Réponse au Social-démocrate

Réponse au Social-démocrate

Staline

15 Août 1905

   Je dois tout d’abord m’excuser auprès du lecteur d’avoir tardé à répondre. Qu’y faire ? Les circonstances m’ayant obligé à travailler dans un autre domaine, force m’a été de différer ma réponse ; nous ne disposons pas de nous-mêmes vous le savez bien.

   Je tiens encore à faire remarquer ceci : beaucoup de gens croient que la brochure : Coup d’œil rapide sur les divergences dans le parti a pour auteur le Comité de l’Union et non une seule personne. Je dois déclarer que cette brochure est de moi. Le Comité de l’Union n’a fait que l’éditer.

   Et maintenant, abordons le sujet.

   L’adversaire m’accuse de « ne pas apercevoir l’objet du débat », « d’escamoter les questions »((Voir la Réponse au Comité de l’Union*, p. 4. (J.S.).
*La Réponse au Comité de l’Union fut publiée en annexe au n°3 du Social-démocrate du 1er juillet 1905. L’auteur de cette « réponse » était N. Jordania, leader des menchéviks géorgiens, dont Staline critique impitoyablement le point de vue dans sa brochure : Coup d’oeil rapide sur les divergences dans le parti, et ailleurs.)) ; il prétend que ce sont « les questions d’organisation et non celles de programme qui sont matière à litige » (p. 2).

   Il suffit d’être un peu observateur pour découvrir la fausseté des affirmations de l’auteur. En effet, ma brochure est une réponse au premier numéro du Social-démocrate, elle était déjà sous presse quand a paru le second numéro du Social-démocrate. Que disait l’auteur dans le premier numéro ? Simplement que la « majorité » s’est engagée dans la voie de l’idéalisme et que sa position « contredit foncièrement » le marxisme. Ici, pas un mot sur les questions d’organisation. Que devais-je répondre ? Ce que j’ai répondu : que la « majorité » se place sur les positions du marxisme authentique, et que si la « minorité » ne l’a pas compris, c’est qu’elle-même s’est écartée du marxisme authentique. Quiconque entend quelque chose à la polémique aurait agi de même. Mais l’auteur ne fait que répéter : pourquoi ne dis-tu rien des questions d’organisation ? Si je n’en dis rien, honorable philosophe, c’est parce que vous n’en aviez soufflé mot à cette date. Comment répondre à des questions qui n’ont pas encore été posées ? Il est évident que « les problèmes escamotés », « l’objet du débat passé sous silence », etc…, ne sont qu’inventions de l’auteur. J’ai, en revanche, toute raison de croire que c’est lui qui passe sous silence certaines questions. Il déclare que les « problèmes d’organisation sont matière à litige », alors qu’il existe aussi entre nous des divergences de tactique, qui ont beaucoup plus d’importance que les divergences en matière d’organisation. pourtant notre « critique » n’en a pas soufflé mot dans sa brochure. C’est bien ce qui s’appelle « escamoter les problèmes ».

   Qu’est-il dit dans ma brochure ?

   La vie sociale, de nos jours, est organisée sur le mode capitaliste. Il existe deux grandes classes : la bourgeoisie et le prolétariat, engagés dans une lutte à mort. Les conditions de vie de la bourgeoisie l’obligent à consolider le régime. Les conditions de vie du prolétariat l’obligent à saper ce régime, à le détruire. Deux consciences s’élaborent qui correspondent à ces deux classes : l’une bourgeoise, l’autre socialiste. A la situation du prolétariat correspond la conscience socialiste. C’est pourquoi le prolétariat fait sienne cette conscience, se l’assimile est lutte avec une énergie redoublée contre le régime capitaliste. Est-il besoin de dire que, s’il n’y avait ni capitalisme ni lutte des classes, il n’y aurait pas non plus de conscience socialiste ? Mais à présent la question est de savoir qui élabore, qui a la possibilité d’élaborer cette conscience socialiste (c’est-à-dire le socialisme scientifique). Kautsky dit, et je reprends sa pensée, que la masse des prolétaires, tant qu’ils restent des prolétaires, n’a ni le temps, ni la possibilité d’élaborer une conscience socialiste. « La conscience socialiste d’aujourd’hui ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique »(( Voir l’article de Kautsky, cité dans Que faire ?, p. 27*. (J.S.).
*p. 41, E.S., 1947)), dit Kautsky. Or les représentants de la science sont des intellectuels comme Marx, Engels, d’autres encore, qui ont le temps et la possibilité de se placer à la pointe de la science et d’élaborer une conscience socialiste. Il est évident que l’élaboration d’une conscience socialiste est l’oeuvre d’un petit nombre d’intellectuels social-démocrates qui disposent du temps et des moyens nécessaires.

