérée ne serait‑ce qu’une ligne en faveur du « boycottisme » (après 1906), de l’otzovisme et de l’ultimatisme, sans que soit désavouée cette caricature du bolchevisme. Et maintenant, ces caricatures de bolcheviks se dressent sur leurs ergots, tentant de se comparer à ceux qui, d’abord, ont dirigé la campagne menée pendant trois ans par la vieille Iskra, qui ont renforcé sa ligne au II° Congrès du parti, et qui ont ensuite dénoncé le revirement effectué par la nouvelle Iskra !

   « Ex‑rédacteur du journal ouvrier populaire Vpériod », signe maintenant le camarade Maximov pour rappeler au lecteur que, comme il dit, « les oies ont sauvé Rome ». Votre attitude à l’égard de la ligne du journal Vpériod((« Vpériod » [En avant], journal bolchevique ouvrier de masse, dirigé par Lénine. Il fut publié illégalement à Vyborg par la rédaction du Prolétari, entre le 10 (23) septembre 1906 et le 19 janvier (I° février) 1908; il en sortit 20 numéros.)), lui répondrons‑nous à propos de ce rappel, est exactement celle de Potressov à l’égard de la vieille Iskra. Potressov en était le rédacteur, mais ce n’était pas lui qui dirigeait la vieille Iskra, c’était elle qui le menait. Dès qu’il voulut en changer la ligne, les vieux iskristes lui tournèrent le dos. Et à présent, Potressov lui‑même se met en quatre pour se blanchir de ce « péché de jeunesse », de sa collaboration à la rédaction de la vieille Iskra.

   Ce n’est pas Maximov qui dirigeait le journal Vpériod, mais c’est le journal qui le menait. La preuve en est le boycottage de la III° Douma en faveur duquel Vpériod n’a pas dit et ne pouvait dire un seul mot. Maximov se comportait très bien, très intelligemment, lorsqu’il se laissait mener par le journal Vpériod. Maintenant il a entrepris d’inventer (ou, ce qui revient au même, il a aidé les otzovistes à inventer) une ligne où il va immanquablement se laisser fourvoyer, comme Potressov.

   Rappelez‑vous ceci, camarade Maximov : comme base de comparaison, il faut prendre l’ensemble de la tendance politique et idéologique et non les « mots », non les « slogans » que certains apprennent par cœur sans en comprendre le sens. Pendant trois ans, de 1900 à 1903, le bolchevisme a dirigé la vieille Iskra et, en tant que tendance monolithique, a déclaré la guerre au menchevisme. Les mencheviks se sont longtemps empêtrés dans cette alliance, nouvelle pour eux, avec les anti‑iskristes, avec les partisans du Rabotchéïé Diélo, jusqu’à ce qu’ils aient rendu Potressov à Prokopovitch (et Potressov a‑t‑il bien été le seul ?). Le bolchevisme a dirigé le vieux « Prolétari » (de 1906 à 1909) dans un esprit d’opposition résolue au « boycottisme » et a déclaré la guerre, en tant que tendance monolithique, à ceux qui inventent maintenant l’« otzovisme », l’« ultimatisme », la « construction de Dieu », etc. Les mencheviks voulaient corriger la vieille Iskra dans l’esprit de Martynov et des économistes et s’y sont cassé le cou. Vous voulez corriger le vieux Prolétari dans l’esprit d’« Er », des otzovistes et des constructeurs de Dieu, et vous vous le casserez aussi.

   Et le « tournant vers Plekhanov » ? s’écrie triomphalement Maximov. Et la création d’une « nouvelle fraction du centre » ? Et notre ami « bolchevik lui aussi » déclare que c’est « de la diplomatie » que de « nier » qu’ « on songe à former un groupe « centriste » !

   Ces récriminations de Maximov contre la « diplomatie » et contre « l’union avec Plekhanov » méritent qu’on en rie. Nos bolcheviks de caricature, là aussi, sont fidèles à eux-mêmes ‑ ils ont parfaitement retenu que Plekhanov avait fait en 1906‑1907 une politique archi‑opportuniste. Et ils pensent que le répéter à tout bout de champ sans comprendre les changements qui sont en train de se produire dénote un « esprit révolutionnaire » supérieur.

