4. De la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel, et de la liquidation des différences entre eux

Les problèmes économiques du socialisme en URSS

Staline

4. De la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel, et de la liquidation des différences entre eux

   Ce titre a trait à plusieurs problèmes qui se distinguent essentiellement les uns des autres ; je les réunis cependant dans un seul chapitre, non pas pour les mêler, mais exclusivement en vue d’abréger mon exposé.

   La suppression de l’opposition entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture constitue un problème connu, depuis longtemps soulevé par Marx et Engels. La base économique de cette opposition est l’exploitation de la campagne par la ville, l’expropriation de la paysannerie et la ruine de la majeure partie de la population rurale, dues au développement de l’industrie, du commerce, du système de crédits en régime capitaliste. Aussi faut-il considérer l’opposition entre la ville et la campagne sous le capitalisme comme une opposition d’intérêts. C’est sur ce terrain qu’a surgi cette attitude d’hostilité de la campagne à l’égard de la ville et en général à l’égard des « citadins ».

   Il est certain qu’avec l’abolition du capitalisme et du système d’exploitation, avec le renforcement du régime socialiste dans notre pays, devait disparaître l’opposition des intérêts entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture. C’est ce qui advint. L’aide efficace apportée à notre paysannerie par la ville socialiste, par notre classe ouvrière, pour liquider les grands propriétaires fonciers et les koulaks, a consolidé le terrain en vue de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie ; d’autre part, l’approvisionnement systématique de la paysannerie et de ses kolkhozes en tracteurs et machines de premier ordre a fait que l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie s’est transformée en amitié entre elles. Sans doute, les ouvriers et la paysannerie kolkhozienne forment cependant deux classes qui se distinguent l’une de l’autre par leur situation respective. Mais cette distinction n’affaiblit en aucune manière leur amitié. Au contraire, leurs intérêts se situent sur le même plan, celui de la consolidation du régime socialiste et de la victoire du communisme. Il n’est donc pas étonnant qu’il ne reste plus trace de la méfiance d’autrefois et, à plus forte raison, de la haine de la campagne pour la ville.

   Tout cela signifie que le terrain propice à l’opposition entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture est d’ores et déjà liquidé par notre régime socialiste actuel.

   Cela ne veut point dire, bien entendu, que la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne doive amener la mort des grandes villes (voir Engels : Anti-Dühring). Non seulement les grandes villes ne périront pas, mais il en surgira encore de nouvelles, qui seront des centres de grande culture intellectuelle, centres non seulement de la grande industrie, mais aussi de la transformation des produits agricoles et d’un puissant développement de toutes les branches de l’industrie alimentaire. C’est ce qui contribuera à l’épanouissement culturel du pays et conduira au nivellement des conditions d’existence dans les villes et les campagnes.

   Il en va de même de la suppression de l’opposition entre le travail intellectuel et manuel. C’est là aussi un problème connu, depuis longtemps posé par Marx et Engels. La base économique de l’opposition entre le travail intellectuel et manuel, c’est l’exploitation des travailleurs manuels par les représentants du travail intellectuel. Tout le monde connaît l’écart qui existait sous le capitalisme entre les travailleurs manuels dans les entreprises et le personnel dirigeant. On sait que cet écart a donné lieu à une attitude hostile des ouvriers envers le directeur, le contremaître, l’ingénieur et autres représentants du personnel technique, qu’ils considéraient comme leurs ennemis. On comprend qu’avec l’abolition du capitalisme et du système d’exploitation devait disparaître l’opposition des intérêts entre le travail manuel et le travail intellectuel. Elle a effectivement disparu sous notre régime socialiste. Maintenant, travailleurs manuels et personnel dirigeant ne sont pas des ennemis, mais des camarades et des amis, membres d’une seule collectivité de producteurs, vivement intéressés au progrès et à l’amélioration de la production. De l’ancienne animosité, il ne reste plus trace.

   Le problème de la disparition des différences entre la ville (l’industrie) et la campagne (l’agriculture), entre le travail intellectuel et le travail manuel, revêt un tout autre caractère. Ce problème n’a pas été posé par les classiques du marxisme. C’est un problème nouveau, posé par la pratique de notre édification socialiste.

