La lutte dans le Parti Socialiste Italien

La lutte dans le Parti Socialiste Italien

Lénine

4 novembre 1920

   Paru dans les numéros 47-48 du Bulletin communiste (première année), 9 décembre 1920, et numéro 13 (deuxième année), 31 mars 1921.((Première partie suivie de la « note de la rédaction » suivante : « L’article du camarade Lénine avait été écrit avant la réception des renseignements sur la conduite infâme de Daragona et des membres syndicalistes du Parti, menant leur politique contre le Comité Central de leur propre Parti et faisant échouer l’énorme mouvement de la classe ouvrière. Ces faits, sur lesquels nous reviendrons dans nos prochains numéros, confirment la justesse des vues du camarade Lénine. »
Ainsi qu’indiqué en note dans le tome 41 de la cinquième édition en russe des Œuvres de Lénine, celui-ci a noté sur le manuscrit de la partie « Boniments sur la liberté (en guise de postface) » l’indication suivante « Si on le met, le placer en postface de l’article sur la lutte interne au parti socialiste italien ».
Une traduction différente figure dans le tome 31 des Œuvres (quatrième édition en langue française). Corrections d’après celle-ci, le texte russe, et le texte français de la lettre de Serrati parue dans l’Humanité.))

   Le numéro 213 de la Pravda du 25 septembre 1920 a inséré une petite lettre de moi « aux ouvriers français et allemands » au sujet des débats du 2e Congrès de l’Internationale Communiste. L’Avanti, organe central du Parti Socialiste Italien du 5 octobre, a réimprimé cette lettre en l’accompagnant de commentaires sur lesquels il convient de s’arrêter, car ils montrent clairement l’incorrection de la position prise par le camarade Serrati, directeur de l’Avanti.

   « L’explication de Lénine, lisons-nous, atténue dans une certaine mesure les conditions draconiennes dictées par des camarades qui n’apprécient pas complètement et justement les gens et les obstacles à une si grande distance et dans des conditions si différentes. »

   …Lénine a fait grâce à l’une de ses victimes, Modigliani…

   …A présent, dit Lénine, — (nous ne savons pas si c’est en son propre nom ou au nom de l’Exécutif de l’Internationale Communiste), — l’on admet des exceptions à la règle générale et avec le consentement du Comité Exécutif. »

   La remarque ironique au sujet de la « victime » Modigliani, l’un des réformistes, manque complètement son but. En dépit de l’opinion de Serrati, le nom de Modigliani (et de Longuet) a été rappelé par moi sans aucune intention. Tel ou tel nom est pris par moi comme exemple pour caractériser la tendance et je laisse toujours de côté la question des personnalités, ne voulant rien décider là-dessus et la comptant comme secondaire et susceptible d’exception. En dépit de la déclaration de Serrati, il sait très bien, car il renvoie précisément à mon article de la Pravda, que je parle et que je peux parler seulement en mon nom et pas du tout au nom de l’Exécutif de l’Internationale.

   Par ses remarques, Serrati détourne le lecteur de l’Avanti de la question essentielle fondamentale, à savoir si l’on peut tolérer les réformistes dans les rangs du parti du prolétariat révolutionnaire italien. Serrati cache l’incorrection de la position prise par lui en s’efforçant d’attirer l’attention sur des questions secondaires et sans portée.

   C’est contre cela qu’il faut se battre. L’essentiel doit être mis en lumière.

   Serrati, aussi bien dans les remarques en question que dans d’autres articles, parle de l’insuffisance d’information du congrès de Moscou (2e Congrès de l’Internationale Communiste) relativement à la question italienne, comme si la question ne portait pas surtout sur deux tendances radicalement opposées, comme s’il ne s’agissait pas de décider la question essentielle de l’union avec les réformistes, mais seulement de divergences sur lesquelles « Moscou » n’est pas suffisamment éclairée !

   La fausseté révoltante de ce point de vue et cet essai de détourner l’attention des questions essentielles se trouvent surtout manifestés dans le compte rendu officiel des débats internes du Comité Central du Parti Socialiste Italien. Ces débats ont eu lieu quelques jours avant la publication du numéro en question de l’Avanti, à savoir le 28, le 29, le 30 septembre et le 1er octobre à Milan.

   Ils ont été terminés par le vote sur deux résolutions de l’une desquelles on peut dire qu’elle est communiste et de l’autre qu’elle est centriste, et qu’elle défend sous une forme indirecte l’alliance (« l’unité » ! ») avec les réformistes. La première l’emporta réunissant sept voix (Terracini, Gennari, Regent, Tuntar, Casucci, Marziali, et Bellone), la deuxième fut rejetée (5 voix : Baratono, Zannerini, Bacci, Giacomini et Serrati).

