Analyse des données historico-statistiques sur le développement de la grande industrie

Le développement du capitalisme en Russie

Lénine

Chapitre VII : LE DÉVELOPPEMENT DE LA GRANDE INDUSTRIE MÉCANIQUE

III. ANALYSE DES DONNÉES HISTORICO-STATISTIQUES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA GRANDE INDUSTRIE

   Nous avons déjà noté que pour juger du progrès de la grande industrie d’après la statistique des fabriques et usines, il était nécessaire de séparer les matériaux relativement utilisables de ceux qui ne le sont pas du tout. Examinons à cette fin les principales branches de notre industrie de transformation.

1. Industries textiles

   En tête des industries de la laine, nous trouvons l’industrie du drap qui, en 1890, produisait pour plus de 35000000 de roubles de marchandises et occupait 45000 ouvriers. Dans cette production, les données historico-statistiques indiquent une diminution sensible du nombre des ouvriers qui est passé de 72638, en 1866, à 46740, en 1890((Dans tous les cas, à moins de réserve spéciale, nous prenons pour 1866 les données de l’Annuaire, pour 1879 et 1890 celles des Index; la Revue historico-statistique (t. II fournit des renseignements sur la production de draps par année de 1855 à 1897 ; voici le nombre moyen des ouvriers par périodes de cinq ans, de 1855-1859 à 1875-1879 : 107433 ; 96131 ; 92117 ; 87960 et 81458. )). Pour comprendre ce phénomène, il faut se rappeler que jusqu’aux années 60 incluses, l’industrie du drap a eu une organisation originale, particulière: elle était concentrée dans des entreprises relativement importantes mais qui n’avaient rien à voir avec l’industrie capitaliste des «fabriques» car elles étaient fondées sur le travail des serfs ou des paysans temporairement redevables. De ce fait, les revues de l’industrie des usines et fabriques pour les années 60 divisent les fabriques de drap en deux groupes: 1) celles qui appartiennent à des gros propriétaires fonciers et à des nobles et 2) celles qui appartiennent à des marchands. Les premières travaillaient essentiellement pour l’armée, l’Etat distribuant ses commandes entre les fabriques de façon égale, proportionnellement au nombre d’appareils dont elles disposaient. Du fait que le travail y était obligatoire, les entreprises de ce genre avaient une technique retardataire et employaient beaucoup plus d’ouvriers que les fabriques des marchands fondées sur le travail salarié libre((Voir la Revue des diverses branches de l’industrie manufacturière en Russie, t. I, St-Pétersbourg 1862, notamment pages 165 et 167. Cf. aussi Recueil de la statistique militaire, pp. 357 et suivantes. De nos jours, on rencontre rarement dans les listes des fabricants de drap, les noms fameux de la noblesse qui, après 1860, y formaient l’immense majorité.)) . Or, c’est précisément dans les provinces où la grosse propriété foncière est prédominante que le nombre des ouvriers employés dans la production du drap a le plus diminué: dans treize de ces provinces citées par la Revue des manufactures, ce nombre est passé de 32921, en 1866, à 14539 en 1890, alors que dans cinq provinces marchandes (Moscou, Grodno, Livonie, Tchernigov et Saint-Pétersbourg), il n’est tombé que de 31291 à 28257. On voit donc que nous avons affaire à deux tendances antagonistes mais qui sont l’une comme l’autre, l’indice d’un développement du capitalisme: d’une part la décadence des établissements seigneuriaux à caractère de possession allodiale((La manufacture allodiale féodale était une entreprise appartenant à un gros propriétaire foncier et dont les ouvriers étaient des paysans serfs. En 1721, Pierre Ier avait promulgué un oukase autorisant les industriels de la classe des marchands d’acheter des serfs pour les faire travailler dans les usines. Ces serfs attachés aux entreprises portaient le nom de «paysans de possession». )) et, d’autre part, la transformation des entreprises des marchands en fabriques purement capitalistes. Pendant les années 60, un nombre considérable des ouvriers employés dans la production du drap étaient non pas des ouvriers de fabrique au sens propre du terme, mais des paysans dépendants travaillant pour des gros propriétaires fonciers((Voici quelques exemples tirés de la statistique des zemstvos. Au sujet de la fabrique de drap de N. Gladkov, district de Volsk, province de Saratov (306 ouvriers, en 1866), nous lisons dans le recueil de la statistique des zemstvos ( p. 275) que l’on forçait les paysans à travailler à la fabrique du maître. «On travaillait à la fabrique jusqu’au mariage, après quoi on devenait corvéable.» Dans le village de Riassy, district de Ranenbourg, province de Riazan, existait, en 1866. une fabrique de drap employant 180 ouvriers. Les paysans faisaient leur corvée à la fabrique, qui fut fermée, en 1870 (Recueil de reins. statist. de la province de Riazan, t. II. fasc. I, Moscou 1882, p. 330).  )). L’industrie du drap nous fournit un exemple de ce phénomène propre à l’histoire russe qu’est l’application du travail des serfs à l’industrie. Comme dans cet ouvrage nous ne nous occupons que de la période postérieure à l’abolition du servage, nous pouvons nous contenter de ces brèves indications sur la façon dont ce phénomène est reflété par notre statistique des usines et fabriques((Voir Nissélovitch, Histoire de la législation des fabriques et usines de l’Empire russe. Parties I et II. St-Pétersbourg 1883-1884. – A. Sémionov, Etude des renseignements historiques sur le commerce extérieur et l’industrie russes, Saint-Pétersbourg 1838-1859, 3 parties. – V. Sémevski, Les paysans sous le règne de Catherine II. St-Pétersbourg 1881, – Recueil de rens. statist. sur la province de Moscou. Sect. de stat. sanitaires, t. IV, Ire partie (relevé général), Moscou 1890, article de A. Pogojev; «Des fabriques de possession allodiale de la province de Moscou». – M. Tougan-Baranovski, La fabrique russe. Saint-Pétersbourg 1898, t. I. )). Pour ce qui est du développement de la grande industrie mécanique proprement dite, voici quelques chiffres tirés de la statistique des moteurs à vapeur qui nous permettront d’en juger: alors qu’en 1875-78, on comptait dans les filatures de laine et les fabriques de drap de Russie d’Europe 167 établissements mécanisés qui employaient 209 machines à vapeur d’une puissance de 4632 chevaux, on en comptait, en 1890, 197 qui employaient 341 machines d’une puissance de 6602 chevaux. Comme on le voit, la progression n’a pas été très rapide. Cela est dû d’une part aux traditions des fabriques seigneuriales et d’autre part au fait que le drap a été supplanté par les tissus moins coûteux de laine peignée ou mélangée((Cf. Les progrès d’industrie russe d’après les travaux des commissions d’experts. Saint-Pétersbourg 1897, p. 60. )). En 1875-78, on trouvait dans le tissage de la laine 7 établissements mécanisés employant 20 machines à vapeur d’une puissance de 303 chevaux, en 1890, on en trouvait 28 avec 61 machines à vapeur d’une puissance de 1375 chevaux((Dans ce cas comme dans ceux qui vont suivre, les données concernant les machines à vapeur sont empruntées aux Matériaux pour la statistique des machines à vapeur dans l’Empire de Russie, édition du Comité central de la statistique. Saint-Pétersbourg 1882, et pour l’année 1890, au Relevé des données relatives à l’industrie des fabriques et usines; le nombre des établissements mécaniques est tiré de l’Index.  )).

