2. La théorie bourgeoise officielle de l’État

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#18 – L’État et ses fonctions

2. La théorie bourgeoise officielle de l’État

   Le durkheimisme

   Nous la trouvons dans le manuel très répandu de HUBERT (Manuel élémentaire de sociologie). Les autres manuels et ouvrages en vogue, (Hesse et Gleyze, Bougie et Raffaut, etc.) s’inspirent presque tous de la même théorie bourgeoise, celle de Durkheim.

   « Le vouloir vivre collectif a constitué successivement les clans, les tribus, les peuplades, les cités, les Empires, les nations » (HUBERT, p. 192). « L’État est l’expression juridique du vouloir vivre collectif. » (Id., p. 215.) Tel est le point de départ de cette théorie. Dans tout un chapitre, Hubert explique que l’État est une « représentation collective » ; d’abord il est confondu avec la puissance religieuse ; puis, petit à petit, il se distingue ; il se sépare de la religion ; il se « pose pour lui-même », tout en restant une « réalité sociale » (p. 198), c’est-à-dire l’expression de la société tout entière, de son unité, de la forme de son groupement.

   Son mysticisme révolutionnaire

   Mais qu’est-ce donc, s’il vous plaît, que ce « vouloir vivre collectif ? Qui l’a vu, qui peut le décrire ? N’est-ce pas quelque chose de bien étrange, de bien mystérieux et d’un peu profond pour nous ?

   Et d’abord, comment explique-t-on ce vouloir vivre, cette espèce d’existence mystérieuse de la société en-dessous ou en-dessus des êtres qui la composent ? La réponse est nette : il ne s’explique pas ! C’est même son mérite, disent comiquement Hubert et Durkheim. Car s’il s’expliquait, ce vouloir vivre, il faudrait remonter au-delà de lui, et encore au-delà. Et on n’en finirait plus ! C’est donc commode de supposer que le vouloir vivre collectif et tout ce qui s’y rapporte ont « jailli spontanément ». (Durkheim. G. HUBERT, p. 89 et suivantes.) On explique donc tout par l’inexpliqué ou l’inexplicable, et on l’avoue !

   Mais alors, messieurs les bourgeois, comment osez-vous vous dire « sociologues scientifiques » ? Au fond, votre « vouloir vivre » n’est qu’un mystère, une « entité » cachée, obscure. Elle ne devrait pas avoir place dans la science, surtout chez vous. Car vous vous réclamez d’Auguste Comte, n’est-ce pas ? (Voir HUBERT, pages 7 et 8.) Or, Auguste Comte distinguait avant l’âge scientifique, l’âge religieux et l’âge métaphysique. Ne voyez-vous pas que votre « vouloir vivre collectif » est quelque chose qui ressemble plus aux histoires métaphysiques et « profondes » qu’aux notions scientifiques ?

   Le matérialisme, seule conception scientifique

   Cette entité ne s’explique pas. Et explique-t-elle quelque chose ? Non, Durkheim et ses disciples, dont Hubert, décrivent des transformations sociales. Les clans, les tribus, deviennent peuplades, cités, etc. Les croyances bridées se déforment. Mais pourquoi ? Tout cela reste « en l’air ». Les sociologues constatent, mais n’expliquent pas ! Ou plutôt si, ils trouvent quelques explications vagues. Voyons, par exemple, Hubert : « La propriété, la guerre ont eu une importance décisive dans le déroulement des faits » (voir p. 202). Il y a État dès qu’il y a « une masse… dont aucun membre ne détient une parcelle du pouvoir », etc. Remarquons par ailleurs qu’il est évident qu’une tribu errante ne se fixe pas au sol, ne devient pas agraire parce que ses représentations collectives ont changé, mais parce qu’elle a découvert la possibilité de se fixer, c’est-à-dire les instruments agricoles les plus simples. C’est alors que ses idées changent. Ce qu’il faut considérer en premier lieu c’est donc la technique (chasse, pêche, agriculture), ce sont les moyens de production, la base économique, les événements économiques.

   Et, alors, tout devient clair. Mais il ne s’agit plus de l’idéalisme nébuleux, ou tout se passe dans les profondeurs du vouloir vivre collectif, mais du matérialisme historique. Ce matérialisme explique les laits et les idées elles-mêmes à partir de quelque chose de clair, de net : les instruments, les moyens de production des choses nécessaires à la vie humaine et leurs exigences, la façon dont on peut les utiliser, soit en groupe, soit individuellement. Et ce que dit Hubert (p. 202 et suiv.) montre que toutes les fois qu’il donne une explication positive concrète, du mouvement social, il fait malgré lui appel au matérialisme historique.

   Pourquoi alors garde-t-il sa position idéaliste, antiscientifique ? Nous trouvons un précieux aveu p. 198. Il s’agit dit ce sociologue, de donner « à la théorie de la personnalité de l’État un fondement positif ». En d’autres termes, pour lui, la sociologie doit prendre l’État tel qu’il est aujourd’hui (l’État bourgeois) et sanctionner son existence, lui donner un caractère sacré, moral.

   Le but de ces sociologues n’est pas un but scientifique. C »est un but fixé par l’intérêt de classe. Il s’agit de protéger l’État bourgeois contre les idées révolutionnaires. Il s’agit de bourrer les crânes et de mentir habilement, avec une apparence de science.

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