   La première se distingue par une remarquable clarté et précision. Elle commence par indiquer que « les conditions actuelles » de la lutte révolutionnaire en Italie exigent « la plus grande homogénéité » du parti. Plus loin, il est dit qu’il est permis à tous de rester dans le parti à la condition de se soummettre à sa discipline, et que cette condition n’a pas été remplie ; qu’il est absurde d’attendre la soumission à la discipline de la part de ceux dont les convictions sont opposées aux principes et à la tactique de la 3e Internationale : que pour cette raison, ayant accepté les 21 conditions de Moscou, il faut accepter une « épuration radicale » du Parti en éloignant les éléments réformistes et opportunistes.

   Ici, il ne s’agit point de noms ni de détails, c’est la véritable et claire ligne politique. Les motifs de la décision sont ici indiqués avec précision : les faits concrets de l’histoire du parti italien, les particularités concrètes de la situation révolutionnaire.

   La deuxième résolution est un modèle de diplomatie mesquine et sans franchise : Nous acceptons les 21 points, mais nous considérons que « ces conditions permettent des interprétations différentes », qu’il est « indispensable d’adapter le critère politique de chaque section de la 3e Internationale Communiste aux conditions historiques et aux faits concrets particuliers aux pays en question, en les soumettant à la ratification de l’Internationale ». La résolution souligne « la nécessité de conserver l’unité du Parti Socialiste Italien sur la base des 21 points » ; les cas particuliers de violation de la discipline doivent être sévèrement réprimés par le Comité Central du Parti.

   La résolution communiste dit : la situation révolutionnaire exige la plus grande homogénéité du parti. Ceci est incontestable. La résolution des défenseurs de l’ « unité » avec les réformistes s’efforce d’ignorer cette vérité incontestable sains se décider à la discuter.

   La résolution communiste dit : la particularité de l’Italie consiste en ce que la condition de la soumission des réformistes aux décisions du Parti n’a pas été respectée. Là est le nœud de la question. S’il en est ainsi, le fait de permettre aux réformistes de rester dans le parti durant l’exacerbation de la situation révolutionnaire générale, peut-être même à la veille de batailles révolutionnaire décisives, ce fait n’est pas seulement une faute, mais un crime.

   Ce fait est-il vrai ou non ? Les réformistes ont-ils appliqué les décisions du parti, se sont-ils soumis, ont-ils mené la politique indiquée, oui ou non ? La résolution des défenseurs des réformistes ne peut pas répondre affirmativement, elle ne peut pas nier l’affirmation des communistes et elle se refuse de répondre elle-même, elle louvoie, se réfère d’une façon générale aux particularités concrètes des différents pays, surtout afin d’ignorer les « particularités concrètes » les plus importantes de l’Italie précisément, en ce moment précisément, et afin de présenter ces particularités sous un faux jour. Car précisément ces particularités concrètes de l’Italie consistent justement en ce que les réformistes se sont montrés en fait incapables d’appliquer réellement les décisions du parti et de suivre en fait sa politique. Ayant manifesté si peu de clarté sur cette question radicale, la résolution des défenseurs de l’union avec les réformistes se détruit d’elle-même en entier.

   Serrati, Baratono, Zannerini, Bacci et Giacomini ont déjà démontré par là complètement et évidemment qu’ils sont fondamentalement dans leur tort et que leur politique est fondamentalement fausse.

   Les débats du Comité Central du parti italien ont prouvé encore plus clairement la fausseté complète de la politique de Serrati. Les communistes déclarent que les réformistes restant ce qu’ils sont, ne peuvent pas ne point saboter la révolution de même qu’ils avaient saboté à une époque toute récente le mouvement révolutionnaire des ouvriers italiens s’emparant des usines.

   En vérité, c’est là qu’est le nœud de la question ! Comment peut-on donc se préparer à la révolution ? Comment peut-on aller au combat décisif quand on a dans son parti des gens sabotant la révolution ? Ceci n’est point seulement une faute, c’est un crime.

   Et si Serrati, ainsi qu’il le dit franchement dans sa lettre à l’Humanité du 14 octobre, compte seulement sur l’exclusion du seul Turati((Voici la partie essentielle de cette lettre : « Nous sommes tous pour tous les points de Moscou. Il s’agit de leur application. Je soutiens qu’on doit épurer le Parti des éléments nuisibles – et j’ai proposé l’expulsion de Turati – mais qu’il nous faut ne pas perdre les masses des syndicats et des coopératives. Les autres veulent une scission radicale. Voilà le différend. » — (L’Humanité, 14 octobre. Italiques de Serrati).)), alors dans ce cas aussi Serrati a déjà été démenti par les faits. Car les réformistes italiens, non seulement ont réuni une conférence spéciale de leur fraction (à Reggio d’Emilia le 11 octobre 1920) ils ont non seulement répété au cours de cette conférence toutes leurs opinions essentiellement réformistes, ils ont non seulement fait une ovation triomphale à Filippo Turati, mais ils ont encore déclare par la bouche de Treves : « Ou nous resterons tous dans le parti, ou nous en sortirons tous ». Remarquons à ce propos que la presse bourgeoise et que les réformistes eux-mêmes ont tâché de grandir l’importance de la conférence de cette fraction, mais que l’Avanti du 13 octobre, édition de Milan, écrit franchement que les réformistes ont réuni des représentants de 200 sections du parti, lequel en compte des milliers !