   Parmi les industries de la laine, notons également celle du foulage des feutres. Dans cette industrie, le fait qu’il est impossible de comparer d’une année à l’autre les données fournies par la statistique apparaît avec une netteté toute particulière. Pour 1866, en effet, on nous donne le chiffre de 77 fabriques employant 295 ouvriers et, dans ce total, on fait figurer 60 petits établissements qui produisent pour moins de 2000 roubles de marchandises chacun et qui occupent 137 ouvriers. Pour 1890, par contre, le nombre des fabriques recensées est de 57 avec 1217 ouvriers et parmi elles il n’y a qu’une seule petite entreprise qui emploie quatre ouvriers. En 1866, on a également recensé 39 petites entreprises dans le district de Sémionov (province de Nijni-Novgorod) où l’industrie des feutres est encore très répandue de nos jours mais où elle est classée parmi les industries artisanales et non parmi les «fabriques et usines» (voir chapitre VI, paragraphe II, 2).

   Dans l’industrie textile, une place extrêmement importante revient au traitement du coton qui, à l’heure actuelle, occupe plus de 200000 ouvriers. Nous nous heurtons ici à une des principales erreurs de notre statistique des fabriques, à savoir: la confusion entre les ouvriers de fabrique et les ouvriers employés à domicile selon le mode capitaliste. Il se trouve, en effet, que dans cette branche (comme dans beaucoup d’autres), le développement de la grande industrie mécanique a consisté précisément à rassembler dans les fabriques les ouvriers à domicile. Il n’est donc pas difficile de comprendre que si on classe les comptoirs de distribution et les ateliers familiaux parmi les «fabriques» et si on mélange les ouvriers à domicile et les ouvriers de fabrique, on donne de ce processus une image entièrement fausse. Alors qu’en 1866 (selon l’Annuaire on a inclu parmi les ouvriers de fabrique jusqu’à 22000 ouvriers à domicile (et ces chiffres sont loin d’être complets car pour la province de Moscou l’Annuaire a omis – visiblement par hasard – les remarques sur le «travail au village» qui est si répandu dans la province de Vladimir), en 1890 (d’après l’Index) , on n’en a inclus qu’environ 9000. Il est donc clair qu’en réalité, l’augmentation du nombre des ouvriers de fabrique est beaucoup plus important qu’il n’apparaît à la lecture des chiffres de la statistique des usines et fabriques (59000 ouvriers dans les fabriques de cotonnades en 1866 et 75000 en 1890)((Cf. Tougan-Baranovski, l.c., p. 420. Sémionov estimait qu’en 1859, le nombre total des tisserands manuels occupés par les capitalistes dans les villages s’élevait à 385857 environ (l.c., III, p. 273); il y ajoutait encore 200000 ouvriers, occupés dans les villages «par d’autres productions de fabrique» (p. 302, ibid.). Actuellement, comme on l’a vu plus haut, le nombre des ouvriers travaillant à domicile pour les capitalistes est infiniment plus important. )). Voici les chiffres indiquant les différentes entreprises qui ont été classées parmi les «fabriques» de cotonnades aux différentes époques((Est considéré comme atelier familial l’établissement dont la production est inférieure à 2000 roubles. Les données de l’enquête spéciale sur les fabriques et usines des provinces de Moscou et de Vladimir, faite en 1868 par le Comité central de la statistique, indiquent plus d’une fois que le total de la production des petits tissages n’est autre chose que le prix payé pour le travail. Parmi les comptoirs, on compte les établissements qui distribuent du travail à domicile. Le nombre de ces entreprises indiquées pour 1886 est loin d’être complet, à cause d’omissions évidentes pour la province de Moscou. )).

