4. Les organisations prolétariennes d’enfants

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#14 – Les organisations d’enfants II

4. Les organisations prolétariennes d’enfants

   Face aux organisations bourgeoises de toutes couleurs, organisations pour la plupart internationales (organisations catholiques, protestantes, juives, organisations de boy-scouts, organisations socialistes), se dressent les organisations prolétariennes enfantines.

Historique du mouvement prolétarien d’enfants

   L’Union soviétique est la patrie de ces organisations. Elles furent créées au lendemain de la guerre civile, à Kharkov, à Moscou, en Transcaucasie, à l’imitation des premiers essais d’organisation prolétarienne qui avaient eu lieu en Allemagne autour de la Ligue spartakiste. Le nom de pionniers, qui devait faire le tour du monde, est d’origine allemande. En 1922, le mouvement des pionniers dans toute l’Union soviétique comptait seulement 4.000 membres. En 1926, il en comptait plus de 1 million et demi, mais l’année suivante la régression fut importante et l’organisation tomba aux environs d’un million. Mais avec l’établissement du plan quinquennal, sa réalisation et les succès décisifs remportés dans la voie du socialisme, l’organisation connut un essor impétueux. En juin 1932, le sixième million de pionniers était dépassé.

   À l’exemple des organisations russes et allemandes (l’organisation allemande comptait ses enfants par dizaines de milliers avant le coup de force de Hitler), des organisations prolétariennes enfantines se sont développées au cours de ces dix dernières années dans le monde entier. L’Internationale des enfants ouvriers et paysans a des sections, légales ou illégales, dans 35 pays. Les organisations allemandes, italiennes, polonaises, balkaniques travaillent dans les plus terribles conditions de répression et avec une grande efficacité. En Chine soviétique, un mouvement qui comptait déjà 20.000 membres en 1932 devient un puissant mouvement de masse. Une croissance considérable s’est produite ces dernières années en Tchécoslovaquie, où l’organisation a décuplé ses effectifs, aux États-Unis, en Norvège, en Hollande et enfin en France, où les organisations enfantines ont triplé leurs effectifs entre 1930 et 1932.

Le mouvement français. — Ses débuts et ses faiblesses

   Les organisations françaises ont longtemps compté parmi les plus faibles de toutes ces organisations nationales. Elles ont vu leur croissance entravée, non seulement par la répression qui a souvent frappé leurs dirigeants, ainsi que par des conditions de travail souvent difficiles, mais aussi par de mauvaises méthodes de travail et par un sectarisme étroit. Au début existait seul le mouvement des pionniers. Au lieu de s’adresser aux larges masses d’enfants, l’organisation avait tendance à ne pas assez s’occuper des enfants non organisés, et elle considérait à coup sûr les fils de prolétaires enrôlés, parfois contre leur gré, dans les organisations catholiques ou chez les scouts comme des ennemis avec lesquels il fallait mener la lutte à coups de poing. Inutile de dire que les dirigeants, curés ou scoutmestres, excitaient de leur côté « leurs » enfants contre les « petits rouges ». La propagande des pionniers d’alors parmi les rangs adverses se faisait avant tout à coups de poing.

   C’est avec une satisfaction non déguisée que le Père Lhande (ce prêtre que nous avons déjà rencontré dans notre étude des patronages et qui est un des pires ennemis du prolétariat et de ses organisations) écrit dans son Dieu qui bouge que les organisations de pionniers

   …ont dégénéré rapidement en compagnies de guérillas chargées, par le plus paradoxal des phénomènes, de lutter ouvertement contre leurs camarades (catholiques) qu’ils considéraient comme des adversaires. De ce fait on peut dire que l’Église a obtenu dans les milieux ouvriers un avantage incontestable.

   Le Père Lhande écrit plus loin que l’organisation a « piteusement échoué » et, malgré l’exagération que cette proposition contient, il n’en reste pas moins que l’organisation des pionniers à cette époque avait vu tomber ses effectifs à 300 membres et qu’elle avait dû interrompre la publication de son journal. Les méthodes outrageusement sectaires d’alors avaient fait leurs preuves.

Les nouvelles méthodes de recrutement

   Mais depuis cette date (1930) l’organisation a fait de gros efforts pour redresser sa ligne, et elle y est largement parvenue. Elle a entièrement réformé ses méthodes et elle est maintenant une des branches de la Fédération des enfants ouvriers et paysans qui emploie la méthode des activités multiples, des « cercles culturels », comme celle qui est largement pratiquée en U.R.S.S. aussi bien dans le mouvement d’enfants que dans les clubs ouvriers. Nous verrons tout à l’heure ce que représente cette méthode.

