Qui, selon toutes probabilités, parlait l’aryen primitif et où le parlait-on ?

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#21 – Qu’est-ce qu’un aryen ?

Qui, selon toutes probabilités, parlait l’aryen primitif et où le parlait-on ?

   Bien qu’une grande partie de la discussion sur les hommes qui parlèrent l’indo-européen (ou l’aryen) primitif ne s’appuie que sur des hypothèses, il est cependant intéressant d’étudier quelques-unes des théories qui ont été émises et de voir sur quelles raisons elles s’appuient.

   Avant tout, sur quelles certitudes pouvons-nous discuter ? D’une part, nous avons les langues elles-mêmes; d’autre part, nous avons divers objets laissés par les peuples préhistoriques en Europe : squelettes, poteries, outils, armes, tissus retrouvés dans d’anciennes tombes en divers endroits d’Europe. Certains de ces objets sont vieux de plusieurs milliers d’années. En étudiant ces « restes » archéologiques, les savants essaient de reconstituer une image de la vie vécue par les hommes à qui ils appartenaient. Pareillement, en étudiant les mots communs aux diverses langues indo-européennes d’aujourd’hui et d’hier, les linguistes essaient également de reconstituer la vie des hommes qui parlèrent l’indo-européen. La deuxième question est de découvrir, si possible, quelle culture préhistorique correspond le plus exactement à l’état de la langue. Divers essais ont été tentés à ce sujet avec des résultats divers.

   Les mots communs dans les langues indo-européennes nous indiquent que le langage primitif possédait des mots pour désigner la neige, l’hiver, l’été et le printemps, ce qui indique un climat tempéré plutôt que tropical. L’ancienne idée que le langage primitif fut parlé d’abord dans l’Inde est généralement abandonnée aujourd’hui. Le mot signifiant mer ou océan est, comme nous l’avons vu, commun à plusieurs langues. Il y a des mots communs pour charrue, bêche, faucille et moulin, charrette, joug, champ, semer et faucher, ce qui indique que l’agriculture était déjà développée avant la division des langues indo-européennes. Par exemple, pour le mot charrue, c’est arthr, en islandais; ârotron, en grec; arâtrum, en latin; arathar, en irlandais; ârklas, en lithuanien; araur, en arménien. Les noms pour indiquer la parenté témoignent de l’existence du système patriarcal avec le père à la tête de la famille, qui comprenait ses fils et filles mariés et leurs enfants. Des mots communs existent pour désigner les animaux domestiques tels que chien, vache, taureau, mouton, chèvre, cochon, cheval; pour les animaux sauvages tels que ours, loup, renard; pour certains poissons, notamment le saumon (islandais, lax; allemand, lachs; lithuanien, lasisà; russe, losos’; tockavien — une langue indoeuropéenne d’Asie — laks). Selon Hermann Hirt, le mot commun dans plusieurs langues pour anguille est très important. Si les premiers hommes parlant l’indo-européen connaissaient ces poissons, ils ne pouvaient pas avoir habité originellement près de la mer Noire où l’anguille ne se trouve pas. Un autre mot important dans les différentes langues est le hêtre. Les mots Bûche, en allemand; fagus, en latin; Bachenis Silva, dans un nom celtique; et phegos, en grec (où il a été transféré cependant au chêne), indiquent que le hêtre était un arbre connu à l’époque de la langue primitive. Tous ces mots sont très différents aujourd’hui, mais ils proviennent tous de la même racine. Or, la frontière orientale de l’habitat de cet arbre européen est une ligne tirée approximativement de Kœnigsberg à la Crimée. C’est pourquoi le linguiste allemand Hermann Hirt estime que le langage primitif a dû se développer à l’ouest d’une telle ligne.