T_1

   Comme on le voit, la prétendue diminution du nombre des «fabriques» indiquée par la «statistique» vient en réalité de ce que les comptoirs et les ateliers familiaux ont été éliminés par la fabrique. Pour illustrer ce fait, nous allons prendre l’exemple de deux fabriques:

T_2

   Il est donc clair que pour juger des progrès accomplis par la grande industrie mécanique dans cette branche, les meilleures données sont celles qui portent sur le nombre des métiers à tisser mécaniques. Alors qu’en 1860-1870, on n’en trouvait qu’environ 11000((Recueil de la statistique militaire, p. 380. Revue de l’industrie manufacturière, t. II, Saint-Pétersbourg, 1863, p. 451. En 1898, on comptait dans l’industrie des cotonnades 100630 métiers à tisser mécaniques (dans tout l’Empire, probablement). Les progrès de l’industrie russe, p. 33.  )), en 1890, on en trouvait environ 87000. Comme on le voit, la grande industrie mécanique s’est développée avec une extrême rapidité. Alors qu’en 1875-78 on comptait dans la filature et le tissage 148 établissements mécanisés employant 481 machines à vapeur d’une puissance de 20504 chevaux, en 1890 on en comptait 168 avec 554 machines d’une puissance de 38750 chevaux.

   Notre statistique commet exactement la même erreur pour l’industrie de la toile où elle signale à nouveau une diminution du nombre des ouvriers de fabriques et d’usines, contraire à la réalité (17171 en 1866 – 15497 en 1890). La vérité, c’est qu’en 1866, sur les 16900 métiers appartenant aux fabricants de toile, il n’y en avait que 4749 qui se trouvaient dans leurs établissements et que les 12151 autres étaient répartis chez les ouvriers à domicile((Recueil de la statistique militaire, pp. 367-368. Informations provenant de l’intendance. )). En 1866, il y avait donc environ 12000 ouvriers à domicile qui étaient rangés abusivement parmi les ouvriers de fabrique. En 1890, par contre, il n’y en avait plus que 3000 (calcul fait d’après l’Index). Quant au nombre des métiers mécaniques, il est passé de 2263 en 1866 (chiffre établi d’après le Recueil de la statistique militaire) à 4041 en 1890, et celui des broches respectivement: de 95495 à 218012. Dans l’industrie du lin (filature et tissage), on recensait en 1890, 48 établissements mécanisés employant 83 machines à vapeur d’une puissance de 5027 chevaux contre 28 avec 47 machines d’une puissance de 1604 chevaux en 1875-78((Dans la soierie, on comptait en 1879, 495 métiers à tisser mécaniques et 5966 à bras (Revue historico-statistique) et en 1890, 2899 métiers mécaniques et plus de 7500 métiers à bras. )).

   Parmi les industries textiles, il nous faut encore noter la teinture, l’impression et l’apprêtage. Dans toutes ces branches, la statistique mélange les fabriques avec les plus petits établissements artisanaux employant 1 ou 2 ouvriers et produisant pour quelques centaines de roubles de marchandises((En 1879, par exemple, on comptait dans ces industries 729 fabriques, dont 466 occupaient 977 ouvriers, avec une production de 170000 roubles. On peut trouver aujourd’hui encore beaucoup de ces «fabriques», par exemple dans la description des industries artisanales des provinces de Viatka et de Perm. )). Il en résulte naturellement une extrême confusion qui dissimule les progrès rapides accomplis par la grande industrie mécanique. Voici quelques chiffres concernant ces progrès: dans les industries du lavage, de la teinture, du blanchissage et de l’apprêtage de la laine, le nombre des entreprises mécanisées est passé de 80 avec 255 machines à vapeur d’une puissance de 2634 chevaux en 1875-78 à 189 avec 858 machines d’une puissance de 9100 chevaux en 1890.