   La tactique fausse pratiquée à l’égard des enfants des organisations adverses a été complètement réformée, et elle est maintenant tout l’opposé de celle qui provoquait la satisfaction du Père Lhande. Voici comment une dirigeante du patronage de Bagnolet raconte l’expérience qui fut faite de cette tactique dans le patronage prolétarien de cette ville (octobre 1932) :

   Les dirigeants expliquèrent aux enfants déjà organisés qu’ils devaient recruter partout, et spécialement à l’école, de nouveaux enfants au patronage prolétarien et à l’organisation des pionniers.

   — Chez nous il ny a que des « curés », ils vont tous au patronage catholique, répondit un des pionniers.

   Alors on expliqua que les enfants des ouvriers qui vont au patronage catholique ne sont pas des « curés » eux-mêmes et que beaucoup d’entre eux seraient heureux de venir à un patronage ouvrier.

   Après cette discussion, des filles de notre patronage jouèrent exprès dans la cour de l’école avec les enfants des curés, leur montrant des danses qu’elles avaient apprises au patronage, etc. Les jeudis suivants on vit arriver au patronage prolétarien de nouveaux enfants amenés par les anciens. Une fillette de onze ans qui nous amène deux petites de sa classe nous explique :

   — Avant, c’étaient des « curés », maintenant elles ne veulent plus aller au patronage catholique.

    De la sorte, en six mois environ, le patronage prolétarien de Bagnolet recruta plus de trente enfants dans les organisations cléricales. Dans toute la banlieue de Paris, à Ivry, à Villejuif, à Paris, au groupe d’enfants de la Bellevilloise, dans le Nord, avec le groupe de pionniers de Montigny-en-Gohelle, un travail semblable a été entrepris et mené à bien.

   À Grenoble, et ce fut un des premiers essais dans ce domaine, bien qu’isolé à cette époque, dans le courant de 1931 un bon travail de propagande mené auprès d’une troupe de scouts réussit à la faire passer tout entière du côté des organisations prolétariennes, chefs compris.

Les patronages prolétariens, base des organisations

   Les groupes d’enfants de la Fédération des enfants ouvriers et paysans ont une base solide dans les patronages prolétariens organisés par les municipalités ouvrières de la banlieue parisienne.

   Ces patronages, organisés depuis de longues années déjà, n’ont pas subi, eux, de notables fluctuations d’effectifs au moment du sectarisme des pionniers, et le nombre des enfants qui les fréquentent est sans cesse en croissance. Les municipalités communistes groupent actuellement près d’une dizaine de milliers d’enfants.

   Jusqu’à ces dernières années l’activité politique des patronages des municipalités ouvrières est restée assez faible. On conçoit d’ailleurs que le patronage étant plutôt un rassemblement d’enfants qu’une organisation à proprement parler, ses formes d’activité doivent être différentes de celles d’une organisation comme les pionniers.

   Cependant, dans bien des cas, le patronage s’est borné à la garde des enfants prolétariens de la localité sous la surveillance d’un camarade de bonne volonté. Des promenades pendant la belle saison, des après-midi passées dans les cinémas de la localité constituaient souvent le plus clair de l’activité culturelle du patronage. Il est évident que déjà sous cette forme le patronage rend les plus grands services à la classe ouvrière, en libérant les familles du souci de la garde des enfants, impossible à assumer dans les familles où le père et la mère travaillent tous deux au dehors et empêchent ainsi les enfants de devenir la proie d’organisations bourgeoises.

   Enfin les avantages accordés aux enfants du patronage par la municipalité ouvrière sont d’un précieux secours pour les familles ouvrières. Notons d’autre part que, traditionnellement, les enfants des patronages ouvriers participent aux grands rassemblements prolétariens.

   Le rôle de la Fédération des enfants ouvriers et paysans est précisément d’animer les patronages, de leur donner une organisation intérieure et une vie politique. Nous verrons tout à l’heure les méthodes qu’elle emploie.

Les colonies de vacances prolétariennes

   À côté de ces patronages prolétariens, les complétant et les amplifiant, il existe tout un réseau de colonies de vacances, propriété des municipalités ouvrières. Saint-Denis a sa colonie à Belle-Ile et en fonde une nouvelle à Audierne; Villejuif a la sienne aux environs de Périgueux.

