3. La loi de la valeur sous le socialisme

Les problèmes économiques du socialisme en URSS

Staline

3. La loi de la valeur sous le socialisme

   On demande parfois si la loi de la valeur existe et fonctionne chez nous, sous notre régime socialiste.

   Oui, elle existe et fonctionne. Là où il y a marchandises et production marchande, la loi de la valeur existe nécessairement.

   La sphère d’action de la loi de la valeur s’étend chez nous tout d’abord à la circulation des marchandises, à l’échange des marchandises par achat et vente, à l’échange surtout des marchandises d’usage personnel. Dans ce domaine, la loi de la valeur conserve, bien entendu, dans certaines limites, un rôle régulateur. L’action de la loi de la valeur ne se borne pas cependant à la sphère de la circulation des marchandises. Elle s’étend de même à la production. Il est vrai que la loi de la valeur ne joue pas un rôle régulateur dans notre production socialiste. Mais elle agit néanmoins sur la production, et il faut nécessairement en faire état en dirigeant la production. Le fait est que les produits de consommation, nécessaires pour compenser les pertes en force de travail dans le processus de la production, sont fabriqués chez nous et sont réalisés en tant que marchandises soumises à l’action de la loi de la valeur. Là précisément, la loi de la valeur exerce son action sur la production. Ceci étant, l’autonomie financière et la rentabilité, le prix de revient, les prix, etc. ont aujourd’hui une importance d’actualité dans nos entreprises.

   C’est pourquoi nos entreprises ne peuvent ni ne doivent se passer de la loi de la valeur.

   Est-ce bien ? Ce n’est pas mal. Dans les conditions où nous sommes aujourd’hui, cela n’est vraiment pas mal, ceci ayant pour effet de former nos dirigeants de l’industrie dans la conduite rationnelle de la production, et de les discipliner. Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à évaluer le potentiel de production, à l’évaluer avec exactitude et à tenir compte aussi exactement des réalités de la production, au lieu de perdre leur temps à bavarder sur des « chiffres estimatifs » pris au hasard. Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à chercher, à trouver et à exploiter les réserves latentes, tapies dans les profondeurs de la production, au lieu de les fouler aux pieds. Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à améliorer systématiquement les méthodes de fabrication, à réduire le prix de revient, à pratiquer l’autonomie financière et à réaliser la rentabilité des entreprises. C’est là une bonne école pratique, qui hâtera la montée de nos cadres de l’industrie pour en faire de vrais dirigeants de la production socialiste à l’étape actuelle du développement.

   Le malheur n’est pas que la loi de la valeur agisse chez nous sur la production. Le malheur est que les dirigeants de notre industrie et nos spécialistes de la planification, à peu d’exceptions près, connaissent mal l’action de la loi de la valeur, ne l’étudient pas et ne savent pas en tenir compte dans leurs calculs. C’est ce qui explique la confusion qui règne encore chez nous dans la politique des prix. Voici un exemple entre tant d’autres.

   Il y a quelque temps on avait décidé de régler, dans l’intérêt de la culture cotonnière, le rapport des prix du coton et des céréales, de préciser le prix des céréales vendues aux cultivateurs de coton et de relever les prix du coton livré à l’État. Dès lors, nos dirigeants de l’industrie et nos spécialistes de la planification apportèrent une proposition qui ne pouvait que surprendre les membres du Comité central, puisque cette proposition fixait le prix d’une tonne de céréales à peu près au même niveau que celui d’une tonne de coton ; au surplus, le prix d’une tonne de céréales était le même que celui d’une tonne de pain cuit. Les membres du Comité central ayant fait remarquer que le prix d’une tonne de pain cuit devait être supérieur à celui d’une tonne de céréales, en raison des frais supplémentaires nécessités par la mouture et la cuisson ; que le coton en général coûtait bien plus cher que les céréales, témoin les prix mondiaux du coton et des céréales, − les auteurs de la proposition ne purent rien dire d’explicite. Force fut au Comité central de prendre la chose en mains propres, de diminuer les prix des céréales et de relever ceux du coton. Que serait-il advenu si la proposition de ces camarades avait reçu force légale ? Nous aurions ruiné les cultivateurs et serions restés sans coton.

   Est-ce à dire que la loi de la valeur s’exerce chez nous avec la même ampleur que sous le capitalisme ; qu’elle est chez nous régulatrice de la production ? Évidemment
non. En réalité, la loi de la valeur, sous notre régime économique, exerce son action dans un cadre strictement limité. On a déjà dit que la production marchande, sous notre régime, exerce son action dans un cadre limité. On peut en dire autant de l’action exercée par la loi de la valeur. Il est certain que l’absence de propriété privée des moyens de production et leur socialisation à la ville comme à la campagne ne peuvent que limiter la sphère d’action de la loi de la valeur et le degré de sa réaction sur la production.

   C’est dans le même sens qu’intervient dans l’économie nationale la loi du développement harmonieux (proportionnel), qui a remplacé la loi de concurrence et d’anarchie de la production.

   C’est dans le même sens qu’interviennent nos plans annuels et quinquennaux et, en général, toute notre politique économique qui s’appuie sur les dispositions de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale.