   Selon Hirt, les hommes employant l’indo-européen menaient une vie purement agricole. Ils disposaient d’outils rudimentaires. Ils se nourrissaient comme les paysans anciens, et le cannibalisme ne leur était pas inconnu ou, plus exactement, ne l’était pas au groupe vivant à la limite de la culture primitive. Ils faisaient le commerce par troc et connaissaient l’hospitalité. Une racine commune — reg — pour roi ou gouverneur indique une « chefferie » de clan. Nous savons peu de choses de la religion de ces premiers hommes, sinon qu’ils semblent avoir adoré un commun Père des Cieux. Son nom est en grec Zens; en latin, Jupiter (signifiant Ju-père); en sanscrit, Dyaus-pita, et en germanique, Tiu.

   Un détail artistique a été attribué ordinairement aux anciens Aryens : l’usage du symbole de la croix gammée ou svastika, comme il s’appelle en sanscrit, pour les dessins de décoration et comme porte-bonheur. C’est parce que ce symbole est censé être purement aryen que le Parti national-socialiste allemand l’a adopté. Cependant, cette prétention repose sur une erreur. Le fait est que les nazis se servent d’un symbole nettement non-aryen qui avait son origine dans l’Inde longtemps avant que les gens parlant l’ancien sanscrit (la langue aryenne du Nord) fussent arrivés dans ce pays. Il a été souvent trouvé sur les poteries et dans les décorations de villes très anciennes mises au jour à Mohenjo et à Harappa dans la vallée de l’Indus. Ces villes furent bâties vers 3.000 av. J. C., 1.500 ans avant qu’une langue indo-européenne fût parlée aux Indes. Les Aryens le prirent du peuple hautement civilisé qu’ils conquirent. De l’Inde, il s’est répandu à l’Ouest et fut pris par les Celtes et Allemands anciens, mais il était certainement non-aryen à l’origine. Le professeur W. Norman Brown, de l’Université de Pennsylvanie, dit, à ce sujet, dans sa brochure sur ce symbole :

   Les prétentions actuelles des nazis sont insoutenables. Tout comme leur théorie de la pureté raciale aryenne est fantaisiste, de même leur usage du svastika en tant que symbole aryo-chrétien aux aspects d’antijudaïsme, d’antipacifisme et d’antimarxisme, est entièrement arbitraire. Le terme « aryen » ou « indo-européen » ne signifie rien en ce qui concerne l’intégrité raciale et indique seulement un degré relatif d’uniformité culturelle, tandis que le svastika a un caractère humain trop ancien et trop général pour avoir cette signification restreinte.

   Puisque les langues indo-européennes nous donnent quelque idée du milieu du peuple primitif qui parlait ce langage — climat, culture, et économie — nous pouvons maintenant examiner à quel peuple préhistorique et à quelle localisation géographique cette image convient le mieux.

   Nous avons vu que l’Asie, du moins l’Asie tropicale, en est éliminée par des témoignages linguistiques. Jadis, l’Inde était considérée comme le pays où la langue indo-européenne s’était développée pour la première fois, parce que le sanscrit est, sous bien des rapports, une langue «primitive». C’est-à-dire qu’elle a conservé beaucoup de la structure compliquée de son aïeul. Elle a sept cas pour le nom, trois nombres pour les noms et les verbes, et de nombreux temps. Une structure si compliquée n’est pas nécessairement un avantage. Ce n’est pas non plus un signe de culture avancée. Les langues primitives sont souvent très compliquées. Ainsi, bien qu’il soit vrai que le sanscrit ait conservé beaucoup des caractéristiques de son prédécesseur primitif, l’indo-européen, et qu’il ait été associé à une civilisation ancienne relativement élevée, cela ne donne pas nécessairement une indication exacte sur la culture de la société dans laquelle on parlait la langue primitive. Comme dit Karsten :

   Le continent asiatique fut probablement le berceau des civilisations européennes, mais il ne fut pas nécessairement leur pays d’origine.

   Il se peut que des tribus européennes aient emprunté la culture de l’Asie, mais cela ne veut pas dire qu’elles en provenaient.

    Les populations d’Europe et d’Asie dépendent des mêmes causes, dit Georges Poisson, et constituent un fait unique qui devrait être étudié dans sa totalité.