   Dans ces colonies, où les rassemblements d’enfants sont parfois considérables (Saint-Denis a envoyé 2.500 enfants dans ses colonies en 1933), un travail d’agitation souvent excellent est fait parmi les enfants des localités voisines de la colonie. C’est Saint-Denis qui organise des rencontres avec les enfants des villages de Belle-Ile. C’est Villejuif qui fait un gros travail de propagande parmi les enfants de Périgueux; ce sont enfin les enfants de la colonie d’Alès qui à Sète entraînent sur la plage des centaines d’enfants dans des jeux collectifs et fondent une section de pionniers.

   Dans ces colonies, comme dans les patronages, existent des groupes de chant, de théâtre, etc.

   Une place à part doit être faite à la colonie du S.O.I. à la Couarde-sur-Mer (île de Ré). La direction de la colonie travaille en liaison étroite avec les dirigeants de la Fédération des enfants ouvriers et paysans, et la colonie sert en quelque sorte d’école de dirigeants à la Fédération, Les enfants ont été recrutés pour la colonie en liaison avec les syndicats, les comités de chômeurs, les coopératives ouvrières, les sections du S.O.I., et recrutés également individuellement parmi les familles prolétariennes.

   Les enfants sont répartis en communes de 30 enfants portant chacune le nom d’un militant connu. La méthode des cercles d’activité, que nous décrirons tout à l’heure, est largement appliquée : cercles artistiques, cercles de jeux et de promenade, etc. Le journal Mon camarade est largement diffusé. La colonie a son journal, ses coins rouges, ses journaux muraux. Des causeries sont faites aux enfants sur les luttes ouvrières, et les enfants participent à la direction de la colonie.

   Un large travail d’agitation est fait parmi les enfants de l’île et, dans une certaine mesure, parmi ceux de la ville proche de La Rochelle. Une manifestation du 1er août, avec cortège et chœurs parlés, a eu cette année un excellent effet de propagande à La Couarde.

   Outre sa colonie enfantine, le S.O.I. participe étroitement à l’administration d’un orphelinat ouvrier, l’Avenir social, dans la banlieue parisienne, où d’intéressantes tentatives sont faites pour donner aux enfants une éducation prolétarienne.

Les organisations de masse et l’enfance

   Le Secours ouvrier international dirige également des groupements d’enfants, en accord avec la Fédération des enfants ouvriers et paysans. Le mouvement, dont les hases ont seulement été jetées en 1931, est encore très jeune et, partant, assez faible. Si un millier d’enfants sont déjà organisés dans les groupes artistiques, musicaux, théâtraux, sportifs ou simplement de solidarité du S.O.I., la direction centrale est encore faible, et la vie politique des groupements est encore restreinte. Leur faiblesse est aussi liée à celle du mouvement d’enfants en France. Nous verrons plus loin qu’ils ont cependant participé aux manifestations ouvrières et à des collectes pour le soutien des grèves.

   Le Secours rouge international, l’Association des travailleurs Sans dieu, la Ligue des femmes contre la guerre et la misère ont aussi récemment fondé des groupes d’enfants, dont l’importance est encore plus réduite et la faiblesse encore plus évidente. Signalons cependant, comme une forme intéressante, la participation des enfants Sans dieu de Tourcoing à un carnaval antireligieux où, montés sur un char, ils distribuèrent des tracts et vendirent des chansons au profit des organisations ouvrières (1933).

La Fédération des enfants ouvriers et paysans

Son rôle au patronage prolétarien

   Nous avons dit les erreurs commises par l’organisation des pionniers, laquelle, avec les patronages, était il y a quelques années la seule forme enfantine du mouvement prolétarien. Actuellement le mouvement des pionniers est une des branches du mouvement d’enfants prolétarien, mouvement dont la direction est assurée par la Fédération des enfants ouvriers et paysans.