   Mais arrêtons-nous avec plus de détails sur le principal argument de Serrati sur la question fondamentale. Serrati craint la scission qui diviserait selon lui le Parti et en particulier le départ des syndicats, des coopératives et des municipalités. Ne point détruire ces institutions indispensables pour l’édification du socialisme, voilà la pensée fondamentale de Serrati. « Où prendrons-nous, dit Serrati (Avanti du 2 octobre 1920, édition de Turin), autant de « communistes », fût-ce même des communistes enflammés de la veille seulement, pour occuper toutes ces fonctions publiques dont nous aurons chassé les gens suivant la proposition de Terracini ? » Et nous retrouvons la même pensée dans le périodique publié par le camarade Serrati, Le Communisme, numéro 24, p. 1627, dans l’article de Serrati sur le IIe Congrès de la IIIe Internationale : « Figurez-vous la commune de Milan (c’est-à-dire l’administration de la ville de Milan) dirigée par des gens incompétents, par des novices, par des communistes ardents de la veille ! »

   Serrati craint la destruction des syndicats, des coopératives et des municipalités, le manque de savoir et les erreurs des novices.

   Les communistes craignent le sabotage de la révolution par les réformistes.

   Cette comparaison montre l’erreur de principe de Serrati. Il répète tout le temps la même idée : la nécessité d’une tactique souple. Cette idée est incontestable. Mais toute la question est que Serrati pousse vers la droite alors qu’il faut pousser vers la gauche dans les conditions actuelles de l’Italie. Afin de réussir complètement la révolution et de la défendre, le Parti italien doit faire encore un certain nombre de pas vers la gauche (sans se lier les bras et sans oublier que les circonstances peuvent très bien exiger quelques pas à droite).

   En comptant dans ses rangs des réformistes,des mencheviks, on ne peut pas vaincre dans la révolution prolétarienne et on ne peut pas la défendre. En principe, ceci est de toute évidence. Ceci a été confirmé de la manière la plus sûre par l’expérience de la Russie et de la Hongrie. C’est là une constatation décisive. Comparer ce danger avec le danger de « pertes » ou d’insuccès, d’erreurs, d’effondrement, des syndicats, des coopératives, des municipalités, etc., ce n’est pas seulement ridicule, mais encore criminel. Risquer le sort de la révolution en considération de ce fait que l’administration de la ville de Milan pourrait péricliter, etc., c’est ne point comprendre du tout la tâche fondamentale de la révolution c’est n’être point capable du tout de préparer la victoire.

   En Russie, nous avons commis des milliers de fautes, nous avons essuyé des milliers d’échecs, etc… en conséquence de l’incapacité de novices et de gens incompétents qui se trouvaient dans les coopératives, dans les communes, dans les syndicats, etc. Nous ne doutons point que les autres peuples plus civilisés commettront moins de fautes pareilles. Mais en dépit de toutes ces fautes, nous avons atteint l’essentiel : la conquête du pouvoir par le prolétariat. Et ce pouvoir s’est maintenu pendant trois ans.

   Les fautes indiquées par le camarade Serrati sont fondamentalement des détails, et beaucoup plus facilement corrigibles et des millions de fois moins nuisibles que le sabotage de la révolution par les mencheviks, et la perte même de la révolution. Ceci est de toute évidence. Ceci a été prouvé avec éclat par la Hongrie. L’expérience l’a aussi confirmé chez nous car pendant ces trois années de régime prolétarien, bien des fois, on s’est trouvé dans une situation pénible, lorsque le régime soviétique aurait pu être à coup sûr renversé si les mencheviks, les réformistes, les petits-bourgeois démocrates étaient restés dans notre parti ou même en nombre plus ou moins considérable dans les institutions centrales soviétiques telles que le Comité Central Exécutif.

   Serrati n’a pas compris la particularité de ce moment de transition, que traverse actuellement l’Italie, où de l’avis général, le combat décisif du prolétariat contre la bourgeoisie est proche pour la conquête du pouvoir politique. En un tel moment, il n’est point feulement indispensable d’écarter du parti les mencheviks, les réformistes, les turatistes, mais il serait même utile d’écarter d’excellents communistes susceptibles d’hésiter et enclins à défendre l’ « unité » avec les réformistes, de les éloigner de tous les postes à responsabilité.

