2. Les changements intervenus dans la vie de l’U.R.S.S pendant la période 1924-1936

Sur le projet de constitution de l’URSS

Staline

2. Les changements intervenus dans la vie de l’U.R.S.S pendant la période 1924-1936

Quels sont les changements qui sont intervenus dans la vie de l’U.R.S.S. pendant la période 1924-1936, et que la Commission de la Constitution devait refléter dans son projet de Constitution ?

   Quel est le fond de ces changements ?

   Qu’avions-nous en 1924 ?

   C’était la première période de la Nep, alors que le pouvoir soviétique avait permis une certaine reprise du capitalisme, tout en faisant le maximum ; pour développer le socialisme ; alors qu’il se proposait, au cours de la compétition entre les deux systèmes économiques — capitaliste et socialiste — d’organiser la prépondérance du système socialiste sur le système capitaliste. La tâche était de consolider pendant cette compétition les positions du socialisme, d’obtenir la liquidation des éléments capitalistes et d’achever la victoire du système socialiste, système fondamental de l’économie nationale. Notre industrie offrait alors un tableau peu enviable, l’industrie lourde surtout.

   Il est vrai qu’elle se rétablissait peu à peu, mais elle était encore loin d’avoir porté sa production au niveau d’avant-guerre. Elle était basée sur une technique vieille, arriérée et pauvre. Certes, elle se développait vers le socialisme. La part du secteur socialiste de notre industrie était alors d’environ 80 %. Cependant le secteur capitaliste ne détenait pas moins de 20 % de l’industrie. Notre agriculture offrait un tableau encore moins attrayant. Il est vrai que la classe des grands propriétaires fonciers était déjà liquidée ; par contre la classe des capitalistes agricoles, la classe des koulaks, représentait encore une force assez considérable. Dans son ensemble l’agriculture était comme un immense océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée, médiévale.

   Dans cet océan, kolkhoz et sovkhoz formaient des points et des îlots ; ils n’avaient pas encore, à proprement parler, une importance tant soit peu sérieuse dans notre économie nationale. Les kolkhoz et sovkhoz étaient faibles, tandis que le koulak était encore en force. Nous parlions alors non de la liquidation de la classe des koulaks, mais de sa limitation.

   Il faut en dire autant des échanges dans le pays. Le secteur socialiste dans le domaine des échanges représentait quelque 50 ou 60 %, pas plus, et tout le reste du champ d’activité était occupé par les marchands, les spéculateurs et autres commerçants privés. Tel était le tableau de notre économie en 1924.

   Où en sommes-nous maintenant, en 1936 ?

   Si nous étions alors à la première période de la Nep, au début de la Nep, dans la période d’une certaine reprise du capitalisme, nous en sommes maintenant dans la dernière période de la Nep, à la fin de la Nep, en période de liquidation complète du capitalisme dans toutes les sphères de l’économie nationale.

   Ainsi, par exemple, notre industrie, durant cette période, est devenue une force gigantesque. Maintenant, on ne peut plus la qualifier d’industrie faible et techniquement mal équipée. Au contraire, elle est maintenant basée sur une technique nouvelle, riche et moderne, avec une industrie lourde fortement développée et des constructions mécaniques encore plus développées. Mais le plus important, c’est que le capitalisme a été complètement chassé de notre industrie, et que la forme socialiste de production y domine actuellement sans partage. On ne saurait négliger le fait que la production de notre industrie socialiste d’aujourd’hui dépasse de plus de sept fois celle de l’industrie d’avant-guerre.

   Dans l’agriculture, au lieu d’un océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée et l’emprise des koulaks, nous avons maintenant la plus grande production mécanisée du monde, et armée d’une technique moderne : un vaste système de kolkhoz et de sovkhoz.