2. Industries du bois

   Dans cette branche, les données les plus dignes de foi, encore que dans le passé elles aient englobé un certain nombre de petites entreprises((Cf. le Recueil de la statistique militaire, p. 389. Revue de l’ind. manufacturière, t. I, p. 309.  )), sont celles qui concernent la production des scieries. Après l’abolition du servage, cette production a connu un énorme développement (4000000 de roubles de marchandises en 1866 – 19000000 en 1890) qui est allé de pair avec une augmentation considérable du nombre des ouvriers (4000 et 15000) et des entreprises fonctionnant à la vapeur (26 et 430). Comme la scierie n’est qu’une des opérations de l’industrie du bois et que cette industrie accompagne nécessairement les progrès de la grande industrie mécanique, ce développement est particulièrement intéressant car il constitue un indice saisissant des progrès accomplis par l’industrie du bois.

   Pour ce qui est des autres branches de cette industrie, à savoir, la fabrication des meubles, des nattes, de la résine, du goudron, les données fournies par notre statistique des usines et fabriques sont particulièrement chaotiques. Dans le passé, en effet, les petites entreprises, particulièrement nombreuses dans ces industries, étaient classées en nombre arbitraire parmi les «fabriques» et il arrive encore qu’elles le soient aujourd’hui((Par exemple, sur 91 fabriques de nattes, il y en avait, en 1879, 39 dont la production était inférieure à 1000 roubles (cf. Etudes, p. 155). (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, p. 415. – N. R.) Dans la résinerie-goudronnerie, on comptait en 1890, 140 usines, toutes produisant pour plus de 2000 roubles; en 1879, 1033 usines, dont 911 produisaient pour moins de 2000 roubles; en 1866, on comptait (dans l’Empire) 669 usines et même, d’après le Recueil de la statistique militaire, 3164 !! (Cf. Études, pp. 156 et 271).)).

3. Industries chimiques, traitement des produits animaux, céramique

   Pour l’industrie chimique proprement dite, les données sont d’une relative exactitude. Voici les chiffres concernant le développement de cette industrie: alors qu’en 1857, on consommait en Russie pour 14 millions de roubles de produits chimiques (production nationale: 3400000, importations: 10600000), en 1880, on en consommait pour 36250000 (production nationale: 7500000, importations: 28750000) et en 1890 pour 42700000 (production: 16100000, importations: 26600000)((Recueil de la statistique militaire, Revue historico-statistique et Les forces productives, t. IX. p. 16. – Nombre d’ouvriers: en 1866, 5645; en 1890, 25471; en 1875-1878, 38 entreprises mécaniques avec 34 machines à vapeur d’une puissance de 332 chevaux, et en 1890, 141 avec 208 machines d’une puissance de 3319 chevaux. )). Ces chiffres sont particulièrement intéressants, car on connaît l’extrême importance de l’industrie chimique qui produit des matériaux auxiliaires pour la grande industrie mécanique, c’est-à-dire des articles de consommation productive (et non individuelle). Pour ce qui est de l’industrie de la potasse et du salpêtre, les données que nous fournit la statistique sur le nombre des fabriques sont inexactes étant donné qu’elle englobe de petits établissements((Cf. l’Index de 1879 et 1890 sur l’industrie de la potasse. L’industrie du salpêtre est maintenant concentrée dans l’usine de St-Pétersb., tandis qu’entre 1860-1880 on pratiquait encore l’extraction du salpêtre à partir du fumier. )).

   Depuis l’abolition du servage, l’industrie des graisses est indubitablement en décadence: alors qu’en 1866-68, la production des bougies et de la graisse fondue était estimée à 13600000 roubles, elle n’était plus que de 5000000 roubles en 1890((En 1860-1880, une masse de petits établissements figurait aussi parmi les usines. )). Cette décadence est due au fait que les anciennes chandelles ont été supplantées par les huiles minérales qui sont de plus en plus utilisées pour l’éclairage.