   Une des premières fonctions de cette Fédération consiste à animer ces patronages par l’activité de ses cercles à base culturelle multiple. Outre la confection d’un journal mural mensuel rédigé par les enfants eux-mêmes et qui est de règle dans les patronages où les enfants ouvriers et paysans ont pénétré, les enfants s’efforcent de fonder un cercle de théâtre, ou un cercle de danses (Bagnolet), un cercle de chansons, un cercle de fabrication d’objets en bois découpé, un cercle sportif, un groupe chargé de la direction des jeux en commun, une coopérative pour l’achat en commun de friandises, jouets, etc., des cercles de découpage et de pliage de papier, etc. Bien entendu, chacune des activités n’a pas une forme neutre; des cercles même d’apparence purement techniques comme les groupes qui pratiquent les découpages à la scie à découper ont un contenu politique. Les objets qu’on y confectionne (silhouettes de militants, emblèmes révolutionnaires, etc.) ont un sens bien défini. Le contenu est encore plus apparent dans les pièces de théâtre, dans les chants des enfants, etc.

   Cinq mille enfants environ sont actuellement organisés dans les groupes de patronages, et il existe en outre plus d’un millier de pionniers. Ceux-ci représentent les enfants les plus éduqués politiquement, une sorte d’élite chargée de diriger le travail dans la mesure du possible.

   Une des grandes difficultés rencontrées dans ces cercles est la pénurie de matériel culturel, faute duquel les cercles sont souvent entravés dans leur développement. Là où ce matériel existe, le travail est au contraire beaucoup plus facile. Par exemple la publication d’une saynète antireligieuse pour enfants dans l’organe des Sans dieu, la Lutte antireligieuse, a eu pour conséquence la fondation spontanée de deux groupes d’enfants, formés spécialement pour jouer cette pièce, et dont l’un d’eux, celui de Montigny-en-Gohelle, connut par la suite un grand développement.

   En même temps que le matériel culturel, ce qui a toujours manqué le plus et continue de manquer le plus aux organisations prolétariennes enfantines, ce sont les cadres de dirigeants adultes, Nous reviendrons sur cette grave question en conclusion de notre étude, mais notons tout de suite que les maîtres révolutionnaires ne semblent pas avoir bien compris toute l’importance de leur tâche dans le mouvement prolétarien d’enfants, et, à notre connaissance, bien peu d’entre eux participent à la vie et à la direction d’un groupe d’enfants prolétariens, alors que dans le camp adverse on compte par centaines ceux qui dirigent patronages « laïques » ou cléricaux, ou qui conduisent les organisations ultra-réactionnaires, militaristes et fascistes des boy-scouts.

   Si le travail des enfants ouvriers et paysans à l’intérieur des patronages des municipalités ouvrières s’est nettement amélioré et s’il constitue un très grand pas en avant dans la conquête des larges masses d’enfants de travailleurs, il ne s’est pas amélioré dans les mêmes proportions en ce qui concerne la propagande pour l’organisation des enfants à l’école.

   Les pionniers allemands avaient réussi dans la période préfasciste à créer dans de nombreuses classes des avant-postes rouges qui combattaient pour les revendications de l’enfant à l’école, défendaient les maîtres révolutionnaires, combattaient les maîtres fascistes et réactionnaires et éditaient des journaux d’école. La forme des journaux d’école est une excellente forme, car elle existe déjà spontanément dans de nombreuses classes, où ces journaux ont, bien entendu, généralement un contenu très médiocre. Le journal de classe ou d’école correspond à un besoin de l’enfant à l’école, et il serait nécessaire que les enfants organisés s’orientent vers une telle réalisation. Mais jusqu’ici, à notre connaissance du moins, la Fédération des enfants ouvriers et paysans n’a fait aucun effort sérieux pour la création d’avant-postes scolaires rouges, ni pour la création de journaux scolaires.

   Malgré les défectuosités du travail d’organisation, lors de la récente grève d’une demi-heure faite par les instituteurs, au début de 1933, pour protester contre les projets gouvernementaux de diminution des traitements, les enfants participèrent à l’élargissement du mouvement de grève à côté de leurs maîtres. À Vitry, les enfants chantent l’Internationale, et un tract soutenant la grève des fonctionnaires est distribué à l’école; dans toute la banlieue (Montreuil, Bagnolet, etc.), les enfants manifestent pour la grève des instituteurs. Voici comment une pionnière de Bagnolet raconte sa participation à la grève des instituteurs dans le premier numéro de l’organe des enfants ouvriers et paysans, Mon camarade :

