Le congrès des députés paysans

Le congrès des députés paysans((Par Congrès des députés paysans Lénine entend la Conférence des représentants des organisations paysannes et des Soviets des députés paysans qui se déroula à Pétrograd du 13 au 17 (du 26 au 30) avril 1917 sur l’initiative du congrès des coopérateurs de Moscou. ))

Lénine

   Paru dans la « Pravda » n° 34, 16 avril 1917

   Le Congrès des représentants des organisations paysannes et des Soviets de députés paysans, réunis pour préparer la convocation d’un Soviet des députés paysans de Russie et la création en province de tels Soviets, siège depuis le 13 avril au Palais de Tauride.

   Selon le Diélo Naroda, les représentants de plus de 20 provinces participent à ce congrès.

   Des résolutions ont été adoptées sur la nécessité d’organiser au plus tôt la « paysannerie » de la base au « sommet ». Les « Soviets des députés paysans aux divers échelons » sont, a-t-on reconnu, la « meilleure forme d’organisation de la paysannerie ».

   Un membre du bureau provisoire pour la convocation du congrès en cours, Bykhovski, a indiqué que c’est le Congrès coopératif de Moscou((Lénine a en vue le Congrès coopératif de Russie, qui se tint à Moscou du 25 au 28 mars (du 7 au 10 avril) 1917. Près de 800 délégués y participèrent. Le Congrès examina, notamment, les questions suivantes : mise sur pied d’une union coopérative de Russie ; la préparation des élections à l’Assemblée constituante, la participation des coopératives à l’organisation du ravitaillement. )), représentant 12 millions de membres organisés, soit une population de 50 millions d’âmes, qui avait décidé d’organiser la paysannerie en créant un Soviet des députés paysans de Russie.

   C’est là une initiative d’une portée immense et qu’il faut soutenir de toutes nos forces. Si ce projet se réalise sans délai ; si, malgré Chingarev, la paysannerie, conformément à la décision de la majorité et non aux « accords à l’amiable » avec les grands propriétaires fonciers, préconisés par ce ministre, prend immédiatement toute la terre, les soldats, qui recevront plus de pain et de viande, ne seront pas les seuls à en profiter ; la cause de la liberté y gagnera elle aussi.

   Car l’organisation des paysans eux-mêmes, mais à la base, mais sans fonctionnaires, sans « contrôle ni surveillance » des grands propriétaires fonciers et de leur séquelle, est le gage le plus sûr, le seul gage du succès de la révolution, du succès de la liberté, du succès de la lutte de la Russie pour s’affranchir du joug et de la servitude des grands propriétaires fonciers.

   Tous les membres de notre Parti, tous les ouvriers conscients appuieront sans nul doute de toutes leurs forces l’organisation de Soviets de députés paysans, se préoccuperont d’en accroître le nombre, de les consolider, et s’attacheront, pour leur part, à travailler au sein de ces Soviets dans un esprit de classe conséquent et rigoureusement prolétarien.

   Il faut, pour cela, grouper séparément les éléments prolétariens (journaliers, domestiques de ferme, etc.) au sein des Soviets paysans, ou bien (parfois et) organiser séparément des Soviets de députés des salariés agricoles.

   Ce n’est pas pour morceler les forces que nous agissons ainsi ; c’est au contraire pour renforcer et élargir le mouvement qu’il importe de promouvoir la catégorie ou, plus exactement, la classe sociale la plus « basse », pour user de la terminologie des grands propriétaires fonciers et des capitalistes.

   Il faut, pour faire progresser le mouvement, le soustraire à l’influence de la bourgeoisie, s’attacher à le débarrasser des faiblesses, des hésitations et des erreurs inévitables de la petite bourgeoisie.

   Pour y parvenir, il faut procéder par la persuasion, fraternellement, sans anticiper sur les événements, sans se presser de « sceller » sur le plan de l’organisation ce qui n’a pas encore suffisamment pénétré dans les consciences, n’a pas été suffisamment médité, compris, senti par les représentants eux-mêmes des prolétaires et des semi-prolétaires de la campagne. Mais il faut s’acquitter de ce travail, il faut le commencer immédiatement et partout.