   Ou pour citer V. Gordon Childe :

   Les documents mis en Europe à la disposition du préhistorien ne montrent pas, comme on s’y attendait autrefois, des flots d’immigrants asiatiques amenant avec eux la civilisation de l’Orient ancien. La population néolithique de l’Europe est descendue en très grande partie du paléolithique, qui déjà comprenait les deux types, dolichocéphale et brachycéphale… Si donc les hordes asiatiques ont émigré vers l’Ouest pendant la période géologique actuelle, elles ont laissé bien peu de traces de leur arrivée.

   Voici, à ce sujet, plusieurs suggestions récentes :

   1. La Scandinavie. Nous savons que pendant une période se terminant environ vers 15.000 av. J. C., l’Europe septentrionale fut entièrement couverte de glace. Ce fut la dernière période glaciaire. Cependant, quand les glaciers se retirèrent et que l’Europe septentrionale et la Scandinavie redevinrent habitables, apparaissent les traces d’une race très primitive vivant en Allemagne du Nord le long des côtes de l’Allemagne du nord-est. La Baltique était alors un lac entièrement entouré de terres. On pense que les hommes qui y vécurent venaient de la région méridionale du Rhin, lorsque les glaces se retirèrent vers le Nord. En tout cas, ils ont dû vivre d’une vie simple et rude, se nourrissant de coquillages ramassés sur les bords du lac. Plus tard, lorsque la mer Baltique et la mer du Nord se rejoignirent, un climat plus chaud rendit la vie un peu plus facile. La première période va de 10.000 à 6.000 ans av. J. C. et la seconde 6.000 à 4.000 av. J. C., selon Kossina; pour d’autres, ces périodes sont plus récentes. La première période est souvent appelée période de la « civilisation Maglemose». Les hommes vivant dans la deuxième période nous ont laissé des restes de poteries, des outils simples et des tas de coquillages, ce qui nous indique leur nourriture. Ces amas de coquillages sont appelés en anglais « Kitchenmiddens » et en danois « Ertebolle », ces noms ont été employés pour désigner le peuple lui-même. À présent, ils sont couverts de terre, mais ils ont été mis au jour par des fouilles. La civilisation du peuple « Ertebolle » se retrouve également dans la Suède méridionale.

   D’après Kossina, les hommes de cette époque ont dû parler « la langue de l’Europe occidentale de la période postglacière sans doute encore avec un type agglutinant ». (Une langue agglutinante est une langue dans laquelle les parties d’une phrase sont unies librement.) Mais il ne nous dit pas pourquoi il en est si certain. Nous n’avons pas de documents sur la langue parlée dans cette période ancienne.

   Les groupes d’hommes vivant sur les bords de la Baltique étaient, selon toute apparence, mélangés racialement. Certains d’entre eux étaient dolichocéphales et certains brachycéphales. Du groupe originel (ou « Dobbertine »), dit Kossina, une section « progressive » s’est détachée et s’est établie autour d’El-lerbek dans le port de Kiel. Ils étaient en majorité dolichocéphales. De là, leur civilisation développée s’est répandue en Scandinavie. Ils passent pour avoir développé la civilisation du nouvel âge de la pierre isolément. Cela signifierait qu’ils étaient suffisamment inventifs pour trouver une nouvelle manière de tailler les pierres en armes et spécialement en haches de pierre. Il a été suggéré que ce groupe « progressif » d’Européens septentrionaux, en majorité des dolichocéphales, émigrant en Scandinavie, furent les ancêtres du peuple parlant la langue indo-européenne ou « aryenne » mère. À mesure que leur langue évoluait d’un idiome lâche, agglutinant pour aboutir à un langage complexe, flexionnel au plus haut point, elle ressemblait de plus en plus à l’indo-européen primitif.

   Et c’est pourquoi les hommes parlant cette langue ont dû être les lointains ancêtres des Grecs, des Latins, des Hindous, des Celtes, des Slaves et des Allemands.

   Kossina suggère aussi que du même peuple proviennent les anciens Sumériens, qui ont fondé une haute civilisation dans la vallée de l’Euphrate avant les Assyriens et les Babyloniens.

   Mais V. Gordon Childe, le préhistorien anglais, est en désaccord avec cette prétention.

