3. La presse enfantine prolétarienne

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#14 – Les organisations d’enfants II

3. La presse enfantine prolétarienne

   Face à cette énorme littérature bourgeoise, supérieurement rédigée et diffusée, lue par la moitié au moins des enfants français, tirée au total à deux ou trois millions d’exemplaires par semaine, la presse prolétarienne enfantine est malheureusement à peu près inexistante.

   Une place à part doit cependant être faite à la revue la Gerbe, publiée par le groupement pédagogique « l’Imprimerie à l’école », sous la direction de l’instituteur révolutionnaire Freinet. Ce mouvement pédagogique, qui possède dans les écoles primaires un réseau important, est fondé sur la rédaction et l’impression par les enfants eux-mêmes de sortes de journaux scolaires. Les enfants illustrent eux-mêmes ces essais. La Gerbe est une sorte d’anthologie de cette presse scolaire et, périodiquement, des extraits de la Gerbe et des journaux scolaires rassemblent dans une petite brochure des récits et des dessins enfantins sur un sujet donné. Ce sont, dans beaucoup de cas, des récits tiré du folklore populaire, des histoires de bêtes, des contes, mais ce sont aussi — les jeunes rédacteurs sont la plupart du temps d’origine paysanne ou prolétarienne — des récits de la vie des travailleurs et des enfants. Signalons : « La mine et les mineurs », « Les charbonniers », « La peine des enfants », «Les petits pêcheurs», «Le petit mousse», «Emigrants», etc. Signalons surtout le remarquable cahier consacré récemment au chômage.

   Le journal la Gerbe, mensuel, est en progrès constant, aussi bien pour le fond que pour la présentation. C’est actuellement le seul journal d’enfants prolétarien qui existe en France, et il doit être défendu. Cependant on doit lui faire quelques critiques, qui se ramènent toutes à celle-ci : le point de vue de classe devrait être plus rigoureusement observé dans le choix des articles. En particulier on ne prête pas assez d’attention au côté mystique et religieux des contes de folklore qui sont transmis aux enfants par la tradition orale, pas plus qu’à l’influence dans leurs récits de la littérature enfantine colonialiste que nous avons analysée ci-dessus. Cette influence est, par exemple, très visible dans « Les aventures du père Tapdur » (janvier 1932).

   Mais la Gerbe s’améliore constamment, la rubrique authentiquement prolétarienne s’y élargit sans cesse. Il faut souhaiter qu’une liaison plus étroite et qu’une collaboration avec les différentes organisations culturelles prolétariennes de France permettent d’une part au journal d’améliorer son contenu, d’autre part, d’augmenter son influence et sa diffusion, car son tirage, en augmentation constante, ne dépasse pas encore 3.000 exemplaires. La Gerbe est lue par un certain nombre d’enfants des organisations social-démocrates, et l’on voit combien l’amélioration de son contenu de classe a d’importance.

   Mais la Gerbe, journal avant tout pédagogique, rédigé uniquement par les enfants, purement culturel, ne saurait, même considérablement améliorée dans son contenu et sa diffusion, lutter seule contre la presse enfantine bourgeoise. C’est pourquoi un journal de masse rédigé et contrôlé par les organisations prolétariennes constituait un véritable besoin.

   Ce journal, Mon camarade, existe maintenant.

« Mon camarade »

   La Fédération des enfants ouvriers et paysans a disposé autrefois d’un journal, le Jeune Camarade, qui reflétait toutes les fautes sectaires de l’organisation d’alors. Le journal, qui n’était en quelque sorte qu’une édition à peine adaptée de l’Avant-garde d’alors pour les enfants, n’eut guère de succès et dut finalement cesser de paraître. Pendant plus de deux ans l’organisation, dont les cadres subirent à l’époque des changements perpétuels, dut se passer d’un organe, et longtemps les efforts faits pour mettre un nouveau journal sur pied demeurèrent vains. C’est seulement après près de 18 mois d’efforts que, grâce au concours que lui a apporté pour sa rédaction, sa présentation et son illustration l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, le nouveau journal de la Fédération, Mon camarade, vient de publier ses premiers numéros. Tout fait espérer qu’il paraîtra désormais régulièrement tous les mois et que son contenu ne cessera de s’améliorer.

   À la différence de son prédécesseur, Mon camarade s’adresse à la grande masse des enfants, aux enfants inorganisés, et se présente sous une forme des plus accessible à l’enfance. Les contes, les récits, les chansons, les poésies y tiennent une large place. Malgré les difficultés rencontrées dans ce domaine l’illustration est bonne, et l’on y trouve des « histoires en images » bien rédigées. La collaboration des enfants s’effectue soit par des lettres insérées dans une page spéciale, soit par des articles et des dessins insérés dans les rubriques générales du journal. Certains articles expriment cependant un point de vue erroné qu’il nous faut relever. Citons, par exemple, un récit d’une fillette de dix ans : « Ma poupée va au marché » qui a été publié dans le premier numéro de Mon camarade.

   La fillette raconte qu’ayant envoyé sa poupée « faire le marché », celle-ci en est revenue en lui posant différentes questions. Elle a vu des chômeurs et demande pourquoi ils ont été renvoyés de leurs usines.