   Pour la production du cuir (2308 entreprises avec 11463 ouvriers et une production de 14600000 roubles en 1866; 1621 entreprises avec 15564 ouvriers et une production de 26700000 roubles en 1890), la statistique n’a cessé de confondre les usines et les petites entreprises. Dans cette industrie, il est particulièrement difficile de faire la distinction entre les établissements artisanaux et les usines d’une part, parce que la matière première coûte relativement cher et que, de ce fait, le volume de la production représente toujours une somme d’argent importante, d’autre part, parce que la production ne demande qu’un très petit nombre d’ouvriers. En 1890, dans le nombre total des usines recensées (1621), on n’en comptait que 103 produisant pour moins de 2000 roubles de marchandises. En 1879, par contre, on en comptait 2008 sur 3320((En 1875 le prof. Kittary, dans sa «Carte de l’industrie du cuir en Russie», comptait 12939 établissements avec une production de 47,5 millions de roubles, tandis que la statistique des fabriques et usines en comptait 2764 avec une production de 26,5 millions de roubles (Revue hist.-statist.). Dans une autre branche de cette industrie, la pelleterie, on observe la même confusion des fabriques et des petits établissements: cf. Ind. pour 1879 et 1890.  )) et en 1866, sur un total de 2308((Recueil de la statistique mil. en compte même 890 !!)), il y en avait 1042 qui avaient une production inférieure de 1000 roubles (elles employaient 2059 ouvriers et leur production totale était de 474000 roubles). On voit donc que contrairement à ce qu’indique la statistique, le nombre des usines a augmenté. Cependant les petites entreprises du cuir continuent à être très nombreuses: selon une publication du Ministère des Finances sur l’Industrie des fabriques et usines et le commerce de Russie (Saint-Pétersbourg, 1893), on trouve dans cette branche environ 9500 usines artisanales qui emploient 21000 ouvriers et produisent pour 12000000 de roubles de marchandises. Comme on le voit, ces entreprises «artisanales» sont beaucoup plus importantes que celles qui étaient classées parmi «les usines et fabriques» au cours des années 60. Les données concernant cette industrie doivent être utilisées avec la plus extrême prudence car le nombre des petits établissements figurant parmi les fabriques varie d’une province et d’une année à l’autre. En 1875-78, la statistique des moteurs à vapeur recensait dans cette industrie 28 établissements mécanisés avec 33 machines à vapeur d’une puissance de 488 chevaux. En 1890, elle en recensait 66 avec 82 machines d’une puissance de 1112 chevaux. Ces 66 entreprises faisaient travailler 5522 ouvriers (plus d’un tiers du total) et produisaient pour 12300000 roubles de marchandises (46% du total). On voit donc que la concentration de la production est très poussée et que dans les grandes entreprises, la productivité du travail est bien supérieure à la moyenne(( En répartissant les usines mentionnées par l’Index de 1890, d’après la date de leur fondation, nous verrons que, sur les 1506 usines, 97 ont été fondées on ne sait quand; 331 avant 1850; 147 en 1850-1860: 239 en 1860-1870; 320 en 1870-1880; 351 de 1880-1890 et 21 en 1890. Chaque décennie enregistre un nombre des fondations supérieur à celui de la décennie précédente. )).

   Les industries de la céramique se divisent en deux catégories d’après les données statistiques des usines et fabriques. Dans certaines qui portent sur la verrerie, la faïence, la porcelaine, la plâtre et le ciment, il n’y a presque pas de confusion entre la grosse et la petite production, aussi les chiffres sont-ils relativement dignes de foi. Dans l’industrie du ciment le développement particulièrement important témoigne des progrès accomplis par l’industrie du bâtiment: alors qu’en 1866 sa production était estimée à 530000 roubles (Recueil de la statistique militaire), elle était passée à 3826 000 en 1890. Quant au nombre des entreprises mécanisées, il est passé de 8 en 1875-78 à 39 en 1890. Dans la poterie et la briqueterie par contre, un nombre considérable de petits établissements sont classés parmi les fabriques et les données sont particulièrement mauvaises et particulièrement exagérées pour les années 60 et 70. Pour la poterie, par exemple, la statistique dénombrait en 1879, 552 entreprises employant 1900 ouvriers et produisant pour 538000 roubles de marchandises. En 1890, elle en recensait 158 avec 1978 ouvriers et une production de 919000 roubles. Or, si on élimine de ces totaux les petits établissements dont la production est inférieure à 2000 roubles, on obtient les résultats suivants: pour 1879, 70 entreprises avec 840 ouvriers et une production de 505000 roubles et pour 1890, 143 entreprises avec 1859 ouvriers et une production de 857000 roubles. On voit donc que bien loin de diminuer ou de stagner, comme le prétend la statistique, le nombre des «fabriques» et des ouvriers a considérablement augmenté. Pour la briqueterie, les chiffres officiels sont les suivants: 2627 entreprises, 28800 ouvriers, 6963000 roubles de marchandises en 1879; 1292 entreprises, 24334 ouvriers, 7249 000 roubles de marchandises en 1890. Ce qui donne, une fois qu’on a déduit les petits établissements produisant pour moins de 2000 roubles: 518 entreprises avec 19057 ouvriers et une production de 5625000 roubles pour 1879 et 1096 entreprises avec 23222 ouvriers et une production de 7240000 roubles pour 1890((A l’heure actuelle, les petites entreprises de ces industries sont classées parmi les industries artisanales. Cf. à titre d’exemple, le tableau des petites industries (annexe I) ou les Études, pp. 158-159. (Voir Lénine. Œuvres. Paris-Moscou, t. 2, pp. 418-419. – N. R.) L’Annuaire du minist. des Fin. (fasc. I) s’est abstenu de faire aucun total pour ces industries à cause de l’exagération manifeste des chiffres. Depuis lors le progrès de la statistique consiste à se montrer plus hardi et moins scrupuleux quant à la qualité des matériaux. )).