   Tout le monde sait que lia classe des koulaks a été liquidée dans l’agriculture, et que le secteur des petites exploitations paysannes individuelles, avec sa technique arriérée, médiévale, occupe maintenant une place insignifiante ; sa part dans l’agriculture, pour l’étendue des surfaces ensemencées, représente 2 à 3 % au plus. On ne peut s’empêcher de constater que les kolkhoz disposent aujourd’hui de 316.000 tracteurs d’une puissance de 5.700.000 CV, et, avec les sovkhoz, ils totalisent plus de 400.000 tracteurs d’une puissance de 7.580.000 CV. En ce qui concerne les échanges dans le pays, les marchands et spéculateurs ont été chassés complètement de ce domaine. Tout le commerce est aujourd’hui entre les mains de l’Etat, des coopératives et des kolkhoz. Un nouveau commerce est né et s’est développé, le commerce soviétique, commerce sans spéculateurs, sans capitalistes. Ainsi la victoire totale du système socialiste dans toutes les sphères de l’économie nationale est désormais un fait acquis.

   Et qu’est-ce que cela signifie ?

   Cela signifie que l’exploitation de l’homme par l’homme a été supprimée, liquidée, et que la propriété socialiste des instruments et moyens de production s’est affirmée comme la base inébranlable de notre société soviétique. (Applaudissements prolongés.) Ces changements dans l’économie nationale de l’U.R.S.S. font que nous avons aujourd’hui une nouvelle économie, l’économie socialiste, qui ignore les crises et le chômage, qui ignore la misère et la ruine, et offre aux citoyens toutes possibilités d’une vie d’aisance et de culture. Tels sont pour l’essentiel les changements survenus dans notre économie, de 1924 à 1936.

   Ces changements dans l’économie de l’U.R.S.S. ont entraîné des changements dans la structure de classe de notre société. On sait que la classe des grands propriétaires fonciers avait déjà été liquidée à la suite de notre victoire finale dans la guerre civile. Les autres classes exploiteuses ont partagé le même sort. Plus de classe des capitalistes dans l’industrie. Plus de classe des koulaks dans l’agriculture. Plus de marchands et spéculateurs dans le commerce. De sorte que toutes les classes exploiteuses ont été liquidées. Est restée la classe ouvrière. Est restée la classe des paysans.

   Sont restés les intellectuels.

   Mais on aurait tort de croire que ces groupes sociaux n’ont subi aucun changement pendant la période envisagée et qu’ils sont demeurés ce qu’ils étaient, disons, à l’époque du capitalisme. Prenons, par exemple, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. On, l’appelle souvent, par vieille habitude, prolétariat. Mais qu’est-ce que le prolétariat ?

   Le prolétariat est une classe privée des instruments et moyens de production dans le système économique où instruments et moyens de production appartiennent aux capitalistes, et où la classe des capitalistes exploite le prolétariat. Le prolétariat est une classe exploitée par les capitalistes. Mais chez nous, on le sait, la classe des capitalistes est déjà liquidée ; les instruments et moyens de production ont été enlevés aux capitalistes et remis à l’Etat, dont la force dirigeante est la classe ouvrière.

   Par conséquent, il n’y a plus de classe de capitalistes qui pourrait exploiter la classe ouvrière. Par conséquent notre classe ouvrière, non seulement n’est pas privée des instruments et moyens de production ; au contraire, elle les possède en commun avec le peuple entier. Et du moment qu’elle les possède, et que la classe des capitalistes est supprimée, toute possibilité d’exploiter la classe ouvrière est exclue. Peut-on après cela appeler notre classe ouvrière prolétariat ? Il est clair que non. Marx disait : pour s’affranchir, le prolétariat doit écraser la classe des capitalistes, enlever aux capitalistes les instruments et moyens de production et supprimer les conditions de production qui engendrent le prolétariat. Peut-on dire que la classe ouvrière de l’U.R.S.S. a déjà réalisé ces conditions de son affranchissement ?

   On peut et on doit le dire incontestablement. Et qu’est-ce que cela signifie ?

