9. Résolution sur la guerre

La septième conférence de Russie du P.O.S.D.(b) R.
(Conférence d’avril), 24-29 avril (7-12 mai) 1917

Lénine

9. Résolution sur la guerre

I

   La guerre actuelle est, de la part des deux groupes de puissances belligérantes, une guerre impérialiste, c’est-à-dire faite par les capitalistes pour la domination du monde, pour le partage du butin capitaliste, pour la conquête de marchés avantageux au capital financier, bancaire, pour l’étranglement des nations faibles.

   Le passage du pouvoir en Russie de Nicolas II au gouvernement de Goutchkov, Lvov et consorts, gouvernement de grands propriétaires fonciers et de capitalistes, n’a pas modifié et ne pouvait pas modifier ce caractère et cette signification de classe de la guerre du côté russe.

   Le fait que le nouveau gouvernement poursuit la même guerre impérialiste, c’est-à-dire une guerre de conquête et de brigandage, est devenu particulièrement évident lorsque, loin de publier les traités secrets conclus par l’ex-tsar Nicolas II avec les gouvernements capitalistes d’Angleterre, de France, etc., il les a formellement ratifiés. Il l’a fait sans consulter le peuple et dans l’intention manifeste de le tromper, car nul n’ignore que ces traités secrets de l’ex-tsar sont, de la première à la dernière ligne, des traités de brigandage qui promettent aux capitalistes russes le pillage de la Chine, de la Perse, de la Turquie, de l’Autriche, etc.

   Aussi un parti prolétarien ne peut-il soutenir ni la guerre actuelle, ni le gouvernement actuel, ni ses emprunts, quels que soient les grands mots dont on baptise ces derniers, sans rompre complètement avec l’internationalisme, c’est-à-dire avec la solidarité fraternelle des ouvriers de tous les pays dans la lutte contre le joug du capital.

   La promesse du gouvernement actuel de renoncer aux annexions, c’est-à-dire à la conquête de pays étrangers ou au maintien par la force d’autres nations dans le cadre de la Russie, ne mérite, elle non plus, aucune créance. Car, tout d’abord, les capitalistes, attachés par des milliers de liens au capital bancaire russe et anglo-français et défendant les intérêts du capital, ne peuvent renoncer aux annexions dans la guerre actuelle sans cesser d’être des capitalistes, sans renoncer aux bénéfices que leur procurent les milliards investis dans les emprunts, les concessions, les entreprises de guerre, etc. Ensuite, le nouveau gouvernement, après avoir renoncé aux annexions pour tromper le peuple, a déclaré par la voix de Milioukov, le 9 avril 1917, à Moscou, qu’il n’y renonçait pas. En troisième lieu, ainsi que l’a révélé le Diélo Naroda, journal auquel collabore le ministre Kerenski, Milioukov n’a même pas communiqué à l’étranger la déclaration où il disait renoncer aux annexions.

   Mettant le peuple en garde contre les promesses creuses des capitalistes, la conférence déclare donc qu’il faut établir une distinction rigoureuse entre la renonciation verbale aux annexions et la renonciation effective qui consiste à publier immédiatement tous les traités secrets de brigandage, tous les documents de politique étrangère, ainsi qu’à procéder sans-retard à l’affranchissement total de toutes les nationalités opprimées, ou rattachées contre leur gré à la Russie, ou lésées dans leurs droits par la classe des capitalistes, continuatrice de la politique, déshonorante pour notre peuple, de l’ex-tsar Nicolas II.

II

   Ce qu’on appelle le « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », qui a gagné à l’heure actuelle en Russie presque tous les partis populistes (socialistes populaires, troudoviks, socialistes-révolutionnaires) et le parti opportuniste des sociaux-démocrates mencheviks (le Comité d’Organisation, Tchkhéidzé, Tseretelli, etc.), ainsi que la plupart des révolutionnaires sans-parti traduit, quant à sa signification de classe, d’une part les intérêts et le point de vue de la petite bourgeoisie, des petits patrons, des paysans riches qui, comme les capitalistes, tirent profit de la contrainte exercée sur les peuples faibles ; d’autre part, il est le résultat de la duperie des masses populaires par les capitalistes, qui se gardent de publier les traités secrets et s’en tirent avec des promesses et de beaux discours.