4. Industries métallurgiques

   Dans la statistique concernant ces industries, les erreurs viennent premièrement de ce que les petits établissements sont compris dans les fabriques et usines (mais cela n’est vrai que pour les années 60 et 70)((En 1860-1870, par exemple, il y a un certain nombre de provinces où l’on classait des dizaine de forges parmi les «usines travaillant le fer». Voir le Recueil de rens. et matériaux du Ministère des Finances. 1866, n° 4, p. 406; 1867, n° 6, p. 384. – Les Annales stat. Série II. fasc. 6. – Cf. aussi l’exemple cité plus haut (paragraphe II d’enregistrement par l’Annuaire de 1866 des «koustaris» de Pavlovo au nombre des «fabricants»). )), deuxièmement et principalement de ce que les usines minières sont affectées non pas au Département du commerce et des manufactures mais à celui des mines. «Par principe», la statistique du Ministère des Finances exclut généralement les usines minières. Mais en fait, étant donné qu’il n’existe aucun critère uniforme et intangible permettant de distinguer les usines minières des autres (et il est douteux qu’il puisse jamais en exister); elle en a toujours englobé un nombre variable selon les provinces et les années((Voir des exemples dans les Etudes, pp. 269 et 284. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 4, pp. 16-17 et 36-37. – N. R.) On y trouvera l’analyse de l’erreur dans laquelle est tombé M. Karychev, en ne tenant pas compte de cette circonstance. L’Index pour 1879 dénombre, par exemple, les usines minières de Koulébaki et de Vyksa et leurs filiales (pp. 356 et 374), qui ont été excluses de l’Index de 1890.  )). Pour ce qui est des données générales sur l’emploi croissant des machines à vapeur dans la métallurgie après l’abolition du servage, nous les rapporterons quand nous analyserons l’industrie minière.

5. Industries des produits alimentaires

   Ces industries méritent une attention spéciale, car de toutes les données que nous fournit la statistique, ce sont celles qui s’y rapportent qui contiennent le plus d’erreurs. Dans l’ensemble de notre industrie des usines et fabriques, les productions alimentaires occupent pourtant une place importante: si l’on en croit l’Index en 1890, sur les 21124 fabriques que comptait la Russie d’Europe (875764 ouvriers, production: 1501000000 de roubles), il y en avait 7095 (avec 45000 ouvriers et une production de 174 millions de roubles) qui étaient des fabriques de produits alimentaires. Or, les principaux produits alimentaires (la farine, le gruau. l’huile) proviennent du traitement des produits agricoles et, dans chaque province de Russie, on compte des centaines et des milliers de petites entreprises qui s’occupent de ce traitement. Et comme il n’existe aucun critère déterminé permettant de distinguer les «fabriques et usines» de l’ensemble de ces petites entreprises, la distinction est effectuée absolument au hasard par notre statistique. De la sorte, on observe dans le nombre des «fabriques et usines» des variations phénoménales d’une année et d’une province à l’autre. Voici d’ailleurs quel est le nombre d’usines recensées dans la minoterie, par les différentes sources: 1865: 857 (Recueil de renseignements et de matériaux du Ministère des Finances); 1866: 2176 (Annuaire) et 18426 (Recueil de la statistique militaire); 1885: 3940 (Relevé) et 17765 (Recueil de renseignements sur la Russie); 1889, 1890 et 1891: 5073, 50605 et 5201((Et en plus, 32957 «petits moulins» qui ne sont pas comptés au nombre des «fabriques et usines». )) (Relevé); 1894-95: 2308 (Liste). Sur les 5041 moulins enregistrés en 1892 (Relevé) il y en avait 803 qui fonctionnaient à la vapeur, 2907 qui fonctionnaient à l’eau, 1323 à vent, et 8 à chevaux. Dans certaines provinces, on ne comptait que les moulins à vapeur, dans d’autres, on y adjoignait les moulins à eau (au nombre de 1 à 425), dans d’autres enfin (la minorité), on englobait également les moulins à vent (de 1 à 530) et à cheval. On peut imaginer la valeur d’une telle statistique et à quelles conclusions on en arrive quand on se fie à ses données((On trouve ce genre de conclusions chez M. Karychev. Voir à ce sujet l’article des Etudes que nous avons déjà cité.  ))! Il va de soi que si on veut juger des progrès accomplis par la grande industrie mécanique, la première chose à faire est de définir un critère bien déterminé pour le concept de «fabrique». Le critère que nous choisirons est le moteur à vapeur car les minoteries à vapeur sont un phénomène caractéristique de l’époque de la grande industrie mécanique((Il va sans dire que les grandes minoteries hydrauliques ont également un caractère de fabriques, mais nous n’avons aucun moyen de les séparer des petits moulins à eau. D’après l’Index pour 1890, nous avons dénombré 250 moulins à eau avec 10 ouvriers et plus. Le nombre des ouvriers qui y travaillaient s’élevait à 6378. )).