   Je vais vous donner un exemple saisissant : peu de temps avant la révolution d’Octobre et peu de temps après, une série d’excellents communistes ont commis une faute dont on ne se souvient pas volontiers en ce moment. Pourquoi ? Parce que s’il n’y a pas de nécessité particulière, il n’est pas correct de rappeler de telles fautes, qui ont été entièrement corrigées. Mais pour les ouvriers italiens il peut être utile de les rappeler. Des bolcheviks et des communistes aussi en vue que Zinoviev, Kamenev, Rykov, Noguine, Milioutine, manifestèrent quelque hésitation à l’époque indiquée ci-dessus, en faisant valoir le danger couru par les bolcheviks de s’isoler, d’entreprendre la révolution avec trop de risques et de se montrer trop intransigeants à l’égard des partis menchévjk et « socialiste-révolutionnaire ». Le conflit arriva au point que les camarades en question quittèrent tous les postes responsables du Parti et des organisations soviétiques, à la plus grande joie des ennemis de la révolution soviétique. On en vint aux plus cruelles polémiques dans la presse de la part du Comité Central de notre Parti contre les démissionnaires. Mais quelques semaines plus tard, quelques mois au plus, tous ces camarades se rendirent compte de leur erreur et revinrent dans les postes les plus responsables du Parti et des institutions soviétiques.

   Il n’est point difficile de comprendre pourquoi ceci est arrivé. La veille de la révolution et au moment le plus cruel de la lutte pour la victoire, la plus petite hésitation au sein du parti pouvait perdre, détruire la révolution, faire échapper le pouvoir des mains du prolétariat, car ce pouvoir n’était pas encore ferme et les coups dirigés contre ses détenteurs étaient très puissants. Si les dirigeants hésitants avaient quitté le parti à un tel moment, cela n’aurait pas affaibli, mais renforcé le parti, et le mouvement ouvrier et la révolution en même temps que lui.

   Et voici que précisément, en Italie, on se trouve à un moment où tout le monde voit et reconnaît que la crise révolutionnaire a pris une extension nationale, générale. Le prolétariat a montré en fait sa capacité de se soulever, de soulever les masses en un mouvement révolutionnaire puissant. Les plus pauvres paysans et le demi-prolétariat (en vain le camarade Serrati s’est-il approprié l’habitude stupide de poser un point d’interrogation après ce mot, car c’est là un terme correctement marxiste, il exprime une pensée juste, confirmant le fait existant en Russie et en Italie, à savoir que les paysans les plus pauvres apparaissent comme des mi-propriétaires, mi-prolétaires), les paysans les plus pauvres en Italie ont montré en fait qu’ils sont capables de se soulever et de s’élever à la hauteur du combat révolutionnaire à la suite du prolétariat. Maintenant, la nécessité la plus absolue pour la victoire de la révolution en Italie consiste en ce que le Parti devienne réellement l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire en Italie, un parti complètement communiste, incapable d’hésitation et de faiblesse au moment décisif, un parti qui réunirait en soi le plus grand fanatisme, le plus absolu dévouement à la révolution, l’énergie, l’audace et la décision. Il faut vaincre dans un combat extrêmement difficile, exigeant un grand nombre de victimes, il faut défendre le pouvoir conquis dans des conditions invraisemblablement dures et semées d’attentats, d’intrigues, de racontars, de calomnies, de violences de la part de la bourgeoisie du monde entier, dans les conditions les plus dangereuses, sous la séduction de toute la petite-bourgeoisie démocratique, de tous les turatistes, de tous les « centristes », de tous les social-démocrates, socialistes, anarchistes. Dans de telles conditions, le parti doit être cent fois plus solide, plus décidé, plus audacieux, plus dévoué et plus impitoyable que dans des circonstances ordinaires et dans des moments moins difficiles. En de tels moments et dans de telles conditions, le Parti sera renforcé cent fois et non pas affaibli si de ses rangs s’en vont les mencheviks de l’espèce de ceux qui se sont réunis à Reggio d’Emilia le 11 octobre 1920, et si de sa direction s’en vont même d’excellents communistes, qui actuellement sont membres du Comité Central du Parti, tels que Baratono, Zannerini, Bacci, Giacomini et Serrati. La plupart des gens de cette dernière catégorie, s’ils démissionnent en un moment comme celui-ci, reviendront sans doute très rapidement à leurs postes, ayant reconnu leurs erreurs après la victoire du prolétariat, après l’affermissement de ses conquêtes. Et même parmi les mencheviks italiens, les turatistes, probablement une partie reviendra et sera acceptée dans les rangs du Parti après la période des plus grandes difficultés, de même que sont revenus maintenant (après 3 ans de vie difficile), une partie des mencheviks et des S. R. se trouvant en 1917-1918 de l’autre côté de la barricade, en Russie.

