Sur la révision du programme agraire

Sur la révision du programme agraire

Staline

   (Discours prononcé à la septième séance du IVe congrès du P.O.S.D.R.((Le IVe congrès (« Congrès d’unification ») du P.O.S.D.R. se tint du 10 au 25 avril (23 avril-8 mai) 1906, à Stockholm. Y assistaient également les représentants des partis social-démocrates nationaux de Pologne , de Lituanie, de Lettonie et ceux du Bund. De nombreuses organisations bolchéviks, détruites par le gouvernement après l’insurrection armée de décembre 1905, n’avaient pu envoyer de délégués. Au congrès, la majorité, bien qu’insignifiante, appartenait aux menchéviks. La prédominance des menchéviks au congrès détermina le caractère des résolutions qui y furent prises sur une série de questions. Staline, délégué par l’organisation bolchévik de Tiflis sous le pseudonyme d’Ivanovitch, intervint lors des débats sur le projet du programme agraire, sur la situation actuelle et sur la Douma d’Etat. En outre, Staline dénonça à plusieurs reprises, en citant des faits à l’appui, la tactique opportuniste des menchéviks de Transcaucasie au sujet de la Douma d’Etat, de l’accord avec le Bund, etc…)), le 13 (26) avril 1906.)

26 Avril 1906

   Tout d’abord, quelques mots au sujet des méthodes d’argumentation de certains camarades. Le camarade Plékhanov s’est longuement étendu sur les « allures anarchistes » du camarade Lénine, sur le caractère dangereux du « léninisme », etc…, etc…, mais sur la question agraire, il nous dit, en somme, bien peu de choses. Pourtant il est l’un des rapporteurs de la question agraire. J’estime que ce procédé d’argumentation, qui crée une atmosphère de nervosité, outre qu’il est contraire à l’esprit de notre congrès, appelé Congrès d’unification, n’apporte aucun éclaircissement quant à la façon de poser la question agraire. Nous pourrions, nous aussi, dire quelques mots sur les allures de cadet du camarade Plékhanov, mais cela ne nous ferait pas avancer d’un pas dans la solution du problème agraire.

   Ensuite, John((John, pseudonyme de P. Maslov. )) s’est appuyé sur certaines données tirées de la vie en Gourie, en Lettonie, etc…, pour conclure en faveur de la municipalisation dans toute la Russie. Je dois dire que, d’une façon générale, ce n’est pas ainsi qu’on établit un programme. pour établir un programme, il faut se baser non sur les particularités que présentent certains coins de certaines régions périphériques, mais sur les caractères généraux, propres à la majeure partie de la Russie : un programme sans une ligne directrice n’est pas un programme, mais un amalgame mécanique de thèses diverses. Il en est précisément ainsi du projet de John. En outre, John s’appuie sur des données fausses. D’après lui, le développement même du mouvement paysan plaide en faveur de son projet, parce qu’en Gourie, par exemple, au cours du mouvement, il s’est formé une administration autonome régionale qui gérait les forêts, etc… Mais, d’abord, la Gourie n’est pas une région, c’est un simple district du gouvernement de Koutaïs ; en second lieu, il n’y a jamais eu en Gourie une administration autonome révolutionnaire, unique pour toute la Gourie : il n’y avait que de petites administrations locales qui, par conséquent, n’ont jamais eu l’importance d’une administration régionale autonome ; troisièmement, gérer est une chose, posséder en est une autre. En général, il court bien des légendes sur la Gourie, et les camarades de Russie ont bien tort de les prendre pour des vérités…

   En ce qui concerne le fond du problème, je dois dire que notre programme doit avoir pour tout point de départ la thèse suivante : étant donné que nous concluons une alliance révolutionnaire provisoire avec la paysannerie en lutte, étant donné que nous ne pouvons, en conséquence, négliger les revendications de cette paysannerie, nous devons les soutenir si, dans l’ensemble, elles ne contredisent pas la tendance du développement économique et la marche de la révolution. Les paysans réclament le partage ; celui-ci ne contredit pas les conditions indiquées ; donc nous devons soutenir la confiscation totale et le partage. De ce point de vue, la nationalisation et la municipalisation sont au même titre inacceptables. En formulant le mot d’ordre de municipalisation ou de nationalisation, nous rendons impossible, sans rien y gagner, l’alliance de la paysannerie révolutionnaire avec le prolétariat. Ceux qui parlent du caractère réactionnaire du partage confondent deux stades du développement : le stade capitaliste et le stade précapitaliste. Le partage est réactionnaire au stade du capitalisme, cela n’est pas douteux, mais dans les conditions précapitalistes (par exemple dans les conditions de la campagne russe), le partage est, dans l’ensemble, révolutionnaire. Certes, on ne peut partager les forêts, les eaux, etc…, mais on ne peut les nationaliser, ce qui ne contredit nullement les revendications révolutionnaires des paysans. Quant au mot d’ordre proposé par John : des comités révolutionnaires, au lieu du mot d’ordre : des comités révolutionnaires paysans, il est foncièrement contraire à l’esprit de la révolution agraire. La révolution agraire a pour but, avant tout et principalement, d’affranchir les paysans ; par conséquent, le mot d’ordre : des comités paysans, est le seul qui réponde à l’esprit de la révolution agraire. Si l’affranchissement du prolétariat peut être l’oeuvre du prolétariat lui-même, l’affranchissement des paysans peut être, lui aussi, l’oeuvre des paysans eux-mêmes.

Procès-verbaux du Congrès d’unification du  Parti ouvrier social-démocrate de Russie  tenu à Stockholm, en 1906.
Moscou, 1907, pages 59 et 60.

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