   De la sorte, le tableau que nous obtenons pour le développement de la production de fabrique dans cette branche industrielle est le suivant((Recueil de la statistique militaire, Index et Relevé. D’après la Liste pour 1894-95, on compte 1192 minoteries à vapeur en Russie d’Europe. La statistique des machines à vapeur recensait en 1875-78, 294 minoteries à vapeur en Russie d’Europe. )):

T_3

   Les statistiques concernant la production de l’huile sont tout aussi insuffisantes pour la même raison. En 1879, par exemple, on recensait 2450 usines employant 7207 ouvriers et produisant pour 6486000 roubles de marchandises. En 1890, par contre, on n’en recensait plus que 383 avec 4746 ouvriers et une production de 12232000 roubles. Mais cette diminution du nombre d’usines et d’ouvriers n’est qu’apparente. Si on fait en sorte que les chiffres de 1879 et de 1890 puissent être comparés, c’est-à-dire si on élimine les entreprises dont la production est inférieure à 2000 roubles (et qui ne figurent pas dans les listes nominales), on obtient en effet pour 1879, 272 entreprises employant 2941 ouvriers et produisant pour 5771000 roubles de marchandises et pour 1890, 379 entreprises avec 4741 ouvriers et une production de 12232000 roubles. D’autre part, la statistique des moteurs à vapeur montre que, dans cette branche, le développement de la grande industrie mécanique n’a pas été moins rapide que dans la minoterie, alors qu’en 1875-78, on ne trouvait que 27 usines fonctionnant à la vapeur et utilisant 28 machines d’une puissance de 521 chevaux, en 1890 on en recensait 113 avec 116 machines d’une puissance de 1886 chevaux.

   Les autres productions de cette branche industrielle sont relativement peu importantes. Notons toutefois que pour les industries de la moutarde et des conserves de poisson, par exemple, la statistique des années 60 englobait des centaines de petits établissements qui n’avaient rien à voir avec les fabriques et qui, actuellement, ne sont plus considérées comme telles. D’ailleurs, les chiffres suivants montrent bien à quel point les données de notre statistique ont besoin d’être corrigées: en 1879, l’Index relevait dans cette branche (déduction faite de la minoterie) 3555 usines avec 15313 ouvriers; en 1890, il en recensait 1842 avec 19159 ouvriers. Or, pour 7 industries((Industries des huiles, de l’amidon, de la mélasse, du malt, de la confiserie des conserves et du vinaigre. )), le nombre des petits établissements (dont la production est inférieure à 2000 roubles) inclus dans ce total était en 1879 de 2487 avec 5176 ouvriers et une production de 916000 roubles, et en 1890, il n’était que de 7 avec 10 ouvriers et une production de 2000 roubles! On voit donc que si on veut comparer ces données, il faut déduire 5000 ouvriers d’une part et dix de l’autre!