   Cela signifie que le prolétariat de l’U.R.S.S. est devenu une classe absolument nouvelle, la classe ouvrière de l’U.R.S.S., qui a anéanti le système capitaliste de l’économie, affermi la propriété socialiste des instruments et moyens de production, et qui oriente la société soviétique dans la voie du communisme. Comme vous voyez, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. est une classe ouvrière absolument nouvelle, affranchie de l’exploitation, une classe ouvrière comme n’en a jamais connu l’histoire de l’humanité. Passons à la question de la paysannerie.

   On a coutume de dire que la paysannerie est une classe de petits producteurs dont les membres, atomisés, dispersés sur toute la surface du pays, besognant chacun de leur côté dans leurs petites exploitations, avec leur technique arriérée, sont esclaves de la propriété privée et sont impunément exploités par les grands propriétaires fonciers, les koulaks, les marchands, les spéculateurs, les usuriers, etc. En effet, la paysannerie des pays capitalistes, si l’on considère sa masse fondamentale, constitue précisément cette classe.

   Peut-on dire que notre paysannerie d’aujourd’hui, la paysannerie soviétique, ressemble dans sa grande masse à cette paysannerie-là ? Non, on ne peut le dire. Cette paysannerie-là n’existe plus chez nous. Notre paysannerie soviétique est une paysannerie absolument nouvelle. Il n’existe plus chez nous de grands propriétaires fonciers ni de koulaks, de marchands ni d’usuriers, pour exploiter les paysans. Par conséquent, notre paysannerie est une paysannerie affranchie de l’exploitation.

   Ensuite notre paysannerie soviétique, dans son immense majorité, est une paysannerie kolkhozienne, c’est-à-dire qu’elle base son travail et son avoir non sur le travail individuel et une technique arriérée, mais sur le travail collectif et la technique moderne. Enfin l’économie de notre paysannerie est fondée, non sur la propriété privée, mais sur la propriété collective qui a grandi sur la base du travail collectif.

   La paysannerie soviétique, vous le voyez, est comme n’en a pas encore connu l’histoire de l’humanité. une paysannerie absolument nouvelle.

   Passons enfin à la question des intellectuels, des ingénieurs et techniciens, des travailleurs du front culturel, des employés en général, etc. Les intellectuels ont eux aussi subi de grands changements au cours de la période écoulée. Ce ne sont plus ces vieux intellectuels encroûtés, qui prétendaient se placer au-dessus des classes, mais qui, dans leur masse, servaient en réalité les grands propriétaires fonciers et les capitalistes. Nos intellectuels soviétiques, ce sent des intellectuels absolument nouveaux, liés par toutes leurs racines à la classe ouvrière et à la paysannerie.

   Tout d’abord, la composition sociale des intellectuels a changé. Les éléments issus de la noblesse et de la bourgeoisie représentent un faible pourcentage de nos intellectuels soviétiques. 80 à 90 % des intellectuels soviétiques sont issus de la classe ouvrière, de la paysannerie et d’autres catégories de travailleurs.

   Enfin le caractère même de l’activité des intellectuels a changé. Autrefois ils devaient servir les classes riches, parce qu’ils n’avaient pas d’autre issue. Maintenant ils doivent servir le peuple, parce qu’il n’existe plus de classes exploiteuses. Et c’est précisément pourquoi ils sont aujourd’hui membres égaux de la société soviétique, où, avec les ouvriers et les paysans attelés à la même besogne, ils travaillent à l’édification d’une société nouvelle, de la société socialiste sans classes. Ce sont, vous le voyez bien, des travailleurs intellectuels absolument nouveaux, comme vous n’en trouverez dans aucun pays du globe. Tels sont les changements survenus au cours de la période écoulée dans la structure sociale de la société soviétique.

   Qu’attestent ces changements ?

   Ils attestent, premièrement, que les démarcations entre la classe ouvrière et la paysannerie, de même qu’entre ces classes et les intellectuels, s’effacent et que disparaît le vieil exclusivisme de classe. C’est donc que la distance entre ces groupes sociaux diminue de plus en plus.

