5. Salaire, profit et rente

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#15 – Marx et l’économie classique

V. Salaire, profit et rente

   L’économie classique avait trouvé que la valeur d’une marchandise était déterminée par le travail nécessaire à sa production incorporé en elle. Mais quand les économistes appliquèrent cette détermination de la valeur par le travail à la marchandise « travail », ils se trouvèrent bien embarrassés. Ils déclarèrent alors : « La valeur d’une marchandise est égale à ses frais de production ». Mais comment déterminer les frais de production du travail ? Ils parlèrent alors des frais de production de l’ouvrier qui consistent dans la somme de ses moyens de subsistance. Mais d’où vient alors le profit du capitaliste ? Le travail aurait donc non pas une, mais deux valeurs, — une pour l’ouvrier, l’autre pour le capitaliste !

   Que nous tournions ou retournions la chose comme nous voulons, nous ne sortirons jamais de cette contradiction tant que nous parlerons de l’achat et de la vente du travail et de la valeur du travail. C’est ce qui est arrivé également à nos économistes. Le dernier rameau de l’économie classique, l’école de Ricardo, a disparu en grande partie à cause de l’impossibilité où elle était de résoudre cette contradiction. L’économie classique s’était fourvoyée dans une impasse, L’homme qui trouva la voie pour en sortir fut Marx((ENGELS, Introduction à Travail salarié et Capital, de Marx, p. 19. (Bibliothèque marxiste, n° 14. E.S.I.))).

    Ce que l’ouvrier vend au capitaliste n’est pas son travail, c’est sa force de travail, intimement liée à sa personne, et dont les frais de production coïncident avec ses propres frais de production pour pouvoir subsister. Cette force de travail est, dans la société capitaliste, une marchandise tout à fait spéciale. Elle enfante la plus-value capitaliste.

   En effet, elle a la propriété particulière d’être une force qui crée de la valeur une source de valeur et, notamment, par un traitement approprié, une source de plus de valeur qu’elle n’en possède elle-même. Dans l’état actuel de la production, la force de travail humaine ne produit pas seulement en une journée une valeur plus grande que celle qu’elle possède et qu’elle coûte elle-même ; à chaque nouvelle découverte scientifique, à chaque nouvelle invention technique cet excédent de sa production quotidienne s’accroit au-delà de ses frais journaliers, et, par conséquent, la partie de la journée de travail dans laquelle l’ouvrier fournit l’équivalent de son salaire quotidien diminue, alors que la partie de la journée de travail pendant laquelle il est obligé d’offrir son travail au capitalisme sans être payé pour cela, augmente d’autre part((Engels, Introduction à Travail salarié et Capital, de Marx, p. 21-22.)).

   En découvrant la nature du salaire, Marx a découvert le conflit dans lequel l’économie capitaliste va sombrer, la lutte qui dresse l’immense masse des salariés non possédants contre la petite classe des capitalistes détenant toutes les richesses.

   Sans doute, Ricardo indique les contradictions entre le salaire et le profit, entre le profit et la rente, mais, enfermant ces contradictions dans la sphère de la répartition, il n’en découvre pas toute la profondeur.

   L’antagonisme entre la classe ouvrière et la classe des capitalistes ne peut être ramenée uniquement à la contradiction entre le salaire et le profit ; bien plus, l’affirmation de Ricardo qu’avec le développement de la société le salaire réel reste sans changement et le profit baisse, réduit cette contradiction à zéro. Le profit du capitaliste diminue — c’est lui la victime ! — tandis que le salaire de l’ouvrier ne diminue pas ! Selon Ricardo, le salaire réel ne baisse que dans les moments où la hausse du salaire nominal, provoquée par la hausse des produits, s’avère insuffisante, ne s’étant pas encore adaptée au niveau des prix. Mais, en fin de compte, affirme Ricardo, cette adaptation se réalise : en effet, l’aggravation de la situation de la classe ouvrière, qui augmente la mortalité parmi la population laborieuse et diminue par suite l’offre de la main-d’œuvre, conduit bientôt à cette adaptation. Par conséquent, la contradiction entre le salaire et le profit n’est que temporaire et, fait plus important encore, cette contradiction ne découle pas des lois régissant le profit et le salaire, mais des transgressions temporaires de ces lois.