   De très larges masses de « jusqu’au-boutistes révolutionnaires  » sont manifestement sincères, c’est-à-dire réellement hostiles à toute annexion, conquête ou contrainte exercée sur les peuples faibles, réellement désireuses d’une paix démocratique, non imposée par la violence, entre tous les pays belligérants. Il est Indispensable de le reconnaître, car la situation de classe des prolétaires et des semi-prolétaires de la ville et de la campagne (c’est-à-dire des gens qui vivent en totalité ou en partie de la vente de leur force de travail aux capitalistes) est telle que ces classes ne sont pas intéressées aux bénéfices des capitalistes.

   Aussi la conférence considère-t-elle comme absolument inadmissible et signifiant en fait une rupture complète avec l’internationalisme et le socialisme toute concession, quelle qu’elle soit, faite au « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », en même temps qu’elle déclare : tant que les capitalistes russes et leur gouvernement provisoire se borneront à menacer le peuple d’user de la violence (par exemple, le décret tristement célèbre de Goutchkov menaçant de sanctions les soldats qui, de leur propre chef, révoqueraient des officiers), tant que les capitalistes n’auront pas recours à la violence contre les soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, salariés agricoles, etc., librement organisés et qui révoquent et élisent librement toutes les autorités, tant qu’on en restera là, notre parti préconisera le renoncement à la violence et combattra l’erreur profonde, l’erreur fatale du « jusqu’auboutisme révolutionnaire » par la seule persuasion fraternelle et la démonstration de cette vérité que l’aveugle crédulité des larges masses envers le gouvernement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme, est actuellement en Russie le principal obstacle à l’achèvement rapide de la guerre.

III

   En ce qui concerne la question la plus importante : comment terminer au plus tôt, par une paix qui ne soit pas imposée par la violence, mais vraiment démocratique, cette guerre de capitalistes ?, la conférence reconnaît et décide : on ne peut mettre fin à cette guerre par le refus des soldats d’un seul camp de la continuer, ou par la simple cessation des opérations militaires par l’une des parties belligérantes.

   La conférence proteste une fois de plus contre la basse calomnie répandue par les capitalistes contre notre Parti, selon laquelle nous aspirerions à une paix séparée avec l’Allemagne. Nous considérons les capitalistes allemands comme des forbans au même titre que les capitalistes russes, anglais, français et autres, et l’empereur Guillaume comme un bandit couronné de même que Nicolas II et les monarques anglais, italien, roumain et tous les autres.

   Notre parti expliquera patiemment, mais opiniâtrement, au peuple cette vérité que les guerre sont faites par les gouvernements, qu’elles sont toujours liées étroitement à la politique de classes déterminées et que cette guerre ne peut être terminée au moyen d’une paix démocratique que par le passage de tout le pouvoir, au moins dans plusieurs pays belligérants, à une classe réellement susceptible de mettre fin au joug du capital, la classe des prolétaires et des semi-prolétaires.

   La classe révolutionnaire qui prendrait le pouvoir en Russie appliquerait diverses mesures tendant à ruiner la domination économique des capitalistes et, les mettant complètement hors d’état de nuire sur le plan politique, proposerait immédiatement, au grand jour, à tous les peuples, une paix démocratique fondée sur le renoncement complet à toute espèce d’annexions et de contributions. Ces mesures et cette proposition publique de paix créeraient entre les ouvriers des pays belligérants une entière confiance réciproque et amèneraient inévitablement des soulèvements du prolétariat contre les gouvernements impérialistes qui s’opposeraient à la paix proposée.

   Mais tant que la classe révolutionnaire de Russie n’aura pas pris en main tout le pouvoir, notre parti soutiendra par tous les moyens les partis et les groupes prolétariens de l’étranger qui mènent effectivement, dès à présent, au cours de cette guerre, une lutte révolutionnaire contre leur propre gouvernement impérialiste et leur bourgeoisie. Le parti encouragera particulièrement la fraternisation de masse dont les soldats de tous les pays belligérants ont déjà pris l’initiative sur le front, en s’efforçant de transformer cette manifestation spontanée de la solidarité des opprimés en un mouvement conscient, aussi organisé que possible, pour le passage de tout le pouvoir au prolétariat révolutionnaire dans tous les pays belligérants.

   (tous pour, moins 7 abstentions)

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