6. De l’inévitabilité des guerres entre pays capitalistes

Les problèmes économiques du socialisme en URSS

Staline

6. De l’inévitabilité des guerres entre pays capitalistes

   Certains camarades affirment qu’étant donné les nouvelles conditions internationales, après la deuxième guerre mondiale, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables. Ils estiment que les contradictions entre le camp du socialisme et celui du capitalisme sont plus fortes que les contradictions entre pays capitalistes ; que les États-Unis d’Amérique se sont suffisamment soumis les autres pays capitalistes pour les empêcher de se faire la guerre et de s’affaiblir mutuellement ; que les hommes avancés du capitalisme sont assez instruits par l’expérience des deux guerres mondiales, qui ont porté un sérieux préjudice à l’ensemble du monde capitaliste, pour se permettre d’entraîner à nouveau les pays capitalistes dans une guerre entre eux ; que, de ce fait, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables.

   Ces camarades se trompent. Ils voient les phénomènes extérieurs affleurant à la surface, mais ils n’aperçoivent pas les forces profondes qui, bien qu’agissant momentanément de façon invisible, n’en détermineront pas moins le cours des événements.

   En apparence, la « sérénité » règne partout : les États-Unis d’Amérique ont réduit à la portion congrue l’Europe occidentale, le Japon et les autres pays capitalistes ; l’Allemagne (de l’Ouest), la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon, tombés dans les griffes des U.S.A., exécutent docilement leurs injonctions. Mais on aurait tort de croire que cette « sérénité » puisse se maintenir « pour l’éternité » ; que ces pays supporteront sans fin la domination et le joug des États-Unis d’Amérique ; qu’ils n’essaieront pas de s’arracher du joug américain pour s’engager sur le chemin de l’indépendance.

   Considérons d’abord l’Angleterre et la France. Il est certain que ce sont des pays impérialistes. Il est certain que les matières premières à bon marché et les débouchés assurés ont pour eux une importance de premier plan. Peut-on imaginer qu’ils supporteront sans fin la situation actuelle, quand les Américains, à la faveur d’une « aide » prêtée au titre du « plan Marshall », s’installent dans le système économique de la Grande-Bretagne et de la France, système dont ils veulent faire un appendice de l’économie américaine ; quand le capital américain s’empare des matières premières et des débouchés dans les colonies anglo-françaises, préparant ainsi la catastrophe pour les profits exorbitants des capitalistes anglo-français ? N’est-il pas plus exact de dire que l’Angleterre capitaliste et, à sa suite, la France capitaliste seront finalement obligées de s’arracher à l’étreinte des U.S.A. et d’entrer en conflit avec eux pour s’assurer une situation indépendante et, bien entendu, des profits exorbitants ?

   Passons aux principaux pays vaincus, à l’Allemagne (occidentale), au Japon. Ces pays mènent aujourd’hui une existence lamentable sous la botte de l’impérialisme américain. Leur industrie et leur agriculture, leur commerce, leur politique extérieure et intérieure, toute leur existence sont enchaînés par le « régime » d’occupation américain. Dire qu’hier encore c’étaient de grandes puissances impérialistes qui ébranlaient les assises de la domination de la Grande-Bretagne, des U.S.A., de la France en Europe et en Asie. Penser que ces pays n’essaieront pas de se relever, de briser le « régime » des U.S.A. et de s’engager sur le chemin de l’indépendance, c’est croire au miracle. On dit que les contradictions entre capitalisme et socialisme sont plus fortes que celles existant entre les pays capitalistes. Théoriquement, c’est juste, bien sûr. Ce n’est pas seulement juste aujourd’hui, cela l’était aussi avant la deuxième guerre mondiale.

   C’est ce que comprenaient plus ou moins les dirigeants des pays capitalistes. Et cependant, la deuxième guerre mondiale n’a pas commencé par la guerre contre l’U.R.S.S., mais par une guerre entre paya capitalistes. Pourquoi ? Parce que, d’abord, la guerre contre l’U.R.S.S., pays du socialisme, est plus dangereuse pour le capitalisme que la guerre entre pays capitalistes. Car si la guerre entre pays capitalistes pose seulement le problème de la domination de tels pays capitalistes sur tels autres, la guerre contre l’U.R.S.S. doit nécessairement poser la question de l’existence même du capitalisme. Parce que, en second lieu, les capitalistes, bien qu’ils proclament, aux fins de « propagande », l’agressivité de l’Union soviétique, n’y croient pas eux-mêmes, puisqu’ils tiennent compte de la politique de paix de l’Union soviétique et savent que l’U.R.S.S. n’attaquera pas d’elle-même les pays capitalistes.