   Ricardo a mis fin une fois pour toutes aux illusions bourgeoises d’après lesquelles, dans la société capitaliste, les ouvriers pouvaient améliorer leur situation.

   Dans la marche naturelle des sociétés, écrit Ricardo, les salaires tendront à baisser en tant qu’ils seront réglés par l’offre et la demande ; car le nombre des ouvriers continuera à s’accroître dans une progression un peu plus rapide que celle de la demande((RICARDO, Principes de l’économie politique et de l’impôt, tome I, p. 84 (édit. Costes).)).

   La condition de l’ouvrier empirera en général, tandis que celle du propriétaire foncier s’améliorera((Idem, p. 86.)).

    Les critiques bourgeois de Ricardo ont vu dans son analyse du salaire le premier fantôme de cette « loi d’airain » proclamée plus tard par Lassalle. En réalité, ce qu’il faut reprocher à Ricardo, ce n’est pas de noircir les couleurs, mais bien de les atténuer. La situation de la classe ouvrière ne demeure pas immuable : comme l’a démontré Marx elle s’aggrave relativement et absolument. Lassalle, quand il prend la défense de la loi du salaire de Ricardo et qu’il affirme y voir le vrai visage de la réalité capitaliste, prouve seulement à quel point cette réalité capitaliste lui a échappé.

   Ricardo n’a pas vu que la situation de la classe ouvrière s’aggravait avec l’accumulation du capital. Il était même enclin à admettre le contraire, c’est-à-dire l’amélioration de la situation de la classe ouvrière. Ricardo estimait que la croissance de l’accumulation du capital provoque une même croissance de la demande de travail. Il affirmait que la machine n’évinçait pas l’ouvrier ou, plutôt, ne l’évinçait que momentanément. Il a été de cet avis jusqu’en 1820 (c’est surtout dans ses discours parlementaires qu’il a défendu cette opinion), mais il s’est bientôt aperçu de sa fausseté et il eut le courage de le reconnaître ouvertement. Dans le chapitre XXXI de ses Principes intitulé « Des machines », Ricardo écrit :

   Je croyais encore que l’usage des machines était éminemment favorable aux classes ouvrières en ce qu’elles acquéraient ainsi les moyens d’acheter une plus grande masse de marchandises avec les mêmes salaires en argent : et je pensais, de plus, que les salaires ne subiraient aucune réduction par la raison que les capitalistes auraient besoin de la même somme de travail qu’auparavant, quoique ce travail dût être dirigé dans des voies nouvelles((RICARDO, Principes de l’économie politique et de l’impôt tome II, p. 212 (édit. Costes).)).

   Étant revenu de son erreur, Ricardo ajoute :

   Je suis convaincu que la substitution des forces mécaniques aux forces humaines pèse quelques fois très lourdement, très péniblement sur les épaules des classes laborieuses((Idem, p. 213.)).

    Dans une lettre à Mac Culloch, Ricardo s’exprime d’une façon plus catégorique encore :

   J’ai dit qu’un fabricant disposant d’un capital de roulement peut occuper beaucoup de gens. S’il est avantageux, pour lui, de remplacer ce capital de roulement par un capital constant de même valeur, ceci sera inévitablement suivi de la révocation d’une partie des ouvriers, le capital constant ne pouvant pas donner de l’occupation à tout le travail qu’il doit remplacer. J’avoue que cette vérité me paraît tout aussi exacte que n’importe quel théorème de géométrie, et je suis tout simplement stupéfait d’être demeuré aussi longtemps sans le remarquer.

    Il faut néanmoins constater que de cette vérité nouvelle pour Ricardo, vérité « aussi exacte que n’importe quel théorème de géométrie », Ricardo n’a pas su tirer les conséquences qui en découlent. De la machine évinçant l’ouvrier, il n’y a qu’un pas à la formation d’une armée de réserve de sans-travail, à la baisse du salaire réel, à l’opposition entre l’ouvrier et le capitaliste.

   Aussi ne faut-il pas s’étonner si le chapitre XXXI « Des machines » jeta la consternation parmi les « disciples » vulgaires de Ricardo. Par la bouche de Mac Culloch, que son instinct d’apologiste du capitalisme avait mis en méfiance, ils déclarèrent que ce chapitre de Ricardo avait perdu tout son livre et porté un dommage sérieux à la science. Mac Culloch montre par là qu’il n’a pas su comprendre Ricardo, que Marx, fossoyeur de l’économie classique, a salué comme « mû par l’impartialité scientifique et l’amour de la vérité ».