   Mais quelle importance a, par elle-même, la conscience socialiste si elle ne s’est pas propagée dans le prolétariat ? Elle restera une phrase creuse, rien de plus ! Il en ira tout autrement si cette conscience se répand dans le prolétariat : d’un pas accéléré vers une vie socialiste. C’est alors qu’intervient la social-démocratie (et non seulement les intellectuels social-démocrates), qui introduit la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier. C’est ce que Kautsky a en vue quand il dit que « la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat »((Idem. (J.S.).)).

   Ainsi, la conscience socialiste est élaborée par un petit nombre d’intellectuels social-démocrates. Cette conscience est introduite dans le mouvement ouvrier par la social-démocratie dans son ensemble, qui donne à la lutte spontanée du prolétariat un caractère conscient.

   C’est de cela qu’il est question dans ma brochure.

   Telle est la position du marxisme et aussi de la « majorité ».

   Qu’oppose à cela mon adversaire ?

   A vrai dire, rien de substantiel. Il est bien plus préoccupé d’invectiver que d’élucider la question. Il a l’air joliment fâché ! Il n’ose poser les questions ouvertement, il n’y répond pas directement ; mais ce « foudre de guerre » pusillanime évite l’objet même du débat, estompe hypocritement les questions clairement posées et, par surcroît, assure : j’ai élucidé l’ensemble des questions en un tournemain ! C’est ainsi que l’auteur n’envisage absolument pas l’élaboration de la conscience socialiste, il ne se décide pas à dire franchement de quel côté il se range dans cette question : du côté de Kautsky ou du côté des « économistes ». Il est vrai que dans le premier numéro du Social-démocrate notre critique a fait des déclarations assez osées: il parlait alors carrément le langage des « économistes ». Mais qu’y faire ? Alors, il disait une chose ; maintenant son « humeur a changé » et, au lieu de critiquer, il élude la question, peut-être parce qu’il s’est rendu compte de son erreur sans toutefois se résoudre à la reconnaître ouvertement. En somme, notre auteur est pris entre deux feux. Il n’arrive pas à savoir de quel côté il doit se ranger. S’il se joint aux « économistes », il lui faudra rompre avec Kautsky et le marxisme ; or, il n’y trouve pas son profit ; s’il rompt avec « l’économisme » et se joint à Kautsky, il devra nécessairement souscrire à ce que dit la « majorité », — et il n’en a pas le courage. Ce qui fait qu’il est pris entre deux feux. Que restait-il à faire à notre « critique » ? Il vaut mieux ne rien dire, décide-t-il : et en effet, il passe lâchement sous silence la question posée plus haut.

   Que dit l’auteur au sujet de l’introduction de la conscience ?

   Là encore, il fait preuve de la même hésitation, de la même pusillanimité? Il escamote la question et déclare avec beaucoup d’aplomb : Kautsky ne dit pas du tout que « les intellectuels importent du dehors le socialisme dans la classe ouvrière » (p. 7).

   Fort bien, mais nous autres, bolchéviks, ne le disons pas non plus, monsieur le « critique » ; quel besoin avez-vous de vous battre contre des moulins à vent ? Comment n’arrivez-vous pas à comprendre que, selon nous, selon les bolchéviks c’est la social-démocratie qui introduit la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier((Voir Coup d’œil rapide sur les divergences dans le parti, p. 18. (Voir à la p. 95 du présent volume).)), et non les seuls intellectuels social-démocrates ? Pourquoi pensez-vous que le Parti social-démocrate est composé uniquement d’intellectuels ? Ignoreriez-vous que la social-démocratie compte dans ses rangs beaucoup plus d’ouvriers que d’intellectuels ? Les ouvriers social-démocrates ne peuvent-ils pas introduire la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier ?

   L’auteur se rend visiblement compte de la faiblesse de son « argumentation » et il passe à un autre « argument » :

   Kautsky écrit, poursuit notre « critique » : « En même temps que le prolétariat, naît avec une nécessité naturelle une tendance socialiste, aussi bien chez les prolétaires que chez ceux qui adoptent le point de vue du prolétariat ; ainsi s’explique la naissance des aspirations socialistes ». D’où il résulte, commente notre « critique », que le socialisme n’est pas importé du dehors dans le prolétariat, mais qu’au contraire il sort du prolétariat et entre dans la tête de ceux qui adoptent les conceptions du prolétariat. (Réponse au Comité de l’Union).