   Ce problème n’a-t-il pas été imaginé de toutes pièces ? a-t-il pour nous une importance pratique ou théorique ? Non, on ne peut pas dire que ce problème ait été imaginé de toutes pièces. Au contraire, il est pour nous un problème sérieux au plus haut point.

   Si l’on considère, par exemple, la différence entre l’agriculture et l’industrie, elle consiste chez nous non seulement en ce que les conditions de travail dans l’agriculture diffèrent des conditions de travail dans l’industrie, mais avant tout et principalement en ce que dans notre industrie les moyens de production et les objets produits appartiennent au peuple, tandis que dans l’agriculture la propriété n’est pas celle du peuple entier mais celle d’un groupe, du kolkhoze. Ce fait, on l’a déjà dit, aboutit au maintien de la circulation des marchandises, et ce n’est qu’avec la disparition de cette différence entre l’industrie et l’agriculture que peut disparaître la production marchande avec toutes les conséquences qui en découlent. Par conséquent, on ne peut nier que la disparition de cette différence essentielle entre l’agriculture et l’industrie doive avoir pour nous une importance de premier plan.

   Il faut en dire autant de la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel. Ce problème a également pour nous une importance primordiale. Avant que l’émulation socialiste de masse ait pris de l’ampleur, notre industrie montait en grinçant, et nombre de camarades préconisaient même des rythmes ralentis du développement industriel. Cela s’explique surtout par le fait que le niveau culturel et technique des ouvriers était trop bas et retardait de beaucoup sur le niveau du personnel technique. Les choses ont pourtant changé radicalement depuis que l’émulation socialiste a pris chez nous un caractère de masse. Dès lors, l’industrie a fait des progrès rapides. Pourquoi l’émulation socialiste a-t-elle pris un caractère de masse ?

   Parce qu’il s’est trouvé parmi les ouvriers des groupes de camarades qui, non seulement s’étaient assimilé un minimum de connaissances techniques, mais sont allés au-delà et ont atteint le niveau du personnel technique ; ils ont commencé à corriger les techniciens et les ingénieurs, à renverser les normes existantes comme périmées, à introduire des normes nouvelles, plus modernes, etc. Que serait-il advenu si, au lieu de groupes d’ouvriers, la majorité des ouvriers avaient élevé leur niveau culturel et technique jusqu’au niveau des ingénieurs et des techniciens ? Notre industrie aurait été portée à une hauteur inaccessible pour l’industrie des autres pays. On ne doit donc pas nier que la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel, en élevant le niveau culturel et technique des ouvriers au niveau du personnel technique, ne peut pas ne pas avoir pour nous une importance de premier plan.

   Certains camarades soutiennent qu’avec le temps disparaîtra non seulement la différence essentielle entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail manuel et le travail intellectuel, mais aussi toutes les différences entre eux. Cela est faux. La suppression de la différence essentielle entre l’industrie et l’agriculture ne peut pas aboutir à la suppression de toutes les différences entre elles. Une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera assurément par suite des conditions différentes de travail dans l’industrie et dans l’agriculture. Même dans l’industrie, si l’on tient compte de ses diverses branches, les conditions de travail ne sont pas partout les mêmes : les conditions de travail des mineurs, par exemple, diffèrent de celles des ouvriers d’une fabrique mécanisée de chaussures ; les conditions de travail des mineurs de minerais diffèrent de celles des ouvriers occupés dans l’industrie mécanique. Si cela est juste, une certaine différence subsistera surtout entre l’industrie et l’agriculture.

   Il faut en dire autant de la différence entre le travail intellectuel et le travail manuel. La différence essentielle entre eux, quant au niveau culturel et technique, disparaîtra assurément. Mais une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera pourtant, ne serait-ce que parce que les conditions de travail du personnel dirigeant des entreprises ne sont pas identiques aux conditions de travail des ouvriers. Ceux de mes camarades qui affirment le contraire s’appuient sans doute sur une formulation de certaines de mes interventions où il est question de la suppression de la différence entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel, sans qu’il soit spécifié qu’il est question de supprimer la différence essentielle, et non pas toutes les différences. C’est bien ainsi que les camarades ont compris ma formulation, en supposant qu’elle signifie la suppression de toutes les différences.

   C’est que la formulation était inexacte, insuffisante. Il faut la rejeter, la remplacer par une autre, affirmant la suppression des différences essentielles et le maintien des distinctions non essentielles entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel.

flechesommaire2   flechedroite