   Une période de lutte non pas seulement extrêmement difficile, ainsi que je l’ai dit, mais des plus difficiles, s’ouvre à présent pour le prolétariat révolutionnaire italien. Le plus dur est encore a faire pour lui. Il me semblerait superficiel et criminel de fermer les yeux devant ces difficultés et je suis étonné que le camarade Serrati puisse insérer sans objection dans son périodique Le Communisme (N° 24, 15-30 septembre 1920) un article aussi superficiel que celui signé G. C. intitulé : « Serons-nous l’objet d’un blocus ? ». Personnellement je pense, contrairement à l’avis de l’auteur de cet article, que le blocus de l’Italie, si le prolétariat y emporte la victoire, est non seulement possible mais même vraisemblable de la part de l’Angleterre, de la France et de l’Amérique. A mon avis, le camarade Graziadei a posé bien plus justement la question du blocus dans son discours à la séance du comité central du Parti italien (voir Avanti, 1er octobre 1920, édition milanaise). Il a reconnu que la question du blocus possible est très grave («problema gravissimo»). Il indiqua que « la Russie a pu subsister malgré le blocus en partie à cause de la rareté de la population et de l’étendue du territoire, — que la révolution en Italie ne pourrait pas résister longtemps si elle ne se coordonnait point avec la révolution de quelque autre pays de l’Europe Centrale », qu’« une telle coordination sera difficile, mais non point impossible » car toute l’Europe continentale est en train de vivre une période de révolution.

   Ceci a été dit très prudemment, mais très justement. J’ajouterai seulement qu’une certaine coordination, quoique encore insuffisante, quoique incomplète, serait assurée à l’Italie et que pour obtenir une coordination complète il faudra combattre. Les réformistes rappellent la possibilité du blocus afin de saboter la révolution, afin d’écarter de la révolution par l’effroi de ses conséquences, afin de communiquer aux masses leur état d’esprit de panique, leur terreur, leur indécision, leur hésitation, leurs tergiversations. Les révolutionnaires communistes ne doivent point nier le danger et les difficultés de la lutte pour inspirer à la masse plus de fermeté et de courage, et afin de nettoyer le Parti des faibles, des hésitants et des froussards, afin d’insuffler à tout le mouvement plus d’enthousiasme, plus d’internationalisme et plus de promptitude au sacrifice pour un grand but : hâtez la révolution en Angleterre, en France, en Amérique au cas où ces pays se décideraient à bloquer le prolétariat de la république soviétique italienne.

   La question du remplacement des réformistes ou des « centristes » expérimentés par des novices n’est point une question particulière concernant un seul des pays quelconques. C’est une question générale, relative à toute la révolution prolétarienne et c’est comme telle qu’elle a été posée et décidée complètement et précisément par les résolutions du 2e Congrès de l’Internationale Communiste : « Les tâches principales de l’Internationale Communiste ». Nous lisons au paragraphe 8 : « La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d’organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d’éducation, etc. (…) Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu’on ne l’a fait jusqu’ici, de remplacer ces représentants de l’aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse. »

   C’est en vain que Serrati vient nous dire que dans le parti italien « tout le monde » est d’accord pour accepter les décisions de l’Internationale Communiste. En fait nous voyons le contraire.

   Dans sa lettre citée plus haut à l’Humanité, Serrati écrit entre autres :

   Quant aux derniers événements, il est nécessaire de savoir que les dirigeants de la CGdL((Confederazione Generale del Lavoro, la confédération syndicale italienne.)) ont proposé de laisser la direction du mouvement à ceux qui voulait l’élargir jusqu’à la révolution, nos camarades de la CGdL ont déclaré qu’ils voulaient bien rester des soldats disciplinés si les extrémistes voulaient être les chefs d’un mouvement insurrectionnel. Mais les extrémistes n’ont pas accepté la direction du mouvement.

   Ce serait de la naïveté de la part de Serrati de prendre une telle déclaration des réformistes de la Confédération Générale du Travail pour de la monnaie de bon aloi. En fait c’est là une des plus insignes formes du sabotage de la révolution, à savoir la menace de la démission au moment décisif du combat Ce n’est point là de la loyauté. Il s’agit bien d’autre chose, à savoir qu’il n’est point possible de vaincre pendant la révolution si les chefs rencontrent de l’hésitation, de la tergiversation, de la désertion parmi les leurs, parmi ceux qui se trouvent au sommet, parmi les chefs, à chaque moment difficile de la révolution. Peut-être le camarade Serrati apprendra-t-il avec profit que vers la fin d’octobre 1917, alors que la coalition des menchéviks russes et des S. R. avec la bourgeoisie s’écroula politiquement ,les S. R. du Parti de Tchernov eux-mêmes écrivaient dans leurs journaux : « Les bolcheviks seront obligés de former le cabinet. (…) qu’ils ne fassent donc point d’efforts inutiles pour dissimuler par des théories vite édifiées l’impossibilité pour eux de prendre le pouvoir. La démocratie ne reconnaît point de telles théories. En même temps, les partisans de la coalition doivent leur garantir le plus complet appui » (journal de leur Parti, Dielo Naroda, du 21 septembre 1917, cité dans ma brochure, Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir, Petrograd 1917, p. 4).

   Se fier à de pareilles déclarations de loyauté serait de la part des ouvriers révolutionnaires une faute aussi fatale que celle qui fut commise lorsqu’on se fia aux turatistes hongrois qui avaient promis d’aider Béla Kun, qui étaient entrés au Parti Communiste et qui, cependant, s’étaient montrés les saboteurs de la révolution, qu’ils avaient fini par perdre par leurs hésitations.

   Je me résume.