   Maintenant je vais vous dire ce qui s’est passé entre moi et ma maîtresse le jour de la grève des instituteurs. Nous étions en rangs pour aller à la cantine, et alors il ne faut pas bavarder. Alors je me suis mise à crier : « Vive la grève des instituteurs! » parce que j’avais compris qu’ils avaient raison de faire grève. La maîtresse est venue et m’a mis cent lignes. Le soir quand je suis rentrée chez moi, mon père m’a demandé pourquoi j’avais les lignes. Alors je lui ai dit que j’étais dans les rangs et que je me suis mise à crier :

   « Vive la grève des instituteurs ! » Mon père est venu trouver la directrice, il lui a dit tout ce qui s’était passé et la directrice s’est mise à me dire : « Petite menteuse ! ah la petite menteuse, tu racontes des choses comme ceci à ton papa ! Tu as été punie parce que tu avais parlé dans les rangs». Alors je me suis mise à protester et la directrice me laissa tranquille.

   Voilà un excellent exemple de lutte à l’école. On voit là les enfants qui soutiennent la lutte révolutionnaire des maîtres, et les parents qui défendent leurs enfants contre les sanctions dont ceux-ci ont été l’objet pour leur activité de classe. Une activité semblable devrait être organisée.

Méthodes prolétariennes de recrutement

   La tenue d’un camp lors des congés de la Pentecôte a été pour les organisations de la région parisienne l’occasion d’un développement assez considérable. On pouvait alors espérer que, vu ce succès, la méthode des campements, qui, on le sait, est pour beaucoup dans le succès des organisations scoutes, serait poursuivie et développée. Cependant, depuis cette date, des difficultés matérielles et l’absence de cadres ont empêché la tenue de nouveaux camps. Seule la section du XIXe possède une organisation de camping dans la vallée de Chevreuse. Il est regrettable que le campement n’ait pas pris plus d’extension, car l’emploi de cette méthode à d’autres fins a été pour beaucoup dans le récent et considérable développement de l’organisation social-démocrate des Faucons rouges dans la région parisienne.

   Par contre des rencontres entre enfants des différents groupes de la banlieue parisienne ont été organisées et ont donné de bons résultats. Une fête organisée par le S.O.I. à son orphelinat de l’Avenir social groupa dans une rencontre plus de 900 enfants, et des chants, des défilés, un théâtre d’enfants en plein air donnèrent tout son sens à cette manifestation.

   Les enfants organisés dans la Fédération sont dans la banlieue parisienne, nous l’avons vu, pour la plupart issus des patronages prolétariens des municipalités ouvrières, et ils sont dans l’immense majorité des cas des fils et des filles d’ouvriers non encore organisés. Dans les organisations de province, dont le mode de recrutement est différent, les enfants de travailleurs déjà organisés semblent être en majorité.

   Parmi les efforts de recrutement parmi les masses d’enfants citons l’excellent travail effectué à Montigny-en-Golielle (Pas-de-Calais) à l’occasion du congrès des Jeunesses communistes, en 1932.

   Un premier contact se produisit avec l’enfance lors d’une manifestation contre la guerre, au début du congrès. Une douzaine de pionniers de la région parisienne avaient été envoyés à Montigny pour rassembler les enfants. Ils allèrent trois jours consécutifs rassembler les enfants de la localité au sortir de l’école et organisèrent des jeux en commun. Au troisième jour plus d’une centaine d’enfants furent réunis. Le jeudi, une distribution de tracts permit de rassembler plus de deux cents enfants, qui manifestèrent contre la guerre au cri de « Du pain pour les enfants, du plomb pour les patrons! », drapeau rouge en tête. Une section de 60 pionniers fut alors développée, et elle est aujourd’hui encore une des plus fortes et des meilleures organisations enfantines du Nord, Elle a essaimé dans les communes avoisinantes. Un certain nombre d’éléments ont été arrachés aux patronages cléricaux.

Les organisations prolétariennes et le sort matériel de l’enfance

   Quelle a été, d’autre part, la participation à la lutte de classe des organisations prolétariennes enfantines françaises ?