   Si les Sumériens et les Teutons sont réellement partis sur un pied d’égalité en Maglemose, dit-il, ces derniers durent, en fait, avoir été une race arriérée et dégénérée.

   Il fait cette remarque parce que, historiquement, le Nord Scandinave est resté dans le développement de la civilisation très en arrière par rapport à la vallée de l’Euphrate.

   Kossina n’est pas le seul savant soutenant que les prétendus Aryens étaient originaires de Scandinavie. Karl Penka considère également que le type primitif s’est développé à la fin de la période glaciaire en Scandinavie, où prédomine encore le type grand, blond, dolichocéphale. La peau blanche est à coup sûr un résultat du climat froid du Nord à cette époque. Mais il est très difficile de raisonner sainement sur des hommes dont le langage est perdu à jamais, et dont la peau et les cheveux sont devenus poussière il y a longtemps. Le fait est que pas un crâne de 6.000 av. J. G. ne desserrera ses mâchoires silencieuses et ne fera entendre quels sons il prononçait avant que l’histoire commençât. Comme le dit Deniker :

   En réalité, l’hypothèse de la « race aryenne », aux cheveux blonds, grande et dolichocéphale, originaire d’Europe, ne s’appuie pas sur une base plus ferme que celle de la « race aryenne » venant d’Asie.

   T.-E. Karsten signale également que la blondeur n’était pas nécessairement un trait originel des premiers hommes qui parlèrent l’aryen. Et l’Allemagne et la Scandinavie montrent toutes deux beaucoup de diversité dans la forme des crânes.

   2. L’Allemagne du Nord. Nous avons vu que l’étude des langues indo-européennes nous donne certaines indications sur le vocabulaire et, par conséquent, sur le climat et la civilisation de l’époque du langage primitif. Une telle étude mène Hermann Hirt à la conclusion que le lieu d’origine fut le nord de l’Europe centrale : l’Allemagne de l’Est et la Pologne de l’Ouest. En cela il est d’accord avec ses prédécesseurs, Matthaus, Much et Louis Geiger (ce dernier du reste était enclin à préférer l’Allemagne de l’Ouest à celle de l’Est). Nous savons que dans les temps historiques, les Celtes, les Germains, les Baltes et les Slaves, parlant des langues indo-européennes, occupaient un territoire s’étendant du nord de la France à l’ouest de la Russie. L’Allemagne occupe une position centrale, d’où les migrations ont pu facilement avoir lieu dans l’une des deux directions, ou vers le Sud. Le centre d’origine serait très probablement près de la Vistule, à l’ouest de l’extrême limite jusqu’où le hêtre s’est répandu. De cet endroit, il nous faut imaginer les descendants des colons primitifs émigrant dans différentes directions : les Celtes à l’Ouest, les Latins et les Grecs au Sud, les Slaves à l’Est et les Aryens proprement dits (ancêtres des Persans et des Hindous) vers le lointain Sud-Est.

   Ainsi, les Germains eux-mêmes — ancêtres des Scandinaves, des Allemands, des Hollandais et des Anglais modernes — seraient, selon cette théorie, cette portion du peuple d’origine qui est simplement restée chez elle et n’a pas émigré.

   Hirt avoue que l’argument principal contre cette théorie est le fait que les langues germaniques ont changé plus que la plupart des autres en se développant à partir du langage primitif. C’est là le seul fait qui l’empêche de dire que la langue indo-européenne s’est développée pour la première fois sur le territoire germanique.

   Du point de vue de la langue, la Lithuanie semblerait être dans une meilleure situation que l’Allemagne. Ici, nous avons, même aujourd’hui, une langue qui ressemble étonnamment à ce que l’aryen préhistorique a dû être. D’une certaine façon, elle en est même plus rapprochée que le sanscrit ancien. Mais il y a moins de restes archéologiques (tombes, outils, poteries, squelettes, etc.) en Lithuanie qu’autre part. Ce pays a toujours été colonisé de façon dispersée et c’est pourquoi il fut moins perturbé que l’Allemagne. Childe critique le choix de l’Allemagne pour la même raison. Il dit que, même ici, les documents archéologiques ne sont pas suffisamment nombreux pour soutenir la théorie de Hirt.