  1. Le Parti du prolétariat révolutionnaire d’Italie doit faire montre de la plus grande fermeté, de prudence, de sang-froid, afin de juger avec justesse les conditions générales et du moment particulier actuel avant les combats imminents décisifs de la classe ouvrière italienne contre sa bourgeoisie pour la conquête du pouvoir ;
  2. Toute la propagande, toute l’agitation de ce parti doivent être inspirées de l’esprit le plus ferme de conduire ce combat jusqu’à sa fin victorieuse à tout prix, elle doit être conduite par une direction centrale avec l’héroïsme le plus dévoué et en détruisant impitoyablement toute hésitation, toute indécision dont est pénétré le groupe des turatistes ;
  3. La propagande telle qu’elle est menée actuellement par l’édition de Milan de l’Avanti sous la direction de Serrati n’éduque pas le prolétariat en vue du combat, mais porte au contraire la dislocation dans ses rangs. Le Comité Central du parti doit guider en un pareil moment les ouvriers et les préparer à la révolution, combattre les opinions fausses. On peut et on doit faire cela tout en laissant aux tendances différentes la possibilité de s’exprimer. C’est Serrati qui conduit, mais il conduit dans une direction mauvaise ;
  4. L’exclusion du parti de tous las participants au Congrès de Reggio d’Emilia du 11 octobre 1920 n’affaiblira pas, mais au contraire renforcera le Parti, car de tels « chefs » sont capables de détruire la révolution « à la hongroise », tout en restant loyaux. Les gardes blancs et la bourgeoisie peuvent profiter des hésitations, des doutes et du manque de foi même des socialistes, social-démocrates, etc. parfaitement « loyaux » ;
  5. Si des gens comme Baratono, Zannerini, Bacci, Giacomini et Serrati hésitent et démissionnent, il ne faut pas les supplier de rester, mais accepter leur démission. Après la période décisive des combats ils reviendront et seront alors utiles au prolétariat ;
  6. Camarades ouvriers italiens ! n’oubliez pas les leçons de l’histoire de toutes les révolutions, les leçons de la Russie, de la Hongrie dans les années 1917-1920. Les plus grands combats sont en vue pour le prolétariat italien, les plus grandes difficultés, les plus grands sacrifices. De l’issue de ces combats, de l’ensemble de la discipline, du dévouement des masses ouvrières dépendent la victoire sur la bourgeoisie, la transmission des pouvoirs au prolétariat et le renforcement de la république soviétique en Italie. La bourgeoisie de l’Italie et de tous les pays du monde fera tout le possible, commettant tous les crimes et toutes les férocités, pour empêcher le prolétariat de prendre le pouvoir et de renverser celui de la bourgeoisie. L’hésitation, les tergiversations, l’indécision des réformistes et de tous ceux qui ont participé à la conférence de Reggio d’Emilia sont inévitables, car de telles gens, même avec la plus grande honnêteté, ont toujours perdu la cause de la révolution par leurs hésitations dans tous les pays et à toutes les époques. De telles gens ont perdu la révolution (la première, une autre suivra…) en Hongrie, ils l’auraient perdue en Russie s’ils n’avaient pas été écartés de tous les postes responsables, s’ils n’avaient pas été entourés du mur de la méfiance, de la vigilance et de la surveillance du prolétariat.

   Les masses travailleuses et exploitées de l’Italie iront avec le prolétariat révolutionnaire. La victoire leur appartiendra en définitive, car leur cause est celle des ouvriers du monde entier, car il n’y a point plusieurs saluts comme issue de la guerre impérialiste, des nouvelles guerres déjà préparées par les impérialistes, des horreurs de l’esclavage et de l’oppression capitalistes, non, il n’y a point d’autre salut que la république ouvrière soviétique.

   N. LENINE.

   4 novembre 1920.


Boniments sur la Liberté (en guise de postface)

   Le camarade Nobs, rédacteur du journal de la gauche du parti socialiste suisse Volksrecht, à Zurich, a publié une lettre de Zinoviev sur la nécessité d’une rupture avec les opportunistes, lettre à laquelle il joint une réponse détaillée. C’est, en somme, une réponse négative catégorique à la question de l’acceptation des vingt et une conditions d’admission dans l’Internationale Communiste, et cela, au nom de la « liberté », bien sûr, au nom de la liberté de critique, de la liberté en face des exigences excessives et de la dictature de Moscou (n’ayant pas conservé l’article du camarade Nobs, je me vois obligé de le citer de mémoire, mais je réponds du sens, sinon de la forme).

   Le camarade Nobs s’est recruté, entre autres, un allié dans la personne du camarade Serrati qui, lui aussi, est mécontent de Moscou, c’est-à-dire des membres russes du Comité de l’Internationale Communiste et qui, lui aussi, se plaint que Moscou viole la « liberté » des différente partis et des différents membres, viole en somme la « liberté » des parties constitutives de l’Internationale Communiste. Aussi ne sera-t-il point superflu de dite quelques mots sur la liberté.