   En fait les « diplomates » du Prolétari, depuis le Congrès de Londres, n’ont cessé d’appliquer ouvertement la politique du parti contre les grotesques exagérations du fractionnisme, la politique visant à défendre le marxisme contre la critique. La cause actuelle des récriminations de Maximov est double : d’un côté, depuis le Congrès de Londres, il y a toujours eu des bolcheviks isolés (exemple Alexinski) pour affirmer qu’on avait substitué à la ligne bolchevique la ligne « conciliatrice », la ligne « letto‑polonaise » ou autre. Les bolcheviks ont rarement pris au sérieux ces propos stupides qui ne trahissent qu’une mentalité racornie. D’un autre côté, ce groupe de littérateurs auquel appartient Maximov et qui n’a jamais adhéré que par un seul côté à la social‑démocratie a longtemps vu en Plekhanov le principal ennemi de ses tendances «construction de Dieu », etc. Rien de plus terrible que Plekhanov pour cette coterie. Rien de plus mortel pour l’espoir qu’elle nourrit d’inoculer ses idées au parti ouvrier qu’une « union avec Plekhanov ».

   Et voilà que ces éléments de deux sortes : tenants d’un esprit de fraction encroûté qui ne comprennent pas les problèmes que pose à la fraction bolchevique la création du parti, et éléments des petits cercles littéraires des constructeurs de Dieu et de ceux qui les patronnent, se sont mis maintenant d’accord sur une « plate‑forme » commune : contre « l’alliance avec Plekhanov », contre la ligne « conciliatrice » et « letto­-polonaise » du Prolétari, etc.

   Le numéro 9 des Cahiers de Plekhanov, qui est maintenant sorti, nous dispense d’expliquer au lecteur d’une façon spécialement détaillée tout ce que cette « plate‑forme » de caricatures de bolcheviks a de caricatural. Plekhanov a démasqué l’esprit liquidateur du Goloss Sotsial‑Démokrata, la diplomatie de ses rédacteurs, et a déclaré qu’il suivait « un autre chemin » que Potressov qui avait cessé d’être un révolutionnaire. Pour tous les social‑démocrates, il est maintenant clair que les ouvriers mencheviks suivront Plekhanov contre Potressov. Il est clair pour tous que la scission parmi les mencheviks confirme la ligne des bolcheviks. Il est clair pour tous que la proclamation par Plekhanov de l’existence d’une ligne du parti opposée à la dissidence des liquidateurs est une très grande victoire pour le bolchevisme qui occupe maintenant une situation prépondérante dans le parti.

   Le bolchevisme a remporté cette importante victoire parce qu’il a mené sa politique de parti malgré les clameurs des novices de la « gauche » et des littérateurs de la construction de Dieu. Il n’y a que ces gens‑là pour craindre un rapprochement avec le Plekhanov qui démasque les Potressov et les chasse du parti ouvrier. Ce n’est que dans le marais croupi des constructeurs de Dieu ou chez les chevaliers de la phrase apprise par cœur que peut avoir quelque succès la « plate‑forme » : « contre l’alliance avec Plekhanov », c’est‑à‑dire contre le rapprochement avec les mencheviks du parti pour combattre le liquidationnisme, contre le rapprochement avec les marxistes orthodoxes (peu avantageux pour la compagnie Eroguine des écrivains), contre la conquête continue des masses du parti à une politique et une tactique social­-démocrate révolutionnaire.

   Nous autres, bolcheviks, pouvons témoigner de grands succès dans ce dernier domaine. Rosa Luxembourg et Karl Kautsky, social‑démocrates qui ont souvent écrit pour les Russes et qui, à ce titre, adhèrent à notre parti, ont fini par être conquis par notre idéologie, alors qu’au début de la scission (1903), toutes leurs sympathies allaient aux mencheviks. Ce qui les a conquis, c’est le fait que les bolcheviks ne faisaient pas de concessions à la « critique » du marxisme, qu’ils ne défendaient‑pas la lettre de leur théorie de fraction à eux, mais l’esprit général et le sens de la tactique social‑démocrate révolutionnaire. Nous suivrons dans l’avenir aussi cette voie‑là; nous combattrons avec plus d’acharnement encore la bêtise sentencieuse et les vains jeux de mots appris par cœur et le révisionnisme théorique du cercle des écrivains constructeurs de Dieu.

