Le compromis ou la résistance ? Le pourrissement ou le progrès ?

De la guerre prolongée

Mao Zedong

Le compromis ou la résistance ? Le pourrissement ou le progrès ?

  1. Nous avons montré que la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine est dénuée de tout fondement.

   Cependant, beaucoup de Chinois, qui ne sont nullement des partisans de cette théorie mais de bons patriotes, sont fort inquiets de la situation actuelle : d’une part ils craignent qu’on ne fasse un compromis avec le Japon et d’autre part ils ont des doutes sur la possibilité d’un progrès politique en Chine.

   Ces deux questions, qui sont sujets de préoccupations, sont débattues dans de larges milieux, mais on ne sait sur quoi se fonder pour les résoudre. Examinons ­les donc maintenant.

  1. Nous avons dit plus haut que l’esprit de compromis a ses racines sociales. Aussi longtemps que celles-­ci existeront, cet esprit se manifestera inévitablement.

   Mais les tentatives de compromis ne pourront réussir.

   Il faut en chercher la preuve, une fois de plus, dans la situation du Japon, dans celle de la Chine et dans la situation internationale. Voyons d’abord le Japon.

   Dès le début de la Guerre de Résistance, nous avons prévu que le moment viendrait où il se créerait une atmosphère de compromis, c’est-à­-dire qu’après l’occupation de la Chine du Nord et des provinces du Kiangsou et du Tchékiang, l’ennemi pourrait essayer d’amener la Chine à capituler.

   Cette tentative eut effectivement lieu par la suite. Toutefois, ce moment critique fut rapidement franchi, en partie parce que l’ennemi s’est mis à appliquer partout une politique barbare et s’est livré ouvertement au pillage.

   En cas de capitulation de la Chine, le sort d’esclaves coloniaux attendait tous les Chinois.

   Cette politique de rapine de l’ennemi, tendant à l’asservissement de la Chine, a deux aspects, matériel et moral, et elle s’applique à tous les Chinois sans exception, aussi bien aux masses populaires qu’aux couches supérieures de la société, à ces dernières évidemment sous une forme un peu plus modérée, mais il n’y a qu’une différence de degré, et non de principe.

   D’une façon générale, l’ennemi reprend en Chine intérieure les procédés mêmes qu’il a appliqués dans les trois provinces du Nord­-Est.

   Du point de vue matériel, cela consiste à enlever aux simples gens nourriture et vêtements, vouant les larges masses de la population à la faim et au froid.

   L’ennemi s’empare aussi des moyens de production, détruisant et asservissant ainsi l’industrie nationale chinoise.

   Du point de vue moral, sa politique est de détruire la conscience nationale du peuple chinois.

   Sous le drapeau du « Soleil levant », le Chinois ne peut être qu’un serviteur soumis, qu’une bête de somme, et on ne lui permet pas la moindre manifestation d’esprit national.

   Cette politique barbare, l’ennemi va la porter plus profondément encore au cœur de notre pays. Insatiable, il ne veut pas arrêter la guerre.

   La politique proclamée par le cabinet japonais le 16 janvier I93((Le 16 janvier 1938, le cabinet japonais publia une déclaration où il annonçait son intention d’asservir la Chine par les armes. En même temps, il exerçait une pression sur le gouvernement du Kuomintang pour l’amener à capituler, en faisant savoir qu’au cas où le gouvernement du Kuomintang « continuerait à inspirer la Guerre de Résistance », le gouvernement japonais créerait et soutiendrait en Chine un nouveau pouvoir fantoche et cesserait de considérer le gouvernement du Kuomintang comme un interlocuteur valable dans les pourparlers à venir.)) est toujours appliquée résolument, et il est impossible qu’il en soit autrement.

   Toutes les couches de la population chinoise en sont indignées.

   Cette indignation vient du caractère rétrograde et barbare de la guerre poursuivie par l’ennemi, et, comme « personne n’échappe au destin », on en vient à opposer une résistance implacable aux envahisseurs japonais.

   Il faut s’attendre qu’à un moment donné l’ennemi essaiera de nouveau d’amener la Chine à la capitulation, et que certains partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine recommenceront à bouger, et ne manqueront pas d’entrer en collusion avec certains éléments à l’étranger (il s’en trouvera en Angleterre, aux Etats-­Unis et en France, surtout dans les hautes sphères de l’Angleterre) pour accomplir leur mauvais coup.

   Mais la situation générale est telle qu’elle ne permettra pas la capitulation.

   L’opiniâtreté et la barbarie exceptionnelle avec lesquelles le Japon poursuit la guerre sont l’une des raisons qui rendent la capitulation impossible.

  1. Voyons ensuite la Chine.

   Il existe trois facteurs qui conditionnent la poursuite résolue de la Guerre de Résistance par la Chine.

   Le premier de ces facteurs, c’est le Parti communiste, force sur laquelle on peut compter et qui dirige le peuple dans sa lutte contre l’envahisseur japonais.

   Le deuxième facteur, c’est le Kuomintang. Comme il dépend de l’Angleterre et des États-Unis, il ne capitulera pas tant que ces pays ne lui diront pas de le faire.

   Le troisième facteur, ce sont les autres partis politiques qui, dans leur grande majorité, sont contre l’esprit de compromis et soutiennent la Guerre de Résistance.