   Tout d’abord nous devons signaler une faiblesse réelle dans les campagnes pour les revendications proprement enfantines, pour la lutte contre les mauvaises conditions faites à l’enfance par la bourgeoisie en pleine crise, aussi bien à l’école qu’à la maison. Malgré tout, une campagne avait été entreprise pendant les fêtes de Noël 1931 pour que fussent présentés des « comptes de Noël » à la bourgeoisie par l’enfance travailleuse. Une enquête menée à cette époque n’a pas donné grand résultat, et depuis la campagne a été abandonnée. Il fout regretter qu’on ait fait si peu dans ce domaine. À l’exemple de ce qui a été fait dans les organisations allemandes, le S.O.I. a, au début de 1933, ouvert une enquête sur la situation de l’enfance et sur la tuberculose enfantine, conséquence de la sous-alimentation, mais jusqu’ici cette enquête n’a pas eu de grandes suites. Elle pourrait être la base d’une campagne revendicative pour de meilleures conditions de vie de l’enfance, à la maison comme à l’école.

   Mon camarade a publié quelques intéressantes lettres d’enfants sur l’enfance au travail. Dans ce domaine aussi s’ouvre un très large champ d’action revendicative enfantine, ainsi que la possibilité d’une campagne de presse sur cette question mal connue en France. Il est à souhaiter qu’en se renforçant la Fédération des enfants ouvriers et paysans puisse mener à bien cette tâche.

   Par contre, la participation des organisations prolétariennes d’enfants aux luttes ouvrières et aux manifestations prolétariennes a été à divers égards excellente.

Les enfants dans les manifestations prolétariennes

   Les travailleurs qui fréquentent les grands rassemblements prolétariens sont habitués à y trouver les foulards rouges des pionniers, et ils ont pu constater que depuis ces derniers mois leur nombre était en croissance constante. Dans chacune des manifestations d’ailleurs, une place à la tribune est réservée aux représentants de la Fédération.

   Il y avait 300 enfants au bois de Vincennes en novembre 1932. Il y en avait 500 à la porte de Bagnolet pour manifester contre le fascisme. Ils étaient 700 au premier mai. Ils sont enfin plus de 1.000 au mur des Fédérés, à la fin de juin. On voit par-là la croissance du mouvement.

   De même les enfants portèrent leur salut aux différents congrès des organisations révolutionnaires, et en particulier au congrès antifasciste de la salle Pleyel.

La lutte de l’enfance et des parents à l’école

   Si le travail d’organisation des pionniers à l’école a été faible, on a vu cependant, en dehors des organisations de la Fédération, les enfants prendre part à la grève scolaire pour protester contre les mauvaises conditions de vie à l’école.

   À Ecuisses (Saône-et-Loire), après une pétition des parents pour protester contre le fait qu’un seul instituteur était chargé de l’éducation des 50 enfants de la localité, les enfants se mettent en grève et arrachent à la municipalité la promesse d’un nouveau maître (octobre 1932). À Cazeaux (Gironde), où l’école menaçait ruine et où les conditions d’hygiène étaient déplorables (il s’agissait d’un ancien local militaire), les parents constituent un comité de défense des écoliers et la grève dure tout le mois d’octobre 1932.

   On comprend aisément que la lutte à l’école ne pourra être menée d’une façon systématique et avec succès qu’avec l’appui des parents. C’est pourquoi l’Internationale de l’enseignement a souligné la nécessité de constituer auprès des écoles des comités de parents qui revendiqueront des améliorations au régime scolaire, face aux diminutions de crédit sans cesse grandissantes.

   Ce mouvement n’est cependant encore qu’esquissé. Dans la banlieue nord de Paris, un tel comité s’est constitué et a organisé des meetings pour revendiquer la véritable gratuité des fournitures scolaires à Saint-Ouen ; dans le XIIIe arrondissement, de semblables organisations ont établi des cahiers de revendications.

   Ce mouvement, qui n’en est qu’à ses débuts, est pour les maîtres révolutionnaires de toute première importance. Un tel groupement, qui défend l’école contre la ruine dont le régime la menace, défendra le maître contre les diminutions de salaire, contre la surcharge scolaire, contre les suppressions de postes, contre l’insalubrité des locaux, dont les enfants souffrent, directement ou indirectement, autant que les maîtres eux-mêmes. Une meilleure liaison des parents prolétariens et des maîtres révolutionnaires est aussi une défense contre la répression. On sait, par exemple, que les attestations de parents d’élèves en faveur de Freinet ont fait beaucoup pour la défense de ce pédagogue.

   À côté des groupes d’enfants, il est également nécessaire que des associations de parents se constituent, aussi bien pour aider les dirigeants dans leur travail que pour s’intéresser à leur action. Ce mouvement, lui aussi, a eu un début de réalisation dans le XXe arrondissement et dans les groupes juifs. Les comités de parents soutiennent financièrement le groupe, organisent des conférences, aident les groupes par tous les moyens.

