La guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position

De la guerre prolongée

Mao Zedong

La guerre de mouvement, la guerre de partisans et la guerre de position

  1. Notre guerre, qui consiste à mener des campagnes et des combats offensifs de décision rapide à l’extérieur des lignes dans le cadre stratégique d’une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des lignes, prend la forme d’une guerre de mouvement.

   C’est une forme de guerre qui comporte des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats, réalisées avec des armées régulières opérant le long de fronts étirés et sur de vastes théâtres de guerre.

   « La défense mobile », appliquée en cas de nécessité pour faciliter les opérations offensives, ainsi que l’attaque et la défense positionnelles limitées à un rôle auxiliaire se rattachent aussi à la guerre de mouvement.

   Les traits caractéristiques de la guerre de mouvement sont l’utilisation d’armées régulières, l’emploi de forces supérieures dans les campagnes et les combats, le caractère offensif des opérations et la mobilité.

  1. La Chine dispose d’un vaste territoire et d’une armée nombreuse, mais insuffisamment équipée et entraînée.

   L’ennemi manque de troupes, mais il l’emporte sur nous par l’équipement et la préparation de son armée.

   Dans ces conditions, il est hors de doute que nous devons prendre comme forme principale d’opérations militaires les opérations offensives de manœuvre, les autres formes jouant un rôle auxiliaire, de sorte que l’ensemble des opérations constitue une guerre de mouvement.

   A cet égard, il faut lutter contre l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans jamais avancer » et en même temps contre la mentalité du risque­tout de « toujours avancer sans jamais se retirer ».

  1. Une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, laquelle non seulement admet mais encore exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Mais cela n’a rien de commun avec l’attitude de paniquard d’un Han Fou­kiu((En 1937, l’armée d’agression japonaise qui s’était emparée de Peiping et de Tientsin avança vers le sud le long de la ligne de chemin de fer Tientsin­Poukeou et lança une offensive contre la province du Chantong. Le seigneur de guerre du Kuo­mintang Han Fou­kiu, qui avait gouverné, pendant de longues années, la province du Chantong, s’enfuit dans le Honan sans livrer une seule bataille.)).

   La guerre exige essentiellement l’anéantissement des forces ennemies et d’autre part la conservation de nos propres forces.

   La conservation de nos propres forces vise à anéantir les forces de l’ennemi, et l’anéantissement des forces de l’ennemi est le plus efficace des moyens pour conserver nos propres forces.

   C’est pourquoi la guerre de mouvement ne peut en aucune façon servir de prétexte à des gens comme Han Fou­kiu pour se justifier, elle ne signifie nullement fuir vers l’arrière sans jamais revenir en avant, car une telle façon de « manœuvrer » est la négation même du caractère fondamental de la guerre de mouvement, qui est avant tout offensif.

   Avec de telles « manœuvres », on peut perdre tout le territoire chinois, si vaste soit­-il.

  1. Mais l’autre point de vue, celui que nous appelons la mentalité du risque­tout et qui admet seulement la marche en avant, jamais la retraite, n’est pas juste non plus.

   Nous sommes pour une guerre de mouvement qui consiste à poursuivre des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats ; une telle guerre comprend aussi la guerre de position limitée à un rôle auxiliaire, « la défense mobile » et la retraite sans lesquelles il est impossible de faire une guerre de mouvement dans la pleine acception du terme.

   On peut dire de la mentalité du risque­tout qu’elle est une myopie militaire. L’origine en est, le plus souvent, la crainte de perdre des territoires.

   Ces « risque­tout » ne comprennent pas que l’une des particularités de la guerre de mouvement est sa mobilité, qui admet et exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.

   Sur le plan positif, pour placer l’ennemi dans des conditions défavorables et nous mettre nous­-mêmes dans des conditions favorables, il est souvent nécessaire que l’ennemi soit en mouvement et que nous nous assurions toute une série d’avantages, par exemple : un terrain favorable, une situation qui rend l’ennemi vulnérable, une population prête à empêcher les informations de filtrer dans le camp adverse, la fatigue de l’ennemi, sa surprise devant nos coups.

   Ainsi, il faut donc que l’ennemi avance et nous ne devrions pas regretter la perte temporaire d’une partie de notre territoire, puisqu’elle est le prix que nous payons pour conserver définitivement tout notre territoire ou recouvrer les territoires perdus.

   Sur le plan négatif, chaque fois que nous sommes réduits à une position défavorable qui menace sérieusement l’intégrité de nos forces, nous devons avoir le courage de nous replier pour conserver nos forces et porter de nouveaux coups à l’ennemi au moment propice.

   Or, les « risque­tout » ne comprennent pas cette vérité ; se trouvant dans une situation manifestement défavorable, ils continuent à se battre pour chaque ville, pour chaque bout de territoire, il en résulte qu’ils perdent non seulement ville et territoire, mais qu’ils ne parviennent même pas à conserver leurs propres forces.

   Nous avons toujours été partisans d' »attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire », justement parce que c’est la politique militaire la plus efficace que puisse adopter une armée faible contre une armée forte au cours de la défense stratégique.