   Ainsi parle notre « critique » qui s’imagine avoir élucidé la question ! Que signifient les termes de Kautsky ? Simplement que l’aspiration socialiste naît d’elle-même dans le prolétariat. Et cela est juste, bien entendu. Notre débat porte non sur l’aspiration socialiste, mais sur la conscience socialiste ! Qu’y a-t-il de commun entre l’une et l’autre ? La conscience et l’aspiration sont-elles une seule et même chose ? L’auteur ne peut-il vraiment distinguer entre la « tendance socialiste » et la « conscience socialiste » ? Et n’est-ce pas indigence de pensée que de conclure des termes de Kautsky que le « socialisme n’est pas importé du dehors »? Quoi de commun entre la « naissance de la tendance socialiste » et l’introduction de la conscience socialiste ? Le même Kautsky ne dit-il pas que la « conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat » ? (Voir Que faire ?).

   Il faut croire que l’auteur se rend compte qu’il s’est mis en fâcheuse posture et, pour terminer, il se voit obligé d’ajouter :

   De la citation de Kautsky il ressort en effet que la conscience socialiste est importée du dehors dans la lutte de classe. (Voir la Réponse au Comité de l’Union, p. 7).

   Toutefois il ne se décide pas à reconnaître franchement, courageusement, cette vérité scientifique. Notre menchévik fait preuve en face de la logique, ici encore, des mêmes hésitations et de la même pusillanimité que précédemment.

   Telle est la « réponse » équivoque que monsieur le « critique » fait aux deux questions principales.

   Que dire des autres menues questions qui découlent logiquement de ces deux grandes? Le mieux serait que le lecteur compare lui-même ma brochure à celle de notre auteur ! Il est seulement une question qu’il faut encore examiner. Si l’on en croit l’auteur, il ressort que, selon nous, la scission s’est produite parce que le congrès… n’a pas désigné comme rédacteurs Axelrod, Zassoulitch et Starover… (Réponse, p. 13) ; [qu’ainsi nous] nions la scission, nous en dissimulons la profondeur de principe et nous présentons toute l’opposition comme l’œuvre de trois rédacteurs « factieux ». (Idem, p. 16).

   Là encore, l’auteur brouille tout. La vérité est que deux questions sont ici posées : la cause de la scission et la forme sous laquelle les divergences se sont manifestées.

   Je réponds explicitement à la première question :

   On se rend bien compte à présent sur quel terrain ont surgi les divergences dans le parti. Comme on le voit, deux tendances se sont révélées dans notre parti : celle de la fermeté prolétarienne et celle de l’instabilité propre aux intellectuels. Et l’actuelle « minorité » exprime justement cette instabilité propre aux intellectuels. (Voir Coup d’oeil rapide).

   Comme on le voit j’explique ici les divergences par les tendances, intellectuelle et prolétarienne, qui existent dans notre parti, et non par l’attitude de Martov et d’Axelrod. L’attitude de Martov et des autres n’est que l’expression de l’instabilité propre aux intellectuels. Mais notre menchévik n’a sans doute pas compris ce passage de ma brochure.

   En ce qui concerne la deuxième question, j’ai dit en effet, et je dirai toujours que les chefs de la « minorité » ont pleurniché pour se faire attribuer les « premières places » et qu’ils ont donné précisément cette forme-là à la lutte dans le parti. Notre auteur ne veut pas le reconnaître. mais c’est un fait que les chefs de la « minorité » ont boycotté le parti, qu’ils ont réclamé ouvertement des sièges au Comité central, à l’organe central, au Conseil du parti, et qu’ils ont en outre déclaré : « Nous posons ces conditions comme pouvant seules assurer au parti la possibilité d’éviter un conflit qui menacerait son existence même ». (Voir le Commentaire, p. 26). Qu’est-ce à dire, sinon que les chefs de la « minorité » ont inscrit sur leur drapeau non pas : lutte d’idées, mais : « lutte pour les places » ? On sait que nul ne les empêchait d’engager une lutte d’idées et de principes. Les bolchéviks ne leur disaient-ils pas : fondez votre organe distinct et défendez vos idées, le parti peut vous donner cet organe ? (Voir le Commentaire). Pourquoi ne l’ont-ils pas accepté, s’ils s’intéressaient vraiment aux principes, et non aux « premières places » ?