   Dans sa théorie de la répartition, Ricardo formule la loi du développement du capitalisme, ou, comme il s’exprime, la loi du développement de la société. Avec le développement de la société, dit Ricardo, le salaire réel reste sans changement, le profit baisse, la rente monte. Cette baisse du profit, c’était justement là ce qui inquiétait Ricardo, champion du développement illimité des forces de production. Il pressentait dans la loi de la baisse du taux du profit des limites au développement des forces de production sociales, car il identifiait la société bourgeoise avec la société en général. Il semble que Ricardo se soit ici vaguement rendu compte de l’impasse où va se trouver acculé le mode de production capitaliste. Mais il n’a pas su, comme Marx, conclure à son caractère historique, transitoire, au conflit qui, à un certain degré de développement, va dresser les forces de production grandies au sein de la société bourgeoise contre cette société.

   Ricardo et Marx ont reconnu tous deux que le taux du profit — celui-ci étant le rapport entre la plus-value et le capital total — avait tendance à baisser, mais ils diffèrent complètement aussi bien dans l’explication qu’ils donnent de cette loi que dans leur interprétation de sa signification et de son caractère.

   Ricardo fait découler la baisse du taux du profit de l’augmentation de la valeur des produits agricoles, et l’augmentation de la valeur des produits agricoles est conditionnée, chez lui, par l’accroissement de la population et la nécessité de mettre en valeur des lots de terre de plus en plus médiocres.

   Marx voit la cause de la loi tendancielle de la baisse du taux du profit dans l’accroissement du capital constant (instruments et machines) et la diminution relative du capital variable (capital servant à acheter la force de travail des ouvriers et pouvant seul engendrer la plus-value).

   Par suite des progrès du machinisme et des perfectionnements de la technique, chaque produit contient une moindre quantité de travail que dans les stades antérieurs de la production ; et puisque l’importance du travail vivant diminue continuellement par rapport à l’emploi des machines et au capital constant, il est clair que la plus-value doit diminuer continuellement par rapport au capital total.

   La tendance à une baisse du taux général des profits est donc la caractéristique capitaliste du progrès de la productivité du travail social((MARX, le Capital, livre III, chap. XIII, p. 229, édit. Giard et Brière. (Edit. Costes, tome X, p. 122.))).

   Pour Ricardo, la loi tendancielle du taux du profit est une loi naturelle puisqu’elle suppose l’accroissement de la population et la diminution de la fertilité du sol.

   Les profits tendent naturellement à baisser, parce que, dans le progrès de la société et de la richesse, le surcroît de subsistances nécessaire exige un travail toujours croissant((RICARDO, Principes de l’économie politique et de l’impôt, tome I, p. 108 (édit. Costes).)).

   À ce propos, Marx remarque très justement :

   Aussi les économistes, comme Ricardo, qui considèrent la production capitaliste comme une forme définitive, constatent-ils qu’elle se crée elle-même ses limites et attribuent-ils cette conséquence, non pas à la production, mais à la Nature, dans la théorie de la rente.((Marx, le Capital, livre III, chap. XV, p. 264, édit. Giard et Brière. (Edit. Costes, t. X, p. 173.)))

    Pour Marx, la loi tendancielle de la baisse du taux du profit est une loi spécifique du mode de production capitaliste, elle exprime le caractère historique et transitoire de ce dernier, elle dévoile les contradictions qui le poussent à son développement et à sa destruction.

   Interprétant faussement la loi tendancielle de la baisse du taux du profit, Ricardo n’a pas découvert et ne pouvait pas découvrir ce qu’elle recouvrait, — les contradictions du capitalisme et les lois de son développement. Seul, Marx pouvait le comprendre, Marx qui voit dans la loi tendancielle de la baisse du taux du profit une autre expression de ce qui est inclus dans la loi générale de l’accumulation capitaliste. En effet, ces lois sont toutes deux l’expression de la croissance des forces productives et de l’accroissement de la productivité du travail social en régime capitaliste. Le développement des forces de production conduit à une augmentation colossale des richesses à un pôle, et à une paupérisation non moins colossale à l’autre pôle. En même temps, l’accroissement de la productivité du travail social a pour résultat la baisse du taux du profit, tout en augmentant, puisque sont mis en œuvre des capitaux de plus en plus considérables, la masse du profit.