  1. De toutes les formes d’opérations militaires dans la Guerre de Résistance, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans vient ensuite.

   Lorsque nous disons que, dans l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous entendons que le sort de la guerre dépend principalement des opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut assumer la responsabilité principale dans la détermination de l’issue de la guerre.

   Mais cela ne veut pas dire que la guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans la Guerre de Résistance.

   Dans cette guerre prise dans son ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.

   Il en découle que nous avons pour tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre de mouvement.

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est, mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.

   Elle joue ainsi un double rôle stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en guerre régulière.

   Si l’on considère l’ampleur et la durée sans précédent de la guerre de partisans dans la Guerre de Résistance en Chine, l’importance qu’il y a à ne pas sous­-estimer son rôle stratégique apparaît encore mieux.

   Il s’ensuit que la guerre de partisans en Chine soulève non seulement des problèmes tactiques, mais aussi des problèmes stratégiques spécifiques.

   J’en ai déjà parlé dans mon article : « Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon ».

   Comme nous l’avons dit plus haut, la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes stratégiques, les formes suivantes : Dans la première étape, la forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires la guerre de partisans et la guerre de position.

   A la deuxième étape, la guerre de partisans prendra la première place, tandis que la guerre de mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.

   Dans la troisième étape, la guerre de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.

   Mais, dans cette troisième étape, la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes régulières du début ; elle sera pour une part, et très probablement une part assez importante, assumée par d’anciens détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des troupes régulières.

   L’examen de ces trois étapes montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se passer. Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de l’humanité.

   C’est pourquoi il est absolument indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi, où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec elles la guerre de partisans.

   Les troupes qui auront été détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire figure de héros nationaux.

   De telles conceptions sont fausses.

   La guerre de partisans n’apporte pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, « c’est dans un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue épreuve le cœur de l’homme ».

   Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance ; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.

   De plus, en éparpillant ses forces, une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et en les rassemblant, une guerre de mouvement ; ainsi opère la VIIIe Armée de Route.

   Le principe adopté par celle­-ci est le suivant : « Faire essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables ».

   Ce principe est tout à fait juste, alors que les points de vue opposés sont erronés.

  1. Dans l’état actuel de son équipement technique, la Chine ne peut pas, en général, pratiquer une guerre de position, qu’elle soit défensive ou offensive ; c’est là d’ailleurs une des manifestations de notre faiblesse.

   De plus, l’ennemi profitera de l’étendue de notre territoire pour tourner nos ouvrages de défense.

   C’est pourquoi la guerre de position ne peut être considérée chez nous comme un moyen important, encore moins comme le moyen principal de faire la guerre.

   Cependant, au cours des première et deuxième étapes de la guerre, il est possible et nécessaire, dans le cadre d’une guerre de mouvement, de recourir sur le plan local à la guerre de position, en tant que moyen auxiliaire dans les campagnes.

   La « défense mobile », de caractère semi­-positionnel, qui consiste à opposer une résistance échelonnée afin d’épuiser l’ennemi et de gagner du temps, est à plus forte raison une partie indispensable de la guerre de mouvement.

   La Chine doit s’efforcer de doter son armée d’un équipement moderne, de façon à être pleinement en mesure, dans l’étape de la contre­offensive stratégique, d’exécuter ses attaques contre les positions fortifiées de l’ennemi.

   Il n’est pas douteux qu’à l’étape de la contre­offensive stratégique, la guerre de position prendra de l’importance, car l’ennemi passera alors à la défense énergique de ses positions et, à moins de lancer contre elles de puissantes attaques en coordination avec les opérations de la guerre de mouvement, nous ne pourrons recouvrer les territoires perdus.

   Il n’en sera pas moins nécessaire, à la troisième étape, de tendre tous nos efforts pour conserver la guerre de mouvement comme forme principale de la guerre, parce que, dans une guerre de position sous la forme qu’elle a prise en Europe occidentale au cours de la seconde moitié de la Première guerre mondiale, l’art de conduire la guerre et le rôle actif de l’homme perdent en grande partie leur valeur.

   Il est donc tout naturel de « faire sortir la guerre des tranchées », puisqu’elle se déroule sur les vastes territoires de la Chine et que celle-­ci continuera à être faiblement équipée pendant un temps assez long.

   Même dans la troisième étape, il est peu probable que nous puissions dépasser l’ennemi du point de vue de l’équipement technique, malgré les progrès qui auront été réalisés en Chine ; nous serons donc amenés à développer à un haut degré la guerre de mouvement, sans laquelle la victoire finale nous échapperait.

   Ainsi, en Chine, la guerre de position ne sera la forme principale de la Guerre de Résistance à aucune de ses étapes, ce sont la guerre de mouvement et la guerre de partisans qui en seront les formes principales ou des formes importantes.

   L’art de la conduite de la guerre et le rôle actif de l’homme trouveront dans ces formes un vaste champ à leur développement : ce sera un bonheur dans notre malheur.

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