   Au lendemain de la première guerre mondiale, on considérait aussi que l’Allemagne avait été définitivement mise hors de combat, de même que le sont aujourd’hui, selon certains camarades, le Japon et l’Allemagne. A ce moment, on disait aussi et on proclamait dans la presse que les États-Unis d’Amérique avaient réduit l’Europe à la portion congrue ; que l’Allemagne ne pourrait plus se relever ; qu’il ne devait plus y avoir de guerre entre pays capitalistes. Mais, malgré cela, l’Allemagne s’est remise debout comme une grande puissance quinze à vingt ans après sa défaite ; elle s’est évadée de sa captivité et engagée sur le chemin de l’indépendance. Chose caractéristique, c’est que la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique ont aidé eux-mêmes l’Allemagne à se relever économiquement et à rétablir son potentiel économique et militaire. Sans doute qu’en aidant l’Allemagne à se relever économiquement, les U.S.A. et la Grande-Bretagne entendaient diriger l’Allemagne, une fois relevée, contre l’Union soviétique, l’utiliser contre le pays du socialisme. L’Allemagne cependant a dirigé ses forces, en premier lieu, contre le bloc anglo-franco-américain. Et lorsque l’Allemagne hitlérienne eut déclaré la guerre à l’Union soviétique, le bloc anglo-franco-américain, loin de se rallier à l’Allemagne hitlérienne, fut obligée, au contraire, de se coaliser avec l’U.R.S.S. contre l’Allemagne hitlérienne.

   Par conséquent, la lutte des pays capitalistes pour la possession des marchés et le désir de noyer leurs concurrents se sont pratiquement révélés plus forts que les contradictions entre le camp du capitalisme et celui du socialisme. On se demande : où est la garantie que l’Allemagne et le Japon ne se relèveront pas et ne tenteront pas de s’évader de la captivité américaine pour commencer une vie propre, indépendante ? Je pense que cette garantie n’existe pas. Il s’ensuit donc que l’inévitabilité des guerres entre pays capitalistes reste entière. On dit qu’il faut considérer comme périmée la thèse de Lénine selon laquelle l’impérialisme engendre inévitablement les guerres, puisque de puissantes forces populaires ont surgi maintenant, qui défendent la paix contre une nouvelle guerre mondiale. Cela est faux.

   Le mouvement actuel pour la paix se propose d’entraîner les masses populaires dans la lutte pour le maintien de la paix, pour conjurer une nouvelle guerre mondiale. Par conséquent, il ne vise pas à renverser le capitalisme et à instaurer le socialisme, — il se borne à des buts démocratiques de lutte pour le maintien de la paix. A cet égard, le mouvement actuel pour le maintien de la paix se distingue de celui qui existait lors de la première guerre mondiale, et qui, visant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile, allait plus loin et poursuivait des buts socialistes.

   Il se peut que, les circonstances aidant, la lutte pour la paix évolue çà et là vers la lutte pour le socialisme, mais ce ne sera plus le mouvement actuel en faveur de la paix, mais un mouvement pour renverser le capitalisme.

   Le plus probable, c’est que le mouvement actuel en faveur de la paix, en tant que mouvement pour le maintien de la paix, contribuera, en cas de succès, à conjurer une guerre donnée, à l’ajourner temporairement, à maintenir temporairement une paix donnée, à faire démissionner le gouvernement belliciste et à y substituer un autre gouvernement, disposé à maintenir provisoirement la paix. Cela est bien, naturellement. C’est même très bien. Mais cela ne suffit cependant pas pour supprimer l’inévitabilité des guerres, en général, entre pays capitalistes. Cela ne suffit pas, car malgré tous ces succès du mouvement de la paix, l’impérialisme demeure debout, reste en vigueur. Par suite, l’inévitabilité des guerres reste également entière.

   Pour supprimer l’inévitabilité des guerres, il faut détruire l’impérialisme.

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