   C’est ce que nous appelons la veulerie politique des chefs menchéviks. Ne vous formalisez pas, messieurs, si nous appelons les choses par leur nom.

   Naguère, les chefs de la « minorité reconnaissaient avec le marxisme et avec Lénine que la conscience socialiste est importée du dehors dans le mouvement ouvrier. (Voir l’article-programme de l’Iskra, n°1). Mais, par la suite, ils ont hésité et engagé la lutte contre Lénine, brûlant aujourd’hui ce qu’ils adoraient hier. J’ai dit que c’était là se jeter d’un côté et de l’autre. Cette fois non plus, il ne faut pas vous formaliser, messieurs les menchéviks.

   Hier, vous vous incliniez devant les centres et vous jetiez feu et flamme contre nous : pourquoi, disiez-vous, avoir exprimé de la défiance envers le Comité central ? Mais aujourd’hui, vous sapez non seulement les centres mais aussi le centralisme. (Voir la « Première Conférence de Russie »). C’est ce que j’appelle absence de principes et j’espère que cette fois non plus, vous ne m’en voudrez pas, messieurs les menchéviks.

   Si l’on met ensemble veulerie politique, lutte pour les sièges, versatilité, absence de principes et autres traits semblables, on aboutira à une particularité commune ; l’instabilité propre à la gent intellectuelle, dont cette catégorie est affligée plus que tout autre. Il est clair que l’instabilité propre à la gent intellectuelle est le terrain (la base) sur lequel se développent « la lutte pour les sièges », l’ « absence de principes », etc… Quant à la versatilité des intellectuels, elle est conditionnée par leur situation sociale. Voilà comment nous expliquons la scission dans le parti. Avez-vous compris enfin, notre auteur, la différence qui existe entre la cause de la scission et ses formes ? J’en doute.

   Telle est la position absurde et équivoque du Social-démocrate et de son drôle de « critique » qui, en revanche, fait preuve d’une grande vivacité dans un autre domaine. Dans les huit feuillets de sa brochure, il a trouvé le moyen, en parlant des bolchéviks, de mentir huit fois, et de façon à donner le fou-rire. Vous ne me croyez pas ? Voici les faits.

   Premier mensonge. Selon l’auteur, « Lénine veut rétrécir le parti, en faire une organisation étroite de professionnels » (p. 2). Or Lénine dit :

   « Il ne faut pas croire que les organisations du parti ne doivent pas comprendre que des révolutionnaires professionnels. Nous avons besoin des organisations les plus diverses, de toute sorte, de tout rang et de toute nuance, depuis des organisations extrêmement étroites et clandestines, jusqu’à d’autres très larges et très libres. » (Procès-verbaux, p. 240).

   Deuxième mensonge. Selon l’auteur, Lénine entend « n’introduire dans le parti que les membres du Comité » (p. 2). Or Lénine dit :

   « Tous les groupes, cercles, sous-comités, etc… doivent relever du Comité ou être ses filiales. Certains de ces groupes exprimeront directement leur désir d’adhérer organiquement au Parti ouvrier social-démocrate de Russie et, sous réserve de ratification par le Comité, ils seront incorporés dans le parti » (voir Lettre à un camarade, p. 17)((Comme on le voit, selon Lénine, les organisations peuvent être admises dans le parti non seulement par le Comité central, mais encore par les comités locaux. (J.S.)*.
*Voir Lénine : Œuvres, t. VI, p. 219, 4e édit. russe,))

   Troisième mensonge. Selon l’auteur, « Lénine exige l’hégémonie des intellectuels soit instaurée dans le parti. » (p. 5). Or Lénine dit :

   « Doivent faire partie du Comité… si possible, tous les principaux dirigeants du mouvement ouvrier, ouvriers eux-mêmes » (voir « Lettre à un camarade », p. 7-8), ce qui signifie que non seulement dans toutes les autres organisations, mais aussi dans le Comité aussi doivent prédominer les voix des ouvriers avancés.