   3. La vallée du Danube. Aux temps anciens, la féconde vallée supérieure du Danube fut un centre de civilisation humaine, nettement agricole. Les plus anciens témoignages européens du nouvel âge de la pierre pour l’Europe centrale se trouvent ici. Les hommes qui les ont laissés avaient évidemment des dispositions paisibles. C’étaient des paysans qui cultivaient la terre et avaient des animaux domestiques. Ils ne laissèrent après eux que peu d’armes, même du genre de celles dont on se sert pour la chasse. Leurs poteries étaient excellentes. Comme les hommes préhistoriques de l’Ukraine, de la Galicie et de la Roumanie (2700 à 1700 av. J.-C.), ils façonnaient de petites idoles féminines qui semblent indiquer le culte d’une ou de plusieurs déesses. Cependant, nous savons peu de choses sur l’aspect physique de ces paysans préhistoriques.

   En Silésie et en Saxe existait une civilisation (2500-2200 av. J.-C.) apparentée à cette première période danubienne, probablement une continuation de celle-ci. Les squelettes conservés ici sont grands et dolichocéphales. Cette période est connue sous le nom de danubienne II.

   Dans la troisième période, la danubienne III, les paisibles cultivateurs indigènes de la vallée furent, apparemment, envahis et conquis par des peuples plus belliqueux du Nord, de l’Est et de l’Ouest. Les envahisseurs se servaient de haches d’armes.

   Plus tard encore, dit Childe, sont venues des tribus nomades qui se servaient d’objets cordés et qui enterraient leurs morts sous des dalles. Certains d’entre eux ont créé la dernière colonie de Stary Zamek.

   D’autres étrangers sont venus des Alpes et de la France, apportant un type de poterie connu sous le nom de « coupes en cloche », par suite de la ressemblance de ces poteries avec des cloches. Ceux-ci étaient non seulement des guerriers, mais aussi des négociants.

   Le danubien III constitue ainsi une civilisation mixte. Dans la dernière période, les hommes commencèrent à brûler leurs morts. L’emploi des armes se développa sous la domination des gens du Nord, porteurs de haches d’armes. Toutefois, l’ancienne civilisation paysanne persista, comme elle l’a fait jusqu’aujourd’hui, malgré les siècles de guerre qui ont ébranlé l’Europe.

   Étant donnée la grande importance de la civilisation qui s’est développée le long du Danube, certains savants recherchent ici le lieu d’origine des hommes parlant l’indo-européen primitif. Giles, dans son Cambridge History of India, suppose que «  danubien I » fut la culture aryenne primitive. Mais les idoles féminines indiquent un culte d’une certaine déesse-mère que nous n’avons aucun droit (historique ou linguistique) de considérer comme aryenne. De plus, la culture, exclusivement paysanne, dit Childe, ne convient pas à notre image de la civilisation aryenne, qui semble avoir été à la fois guerrière et nomade à certaines époques, bien que sans continuité.

   E. de Michelis, un savant italien, pense que les derniers Danubiens, lorsqu’ils se sont mêlés au peuple armé de haches du Nord, étaient les premiers Aryens. Poisson, d’autre part, considère ces derniers Danubiens comme une partie d’un groupe de peuples vaguement fédérés, et qui s’étendaient de la vallée du Danube à travers les plaines de la Russie du Sud et jusqu’en Asie, qu’il appelle les proto-Aryens. C’est-à-dire qu’il considère les civilisations de ce vaste territoire comme une espèce de matrice de laquelle la civilisation aryenne s’est développée par la suite. Que le peuple de civilisation mixte danubien III parlât une langue aryenne ou non, il fut très important pour la civilisation de l’Europe préhistorique.