6. Industries payant l’accise et autres

   S’il est vrai que depuis 1860 le nombre des ouvriers de fabriques et d’usines a diminué dans certaines des industries qui paient l’accise, cette diminution est loin d’être aussi importante que l’affirme M. N.-on((Rousskoïé Bogatstvo, 1894, n° 6, pp. 104 et 105. )) qui croit aveuglément à tous les chiffres que l’on peut publier. Il se trouve, en effet, que la seule source de renseignements dont nous disposons pour la majorité des industries qui paient l’accise est le Recueil de la statistique militaire dont nous savons à quel point il exagère les totaux de la statistique des usines et fabriques. Or nous n’avons malheureusement que peu de matériaux qui nous permettent de vérifier les données qu’il nous fournit. Pour la distillation, le Recueil dénombrait en 1866, 3836 entreprises employant 52660 ouvriers (1620 entreprises avec 26102 ouvriers en 1890). Ces chiffres ne correspondent pas à ceux du Ministère des Finances qui recensait 2947 usines en activité en 1865-66 et 3386 en 1866-67((L’Annuaire du Ministère des Finances, t. I, pp. 76 et 82. Le nombre total des usines (y compris celles qui n’étaient pas en activité) était de 4737 et 4646. )). Nous sommes donc en droit de juger que le Recueil a compté de 5000 à 9000 ouvriers en trop. Pour la production de l’eau-de-vie, il dénombrait 4841 usines et 8326 ouvriers (242 et 5266 en 1890). Sur ces 4841 usines, 3207 employant 6873 ouvriers se trouvaient dans la province de Bessarabie. L’absurdité de ces chiffres saute aux yeux. Les données du Ministère des Finances((Annuaire, t. I. p. 104. )) nous apprennent en effet qu’il y avait en réalité de 10 à 12 fabriques d’eau-de-vie installées en Bessarabie et qu’il y en avait 1157 dans l’ensemble de la Russie d’Europe, ce qui veut dire que le nombre des ouvriers a été grossi d’au moins 6000. Ces exagérations viennent visiblement de ce que les «statisticiens» de Bessarabie ont classé les propriétaires de vigne parmi les patrons d’usine (voir plus bas les chiffres relatifs à l’industrie du tabac). Dans la brasserie et la production de l’hydromel, le Recueil dénombre 2374 usines et 6825 ouvriers (918 et 8364 en 1890) alors que pour 1866, l’Annuaire du Ministère des Finances n’en recense que 2087 pour l’ensemble de la Russie d’Europe. Là encore il y a exagération du nombre des ouvriers((Dans la province de Simbirsk, par exemple, le Recueil de la statistique militaire compte 218 usines (!) avec 299 ouvriers et une production de 21600 roubles (d’après l’Annuaire il y avait dans cette province 7 usines). Il s’agit, probablement, de petits établissements domestiques ou paysans. )). Pour l’industrie du sucre et la raffinerie, alors que l’Annuaire ne recense que 80919 ouvriers (77875 en 1890), le Recueil en compte 92126, soit 11 000 en trop. Dans la production du tabac, le Recueil dénombre 5327 fabriques (!) employant 26116 ouvriers (281 fabriques et 26720 ouvriers en 1890), 4993 d’entre elles employant 20038 ouvriers se trouvaient en Bessarabie. En réalité, en 1866, le nombre des fabriques de tabac était de 343 pour la Russie et de 13 pour la Bessarabie((Annuaire du Ministère des Finances, p. 61. Cf. Revue des industries manufacturières (t. I, St-Pétersb., 1863), où l’on trouve des renseignements détaillés pour 1861: 534 fabriques avec 6937 ouvriers, et dans la province de Bessarabie 31 fabriques avec 73 ouvriers. Le nombre des fabriques de tabac varie beaucoup suivant les années. )). Le Recueil a donc compté environ 20000 ouvriers en trop. Les auteurs eux-mêmes font d’ailleurs remarquer que «les fabriques indiquées pour la Bessarabie … ne sont pas autre chose que des plantations de tabac» (page 414). Comme on le voit, M. N.-on a dû estimer qu’il était superflu de jeter un coup d’oeil sur le recueil de statistique dont il se sert. Cela explique que cette erreur lui ait échappée et qu’il disserte avec le plus grand sérieux sur l’augmentation insignifiante du nombre des ouvriers des fabriques de tabac» (article cité, page 104) !! M. N.-on prend tout simplement le total des ouvriers des industries payant l’accise d’après le Recueil et l’Index pour 1890 (186053 et 144332) et calcule le taux de la diminution … «En 25 années, le nombre des ouvriers occupés a considérablement diminué, il y en a 22,4% de moins …» «Ici» (c’est-à-dire dans les industries payant l’accise) «il ne saurait être question d’accroissement. Le nombre des ouvriers a tout simplement diminué d’un quart» (ibid.). Et effectivement, rien de «plus simple» que cette méthode. On prend le premier chiffre venu et on calcule un pourcentage! Quant au fait que le Recueil de la statistique militaire compte environ 40000 ouvriers en trop, ce n’est qu’un petit détail que l’on peut se permettre de négliger.

7. Conclusions

   De la critique de notre statistique des usines et fabriques, que nous avons faite aux deux chapitres précédents, nous pouvons tirer trois conclusions essentielles.

   1. Depuis l’abolition du servage, le nombre des fabriques augmente à un rythme rapide.

   La conclusion inverse, qui découle des chiffres de notre statistique est une erreur. Il se trouve, en effet, que chez nous les petites entreprises artisanales, familiales et agricoles sont classées parmi les fabriques et que leur nombre est de plus en plus important au fur et à mesure que l’on recule dans le temps.

   2. Quand ils portent sur le passé, les chiffres de notre statistique concernant les ouvriers et la production des fabriques et usines sont exagérés. Cela vient: 1) de ce qu’autrefois, la statistique englobait plus de petites entreprises que maintenant. De ce fait, les données les moins dignes de foi sont celles qui ont trait aux industries proches des industries artisanales((Si l’on prend les chiffres globaux de toutes les branches pour des périodes prolongées, l’exagération résultant de la cause indiquée ne sera pas très grande, car les petits établissements donnent une faible proportion du total des ouvriers et de la valeur totale de la production. Il va de soi que les données comparées sont supposées tirées de sources identiques (quant à comparer les renseignements du Ministère des Finances avec ceux des comptes rendus des gouverneurs ou du Recueil de la statistique militaire, il ne saurait en être question). )). 2) De ce que jadis on classait parmi les ouvriers de fabrique et d’usine un plus grand nombre d’ouvriers employés à domicile de façon capitaliste qu’on ne le fait aujourd’hui.

   3. II est généralement admis que les chiffres de notre statistique officielle des usines et fabriques peuvent être comparés les uns aux autres et que, jusqu’à preuve du contraire, ils sont plus ou moins dignes de foi. L’exposé que nous venons de faire montre que c’est précisément l’inverse qui est vrai: jusqu’à preuve du contraire, toute comparaison entre des chiffres de notre statistique portant sur des époques ou des provinces différentes doit être considérés comme sans valeur.

flechesommaire2   flechedroite