   Quatrième mensonge. L’auteur dit que la citation reproduite à la page 12 de ma brochure : « la classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme », etc…, « est inventée de toutes pièces » (p. 6). Or, ce passage, je l’ai tout simplement pris et traduit de Que faire ? Voici ce qu’on y lit à la page 29 :

   « La classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme, mais l’idéologie bourgeoise la plus répandue (et constamment ressuscitée sous les formes les plus variées) n’en est pas moins celle qui, spontanément, s’impose surtout à l’ouvrier. »

   C’est ce passage qui est traduit à la page 12 de ma brochure. Voilà ce que notre « critique » appelle une citation inventée ! Je ne sais s’il faut attribuer cela à la distraction de l’auteur ou à son charlatanisme.

   Cinquième mensonge. Selon l’auteur, « Lénine ne dit nulle part que les ouvriers vont « avec une nécessité naturelle » au socialisme » (p. 7). Or, Lénine dit que « la classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme » (Que faire ? p. 29).

   Sixième mensonge. L’auteur m’attribue cette idée que « le socialisme est importé du dehors dans la classe ouvrière par les intellectuels ». (p. 7). Alors que je dis que c’est la social-démocratie (et non pas seulement les intellectuels social-démocrates) qui introduit dans le mouvement la conscience socialiste (p. 18).

   Septième mensonge. Selon l’auteur, Lénine dit que l’idéologie socialiste est apparue « tout à fait indépendamment du mouvement ouvrier » (p. 9). Or, cette idée n’a évidemment jamais effleuré l’esprit de Lénine. Il dit que l’idéologie socialiste est apparue « d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier » (Que faire ? p. 21).

   Huitième mensonge. L’auteur dit que mon assertion selon laquelle « Plékhanov quitte la « minorité » n’est qu’un ragot. » Or, mes paroles se sont vérifiées. Plékhanov a déjà quitté la « minorité »((Et cet auteur a l’audace de nous reprocher, dans le n°5 du Social-démocrate, de déformer les faits relatifs au IIIe congrès ! (J.S.).))…

   Je ne m’arrête pas aux petits mensonges dont l’auteur a si généreusement assaisonné sa brochure.

   Mais l’auteur, il faut le reconnaître, a tout de même énoncé une vérité, une seule. Il nous dit que « lorsqu’une organisation commence à s’occuper de ragots, ses jours sont comptés » (p. 15). C’est, évidemment, la vérité pure. La question est de savoir qui fait des ragots : le Social-démocrate et son étrange paladin, ou le Comité de l’Union ? Au lecteur d’en juger.

   Encore une question et nous en resterons là. l’auteur déclare, très docte:

   Le Comité de l’Union nous reproche de répéter les idées de Plékhanov. nous considérons, nous, comme un mérite de répéter ce qu’ont dit des marxistes aussi connus que Plékhanov, Kautsky et d’autres (p. 15).

   Donc, vous considérez comme un mérite de répéter les paroles de Plékhanov et de Kautsky. Fort bien, messieurs. En ce cas, écoutez :

   Kautsky déclare que « la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose que en surgit spontanément« . (Voir ce passage de Kautsky cité dans Que faire ? p. 27). Le même Kautsky dit que « la tâche de la social-démocratie est d’introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation et la conscience de sa mission » (idem). nous espérons, monsieur le menchévik ; que vous répéterez ces paroles de Kautsky et dissiperez nos doutes.

   Passons à Plékhanov. Plékhanov dit :

   « … Je ne comprends pas non plus pourquoi l’on pense que le projet de Lénine((Il s’agit des deux formules, proposées par Lénine et par Martov pour l’article premier des statuts du parti. (J.S.).)), s’il est adopté, interdirait l’accès de notre parti à une foule d’ouvriers. Les ouvriers désireux d’adhérer au parti ne craindront pas d’entrer dans une organisation. la discipline ne leur fait pas peur. ce sont de nombreux intellectuels, imbus d’individualisme bourgeois, qui craindront d’y adhérer. Mais c’est fort bien ainsi. Ces individualistes bourgeois sont aussi d’ordinaire les représentants de toute espèce d’opportunisme. Nous devons les éloigner de nous. Le projet de Lénine peut être une barrière à leur intrusion dans le parti, et pour cette raison déjà tous les adversaires de l’opportunisme doivent voter en sa faveur. »(Voir les Procès-verbaux, p. 246.)

   Nous espérons, monsieur le « critique », que vous jetterez le masque et répéterez avec une droiture toute prolétarienne ces paroles de Plékhanov.

   Sinon, cela voudra dire que vos déclarations dans la presse sont irréfléchies et faites sans aucun esprit de responsabilité.

La Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat], n°11, 15 août 1905.
Article non signé.
Traduit du géorgien.

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