   4. La Russie du Sud. Les steppes de la Russie du Sud et de la région du Caucase nous ont fourni les squelettes d’hommes grands, dolichocéphales, aux fronts bas, qui étaient, dans le principe, des nomades, mais qui s’occupaient également d’agriculture. Des armes et des outils ont été trouvés dans leurs tombes, ainsi que des ossements de moutons et de chevaux, mais aussi des fragments de charrettes, des céréales, indiquant par là qu’ils cultivaient la terre. Ils connaissaient l’usage du cuivre et de l’argent. Au point de vue culturel, ils se rattachent aux guerriers qui firent la poterie cordée de Thuringe et les tombes séparées du Jutland. Physiquement, les groupes étaient identiques.

   Une curieuse habitude des habitants des steppes était de peindre les cadavres avec de l’ocre rouge avant de les enterrer. La coutume se retrouve ailleurs, mais elle n’est nulle part si généralisée qu’ici. Le grand nombre de tombes indique que cela fut pratiqué longtemps.

   Une citation de Childe, dans son livre Dawn of European Civilization((Naissance de la civilisation européenne.)), indiquera les différentes interprétations relatives aux « hommes d’ocre » :

   Kossina et la plupart des archéologues allemands voient dans les tombes d’ocre les monuments de belliqueux Indo-Allemands venant de Scandinavie et d’Allemagne pour coloniser la Russie du Sud. Leur progrès est marqué par les dalles avec les objets cordés, les silex à bout épais, les amphores rondes et les haches de pierre…

   Le professeur Tallgren a adopté une position similaire. Il estime que la civilisation russe centrale Fatyanovo dérive de la civilisation de la « hache d’armes » des tombes danoises.

   Les archéologues anglais, Myres et Peake, ont assigné un rôle tout autre aux tombes d’ocre. Ils regardent les nomades des steppes comme des guerriers, peut-être les proto-Aryens qui envahirent l’Europe centrale à l’âge du cuivre et qui atteignirent même l’Angleterre, apportant avec eux la coutume de poser une dalle au-dessus de la tombe. Myres cherche dans l’intérieur de l’Asie leur patrie originelle… Peake considère les hommes des steppes comme les descendants des Solutréens paléolithiques, mais il leur assigne le même rôle quant à l’Europe occidentale.

   Plus récemment, Georges Poisson a prétendu que la civilisation proto-aryenne s’était développée sur un vaste territoire ayant la Russie du Sud comme centre. Otto Schrader croit aussi que la Russie du Sud fut le pays d’origine des Aryens.

   Divers arguments ont été avancés contre cette théorie. Hermann Hirt est particulièrement précis. Il considère que les gens des steppes ont toujours été essentiellement nomades, et que leur vie errante était très peu favorable au développement de la civilisation agricole qu’il attribue aux parents de langue aryenne. En outre, il pense que l’idée d’une migration du Sud vers ce qui est aujourd’hui la Pologne, la Lithuanie, l’Allemagne et la France du Nord est peu probable, puisque les mouvements historiques ultérieurs se sont produits dans la direction opposée. Il écrit :

   La supposition que ces peuples ont d’abord émigré dans ces territoires autour de la mer Noire, venant des steppes de la Russie du Sud, se heurte à des difficultés insurmontables… Aucun peuple ayant habité les steppes de la Russie du Sud aux temps historiques n’a réussi à imposer sa langue dans une quelconque région de l’Europe.

   Childe, dans son livre sur les Aryens, admet que la question est douteuse. Si les tombes d’ocre rouge n’appartiennent qu’au second millénaire av. J.-C. au lieu du troisième (comme le croit le professeur A. M. Tallgren), alors elles ne sont pas suffisamment anciennes pour appartenir aux hommes qui parlaient l’aryen primitif. Childe conclut :

   On peut démontrer que la grande majorité des nations aryennes des temps historiques sont descendues du monde nordique à la « hache d’armes » de l’âge de la pierre. Grâce aux poteries et aux armes, on peut retrouver leurs traces, avec plus ou moins de certitude, soit dans l’un, soit dans l’autre des deux centres, Russie du Sud ou Scandinavie.

   La question n’est pas encore éclaircie. En l’absence de documents de la langue primitive, il se peut même qu’elle ne soit jamais résolue.

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