   Les revendications pratiques, les mots d’ordre ou, plus exactement, les propositions à soumettre à l’attention des Paysans doivent avoir trait aux questions pressantes, d’actualité, posées par la vie elle-même.

   La première question est celle de la terre. Les prolétaires des campagnes seront pour le passage immédiat de toutes les terres sans exception au peuple entier et pour la prise en charge immédiate des terres par des comités locaux. Mais on ne se nourrit pas de terre. Des millions et des millions de foyers paysans dépourvus de chevaux, d’outillage et de semences ne gagneront rien à ce passage de la terre au « peuple ».

   Il faut mettre sans tarder en discussion, tout en prenant des mesures pratiques pour la réaliser, la proposition suivante : chaque fois que la moindre possibilité s’en présentera, les grandes entreprises agricoles devront continuer d’être exploitées comme telles, sous la direction d’agronomes et des Soviets de députés des salariés agricoles, en utilisant les machines les plus perfectionnées et les semences de la meilleure qualité, les procédés les plus modernes de la technique agricole.

   Nous ne pouvons dissimuler aux paysans, ni à plus forte raison aux prolétaires et aux semi-prolétaires de la campagne, que tant que subsiste l’économie marchande et le capitalisme, la petite exploitation n’est pas en mesure d’affranchir l’humanité, d’affranchir les masses de la misère, qu’il faut songer à passer à la grande exploitation travaillant pour le compte de la société et s’y mettre tout de suite, en enseignant aux masses et en apprenant auprès des masses à appliquer les mesures pratiques adéquates.

   Une autre question des plus importantes et des plus actuelles est celle de l’organisation et de la gestion de l’Etat. Il ne suffit pas de prêcher la démocratie, il ne suffit pas de la proclamer et de la décréter, il ne suffit pas d’en confier l’application aux « représentants » du peuple siégeant dans les institutions représentatives. Il faut édifier la démocratie sur l’heure, en commençant par en bas, en faisant appel à l’initiative des masses, en assurant leur participation effective à toute l’activité de l’Etat, sans « surveillance » d’en haut, sans fonctionnaires.

   Remplacer la police, le corps des fonctionnaires et l’armée permanente par l’armement général du peuple, par une milice générale dont tout le monde fera partie, y compris les femmes : telle est la tâche pratique dont on peut et doit aborder tout de suite la réalisation. Plus les masses y apporteront d’initiative, de diversité, de hardiesse, d’esprit créateur, et mieux cela vaudra. Non seulement les prolétaires et les semi-prolétaires de la campagne, mais aussi les 9/10 de toute la paysannerie nous suivront à coup sûr si nous savons leur expliquer clairement, simplement, intelligiblement, à l’aide d’exemples concrets et en tirant des leçons de la vie même, nos propositions :

   – ne pas laisser rétablir la police ;

   – ne pas laisser rétablir la toute-puissance du corps des fonctionnaires inamovibles en fait et appartenant à la classe des grands propriétaires fonciers ou des capitalistes ;

   – ne pas laisser rétablir une armée permanente séparée du peuple, qui est le plus sûr moyen de voir se multiplier les tentatives pour ravir la liberté et restaurer la monarchie ;

   – enseigner au peuple, jusqu’en ses couches les plus profondes, l’art de gouverner l’Etat, et cela non seulement par des méthodes livresques, mais en passant partout et immédiatement à des mesures pratiques, à la mise en œuvre de l’expérience des masses.

   La démocratie pat en bas, la démocratie sans corps de fonctionnaires, sans police, sans armée permanente. Un service civique assuré par une milice formée du peuple entier en armes : tel est le garant d’une liberté que ne pourront nous ravir ni les tsars, ni les braves généraux, ni les capitalistes.

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