   Après trois ans de dictature du prolétariat, nous sommes en droit de dire que le reproche le plus courant adressé à l’Internationale Communiste, le reproche qui a le plus de succès dans le monde est que cette dernière viole la liberté et l’égalité. C’est justement pour cette violation de la liberté et de l’égalité, que la presse bourgeoise tout entière de tous les pays, jusques et y compris celle des démocrates petits-bourgeois, c’est-à-dire des social-démocrates et des socialistes, parmi lesquels Kautsky, Hilferding, Martov, Tchernov, Longuet et autres, lance ses foudres contre le bolchevisme. Théoriquement, c’est tout à fait compréhensible. Que le lecteur se souvienne des paroles célèbres, pleines de sarcasme, de Marx, dans le Capital.

   La sphère de la circulation des marchandises, où s’accomplissent la vente et l’achat de la force de travail, est en réalité un véritable Eden des droits naturels de l’homme et du citoyen. Ce qui y règne seul, c’est Liberté, Egalité, Propriété et Bentham. (Le Capital, Tome I, 2e partie, chapitre VI).

   Ces paroles sarcastiques renferment en même temps un sens historique et philosophique des plus profonds. Il convient de les rapprocher des commentaires populaires d’Engels dans son Anti-Dühring sur la même question et, en particulier, des passages où ce dernier déclare que l’idée d’égalité ne peut être qu’un préjugé ou une absurdité, si elle ne comporte pas l’abolition des classes.

   L’abolition de la féodalité et de ses conséquences, l’instauration du régime bourgeois (on pourrait dire du régime bourgeois démocratique) a occupé toute une époque de l’histoire mondiale. Et les mots d’ordre de cette époque de l’histoire mondiale ont toujours été la liberté, l’égalité, la propriété et Bentham. L’abolition du capitalisme et de ses survivances, la pose des fondements du régime communiste, forment le contenu de la nouvelle période de l’histoire mondiale qui vient de commencer. Et les devises de notre époque sont fatalement et doivent être : l’abolition des classes et, par suite, la dictature du prolétariat ; la dénonciation impitoyable des préjugés de la démocratie petite-bourgeoise sur la liberté et l’égalité, la lutte implacable contre ces préjugés. Celui qui n’a point compris cela, n’a rien compris aux questions de la dictature du prolétariat, du pouvoir soviétiste et des principes fondamentaux de l’Internationale Communiste.

   Parler de liberté et d’égalité tant que les classes ne seront pas abolies, c’est se duper soi-même ou duper les ouvriers, ainsi que tous les travailleurs et tous ceux qu’exploité le capital ; c’est, en définitive, défendre les intérêts de la bourgeoisie. Tant que les classes ne sont pas abolies, à chaque discussion sur la liberté et l’égalité, il faudrait tout au moins se poser les questions : la liberté, mais pour quelle classe, et pour en faire quel usage ? L’égalité, de quelle classe et avec quelle classe ? Et, sous quel rapport exactement ? Eviter directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment ces questions, c’est fatalement défendre les intérêts de la bourgeoisie, les intérêts du capital, les intérêts des exploiteurs. Le mot d’ordre de liberté et d’égalité, lorsqu’on garde le silence sur ces questions, sur la propriété individuelle des moyens de production, est un mensonge et une hypocrisie de la société bourgeoisie qui, par une reconnaissance purement extérieure de la liberté et de l’égalité, masque en fait la servitude et l’inégalité économiques des ouvriers, de tous les travailleurs, de tous ceux qu’exploité le capital, c’est-à-dire de l’immense majorité de la population dans tous les pays capitalistes.

   En Russie, maintenant, grâce au fait que la dictature du prolétariat a posé pratiquement les questions fondamentales, ultimes, du capitalisme, on voit avec une netteté particulière, à qui profitent (cui prodest ?) tous les palabres sur la liberté et l’égalité en général. Quand les social-révolutionnaires et les mencheviks, les Tchernov et les Martov viennent nous parler de liberté et d’égalité dans les limites de la démocratie ouvrière — car, voyez-vous, ce n’est pas eux qu’il faut accuser de réflexions sur la liberté et l’égalité en général, ils n’oublient pas du tout Marx ! — nous leur demandons : « Mais, comment faire pour concilier la classe des salariés qui vendent leur travail, et celle des petits propriétaires, dans la période de dictature du prolétariat ? »

   La liberté et l’égalité sous te régime de la démocratie bourgeoise, c’est la liberté pour le petit agriculteur propriétaire (même s’il cultive une terre nationalisée) de vendre l’excédent de son blé au prix spéculatif du marché, c’est-à-dire d’exploiter l’ouvrier. Tout homme qui parle de la liberté et de l’égalité sous le régime de la démocratie bourgeoise — mais en admettant après le renversement du capitalisme, le maintien de la propriété individuelle et de la liberté du commerce — est un défenseur des exploiteurs. Et ce défenseur, le prolétariat dans l’exercice de sa dictature doit le traiter à l’égal d’un exploiteur, même s’il s’intitule social-démocrate, socialiste ou même s’il reconnaît que la deuxième Internationale est pourrie, etc.