   Là aussi il faut souhaiter un large développement de ces comités. Peut-être y aurait-il lieu de constituer une large association des Amis de l’enfance ouvrière et paysanne, qui, composée de parents, de dirigeants, de maîtres, soutiendrait et épaulerait de toutes manières la Fédération des enfants, dont les lacunes évidentes dans le travail ont souvent pour cause la jeunesse et l’inexpérience des cadres.

L’enfance prolétarienne dans les grèves

   La Fédération des enfants ouvriers et paysans a participé depuis plusieurs années à toutes les grandes luttes économiques du prolétariat, à toutes les grandes grèves. Citons quelques exemples.

   En avril 1931, grève dans la région minière du Gard. Dès la veille de la grève, des pionniers venus de la région parisienne sont sur les lieux. Ce sont eux qui, au jour où la grève éclate, prennent l’initiative de la formation des piquets de grève et qui entraînent les enfants des mineurs et les ouvriers eux-mêmes dans ces piquets. Le dirigeant des pionniers fut arrêté. Un groupe d’enfants fut formé à Alès, où l’action menée fut excellente, mais où il faut reprocher, comme dans toutes les grèves que nous allons mentionner, que l’on n’ait pas lié le sort des revendications propres à l’enfance au mouvement gréviste.

   Au cours des grandes grèves textiles du Nord, le S.O.I. rassemble ses enfants, les fait participer aux manifestations et leur fait faire des collectes pour la grève. À Saint-Quentin (1930), les enfants participent à des piquets de grève. En 1932, lors des grèves du textile de Vienne, ils collectent et manifestent pour la grève. Durant la grève des isolants de Vitry (1932), les enfants participent aux comités de grève et rédigent des tracts dont ils assurent la distribution.

   De même, au cours des grèves des dockers du Havre et de Dunkerque, les enfants collectèrent des fonds pour les grévistes et des conférences sur la grève furent faites dans les différents groupes. Il fut fait de même lors de la grève des mineurs belges (1932).

   Au cours de la longue grève des « quatre métiers » dans les textiles d’Armentières-Houplines, les pionniers correspondirent avec les enfants des grévistes et collectèrent pour la grève. La grève fut l’occasion de la formation d’un groupe d’enfants à Armentières.

   Enfin lors des grandes grèves de Citroën, deux fêtes enfantines furent organisées dans le XVe arrondissement pour les enfants des grévistes. Des tracts furent distribués devant les écoles proches de l’usine pour le soutien de la grève et un groupe d’enfant, auquel participèrent, bien qu’en assez faible proportion, les enfants des grévistes, fut fondé dans le XVe arrondissement. La grève suscita de nombreuses discussions dans les groupes de la région parisienne et un millier de francs pour le soutien de la grève furent recueillis par les enfants. Enfin les enfants intervinrent à plusieurs reprises dans les réunions des grévistes à la Bourse du Travail, où ils soulevèrent l’enthousiasme des grévistes. Les jeunes orateurs firent ensuite à leurs groupes des comptes rendus de leurs interventions et des assemblées auxquelles ils avaient assisté.

L’action de classe des organisations prolétariennes

   On le voit, les organisations prolétariennes enfantines, malgré certaines faiblesses que nous avons soulignées, mènent une bonne action de classe bien que groupant seulement quelques milliers de membres, et défendent le prolétariat face aux organisations bourgeoises qui ont su grouper dans leurs rangs plusieurs centaines de milliers d’enfants. Elles ont appris à combattre ces dernières et commencent efficacement la conquête des enfants travailleurs qui se trouvent égarés dans les rangs ennemis. A la préparation à la guerre elles opposent la lutte contre la guerre; à la propagande colonialiste, leur propagande antiimpérialiste. Face aux scouts briseurs de grèves, elles soutiennent efficacement les grandes luttes de la classe ouvrière, et le soutien qu’elles apportent aux autres organisations prolétariennes dans ces domaines est loin d’être inefficace. Les enfants savent être des combattants de la lutte de classe avec énergie, et ils ont conscience de l’importance du rôle qu’ils doivent jouer. En Tchécoslovaquie on a vu de jeunes pionniers, au cours des grèves, convaincre leurs parents, par leurs prières et leurs larmes, de ne pas aller à l’usine pendant la grève. Bien plus, des formations de pionniers, groupées, empêchaient les briseurs de grève de poursuivre leur route et se dispersaient rapidement pour se mettre hors d’atteinte si la police survenait pour «faire respecter la liberté du travail».

