Le mot d’ordre général du moment

Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets

Lénine

II. Le mot d’ordre général du moment

   La situation objective que nous venons de décrire à grands traits et qui a été créée par une paix extrêmement dure et précaire, par une désorganisation économique des plus douloureuses, par le chômage et la famine, toutes choses que nous ont léguées la guerre et la domination bourgeoise (en la personne de Kérenski ainsi que des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires de droite qui le soutenaient), cette situation a forcément entraîné une extrême lassitude, voire l’épuisement des grandes masses de travailleurs. Ces masses exigent impérieusement — et ne peuvent pas ne pas exiger — un certain repos. La reconstitution des forces productives détruites par la guerre et par la gestion de la bourgeoisie ; la guérison des blessures causées par la guerre, par la défaite essuyée dans la guerre, par la spéculation et les tentatives de la bourgeoisie pour restaurer le pouvoir renversé des exploiteurs ; le redressement économique du pays ; la ferme protection d’un ordre élémentaire, voilà ce qui est à l’ordre du jour. Cela peut paraître un paradoxe, mais en réalité, il est absolument certain, dans les conditions objectives que nous avons indiquées, que le pouvoir des Soviets ne peut, à l’heure actuelle, assurer solidement le passage de la Russie au socialisme que s’il réussit, en dépit de la résistance de la bourgeoisie, des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires de droite, à s’acquitter pratiquement de ces premières tâches élémentaires et les plus élémentaires tendant à sauvegarder les bases de la vie publique. S’acquitter pratiquement de ces tâches les plus élémentaires et surmonter les difficultés d’organisation que comportent les premiers pas vers le socialisme, ce sont aujourd’hui, en raison des particularités concrètes de la situation actuelle et étant donné l’existence du pouvoir des Soviets avec ses lois sur la socialisation de la terre, le contrôle ouvrier, etc., ce sont aujourd’hui les deux faces d’une seule médaille.

   Tiens tes comptes avec soin et conscience, règle sagement tes dépenses, ne te laisse pas aller à la fainéantise, ne vole pas, observe la plus stricte discipline dans le travail, ces mots d’ordre raillés avec raison par les prolétaires révolutionnaires alors que la bourgeoisie tentait par ces propos de camoufler sa domination de classe d’exploiteurs, deviennent aujourd’hui, après le renversement de la bourgeoisie, les principaux mots d’ordre de l’heure. D’une part, l’application pratique de ces mots d’ordre par la masse des travailleurs est l’unique condition du salut de ce pays effroyablement martyrisé par la guerre impérialiste et les rapaces de l’impérialisme (Kérenski en tête) ; d’autre part, l’application pratique de ces mots d’ordre par le pouvoir soviétique, par ses méthodes et sur la base de ses lois, est la condition nécessaire et suffisante de la victoire définitive du socialisme. C’est ce que ne peuvent comprendre ceux qui se détournent avec mépris quand on leur parle de mettre au premier plan des mots d’ordre aussi « rebattus » et aussi, « triviaux ». Dans ce pays de petits paysans qui a renversé le tsarisme depuis un an seulement, et qui s’est libéré des Kérenski depuis moins de six mois, il reste naturellement pas mal d’anarchisme spontané, aggravé par la bestialité et la sauvagerie qui accompagnent toute guerre réactionnaire et de longue durée ; il n’est pas rare non plus qu’on se laisse aller au désespoir ou à une irritation sans objet ; si l’on ajoute à cela la politique de provocation des laquais de la bourgeoisie (menchéviks, socialistes-révolutionnaires de droite, etc.), on comprendra aisément quels efforts persévérants et tenaces doivent être déployés par les meilleurs et les plus conscients des ouvriers et des paysans pour amener un revirement complet dans l’état d’esprit des masses et les aider à passer à un travail régulier, ordonné et discipliné. Seul ce revirement de la masse pauvre (des prolétaires et des semi-prolétaires) rendra définitive la victoire sur la bourgeoisie, et, notamment, sur la bourgeoisie paysanne, la plus opiniâtre et la plus nombreuse.

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