  • Parce que les maîtres n’avaient pas de travail à leur donner. Et même ceux qui restent sont bien diminués.
  • Pourquoi les a-t-on diminués, et pourquoi ont-ils accepté qu’on les diminue?
  • C’est parce qu’ils ne sont pas les maîtres et qu’ils ne peuvent pas riposter seuls, car on les mettrait plus vite à la porte.
  • Cela est très malheureux, mais on ne peut rien y faire?
  • Si, on peut y faire. Si on était tous d’accord et qu’il n’y aurait plus de patrons qui font mourir de faim les ouvriers qui ne demandent qu’à travailler, et si les ouvriers étaient tous ensemble les patrons, ils ne se renverraient pas, ils gagneraient un peu moins, et c’est tout. As-tu bien compris maintenant?
  • Oh! oui, j’ai compris que si tous les ouvriers pouvaient être leurs maîtres, il n’y aurait plus de chômeurs, et les chômeurs qui resteraient, on trouverait bien à les placer.

   Et en conclusion, une pionnière de 13 ans, répondant à une question posée par la rédaction : « Comment les ouvriers ensemble peuvent être tous ensemble les patrons », écrit :

   Il faudrait que les ouvriers communistes fassent comprendre à leurs camarades qu’on ne peut pas vivre avec le salaire payé par le patron, comme dans l’usine chez Citroën. Si les autres ouvriers comprennent que leurs camarades ont raison, ils se mettent avec eux; mais il faut que ce soit-tout le monde. Et un beau jour, sans que les patrons s’y attendent, donc il faut que cela se fasse dans toutes les usines, vlan! ils font la révolution. Il faut faire comme en Russie soviétique! — les ouvriers ont fait la révolution et sont devenus patrons. Là-bas, tous les ouvriers sont les patrons, tout le monde est pareil! Ici, en France, il faut faire comme cela; s’entendre, se réunir tous et faire la révolution, mettre à bas les gros, les patrons. Je voudrais bien que cela arrive et j’espère que ce sera bientôt.

ROSE,
Pionnière de Bagnolet (13 ans).

   Il est un peu difficile d’entrer dans une analyse détaillée d’un journal qui n’a encore publié que deux numéros au moment où nous mettons sous presse, mais on peut dire dès maintenant que Mon camarade constitue une arme de premier ordre entre les mains des organisations prolétariennes enfantines. Ses rubriques historiques, ses correspondances étrangères, ses chroniques diverses sur les distractions culturelles qui intéressent l’enfance, rubriques réalisées ou en voie de réalisation, permettent de penser qu’après l’expérience de plusieurs numéros, ce journal sera une excellente publication. Dès maintenant elle inquiète les organisations bourgeoises, et nous ne pouvons manquer de citer un article paru dans l’Echo de Paris au lendemain de la mise en vente du premier numéro de Mon camarade. Il est un hommage involontaire à l’efficacité de ce journal prolétarien. N’oublions pas que les rédacteurs de l’Echo de Paris sont des spécialistes des questions enfantines et que ce sont eux qui ont fondé le journal ultra-réactionnaire Benjamin.

   Aussi ces spécialistes du détournement de mineurs s’indignent-ils que Mon camarade écrive que « les curés, le cinéma et la radio bourrent le crâne aux enfants » et qu’en U.R.S.S. les enfants ne sont pas battus. Si le contenu du journal, « l’ignoble exaltation de la Commune de 1871 », la dénonciation du sort des enfants travailleurs d’Amérique les indignent, ils éclatent littéralement de rage en lisant les correspondances des enfants eux-mêmes, qui représentent pour ces « amis de l’enfance » le comble de l’abjection. Et, en conclusion, le rédacteur de l’Echo de Paris demande à M. Chiappe d’intervenir contre Mon camarade, « école du crime ».

   La fureur de la presse réactionnaire montre que Mon camarade a vu juste.

   Cependant, comme nous l’avons dit plus haut déjà, le premier numéro contient des fautes sur lesquelles il faut attirer l’attention des rédacteurs de Mon camarade, L’enfant d’ouvrier n’a pas toujours l’occasion de recevoir une éducation de classe, il vit souvent dans un milieu arriéré de la classe ouvrière et s’imprègne des idées propres à ce milieu. Dans certaines correspondances, et notamment dans celles citées plus haut, ces idées, fausses à notre avis, se font jour.

   Ainsi au moment où la crise capitaliste provoque un chômage effroyable et précipite dans la misère des millions de travailleurs, les chefs réformistes conseillent aux ouvriers de partager le travail entre ceux qui travaillent et ceux qui chôment. Cette théorie du « partage du travail » est notamment largement employée par les chefs de la C.G.T.

   En réalité cette théorie ne vise qu’au partage de la misère entre les ouvriers et n’a d’autre but que de détourner les travailleurs de la lutte pour des assurances sociales aux frais des capitalistes et de l’État et pour le renversement de la bourgeoisie.

   Or la fillette qui écrit dans son récit : « Ma poupée va au marché » que « si les ouvriers étaient tous ensemble les patrons, ils ne se renverraient pas, ils gagneraient un peu moins » ne fait que traduire dans un langage enfantin la théorie de « la misère » des chefs réformistes acceptée par une couche arriérée de la classe ouvrière.

   Une note explicative devait donc suivre, à notre avis, le récit de la jeune correspondante.

   En dehors de Mon camarade, la Fédération des enfants ouvriers et paysans dispose d’un organe intérieur, le Lien, dont on peut regretter que la publication, autrefois régulière — et qui a été pour beaucoup dans le développement récent de l’organisation — soit maintenant seulement occasionnelle, au moment des grandes grèves ou des manifestations prolétariennes importantes.

   Il existe en outre de petites gazettes ronéotypées éditées par les groupes d’enfants. Parmi celles-ci le Gosse des Buttes, organe du groupe du XX° arrondissement, est celle qui a la publication la plus régulière et la diffusion la plus large.

flechesommaire2