   Tant que subsistent la propriété individuelle sur les moyens de production (par exemple, sur les instruments agricoles et sur le bétail, même au cas où la propriété individuelle de la terre est abolie), ainsi que la liberté du commerce, les fondements économiques du capitalisme sont encore debout. Et la dictature du prolétariat est le seul moyen de détruire ces fondements, la seule voie vers l’abolition des classes (sans laquelle il ne peut être question de liberté véritable pour la personnalité humaine — mais non pour le propriétaire, — sans laquelle il ne peut être question d’égalité véritable, sociale et politique de l’homme avec l’homme — et non de l’hypocrite égalité du possédant et du déshérité, de celui qui est rassasié et de celui qui est affamé, de l’exploiteur et de l’exploité). La dictature du prolétariat mène à l’abolition des classes et cela, d’une part par le renversement des exploiteurs et l’écrasement de la résistance de ces derniers ; et d’autre part, par la neutralisation du petit propriétaire, la suppression des causes qui le font perpétuellement osciller entre la bourgeoisie et le prolétariat.

   La fausseté des discours des camarades Nobs et Serrati ne doit certes pas être entendue en ce sens qu’ils sont mensongers, qu’ils ne sont pas sincères. Pas du tout. Ces camarades sont sincères, et il n’y a subjectivement aucune fausseté dans leurs discours. Mais objectivement, au point de vue de leur contenu, ces discours sont faux, car ils sont consacrés à la défense des préjugés de la démocratie petite-bourgeoise, ils sont en somme une défense de la bourgeoisie.

   L’Internationale Communiste ne peut, en aucun cas, reconnaître la liberté et l’égalité pour tous ceux qui désirent signer des déclarations, sans tenir compte de leur conduite politique. Ce serait, en théorie et en pratique pour les communistes, un suicide analogue à la reconnaissance de la liberté et de l’égalité, sons le régime de « la démocratie bourgeoise » et autres balivernes. Pour tout homme qui sait lire et qui veut comprendre le sens de ce qu’il lit, il est parfaitement clair que toutes les décisions, thèses, résolutions de l’Internationale Communiste ne reconnaissent pas sans réserve la liberté et l’égalité pour tous ceux qui désirent entrer dans l’Internationale Communiste.

   Quelle est donc la condition indispensable pour que nous reconnaissions la liberté et l’égalité aux membres de l’Internationale Communiste ?

   Celle-ci : que les opportunistes, et les « centristes », comme les représentants bien connus de l’aile droite des partis socialistes suisse et italien, ne puissent s’infiltrer dans nos rangs. Car ils ont beau souscrire à la dictature du prolétariat, ils demeurent en réalité les propagandistes et les défenseurs des préjugés, des faiblesses, des hésitations de la démocratie petite-bourgeoise.

   Ce qu’il faut tout d’abord, c’est rompre avec ces préjugés, avec ces faiblesses, avec ces hésitations ; avec les gens qui préconisent, qui défendent, qui incarnent dans leur vie ces points de vue et ces tendances. Et ensuite, et seulement à cette condition, ce sera la « liberté » d’entrer dans l’Internationale, « l’égalité » du communiste véritable (et non du communiste en paroles) avec tout autre communiste, membre de l’Internationale Communiste.

   Vous êtes « libre », camarade Nobs, de défendre les opinions que vous voulez. Mais nous sommes également « libres » de dénoncer ces opinions comme des préjugés petits-bourgeois, nuisibles pour la cause du prolétariat et utiles pour le capital ; nous sommes également libres de refuser d’entrer en alliance ou en rapports avec des gens défendant ces points de vue ou une politique correspondante. Cette politique et ces points de vue, nous les avons déjà condamnés au nom de tout le IIe Congrès de l’Internationale Communiste. Nous avons déjà dit que nous réclamons absolument, comme condition préalable, la rupture avec les opportunistes.

   Ne venez pas nous parler, camarade Nobs et camarade Serrati, de la liberté et de l’égalité, en général. Parlez plutôt de la liberté de ne pas exécuter les décisions de l’Internationale Communiste relatives à l’obligation absolue d’une rupture avec les opportunistes et les « centristes » (qui ne peuvent pas ne pas saper, ne pas saboter la dictature du prolétariat). Parlez plutôt de l’égalité des opportunistes et des « centristes » avec les communistes. Eh bien ! cette liberté, cette égalité, dans l’Internationale Communiste, nous ne la reconnaissons pas ; pour ce qui est de toute autre liberté ou égalité, à votre service tant qu’il vous plaira !

   La condition la plus importante, la condition fondamentale du succès, à la veille de la révolution prolétarienne, c’est de libérer les partis du prolétariat révolutionnaires des opportunistes et des « centristes », de leur influence, de leurs préjugés, de leurs faiblesses et de leurs tergiversations.

   11 décembre 1920

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