   Ricardo qui n’a pas découvert la nature de la loi tendancielle de la baisse du taux du profit, ne pouvait évidemment pas découvrir les contradictions internes de cette loi. C’est que Ricardo considère indépendamment l’un de l’autre les deux facteurs de l’accumulation du capital : quantité de matières premières et de machines d’un côté, quantité de force ouvrière de travail de l’autre. Voilà pourquoi il ne pouvait comprendre, ce qu’a si bien montré Marx, que la baisse du taux du profit se heurte à des facteurs antagonistes qui s’opposent à la baisse du taux du profit, de sorte qu’on ne peut parler de la baisse du taux du profit, mais seulement d’une tendance à cette baisse.

   La baisse du taux du profit s’accompagne d’un accroissement de la masse des capitaux et d’une dépréciation des capitaux existants qui agissent pour l’enrayer.

   L’action de ces influences contradictoires se manifeste tantôt dans l’espace, tantôt dans le temps et s’affirme périodiquement par des crises qui sont des irruptions violentes, après lesquelles l’équilibre se rétablit momentanément((MARX, le Capital, livre III, chap XV, p. 272, Edit. Giard et Briere, (Edit. Costes, t. X, p. 186.))).

    Ainsi les contradictions de la loi tendancielle de la baisse du taux du profit assignent des limites à la production capitaliste : l’accroissement de la productivité du travail, qui entraîne la baisse continue du taux du profit, provoque une résistance à la productivité ; d’autre part, la production capitaliste se règle non sur les besoins, mais sur le profit, et elle s’arrête quand il n’y a pas de profit à réaliser. La mission historique du capitalisme était de développer les forces productives du travail social ; inconsciemment il a créé les conditions d’une forme plus élevée de production ; les forces qu’il a éveillées se révoltent contre les rapports existants et les brisent.

   Cette loi du développement du capitalisme, Marx la démontre encore une fois dans l’analyse de la baisse du taux du profit.

   Ce qui inquiète Ricardo, conclut-il, c’est que le taux du profit, stimulant de la production et de l’accumulation capitaliste, soit menacé par le développement même de la production et, en effet, le rapport quantitatif est tout ici. Mais la base du système présente un aspect plus profond, dont il se doute à peine. Même au point de vue purement économique et vulgairement bourgeois, limité par l’horizon de la conception de ceux qui exploitent le capital, le régime capitaliste apparaît comme une forme, non pas absolue et définitive, mais relative et transitoire de la production((MARX, le Capital, livre III, chap. XV, p. 283, Edit. Giard et Brière. (Edit. Costes, t. X, p. 203-204.))).

    En résumé, pour Ricardo et pour Marx, la loi de la tendance à la baisse du taux du profit et la loi du salaire ont une seule et même cause. Marx a découvert la cause réelle, Ricardo la cause apparente. Ricardo ramène tout à la nécessité, pour la Société, de dépenser au fur et à mesure de son développement une quantité de travail de plus en plus grande pour se procurer sa nourriture. Marx, au contraire, tire l’une et l’autre de ces lois du développement de la productivité du travail social en régime capitaliste. Le développement des forces productives en régime capitaliste amène :

   1. La formation d’une armée de réserve de sans-travail qui a une influence décisive sur le niveau général des salaires

   2. une aggravation relative et absolue de la situation de la classe ouvrière, aggravation qui ne se limite pas seulement à une baisse des salaires ;

   3. une augmentation considérable de la masse de la plus-value et de la richesse ;

   4. une tendance à la baisse du taux du profit.

   La théorie de la rente constitue le point crucial du système de Ricardo. Elle est la mieux élaborée, elle couronne sa théorie de la valeur-travail. À première vue, le fait qu’en agriculture on obtient, en dehors du salaire et du profit, un revenu spécial : la rente, paraît contredire la théorie de la valeur-travail. Ricardo a brillamment prouvé que cela n’infirmait nullement la valeur-travail, mais s’expliquait justement par elle. La rente ne contribue en rien à créer la valeur : au contraire, elle est créée par elle. Ce n’est point parce que la terre donne une rente que le blé se vend cher : c’est parce que le blé est cher que la terre donne une rente. La théorie de la rente de Ricardo, et ceci prouve que derrière les phénomènes économiques il a vu les classes, est dirigée contre les agrariens : elle a fourni en partie un fondement théorique aux campagnes du libre-échangisme qui devaient aboutir à la loi du 25 juin 1846 abolissant le droit d’importation sur les grains.