Les enfants et la répression

   Il est fréquemment arrivé que des dirigeants de pionniers et des enfants aient été arrêtés par la police, à l’occasion d’une grève ou d’une manifestation ouvrière. Dans ce cas l’attitude des enfants a été exemplaire. Voici comment un dirigeant du XIII arrondissement raconte 1 arrestation d un pionnier de son groupe :

   Les flics ont arrêté le gosse vers deux heures et ils ne l’ont relâché que vers dix heures du soir. Pendant tout ce temps ils l’ont cuisiné sans arrêt. Ils ont tout essayé, ils lui ont offert des bonbons, ils l’ont câliné, ils se sont fâchés, ils l’ont menacé, ils ont voulu le battre. Mais il n’y a rien eu à faire, ils n’ont pas pu tirer de lui la moindre chose. Le gosse a pleuré, a crié, mais il s’en est tenu à ce qu’il avait raconté tout d’abord. Je lui avais donné des tracts. Il a prétendu qu’ils lui avaient été donnés par un monsieur qu’il ne connaissait pas et qui lui avait offert quelques sous pour les distribuer. Malgré tous leurs efforts, les policiers n’ont pu savoir de lui ni mon nom, ni même si l’enfant appartenait à une organisation.

Les devoirs des maîtres révolutionnaires

   Quel doit être vis-à-vis des organisations d’enfants prolétariennes le rôle des maîtres révolutionnaires ?

   La réponse à une telle question est évidente. Les maîtres révolutionnaires doivent de toutes leurs forces soutenir les organisations prolétariennes enfantines. A l’heure actuelle, il n’y a pas, nous l’avons dit plus haut, un seul maître qui collabore à un des groupements d’enfants de la Fédération ouvrière et paysanne, sur le terrain des organisations locales. Un tel état de choses est tout à fait regrettable.

   La principale raison de la faiblesse aussi bien dans le nombre que dans l’action de la Fédération est due au manque de cadres et à leur peu de stabilité. Les instituteurs qui apporteraient à cette organisation l’expérience pédagogique en même temps que la conscience d’éducateur qu’ils ont acquises renforceraient dans des proportions considérables l’organisation. On voit souvent, surtout en province, des camarades consacrer leurs loisirs à des patronages «laïques», où ils ne sont parfois que des instruments dans les mains des politiciens locaux, et où ils servent malgré eux, pris qu’ils sont au mirage de la «laïcité», les intérêts de la classe dominante. Il serait souhaitable que ces camarades, dont la sincérité dans la plupart des cas ne fait aucun doute, comprennent que leur rôle est de fonder non des organisations enfantines laïques, mais des organisations prolétariennes.

   Que nos camarades comprennent bien qu’à l’école, les revendications des parents travailleurs, celles des enfants ouvriers et paysans et celles des maîtres sont liées, étroitement liées, que la défense des enfants comme celle des parents prolétariens est en même temps leur propre défense. Une participation étroite aux groupes d’enfants, aux comités de parents est du devoir des maîtres là où existent ces organisations. Et là où elles n’existent pas, leur devoir est d’en aider la naissance. À l’attaque de la bourgeoisie contre l’école, contre les salaires des maîtres et des travailleurs, contre la santé et la vie même des enfants pauvres, nous devons répondre par un bloc prolétarien des maîtres, des écoliers, des parents travailleurs, qui dénoncera le rôle de plus en plus réactionnaire et fascisant des organisations et de la presse bourgeoises de toute nuance, en luttant pour toutes les revendications des travailleurs. Et l’on peut prévoir et saluer le jour où, la Révolution prolétarienne ayant accompli son œuvre, les enfants français deviendront tous dans un vaste mouvement prolétarien, comme le sont déjà leurs camarades les pionniers soviétiques, les constructeurs du socialisme. La famine et la misère de l’enfance paraîtront un mauvais rêve ; des écoles claires et neuves se dresseront, le travail de l’enfance, de facteur de monstrueuse exploitation, deviendra facteur d’éducation, et peu à peu s’effacera jusqu’au souvenir des monstrueuses organisations impérialistes enfantines actuelles, organisations d’esclavage, organisations d’abêtissement, organisations de trahison, organisations de mort.

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