   Ils attestent, deuxièmement, que les contradictions économiques entre ces groupes sociaux tombent, s’effacent.

   Ils attestent enfin que tombent et s’effacent également les contradictions politiques qui existent entre eux.

   Il en est ainsi des changements survenus dans la structure de classe de l’U.R.S.S. Le tableau des changements dans la vie sociale de l’U.R.S.S. serait incomplet, si l’on ne disait quelques mots des changements intervenus dans un autre domaine encore. Je veux parler des rapports entre nations, en U.R.S.S. Comme on sait, l’Union soviétique comprend environ 60 nations, groupes nationaux et nationalités. L’Etat soviétique est un Etat multinational. On conçoit que la question des rapports entre les peuples de l’U.R.S.S. soit pour nous d’une importance de premier ordre.

   L’Union des Républiques socialistes soviétiques s’est formée, on le sait, en 1922, au Premier congrès des Soviets de l’U.R.S.S. Elle s’est formée sur la base de l’égalité et de la libre adhésion des peuples de l’U.R.S.S. La Constitution adoptée en 1924, actuellement en vigueur, est la première constitution de l’U.R.S.S.

   C’était une période où les relations entre les peuples n’étaient pas encore dûment établies, où les survivances de la défiance à l’égard des Grands-Russes n’avaient pas encore disparu, où les forces centrifuges continuaient encore à agir.

   Dans ces conditions il fallait établir la collaboration fraternelle des peuples sur la base d’une assistance mutuelle, économique, politique et militaire, en les groupant dans un seul Etat multinational fédéral. Le pouvoir soviétique voyait bien les difficultés de cette tâche. Il avait devant lui les expériences malheureuses des Etats multinationaux dans le monde bourgeois. Il avait devant lui l’expérience avortée de l’ancienne Autriche Hongrie. Et cependant il décida de faire l’expérience de la création d’un Etat multinational, parce qu’il savait qu’un Etat multinational, ayant pour base le socialisme, devait triompher de toutes les épreuves.

   Depuis, quatorze ans ont passé. Période suffisante pour vérifier l’expérience. Eh bien ?

   La période écoulée a montré indubitablement que l’expérience de la formation d’un Etat multinational, basé sur le socialisme, a pleinement réussi. C’est là une victoire incontestable de la politique léniniste dans la question nationale. (Applaudissements prolongés.) Comment expliquer cette victoire ?

   Absence de classes exploiteuses, principales organisatrices des collisions entre nations ; absence de l’exploitation qui entretient la méfiance réciproque et attise les passions nationalistes ; présence, au pouvoir, de la classe ouvrière, ennemie de tout asservissement et fidèle champion des idées d’internationalisme ; réalisation pratique de l’assistance mutuelle entre peuples dans tous les domaines de la vie économique et sociale ; enfin, épanouissement de la culture nationale des peuples de l’U.R.S.S., nationale par la forme, socialiste par le contenu : tous ces facteurs et autres analogues ont fait que la physionomie des peuples de l’U.R.S.S. a radicalement changé ; que le sentiment de la méfiance réciproque a disparu chez eux ; qu’en eux s’est développé un sentiment d’amitié réciproque, et que s’est établie ainsi une véritable collaboration fraternelle des peuples, au sein de l’Etat fédéral unique.

   C’est ce qui fait que nous avons aujourd’hui un Etat socialiste multinational parfaitement constitué, qui a triomphé de toutes les épreuves et dont la solidité peut faire envie à n’importe quel Etat fondé sur une seule nation, de n’importe quelle partie du monde. (Vifs applaudissements.)

   Tels sont les changements survenus pendant la période écoulée dans les rapports entre nations, en U.R.S.S.

   Tel est le bilan général des changements intervenus dans la vie économique, politique et sociale de l’U.R.S.S., au cours de la période 1924-1936.

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