   Deux courants liquidateurs se dessinent aujourd’hui très clairement chez les social‑démocrates russes : celui de Potressov et celui de Maximov. Potressov est bien forcé de redouter le parti social‑démocrate, car il n’y a désormais aucun espoir qu’il adopte sa ligne. Maximov est bien forcé de redouter le parti social‑démocrate, car il n’y a aucun espoir aujourd’hui qu’il adopte sa ligne. Et l’un et l’autre soutiendront et couvriront, par tous les moyens, bons et mauvais, les subterfuges de certains cercles littéraires avec leurs conceptions personnelles de révision du marxisme. Et l’un comme l’autre se raccrocheront, comme à une dernière lueur d’espoir, au maintien de l’esprit de cénacle contre l’esprit de parti, car Potressov peut encore parfois l’emporter dans une société choisie de mencheviks encroûtés, Maximov peut encore parfois être couronné de lauriers par des cercles de bolcheviks particulièrement encroûtés mais ni l’un ni l’autre n’occupera jamais de place stable ni chez les marxistes ni dans un parti ouvrier réellement social-démocrate. Et l’un et l’autre représentent dans la social‑démocratie deux tendances opposées, également bornées et petites‑bourgeoises, mais qui se complètent l’une l’autre.

VII

   Nous avons indiqué quel était l’état‑major de la nouvelle fraction. Où se recrute la troupe ? Parmi les éléments démocrates bourgeois, ayant adhéré au parti ouvrier au moment de la révolution. Le prolétariat, toujours et partout, se recrute dans la petite bourgeoisie ; toujours et partout, il a des centaines d’échelons, de facettes, de nuances transitoires qui lui sont liés. Au moment d’une croissance particulièrement rapide du parti ouvrier (comme ce fut le cas chez nous en 1905‑1906), il est inévitable que s’y infiltrent en masse des éléments pénétrés d’un esprit petit‑bourgeois. Et il n’y a aucun inconvénient à cela. La tâche historique du prolétariat est d’assimiler, d’instruire, de rééduquer tous les éléments que la vieille société lui a légués sous forme de petits bourgeois d’origine. Mais pour cela il faut que le prolétariat les rééduque, qu’il ait de l’influence sur eux, et non pas eux sur lui. De nombreux « social‑démocrates du temps de la liberté », qui l’étaient devenus dans des moments d’enthousiasme, dans une atmosphère de fête, de brillants slogans, en ces jours victorieux du prolétariat où même l’intelligentsia bourgeoise avait la tête tournée, s’étaient mis à étudier sérieusement, à étudier le marxisme, le travail conséquent du prolétariat ; ceux‑ci resteront toujours social‑démocrates et marxistes. D’autres n’ont pu ou n’ont su emprunter au parti du prolétariat autre chose que des mots appris par cœur, des slogans « brillants » et rabâchés, une ou deux phrases sur le « boycottisme », le « combatisme », etc. Lorsque ces éléments s’avisèrent d’imposer au parti ouvrier leurs « théories », leur conception du monde, c’est‑à‑dire leurs‑ conceptions étroites, la scission devint inévitable.

   Le sort des boycotteurs de la III° Douma illustre parfaitement par un exemple concret la différence entre les uns et les autres de ces éléments.

   Les bolcheviks en majorité, entraînés par le désir sincère de combattre directement et immédiatement les héros du 3 juin, penchaient pour le boycottage de la III° Douma, mais très vite ils surent dominer la nouvelle situation. Au lieu de répéter des paroles apprises, ils étudièrent attentivement les nouvelles conditions historiques, réfléchissant aux raisons pour lesquelles la vie était ainsi et non autrement, ils firent travailler leur cerveau et non pas seulement leur langue, ils accomplirent, d’une manière sérieuse et conséquente, un travail prolétarien, et ils comprirent vite toute la stupidité, toute la médiocrité de l’« otzovisme ». Les autres se cramponnèrent aux mots, ils se mirent à élaborer « leur propre ligne » à l’aide de phrases mal digérées, à proclamer « le boycottisme, l’otzovisme, l’ultimatisme ! », à remplacer par ces cris le travail révolutionnaire du prolétariat dicté par les conditions historiques du moment, à former une nouvelle fraction avec tous les éléments insuffisamment mûrs du bolchevisme. La route est libre, chers amis ! Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour vous enseigner le marxisme et le travail social‑démocrate. Nous déclarons maintenant une guerre définitive et acharnée aussi bien aux liquidateurs de droite qu’à ceux de gauche qui pervertissent le parti ouvrier par leur révisionnisme théorique et leurs méthodes petites‑bourgeoises en politique et en tactique.

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