Lettre aux membres du Comité central

Lettre aux membres du Comité central((Lettre aux membres du Comité central du P.O.S.D.(b)R. fut écrite par Lénine le 24 octobre (6 novembre) au soir. Très tard dans la même soirée, Lénine arriva illégalement à Smolny et assuma la direction de l’insurrection armée. ))

Lénine

   Ecrit le 24 octobre (6 novembre) 1917. Paru pour la première fois en 1924

   Camarades,

   J’écris ces lignes dans la soirée du 24, la situation est critique au dernier point. Il est clair comme le jour que maintenant retarder l’insurrection, c’est la mort.

   Je veux de toutes mes forces convaincre les camarades qu’aujourd’hui tout tient à un cheveu, qu’à l’ordre du jour se posent des questions que ne peuvent trancher ni conférences, ni congrès (quand bien même ce seraient des congrès des Soviets), mais uniquement les peuples, la masse, la lutte des masses en armes.

   La poussée bourgeoise des korniloviens, la destitution de Verkhovski((Verkhovski Alexandre Ivanovitch (1886-1941), dernier ministre de la Guerre du Gouvernement provisoire bourgeois. Le 19 octobre (1er novembre) 1917 donna sa démission en signe de protestation contre le refus du Préparlement d’adopter sa proposition de démobiliser une grande partie de l’armée et diverses mesures. )) montrent qu’il n’est pas possible d’attendre. Il faut à tout prix, ce soir, cette nuit, arrêter le gouvernement, après avoir désarmé les élèves-officiers (après les avoir battus s’ils résistent), etc.

   On ne peut pas attendre ! ! On risque de tout perdre ! !

   Voici l’effet immédiat de la prise du pouvoir : la défense du peuple (non du congrès, mais du peuple, de l’armée et des paysans au premier chef) contre le gouvernement des korniloviens qui a chassé Verkhovski et qui a monté un second complot Kornilov.

   Qui doit prendre le pouvoir ?

   Cela importe peu en ce moment : que le Comité révolutionnaire militaire((Le Comité révolutionnaire militaire près le Soviet de Pétrograd fut créé le 12 (25) octobre 1917, sur indication du Comité Central du Parti bolchévik ; il se Composait des représentants du C.C. du Parti bolchévik, du Comité de Pétersbourg, du Soviet de Pétrograd, des comités d’usine, des syndicats et des organisations militaires. Travaillant sous la direction immédiate du C.C. du Parti et en contact étroit avec l’Organisation militaire des bolchéviks, le C.R M. dirigeait la formation des détachements de la Garde Rouge et l’armement des ouvriers. La préparation de l’insurrection armée en conformité avec les directives du C.C. du Parti bolchévik était sa tâche essentielle. L’activité très vaste du C.R.M. visait à organiser les forces de combat susceptibles d’assurer la victoire de ta Révolution socialiste. Le Centre révolutionnaire militaire créé le 16 (29) octobre 1917 à une séance du C.C. du Parti bolchévik et dont Lénine orientait quotidiennement l’activité, était l’organe dirigeant du C.R.M. Après la victoire de la Révolution et la formation du gouvernement soviétique, au IIe Congrès des Soviets, le C.R.M. centra son activité sur la lutte contre les ennemis de la révolution et sur la sauvegarde de l’ordre révolutionnaire. A mesure que se créait et se consolidait l’appareil soviétique, le Comité révolutionnaire militaire remit ses fonctions l’une après l’autre aux commissariats du peuple nouvellement formés. Le 5 (18) décembre 1917, le C.R.M. fut liquidé. )) le prenne ou «une autre institution» qui déclarera qu’elle ne remettra le pouvoir qu’aux représentants authentiques des intérêts du peuple, des intérêts de l’armée (proposition immédiate de paix), des intérêts des paysans (il faut prendre la terre sur-le-champ, abolir la propriété privée), des intérêts des affamés.

   Il faut que toutes les régions, tous les régiments, toutes les forces se mobilisent sur l’heure et envoient sans attendre des délégations au Comité révolutionnaire militaire, au Comité central bolchévik, et exigent impérieusement qu’en aucun cas le pouvoir ne soit laissé entre les mains de Kérenski et Cie jusqu’au 25, sous aucun prétexte ; il faut à tout prix régler cette affaire ce soir ou cette nuit.

   L’histoire ne pardonnera pas l’ajournement aux révolutionnaires qui peuvent vaincre aujourd’hui (et qui vaincront aujourd’hui à coup sûr) ; ils risqueraient de perdre beaucoup demain, ils risqueraient de tout perdre.

   En prenant le pouvoir aujourd’hui, nous le faisons non pas contre les Soviets, mais pour eux.

   La prise du pouvoir est la tâche de l’insurrection ; son but politique apparaîtra clairement après.

   Ce serait notre perte, ce serait du formalisme d’attendre le vote indécis du 25 octobre ; le peuple a le droit et le devoir de trancher de telles questions non pas par des votes, mais par la force ; le peuple a le droit et le devoir, dans les moments critiques de la révolution, de guider ses représentants, même les meilleurs, au lieu de les attendre.

   C’est ce qu’a prouvé l’histoire de toutes les révolutions, et ce serait le plus grand des crimes de la part des révolutionnaires de laisser échapper le moment, tout en sachant que le salut de la révolution, la proposition de la paix, le salut de Pétrograd, la délivrance de la famine, la remise de la terre aux paysans dépendent d’eux.

   Le gouvernement hésite. Il faut l’achever à tout prix !

   Attendre pour agir, c’est la mort.

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