   La rente dont parle Ricardo « est toujours la différence entre les produits obtenus par l’emploi de deux quantités égales de capital et de travail ». C’est la rente différentielle.

   Dans la rente, Ricardo ne voit pas de forme spéciale de plus-value, il ne reconnaît en elle que l’expression de rapports capitalistes particuliers dans l’agriculture. Après avoir expliqué la formation de la rente en se fondant sur la théorie de la valeur-travail, il reconnaît cependant que la rente résulte des difficultés, de plus en plus grandes, pour la société, à mesure qu’elle se développe, de gagner son pain quotidien. En fin de compte, la rente, pour Ricardo, est le résultat de la loi du développement de la société humaine.

   La théorie de Marx sur la rente est la théorie de l’agriculture capitaliste, y compris les industries d’extraction. La différence profonde entre les conceptions de Ricardo et celles de Marx s’exprime déjà par la place que chacun d’eux leur assigne dans son œuvre. Ricardo expose sa théorie de la rente à la suite de la théorie de la valeur, sans passer par l’analyse de la production capitaliste. Marx place sa théorie de la rente dans le livre III du Capital, à la fin de l’étude du procès d’ensemble de la production capitaliste.

   Marx a donné la théorie de la rente absolue et de la rente différentielle. Il a montré, à l’encontre de Ricardo, que toute rente foncière, — « forme économique sous laquelle la propriété foncière est réalisée » — représente de la plus-value, est le produit d’un surtravail. Même sous sa forme simple de rente naturelle, elle est un surproduit.

   La propriété foncière se justifie, comme toutes les autres formes de propriété inhérentes à un système déterminé de production, par ce fait que le système de production lui-même, avec les rapports d’échange qu’il engendre, a une nécessité historique et transitoire. Signalons cependant que la propriété foncière se distingue de toutes les autres en ce que, même au point de vue de la production capitaliste, elle devient superflue et nuisible dès qu’elle atteint un certain degré de développement((MARX, le Capital, livre III, chap. XXXVII, p. 199, édit. Giard et Brière. (Edit. Costes, t. XIII, p. 18.))).

   La propriété foncière a le pouvoir de faire monter le prix des produits agricoles au-dessus de leur coût de production. Mais c’est la situation générale du marché qui détermine quelle sera la différence entre les deux, de combien le prix se rapprochera de la valeur et dans quelle mesure la plus-value dépassant le profit moyen se convertira en rente ou contribuera au profit moyen. La rente se présente sous deux formes : la rente absolue qui est « l’appropriation par le propriétaire foncier d’une partie de la plus-value agricole » et la rente différentielle qui est « l’accaparement du surprofit par le même propriétaire foncier((MARX, le Capital, livre III, chap. XLV, p. 356, edit. Giard et Briere. (Edit. Costes, t. XIV, p. 30-31.))) ».

   La rente foncière, dit Marx, dépend, non de l’activité de celui qui en profite, mais du développement de l’activité sociale à laquelle le propriétaire ne prend aucune part et sur laquelle il n’a aucune influence. La rente foncière monte à mesure que le marché des produits du sol prend de l’extension et qu’augmente, avec l’accroissement de la population non agricole, la demande de produits alimentaires.

   Dans son analyse de la rente différentielle, Marx écarte la loi de Malthus sur l’accroissement de la population, la loi de la fécondité décroissante du sol et d’autres erreurs, telle l’affirmation que la société, dans son développement, passe nécessairement des meilleurs lots de terre aux plus médiocres. Cela seul suffirait à marquer la différence entre Marx et Ricardo.

   La rente peut prendre naissance alors que l’on met successivement en culture des terres de plus en plus fertiles ; elle peut être connexe des progrès de l’agriculture. Elle a pour seule condition l’inégalité des terres((Marx, le Capital, livre III, chap. XXXIX, p, 243, edit. Giard et Briere. (Edit. Costes, t. XIII, p. 73.))).

   Mais il y a plus : Ricardo a vu dans la rente une loi naturelle, Marx a donné une analyse profonde de la rente, forme spéciale de plus-value en régime capitaliste et destinée à disparaître avec lui.

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