V. LA STATISTIQUE DES ZEMSTVOS POUR LA PROVINCE D’OREL

Le développement du capitalisme en Russie

Lénine

Chapitre II : LA DÉCOMPOSITION DE LA PAYSANNERIE

V. LA STATISTIQUE DES ZEMSTVOS POUR LA PROVINCE D’OREL

   Nous disposons pour cette province de deux recueils qui portent sur les districts d’Eletz et de Troubtchevsk, dans lesquels les foyers paysans sont groupés d’après le nombre des chevaux de trait((Recueil de renseignements statistiques sur la province d’Orel, t. II, M. 1887. District d’Eletz, et t. III, Orel 1887. District de Troubtchevsk. Pour ce dernier district, les chiffres ne comprennent pas les communautés suburbaines. Pour l’affermage, nous prenons les chiffres globaux en réunissant l’affermage des lots de terre communautaire et celui de la terre non communautaire. L’étendue des terres données à bail a été établie par nous approximativement, d’après le nombre des foyers cédant la totalité de leur lot. Les chiffres obtenus nous permettent donc d’établir la quantité de terre dont jouit chaque groupe (lot + terre achetée + terre prise à bail – donnée à bail).)).

   Voici les données générales par groupes pour ces deux districts pris ensemble :

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   Nous voyons donc que les rapports d’ensemble entre les groupes sont identiques à ceux que nous avons déjà relevés (ici encore. il y a concentration des achats et des affermages chez les paysans aisés qui s’approprient la terre des paysans pauvres). Il en est de même pour les rapports qui concernent le travail salarié, les «métiers auxiliaires» et les «courants progressistes» dans l’exploitation: ils sont absolument analogues à ceux que nous avons pu observer dans les autres districts.

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   Dans la province d’Orel, comme dans les autres, nous sommes donc témoins d’une décomposition de la paysannerie en deux types diamétralement opposés: d’une part, le prolétariat rural (qui abandonne sa terre et vend sa force de travail; et, d’autre part, la bourgeoisie paysanne (qui achète de la terre, prend de grands fermages surtout des lots concédés, perfectionne son mode d’exploitation, emploie des ouvriers et des journaliers, qui dans ces données ont été omis, et s’occupe d’entreprises industrielles et commerciales en même temps que d’agriculture). Dans cette province, cependant, l’exploitation agricole des paysans est, en général, beaucoup moins étendue que dans les cas que nous avons examinés précédemment; le nombre de ceux qui détiennent de vastes surfaces ensemencées est considérablement plus réduit et, si on en juge par ces deux districts, la décomposition de la paysannerie paraît donc moins accentuée. Nous disons «paraît», et voici pourquoi: 1) S’il est vrai, en effet, que dans cette province, la transformation de la paysannerie en prolétariat rural s’effectue bien plus rapidement et que les groupes de bourgeois ruraux, auxquels elle donne naissance, sont très réduits, nous avons déjà eu des exemples contraires où c’était ce pôle de la paysannerie qui ressortait tout particulièrement. 2) La décomposition de la paysannerie agricole (nous nous limiterons dans ce chapitre à la seule paysannerie agricole) est estompée par les «métiers auxiliaires» qui sont ici très développés (40% des familles). Et dans cette région comme dans les autres, on classe dans cette rubrique, à côté d’une majorité d’ouvriers salariés, une minorité de marchands, de revendeurs, d’entrepreneurs, d’exploitants, etc. 3) La décomposition de la paysannerie est encore estompée par l’absence de données sur les aspects de l’agriculture locale qui sont le plus liés au marché. Ici, en effet, le développement de l’agriculture commerciale, de l’agriculture marchande porte non pas sur l’extension des emblavures pour la vente du blé, mais sur la production du chanvre. Or, les tableaux reproduits dans le recueil ne mettent pas en relief justement cette branche de l’agriculture chez les différents groupes, alors que c’est précisément le chanvre qui fait l’objet de la majorité des opérations commerciales. «Les chènevières fournissent le principal revenu des paysans» (c’est-à-dire le revenu en argent. Recueil sur le district de Troubtchevsk, p. 5 des descriptions par localités, et beaucoup d’autres passages); «l’attention des paysans se porte principalement sur la culture du chanvre … Tout le fumier … sert à engraisser les chènevières» (ibid., p. 87); «le chanvre» sert de gage pour les prêts consentis; c’est avec le chanvre que l’on acquitte les dettes (ibid., passim). Pour amender les chènevières, les paysans aisés achètent du fumier aux pauvres (Recueil sur le district d’Orel, t. VIII, Orel 1895, 105) ; on prend et on donne à bail des chènevières dans sa communauté ou dans d’autres (ibid., p. 260), une partie des «entreprises industrielles» où l’on observe la concentration dont nous avons parlé, traitent le chanvre. On voit donc combien incomplet est un tableau de la décomposition, où manquent les renseignements sur la principale denrée marchande de l’agriculture locale((L’auteur du recueil pour le district d’Orel nous apprend (tableau 57) que, chez les paysans aisés, la quantité de fumier par tête de gros bétail est près de deux fois plus élevée que chez les pauvres (391 pouds par tête avec 7,4 têtes par foyer contre 208 pouds par tête, avec 2,8 têtes par foyer. Ce résultat a été obtenu avec classification d’après les lots, qui atténue la véritable profondeur de la décomposition). La raison? C’est que les pauvres sont obligés d’employer la paille et le fumier comme combustible, de les vendre, etc. La quantité « normale» de fumier par tête de bétail (400 pouds) n’est donc obtenue que par la bourgeoisie paysanne. M. V. V. pourrait à ce sujet aussi disserter sur le «rétablissement de la proportion normale » entre la quantité de bétail et la quantité de fumier (comme il le fait à propos de la perte des chevaux). )).

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