   Tous ces faits pris ensemble font que la sphère d’action de la loi de la valeur est strictement limitée chez nous, et que la loi de la valeur ne peut, sous notre régime, jouer un rôle régulateur dans la production.

   C’est ce qui explique d’ailleurs ce fait « stupéfiant » que, malgré la montée incessante et impétueuse de notre production socialiste, la loi de la valeur n’aboutit pas chez nous aux crises de surproduction, alors que la même loi de la valeur, qui a une large sphère d’action sous le capitalisme, malgré les faibles rythmes de croissance de la production dans les pays capitalistes, aboutit à des crises périodiques de surproduction.

   On dit que la loi de la valeur est une loi constante, obligatoire pour toutes les périodes d’évolution historique ; que si la loi de la valeur perd sa force comme régulatrice des rapports d’échange dans la seconde phase de la société communiste, elle maintiendra dans cette phase de développement sa force comme régulatrice des rapports entre les diverses branches de la production, comme régulatrice de la répartition du travail entre les branches de la production.

   Cela est tout à fait faux. La valeur, ainsi que la loi de la valeur, est une catégorie historique liée à l’existence de la production marchande. Avec la disparition de cette dernière, disparaîtront aussi la valeur avec ses formes et la loi de la valeur. Dans la seconde phase de la société communiste, la quantité de travail dépensé pour fabriquer les produits, ne se mesurera plus par des voies détournées, au moyen de la valeur et de ses formes, comme c’est le cas pour la production marchande, mais directement et immédiatement par la quantité de temps, la quantité d’heures dépensées pour fabriquer les produits. En ce qui concerne la répartition du travail, celle-ci ne se réglera pas entre les branches de production par la loi de la valeur qui aura perdu sa force vers ce temps, mais par l’accroissement des besoins de la société en produits. Ce sera une société où la production se réglera par les besoins de la société, et le recensement des besoins de la société acquerra une importance de premier ordre pour les organismes de planification.

   Il est de même absolument faux d’affirmer que, dans notre régime économique actuel, à la première phase du développement de la société communiste, la loi de la valeur règle soi-disant les « proportions » de la répartition du travail entre les diverses branches de production.

   Si cela était juste, pourquoi ne développerait-on pas à fond nos industries légères comme étant les plus rentables, de préférence à l’industrie lourde qui est souvent moins rentable et qui parfois ne l’est pas du tout ?

   Si cela était juste, pourquoi ne fermerait-on pas chez nous les entreprises pour l’instant non rentables de l’industrie lourde, où le travail des ouvriers ne produit pas « l’effet voulu », et pourquoi n’ouvrirait-on pas de nouvelles entreprises de l’industrie légère assurément rentable, où le travail des ouvriers pourrait produire un « plus grand effet » ?

   Si cela était juste, pourquoi ne transférerait-on pas chez nous les ouvriers des entreprises peu rentables, bien que très nécessaires à l’économie nationale, vers les entreprises plus rentables, selon la loi de la valeur qui règle soi-disant les « proportions » de la répartition de travail entre les branches de production ?

   Sans doute qu’en suivant à la trace ces camarades, il nous faudrait renoncer au primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation. Et que signifie renoncer au primat de la production des moyens de production ? C’est rendre impossible la croissance incessante de notre économie nationale, car on ne saurait réaliser la croissance incessante de l’économie nationale, sans réaliser en même temps le primat de la production des moyens de production.

   Ces camarades oublient que la loi de la valeur ne peut être la régulatrice de la production que sous le capitalisme, alors qu’existent la propriété privée des moyens de production, la concurrence, l’anarchie de la production, les crises de surproduction. Ils oublient que la sphère d’action de la loi de la valeur est limitée chez nous par la propriété sociale des moyens de production, par l’action de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale, — elle est donc limitée aussi par nos plans annuels et quinquennaux qui sont le reflet approximatif des dispositions de cette loi.

   Certains camarades tirent de là cette conclusion que la loi du développement harmonieux de l’économie nationale et la planification de celle-ci suppriment le principe de la rentabilité. Cela est absolument faux. Il en va tout autrement. Si l’on considère la rentabilité, non pas du point de vue des différentes entreprises ou branches de production ni au cours d’une seule année, mais du point de vue de l’ensemble de l’économie nationale et au cours de dix à quinze ans par exemple, − ce qui serait le seul moyen d’aborder la question correctement, − la rentabilité momentanée et précaire des différentes entreprises ou branches de production ne peut soutenir aucune comparaison avec la forme supérieure d’une rentabilité solide et constante ; celle que nous donnent l’action de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale et la planification de cette dernière, en nous débarrassant des crises économiques périodiques, destructrices de l’économie nationale qui apportent à la société un immense dommage matériel, et en nous assurant le progrès continu de l’économie nationale avec ses rythmes élevés.

   Bref, il n’est pas douteux que dans nos conditions socialistes actuelles de la production, la loi de la valeur ne peut être « régulatrice des proportions » dans la répartition du travail entre les diverses branches de production.

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