Dans les conditions résultant de la conjonction de ces trois facteurs, quiconque recherchera l’entente avec l’ennemi se retrouvera aux côtés des traîtres à la nation et tout le monde aura le droit de le châtier.

   Tous ceux qui ne veulent pas être des traîtres à la nation n’ont d’autre choix que de s’unir et de poursuivre la Guerre de Résistance jusqu’au bout ; le compromis sera donc difficile à réaliser.

  1. Considérons enfin la situation internationale.

   A l’exception des alliés du Japon et de certains éléments dans les hautes sphères d’autres pays capitalistes, le monde entier est favorable à la résistance de la Chine et non à un compromis de sa part.

   Cette situation renforce notre espoir.

   A l’heure actuelle, notre peuple entier espère que les forces internationales accroîtront peu à peu leur aide à la Chine.

   Et cet espoir n’est pas vain. L’existence de l’Union soviétique encourage particulièrement la Chine dans la Guerre de Résistance.

   Aujourd’hui plus forte que jamais, l’Union soviétique, Etat socialiste, a toujours été aux côtés de la Chine, dans les bons comme dans les mauvais jours.

   Contrairement à tous les Etats capitalistes, où les couches supérieures de la société aspirent uniquement au profit, l’Union soviétique considère qu’il est de son devoir d’aider toutes les nations faibles et de soutenir toutes les guerres révolutionnaires. Que la Chine, en poursuivant la guerre, ne se trouve pas isolée, résulte non seulement de l’aide internationale en général, mais de l’aide de l’Union soviétique en particulier.

   La proximité géographique de la Chine et de l’Union soviétique rend encore plus critique la situation du Japon et favorise la Chine dans sa Guerre de Résistance.

   Rendue plus difficile par la proximité géographique du Japon, la résistance de la Chine trouve au contraire une condition favorable dans la proximité géographique de l’Union soviétique.

  1. De là on peut tirer la conclusion suivante : Le danger de compromis existe, mais il peut être conjuré, car la politique de l’ennemi, même si elle se modifie jusqu’à un certain point, ne peut changer radicalement.

   L’esprit de compromis a des racines sociales en Chine, mais les adversaires du compromis forment l’immense majorité.

   Parmi les forces internationales aussi, certains éléments sont en faveur du compromis, mais les forces principales sont pour la Résistance. L’action commune de ces trois facteurs crée la possibilité d’écarter le danger de compromis et de poursuivre fermement jusqu’au bout la Guerre de Résistance.

  1. Répondons maintenant à la seconde question. L’amélioration de la situation politique du pays est inséparable de la poursuite résolue de la Guerre de Résistance.

   Plus la situation politique s’améliore, plus il sera possible de poursuivre la guerre résolument.

   Réciproquement, plus la guerre sera poursuivie résolument et plus s’améliorera la situation politique. Toutefois, le rôle essentiel revient ici à la poursuite résolue de la guerre.

   Il y a bien des facteurs indésirables, gros de conséquences, dans différents domaines de l’activité du Kuomintang, facteurs qui se sont accumulés durant de longues années et qui préoccupent et inquiètent beaucoup les milieux patriotiques les plus larges.

   Mais, comme l’a déjà montré l’expérience de la Guerre de Résistance, le peuple chinois a fait en dix mois autant de progrès qu’il en faisait autrefois en de nombreuses années, aussi n’y a-­t­-il pas de raison d’être pessimiste.

   Bien que de longues années de corruption, en accumulant leurs effets, aient fortement ralenti le rythme de développement des forces populaires qui prennent part à la Guerre de Résistance, qu’elles nous aient enlevé la possibilité de remporter certains succès militaires et qu’elles aient entraîné des pertes inutiles dans la guerre, la situation générale, en Chine comme au Japon et dans le monde entier, est telle que le peuple chinois ne peut piétiner sur place.

   Le progrès sera lent, parce que des phénomènes de décomposition l’entravent. Le progrès et la lenteur de ce progrès sont deux traits caractéristiques de la situation actuelle, et le second de ces traits caractéristiques ne répond manifestement pas aux exigences pressantes de la guerre, c’est ce qui inquiète beaucoup les patriotes chinois.

   Mais nous poursuivons une guerre révolutionnaire, et une guerre révolutionnaire agit comme une sorte de contrepoison, non seulement sur l’ennemi, dont elle brisera la ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs, qu’elle débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain.

   Toute guerre juste, révolutionnaire, est une grande force, elle peut transformer bien des choses ou ouvrir la voie à leur transformation. La guerre sino-­japonaise transformera et la Chine et le Japon.

   Il suffit que la Chine poursuive fermement la Guerre de Résistance et applique fermement une politique de front uni pour que l’ancien Japon se transforme immanquablement en un Japon nouveau, et l’ancienne Chine en une Chine nouvelle.

   Aussi bien en Chine qu’au Japon, les gens et les choses se transformeront, au cours de la guerre et après la guerre.

   Nous avons raison de lier la Guerre de Résistance aux tâches de la construction nationale.

   Lorsque nous disons que le Japon peut aussi être transformé, nous entendons que la guerre d’agression poursuivie par les dirigeants du Japon leur apportera la défaite et peut susciter une révolution populaire au Japon.

   Le jour de la victoire de la révolution populaire japonaise sera le jour de la transformation du Japon. Cela est étroitement lié à la Guerre de Résistance que poursuit la Chine, et il ne faudra pas perdre de vue cette perspective.

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